Élections en Afrique du Sud : FARRELL/AP/REX/Shutterstock

Unité 22 Économie, politique et politiques publiques

En tant qu’acteur économique, un gouvernement démocratique dans une économie capitaliste peut contribuer à améliorer le niveau de vie, avec des gains équitablement distribués. Trop souvent cependant, cela n’arrive pas.

  • Dans cette unité, nous nous intéressons à la manière dont les institutions et les politiques sont choisies. Pourquoi certaines institutions et politiques sont adoptées, et d’autres pas ?
  • À l’image des entreprises et des familles, l’État est un acteur économique important, dont les actions peuvent être appréhendées en étudiant les préférences de ses dirigeants et les contraintes auxquelles ils sont soumis.
  • Un État se distingue des autres acteurs d’une société par le fait qu’il peut contraindre les citoyens à respecter ses décisions, en usant de sa force si nécessaire (par exemple, les forces de police).
  • Les États se distinguent également par le fait qu’ils ont des obligations envers leurs citoyens en termes de droits. En conséquence, ils utilisent les recettes fiscales pour offrir des biens et services (tels que la protection par la police ou la scolarité de base) qui sont habituellement gratuits.
  • Idéalement, une démocratie donne du pouvoir aux citoyens en octroyant à tout le monde le droit de vote dans des élections concurrentielles et limite ce que peuvent faire les gouvernements en garantissant à chacun les droits individuels de liberté d’expression et d’association.
  • Idéalement, les gouvernements devraient adopter des politiques qui garantissent que toutes les possibilités favorisant des gains mutuels (à travers l’échange par exemple) soient exploitées et que les résultats économiques soient équitables.
  • Même dans une démocratie, des résultats économiques inefficaces ou injustes existent parce qu’il y a des limites à ce que les politiques publiques peuvent accomplir. Même quand les politiques publiques sont économiquement possibles, elles peuvent ne pas être mises en œuvre parce que des groupes puissants s’y opposent ou parce que les gouvernements sont dans l’impossibilité de les mettre en œuvre.

L’année où il devint vice-président d’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa était au 29e rang des plus grandes fortunes d’Afrique. Dans sa jeunesse, Ramaphosa était un syndicaliste militant profondément impliqué dans le mouvement anti-apartheid jusqu’à devenir le secrétaire général de l’Union nationale des mineurs. À cette époque, il n’imaginait probablement pas qu’en 2012 il aurait accumulé une richesse d’une valeur de 700 millions de dollars. Et il n’imaginait probablement pas qu’en 2018 il aurait devenu Président d’Afrique du Sud.

Né en 1952 à Soweto, qui était alors un ghetto noir pauvre situé en dehors de Johannesburg, Ramaphosa a grandi durant l’apartheid, le système de ségrégation raciale sud-africain. Comme il était noir, il était interdit d’accès aux meilleures écoles, aux services médicaux et même aux toilettes publiques. Comme les autres membres de la population noire majoritaire, il n’avait pas le droit de vote. Le revenu par personne des familles noires sud-africaines à la fin des années 1980 représentait environ 11 % de celui des familles blanches. Cette situation perdurait depuis au moins un demi-siècle.

La résistance au régime de l’apartheid, conjuguée au soutien international qu’elle obtint, constitua l’un des mouvements sociaux les plus importants de la fin du 20e siècle. Cependant, en Afrique du Sud, elle fut réprimée brutalement dès son origine. En 1960, la police tira sur des manifestants contre l’apartheid à Sharpeville, tuant 69 personnes non armées. Le Congrès National Africain (CNA) fut interdit. Quatre ans plus tard Nelson Mandela, l’un de ses leaders, fut emprisonné à vie.

Ramaphosa faisait partie de la génération suivante d’activistes anti-apartheid. En tant que secrétaire général de l’Union Nationale des mineurs, il participa à une vague de grèves et de manifestations au milieu et à la fin des années 1980, qui convainquirent de nombreux propriétaires d’entreprise blancs de la nécessité que l’apartheid prenne fin. Finalement le gouverne­ment accepta la défaite, libérant Mandela de sa prison.

La Figure 22.1 montre comment le montant des pensions de vieillesse publiques en Afrique du Sud perçues par différents groupes a évolué durant les 50 dernières années. Elle est une bonne illustration de l’histoire dramatique de l’apartheid et de son démantèlement. Sous l’apartheid, l’État offrait des pensions différentes aux différents groupes « raciaux » composant sa population. En 1970 par exemple, une personne de couleur blanche recevait une pension qui valait plus de sept fois celle reçue par une personne africaine de couleur noire. Le processus d’égalisation progressive des pensions arriva à terme au début de l’année 1993, avant même la première élection démocratique, avec l’abolition dans le système des pensions de toutes distinctions fondées sur la race.

L’apartheid et son démantèlement : la valeur des pensions de vieillesse sud-africaines
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Figure 22.1 L’apartheid et son démantèlement : la valeur des pensions de vieillesse sud-africaines.

Murray Leibbrandt, Ingrid Woolard, Arden Finn, and Jonathan Argent. 2010. ‘Trends in South African Income Distribution and Poverty since the Fall of Apartheid’, OECD Social, Employment and Migration Working Papers, No. 101, OECD Publishing, Paris. Note : Les noms des groupes de la population sont les termes officiels du recensement en Afrique du Sud. « Métis » désigne une personne d’ascendances diverses (Europe, Asie, et/ou Afrique).

En 1994, la première élection démocratique d’Afrique du Sud fit de Nelson Mandela le nouveau président. Ramaphosa fut élu au Parlement.

La transition vers un système politique démocratique entraîna des gains économiques pour la population noire. Pour la première fois, les travailleurs noirs pouvaient occuper des emplois qualifiés, ce qui augmenta leurs salaires. La ségrégation dans l’éducation et les services de santé fut abolie. Beaucoup plus de familles purent accéder à l’eau courante et à l’électricité.

Cependant, la transition vers un gouvernement démocratique n’a pas réduit l’écart entre les riches et les pauvres. Le coefficient de Gini pour le revenu était de 0,66 l’année précédant la première élection démocratique, le plus haut niveau parmi les pays les plus influents du monde à cette époque. Quinze ans plus tard (en 2008), il avait atteint 0,70.1

Bien que, selon la plupart des indicateurs, les disparités économiques entre les principaux groupes de la société aient diminué, les inégalités au sein de ces groupes ont considérablement augmenté. Cela est particulièrement vrai pour les Africains noirs, parmi lesquels une nouvelle classe très riche a émergé.

démocratie
Un système politique, qui idéalement confère à tous les citoyens un égal pouvoir politique, défini par des droits individuels tels que la liberté de parole, de rassemblement et de presse ; des élections justes pour lesquelles toute personne adulte est éligible pour voter ; et où le perdant à l’issue de ces élections quitte le pouvoir.

L’histoire de la vie de Cyril Ramaphosa et l’Histoire récente de l’Afrique du Sud illustrent comment le pouvoir politique peut affecter l’économie et comment l’économie peut façonner le pouvoir politique. Les inégalités économiques entre Noirs et Blancs découlaient des institutions politiques qui interdisaient aux Sud-Africains noirs de voter et qui restreignaient leurs activités politiques. Ces mesures antidémocratiques furent à l’origine du rassemblement, en opposition à l’apartheid, des syndicats, des associations de quartier, des étudiants, de l’ANC et d’autres partis d’opposition, qui mena finalement à la démocratie en Afrique du Sud. Pourtant, après plus de vingt ans de démocratie, aucun parti autre que l’ANC n’a été à la tête du pays, et l’Afrique du Sud reste l’un des pays les plus inégaux du monde. L’arrivée de la démocratie, l’abolition de l’apartheid et le changement dans la répartition du pouvoir politique n’a pas donné lieu à la réduction des inégalités à laquelle on aurait pu s’attendre.

L’État et les politiques publiques qu’il adopte ont joué un rôle dans chaque unité de L’Économie. Cependant, jusqu’à maintenant, nous ne nous sommes pas demandé pourquoi certaines politiques sont adoptées et d’autres pas, et comment ce processus évolue lorsque la répartition du pouvoir dans une société change, comme ce fut le cas de manière exceptionnelle en Afrique du Sud du vivant de Cyril Ramaphosa.

Dans cette unité, nous nous intéresserons d’abord à la nature de l’État/du gouvernement en tant qu’acteur économique : ce que veut l’État, comment il remplit ses objectifs et comment ses actions sont limitées. Nous nous intéresserons ensuite plus en détail aux institutions démocratiques. Nous développerons un modèle décrivant la manière dont les partis politiques choisissent leurs politiques. Nous analyserons comment les différences entre institutions démocratiques peuvent avoir un effet sur les résultats politiques. Enfin, nous expliquerons comment des barrières économiques, administratives et politiques peuvent empêcher l’adoption de politiques efficaces et justes, même dans des pays fortement démocratiques.

22.1 L’État en tant qu’acteur économique

Un État permet à des individus de faire ensemble ce qu’ils ne pourraient pas faire individuellement, par exemple faire la guerre. Cependant, les gouvernements s’engagent également dans des activités améliorant considérablement le niveau de vie et la qualité de vie des citoyens. En voici quelques exemples :2

  • Pauvreté : il y a un demi-siècle, même dans les pays riches, de nombreux retraités et personnes âgées étaient piégés dans la pauvreté. Ainsi, en 1966, 28,5 % des citoyens américains âgés de 65 ans et plus étaient catégorisés comme « pauvres ». Depuis, dans beaucoup de pays, les transferts de l’État ont pratiquement éliminé la misère économique parmi les personnes âgées. En 2012, seules 9,1 % des personnes âgées aux États-Unis étaient pauvres.
  • Sécurité économique : l’augmentation des dépenses publiques ainsi que les leçons tirées de la Grande Dépression et de l’âge d’or du capitalisme ont considérablement réduit l’insécurité économique en modérant la volatilité du cycle économique.
  • L’allongement de l’espérance de vie et la forte réduction de la mortalité infantile dans de nombreux pays : quand elles sont intervenues, à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, elles n’étaient pas en premier lieu le fait d’avancées dans le domaine de la médecine, qui arrivèrent plus tard pour la plupart. Elles furent la conséquence de politiques publiques ayant amélioré l’assainissement et l’approvisionnement en eau.

À l’image des entreprises et des familles, l’État est un acteur économique. Ses impôts, dépenses, lois, guerres et autres activités font partie de la vie économique au même titre que les activités d’investissement, d’épargne, d’achat et de vente des familles et des entreprises.

Coercition et fourniture de services publics

L’État est un acteur qui éclipse par sa taille les familles et la plupart des entreprises. Le service public américain, fédéral et local, emploie plus de dix fois plus de personnes que la plus grande entreprise du pays, Walmart. Cependant, les États n’ont pas toujours été des acteurs économiques d’une telle envergure. La Figure 22.2 présente le revenu fiscal total collecté par l’État au Royaume-Uni comme fraction du produit intérieur brut (une mesure de la taille du service public relativement à la taille de l’économie) sur plus de cinq siècles. De l’ordre de 3 % dans la période précédant 1650, ce chiffre a été multiplié par 10 après la Seconde Guerre mondiale.3 4

La croissance du secteur public au Royaume-Uni (1500–2015)
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Figure 22.2 La croissance du secteur public au Royaume-Uni (1500–2015).

UK Public Revenue; Patrick K. O’Brien and Philip A. Hunt. 1993. ‘The rise of a fiscal state in England, 1485–1815’. Historical Research 66 (160): pp.129–76. Note : La Pax Britannica désigne le siècle entre la fin des guerres napoléoniennes et le début de la Première Guerre mondiale, période au cours de laquelle le monde était en grande partie en paix, avec le Royaume-Uni comme puissance militaire dominante. La Révolution glorieuse destitua le roi James II en 1688 et augmenta le pouvoir indépendant du parlement.

Non seulement l’État est un acteur économique bien plus important que n’importe quelle famille ou entreprise, mais il tient également un rôle unique dans la société. Au sein d’un territoire donné, il peut imposer aux individus ce qu’ils doivent ou ne doivent pas faire. Il peut utiliser la force et restreindre les libertés individuelles pour y parvenir. Puisque les citoyens considèrent en général qu’il est légitime que l’État use de son pouvoir coercitif pour maintenir l’ordre, réguler l’économie et fournir des services – autrement dit, ils acceptent son autorité – la plupart d’entre eux respectent les lois faites par l’État. Le pouvoir coercitif de l’État est utilisé entre autres pour lever des impôts, qui peuvent être utilisés pour financer ses activités.

État
Au sein d’un territoire donné, la seule entité qui peut dicter aux citoyens ce qu’ils doivent ou ne peuvent pas faire, et peut légitimement faire usage de la force et restreindre la liberté d’un individu à cette fin. Connu également sous le terme : pouvoirs publics.

Pour distinguer l’État des acteurs économiques privés comme les entreprises, les familles, les individus, les syndicats et les organisations professionnelles, nous définissons l’État comme le seul organisme sur un territoire géographique (la nation) qui puisse légitimement user de la force et de la menace de la force contre les citoyens de cette nation. De manière routinière, l’État effectue des actions, comme mettre des individus en prison, qui seraient considérées comme répréhensibles si un individu privé faisait de même.

Pour comprendre l’importance du monopole de l’État sur l’usage de la force, retournons à Bruno et Angela, que nous avions rencontrés dans l’Unité 5.

Au début, Bruno était lourdement armé et Angela était à sa merci. Bruno n’était pas un fonctionnaire. Il agissait en tant que citoyen privé. Il utilisait la menace de la violence pour contrôler le travail d’autres individus et profiter du fruit de leur labeur. En tant qu’agent économique, la seule contrainte à laquelle faisait face Bruno était biologique : il ne pouvait pas forcer Angela à travailler dans des conditions susceptibles de causer sa mort, non parce que cela aurait fait de lui un meurtrier mais parce que cela aurait privé Bruno de « son » travailleur.

Nous avons ensuite introduit un État imposant des lois à Angela et Bruno, désarmant Bruno. Si celui-ci voulait qu’Angela travaille pour lui, il devait maintenant lui faire une offre qu’elle accepterait sans la menace de violence. L’État, en d’autres mots, a obtenu le monopole de l’usage de la force. Il a utilisé sa force pour protéger la propriété privée des terres de Bruno, ce qui explique pourquoi Angela ne pouvait pas tout simplement cultiver la terre elle-même et garder toutes les cultures qu’elle produisait.

Par la suite, l’État est devenu démocratique, et comme la population était composée de plus d’« Angela » que de « Bruno », la situation économique d’Angela s’est améliorée.

Au-delà de l’usage légitime de son pouvoir coercitif, une seconde caractéristique de l’État, qui le distingue également des entreprises et des autres entités économiques privées, est le fait qu’il ait des obligations envers ses citoyens, fondées sur les droits civils et les droits de l’Homme. Pour protéger et faire progresser ces droits, l’État utilise ses revenus fiscaux pour fournir des services tels que la défense nationale, la protection par la police et l’éducation. Ces services sont souvent offerts selon un principe universel (tout le monde peut y avoir accès) et un principe de gratuité.

Bien que les individus aient des revenus et richesses très différents et payent donc des impôts différents, tous les citoyens ont les mêmes droits s’agissant de la plupart des services publics. Cela est à l’origine de nombreux débats sur la taille appropriée du secteur public : les individus avec moins de revenus et de richesses bénéficient de beaucoup de services publics, alors que, comme nous l’avons vu dans l’Unité 19, les individus avec plus de richesses et de revenus payent une plus grande partie (en termes absolus) des impôts servant à financer ces services.

Les systèmes d’impôts, de transferts et de dépenses des États démocratiques redistribuent habituellement les revenus des plus riches vers les plus pauvres, comme indiqué dans la Figure 5.16 pour un grand échantillon de pays et plus en détail pour le cas du Mexique dans la Figure 19.29a. Dans le même temps, les pratiques écologiquement et socialement néfastes sont souvent utilisées par ceux qui ont des revenus élevés pour augmenter davantage leurs revenus, au détriment des pauvres.

Une partie de la solution

Jean Tirole, un économiste spécialiste dans l’intervention et la régulation des pouvoirs publics, décrit comment ces derniers peuvent intervenir au cours de son discours pour le prix Nobel.

Dans les Figures 12.8 et 12.9, nous nous étions intéressés à diverses décisions prises par des acteurs économiques privés qui affectaient d’autres acteurs en imposant un coût ou un bénéfice externe non compensés. Nous avions aussi considéré des remèdes possibles à ces défaillances de marché, souvent à travers une intervention de l’État. Enfin, nous avions vu que l’État adopte des politiques visant à corriger les injustices qui résultent parfois des interactions économiques privées. L’État peut adopter l’objectif double que nous avons présenté dans ce cours :

  • garantir que les gains mutuels rendus possibles par nos interactions économiques soient aussi importants que possible et soient entièrement réalisés,
  • partager ces gains d’une façon juste.

Voici quelques exemples de politiques répondant aux défaillances de marché et aux injustices :

  • Politiques de concurrence : pour réduire le pouvoir de fixation des prix des monopoles.
  • Politiques environnementales : pour réduire les émissions de polluants.
  • Subventions : pour la R&D.
  • Politiques visant à établir que la demande globale restera relativement stable : de façon à ce que les entreprises investissent.
  • Service public de santé ou assurance obligatoire.
  • Mise à disposition d’informations : pour permettre aux individus de prendre de meilleures décisions, par exemple sur les risques associés aux produits financiers, aux jouets pour enfants et à certains aliments.
  • Politiques de la banque centrale : qui obligent les banques commerciales à minimiser leur exposition au risque en limitant l’effet de levier.
  • Législation sur le salaire minimum : interdisant les contrats avec des salaires inférieurs à un certain seuil établi.

L’État poursuit ces objectifs par une combinaison de quatre moyens :

  • Incitations : les impôts, subventions et autres dépenses modifient les coûts et les bénéfices d’activités ayant des effets externes, qui mèneraient à des défaillances de marché ou des situations injustes s’ils n’étaient pas pris en compte.
  • Réglementation : réglementation directe d’activités économiques comme le degré de concurrence, l’inclusion d’une participation universelle obligatoire dans les assurances sociales et maladie, régulation de la demande globale.
  • Persuasion ou information : modification des informations disponibles et des attentes des individus sur ce que feront les autres (par exemple leur croyance que la propriété privée est garantie ou que d’autres entreprises vont investir) pour permettre aux gens de coordonner leurs actions de manière désirable.
  • Services publics : prestations en nature ou par le biais de transferts monétaires, dont des biens tutélaires comme la scolarité de base, la représentation devant les tribunaux et les transferts de revenus pour modifier la répartition des niveaux de vie.

La Figure 22.3 rassemble une grande partie des exemples de politiques traités dans les unités précédentes. Dans chaque cas, la politique vise une défaillance de marché ou une injustice perçue, en particulier. Nous identifions l’objectif de la politique et l’instrument utilisé. Les lectures supplémentaires proposées dans les unités et les vidéos montrent dans quelle mesure les objectifs des politiques ont été atteints.

Bien que la plupart de ces politiques aient été efficaces pour corriger les inefficacités et les injustices dans certains pays, nous discuterons dans la Section 22.9 des raisons pour lesquelles les défaillances de marché et les résultats économiques perçus comme injustes par de nombreux citoyens persistent dans les démocraties.

Politique Unité Défaillance de marché ou injustice Objectif de la politique Type d’instrument de politique publique Exemple mentionné dans le texte
Taxe sur les boissons sucrées 7 Trop de consommation de sucre, effets externes négatifs des conséquences sur la santé Réduire la consommation de sucre Incitations, information Danemark, France
Structure progressive des impôts, transferts monétaires et en nature 19 Inégalités injustes du marché Réduire les injustices Incitations, services publics Mexique, Afrique du Sud, Brésil, UE
Réduction des tarifs douaniers 18 Trop peu de produits importés sont achetés (P > Cm) Exploiter tous les gains possibles du commerce international Incitations Première et deuxième mondialisations (vidéo de Dani Rodrik)
Subventions à la R&D 12, 21 Trop peu de R&D Augmenter la R&D Incitations Allemagne
Système de plafonnement et d’échange ou taxe carbone 20 Trop d’émissions de CO2 emissions (ressource commune) Réduire les émissions de CO2 Réglementation (plafonnement), incitations (échange) UE et États-Unis (plafonnement et échange)
Interdiction des CFC 4 Émissions détruisant la couche d’ozone (ressource commune) Éliminer l’usage Réglementation Protocole de Montréal de 1989
Protection par brevet mais à durée limitée 21 Trop peu de R&D Encourager la R&D mais veiller à la diffusion en temps opportun Réglementation (monopole sur l’innovation), incitations (pour la R&D) Droits d’auteur des opéras du 19e siècle, brevets pharmaceutiques aux États-Unis (vidéo de Petra Moser, vidéo de F. M. Scherer)
Politique de la concurrence pour limiter les monopoles 7 Trop petite quantité vendue (P > Cm), monopole favorisant les propriétaires au détriment des consommateurs Rapprocher le prix du Cm Réglementation Commission européenne (Volvo/Scania), Département américain de la Justice (Microsoft)
Réforme agraire 5 Pauvreté parmi les métayers, répartition injuste de la récolte Augmenter le revenu des métayers en leur octroyant une plus grand part de la récolte Réglementation Opération Barga, Bengale-Occidental
Salaire minimum 19 Revenus trop faibles dans la portion inférieure de la distribution des revenus Réduire la pauvreté Réglementation Législation dans les états américains (vidéo d’Arin Dube)
Élimination des discriminations ethniques, raciales ou de genre sur les marchés du travail 19 Inégalités injustes des revenus du travail Augmenter les revenus des groupes visés Réglementation, information Afrique du Sud
Obligation de souscrire à une assurance maladie ou services publics 12, 19 Sélection adverse : trop peu de couverture est offerte, primes trop chères pour les personnes à haut risque Améliorer l’accès à la santé Réglementation, services publics Royaume-Uni, États-Unis, Finlande
Exigences en capital pour les banques 17 Prêts excessivement risqués avec coût externe pour les autres (par ex. les contribuables) Réduire les risques du système financier et des finances publiques Incitations, réglementation Comparaison des réglementations avant et après la crise financière mondiale (vidéo de Joseph Stiglitz, vidéo d’Anat Admati)
Politique monétaire de ciblage de l’inflation 15, 17 Chômage supérieur au taux compatible avec la stabilité des prix Maintenir le taux de chômage proche de l’équilibre de Nash du marché du travail Incitations, persuasion Banque d’Angleterre, Réserve fédérale et autres banques centrales pendant la Grande Modération
Réformes du marché du travail (politiques d’activation du marché du travail, durée plus courte des allocations chômage) 16 Chômage trop élevé Améliorer l’appariement entre postes vacants et chômeurs Incitations, réglementation, information Réformes Hartz en Allemagne
Politiques de régulation de la demande globale 14, 17 Défaut de coordination des entreprises sur la demande attendue Stabiliser la demande globale Persuasion, services publics Comparaison des politiques lors de la Grande Dépression et après la Seconde Guerre mondiale (vidéo de Barry Eichengreen)
Coopération internationale 14 Défaut de coordination des pays sur la relance budgétaire Empêcher l’effondrement de la demande globale Persuasion Sommet du G20 à Londres en 2009
Coopération internationale 20 Défaut de coordination des pays sur le changement climatique Réduire les émissions de CO2 Persuasion Accords de Paris sur le climat de 2015
Financement public de la R&D 21 Trop peu de R&D Augmenter la R&D financée par l’État (universités et autres) Services publics Armée et enseignement supérieur aux États-Unis, gouvernement britannique, consortium du CERN
Programmes en éducation dès la petite enfance 19 Tous les enfants n’ont pas les mêmes opportunités Augmenter les opportunités pour les enfants plus pauvres d’atteindre un niveau d’éducation plus élevé Services publics Programmes aux États-Unis (vidéo de James Heckman)

Figure 22.3 Politiques économiques visant à atténuer les défaillances de marché ou à répondre aux injustices, traitées dans les unités précédentes.

Une partie du problème

Pour remplir les objectifs importants de ces politiques, l’État doit être assorti de pouvoirs extraordinaires lui permettant d’obtenir les informations nécessaires et de s’assurer du respect des obligations, le cas échéant. Cela crée un dilemme : pour que l’État résolve avec succès des problèmes, il doit être suffisamment puissant pour potentiellement constituer un problème lui-même. Des exemples tirés de l’Histoire et de l’actualité nous montrent des États utilisant leur monopole sur l’usage de la force pour réduire au silence l’opposition et extraire des richesses personnelles colossales pour leurs hauts fonctionnaires et dirigeants.

Avant la Révolution française, Louis XIV, surnommé le Roi Soleil par ses sujets, affirmait : « L’État, c’est moi ». De l’autre côté de la Manche, presque à la même période, William Pitt avait une vision différente de son roi, déclarant, « Dans sa chaumière, l’homme le plus pauvre peut défier toutes les forces de la Couronne », comme vous l’avez vu dans l’Exercice 1.6.

Les sociétés bien gouvernées ont trouvé des moyens de limiter les dommages que peut infliger l’État en abusant de son pouvoir, sans affaiblir la capacité de ce dernier à répondre aux problèmes de la société. Ces moyens consistent généralement en une combinaison de deux éléments :

  • Des élections démocratiques : pour permettre aux citoyens de sanctionner un gouvernement qui utilise ses pouvoirs dans son propre intérêt ou les intérêts d’un petit groupe.
  • Des garde-fous institutionnels : ainsi que des limites constitutionnelles à l’action des gouvernements.

Le second point explique pourquoi William Pitt faisait remarquer que bien qu’un pauvre fermier puisse avoir du mal à empêcher la pluie de s’infiltrer dans sa maison, il pouvait en toute confiance en exclure l’entrée au roi d’Angleterre.

Dans une économie capitaliste, à moins de circonstances exceptionnelles, l’État ne peut pas confisquer vos biens, ce qui limite sa capacité à s’enrichir à vos dépens. C’est une limite essentielle aux pouvoirs arbitraires de l’État. Un exemple de circonstance exceptionnelle est la situation dans laquelle votre terrain serait le seul endroit possible pour construire un pont nécessaire pour résoudre un problème de transport. La plupart des États ont le droit d’acquérir votre terrain à un prix jugé par une instance indépendante comme juste, même si vous ne voulez pas vendre. Ce pouvoir de prendre la propriété privée pour l’usage public porte différents noms. Il est appelé « right of eminent domain » aux États-Unis, « compulsory purchase » au Royaume-Uni et « droit de préemption » en France.

Nous verrons que même lorsqu’il y a des limites bien conçues aux pouvoirs publics et la possibilité d’exceptions pour mieux répondre aux besoins des citoyens, l’État, à l’image des marchés, échoue parfois.

monopole naturel
Un procédé de production dans lequel la courbe de coût moyen à long terme a une pente suffisamment négative pour rendre impossible une concurrence durable entre les entreprises sur ce marché.

Pour comprendre pourquoi ni les marchés, ni les États ne peuvent offrir de solutions idéales aux problèmes économiques, pensez au cas d’un monopole naturel traité dans les Unités 7 et 12. L’approvisionnement en eau potable dans une ville ou la transmission d’électricité à travers un réseau national sont des exemples. Dans ces cas, les économies d’échelle sont telles que la solution la plus efficace consiste à laisser une seule entité (une entreprise privée ou l’État) fournir le service.

Si le monopole est un service privé, nous savons que l’entreprise devra faire face à une courbe de demande décroissante, qui limite le prix auquel elle peut vendre ses biens. L’entreprise monopoliste voudra à la fois réduire ses coûts et limiter sa production pour demander un prix plus élevé. Il en résulte que le prix sera au-dessus du coût marginal de production, ce qui signifie que certains consommateurs qui seraient prêts à payer au plus le coût marginal ne consommeront pas le service.

Est-ce que l’État ferait mieux ?

responsabilité économique
Responsabilité possible grâce à des processus économiques, notamment la concurrence entre des entreprises ou d’autres entités au sein desquelles ne pas tenir compte de ceux affectés se traduirait par des pertes en profits ou une faillite d’entreprise. Voir également : responsabilité (au sens de avoir à répondre de), responsabilité politique.
responsabilité politique
responsabilité exercée à travers des processus politiques comme les élections, le contrôle par un gouvernement élu, ou la consul­tation des citoyens concernés. Voir également : responsabilité, responsabilité économique.
défaillance du marché
Lorsque les marchés allouent des ressources d’une manière qui n’est pas Pareto-efficace.
défaillance des pouvoirs publics
Un échec de responsabilité poli­tique. (Ce terme est très utilisé dans toutes sortes d’acceptions, dont aucune n’est strictement analogue à la défaillance de marché, pour laquelle le critère est simplement l’inefficacité au sens de Pareto).

Idéalement, un monopole naturel d’État fixerait le prix de sorte qu’il soit égal au coût marginal et utiliserait un système de taxation adapté pour financer les coûts fixes. Cependant, l’État a peu d’incitations à réduire ses coûts. L’entreprise de fourniture d’eau ou d’électricité détenue par l’État peut être poussée à engager plus d’employés que nécessaire afin d’offrir des emplois bien payés à des individus qui ont des accointances politiques. Il en résulte des coûts qui peuvent être supérieurs à ce qu’ils seraient autrement. Des individus riches ou des entreprises peuvent faire pression sur le monopole d’État pour qu’il offre ses services de façon préférentielle à des groupes d’intérêt spécifiques.

Cet exemple illustre les similarités et les différences entre la responsabilité économique du marché et la responsabilité politique d’un gouvernement démocratique. L’entreprise monopolistique et l’État peuvent tous deux agir dans leur propre intérêt aux dépens du consommateur ou du contribuable, mais ils sont aussi tous deux limités dans leurs actions. L’entreprise monopolistique ne peut pas fixer le prix qu’elle veut : elle est limitée par la courbe de demande. L’État n’est pas libre d’augmenter les coûts du service en engageant et en favorisant uniquement des « amis de l’État » parce qu’il risque de subir une défaite électorale.

Ces deux exemples (monopole naturel privé ou d’État) illustrent les problème de défaillance du marché (le monopole fixe un prix supérieur au coût marginal) et de ce qui est parfois appelé défaillance des pouvoirs publics (l’incapacité à minimiser les coûts de production du service), ainsi que les problèmes liés à l’adoption de politiques dans un monde réel dans lequel aucune de ces défaillances ne peut être complètement évitée.

Qu’est-ce qui fonctionne mieux ? Il n’y a pas de réponse générale à cette question. De plus, il y a beaucoup d’autres possibilités en plus de la propriété privée ou publique, dont :

  • la propriété privée sous régulation publique,
  • la propriété publique avec concurrence entre entreprises privées pour avoir le droit, limité dans le temps, de produire et de vendre le service.

Considérer l’État comme un acteur économique qui poursuit ses objectifs sous une contrainte de faisabilité va nous permettre de mieux comprendre ce qui pousse l’État à résoudre les problèmes plutôt qu’à en créer.5

Exercice 22.1 Gouvernement et contrôle de soi

James Madison, une figure majeure des débats sur la constitution des États-Unis après la victoire des anciennes colonies britanniques lors de la Guerre d’Indépendance américaine, a écrit en 1788 :6

Dans la conception d’un gouvernement qui doit être géré par des hommes pour des hommes, la grande difficulté est la suivante : vous devez d’abord permettre au gouvernement de contrôler les gouvernés ; et ensuite vous devez l’obliger à se contrôler lui-même.

Comment la démocratie (y compris l’État de droit) répond-elle aux préoccupations de Madison sur la manière de forcer l’État à « se contrôler » ?

Exercice 22.2 La relation entre développement économique et taille du secteur public

Utilisez la Figure 22.2 pour vous aider à répondre aux questions suivantes :

  1. Pourquoi la Pax Britannica fut une période caractérisée par une taille réduite du secteur public ?
  2. Comparez la Figure 22.2 avec la Figure 1.1a. Pourquoi pensez-vous que la croissance du secteur public coïncide à la fois avec l’émergence du capitalisme en tant que système économique aux 17e et 18e siècles et avec la hausse de la production par personne ?
  3. Comparez deux périodes de « paix » : la Pax Britannica et la période suivant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi pensez-vous que le secteur public a grossi lors de la seconde période ?

22.2 L’État agissant comme un monopoliste

Comme nous l’avons mentionné dans la section précédente, les États ont le pouvoir de résoudre des problèmes, mais en créent également. Les dirigeants et les membres des gouvernements/administrations abusent souvent de leur pouvoir dans leur intérêt personnel :

  • France : Louis XIV, le Roi Soleil, a régné sur la France de 1643 à 1715. Entre 1661 et 1710, il fit édifier pour lui-même un palais et des jardins luxueux au château de Versailles, qui est maintenant l’une des attractions touristiques les plus visitées au monde.
  • Côte d’Ivoire : de 1960 à 1993, lorsqu’il était président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny accumula une fortune estimée entre 7 et 11 milliards de dollars, dont il détenait une grande partie dans des comptes en Suisse. Il a demandé un jour : « Y a-t-il un seul homme sérieux sur Terre qui ne garde pas une partie de sa fortune en Suisse ? »
  • Roumanie : Nicolas Ceausescu, le chef d’État roumain sous le régime communiste pendant plus de deux décennies, accumula une richesse considérable, dont la partie la plus visible était constituée par la douzaine de palais dont les salles de bains étaient dotées de baignoires au carrelage doré et de dérouleurs de papier toilette en or massif.
  • Russie : grâce à leurs relations personnelles avec le président Vladimir Poutine, des hommes d’affaires appelés oligarques ont obtenu des actifs valant plusieurs centaines de millions de roubles.

D’autres États, parfois des États non démocratiques comme ceux que nous venons de mentionner, peuvent offrir des services publics importants et sont gouvernés par des personnes ne s’octroyant pas de gains personnels déraisonnables.

Préférences et ensembles des possibles

Afin de comprendre pourquoi les États font ce qu’ils font, nous allons d’abord modéliser l’État comme un seul individu et utiliser les concepts habituels, à savoir :

  • ses préférences,
  • et les contraintes qui déterminent les actions et résultats qu’il est capable de réaliser.

Nous considérons l’État comme un acteur unique, mais il est en fait composé d’un grand nombre d’acteurs. À l’image des directeurs et des propriétaires d’entreprise, ceux d’un État ont des motivations très variées. Parmi les motivations des individus occupant des postes de dirigeants au sein de gouvernements, on retrouve souvent les suivantes :

  • Bienveillance : améliorer le bien-être des citoyens.
  • Népotisme : accorder une importance spéciale à un groupe particulier (comme la région dont est issu le dirigeant ou une religion particulière).
  • Intérêt personnel : utiliser le pouvoir octroyé par leur position afin de s’enrichir personnellement.

Pour commencer, nous modélisons l’État en tant que « monopoliste politique », ce qui veut dire qu’il n’est pas exposé à la concurrence via des élections qui pourraient le destituer. Nous appelons cela le modèle d’« État en tant que monopoliste ». Un État correspondant à cette description est une dictature. Même en l’absence d’élections, le dictateur fait face à une contrainte de faisabilité : ses pouvoirs ne sont pas illimités, il peut être démis de ses fonctions par une révolte populaire.

Selon ses préférences et les contraintes auxquelles il fait face, l’État peut utiliser le revenu fiscal perçu à des fins diverses, comme :

  • Mettre à disposition des services à pratiquement tous les citoyens : cela inclut l’éducation et la santé.
  • Fournir des services publics ou d’autres avantages à des groupes ciblés : comme des emplois bien payés ou des exemptions d’impôt.
  • Se réserver des revenus considérables : ou d’autres avantage économiques pour les dirigeants ou leurs familles.

Dictateur à la recherche de rentes

Comme pour tous les modèles, nous simplifions considérablement afin de pouvoir nous concentrer sur les aspects les plus importants du problème :

  • Le « dictateur » est complètement égoïste.
  • Il choisit le montant de l’impôt que les citoyens vont devoir payer…
  • … et empoche simplement les recettes fiscales, moins ce qu’il dépense en services publics (comme les services de base en santé ou en éducation) pour les citoyens…
  • … services qu’il fournit car s’il accapare trop de richesses pour lui, une révolte populaire pourrait le destituer.

Bien que simple, ce modèle reflète certaines réalités essentielles :

  • Le peuple roumain s’est soulevé contre Nicolae Ceausescu en 1989 après avoir été sous son joug pendant vingt-neuf ans. L’armée rejoignit le soulèvement, et sa femme et lui furent exécutés.
  • Louis XVI fut chassé du pouvoir par la Révolution française en 1789, au cours de laquelle des milliers d’hommes et de femmes armés assiégèrent le château de Versailles. Il fut guillotiné en 1793.
rente politique
Le montant d’un paiement ou d’un autre bénéfice excédant la seconde meilleure alternative d’un individu (position de réserve) qui existe en raison de la position politique de l’individu. La position de réserve dans ce cas renvoie à la situation de l’individu en l’absence d’une position politique privilégiée. Voir également : rente économique.

Les coûts des services publics incluent ce qu’aurait gagné le dictateur en tant que citoyen lambda. La somme que reçoit le dictateur (les recettes fiscales moins les coûts des services publics) est appelée une rente politique :

  • C’est une rente : cela correspond au montant supplémentaire reçu par le dictateur par rapport à sa seconde meilleure option (c’est-à-dire travailler comme un citoyen ordinaire).
  • Les rentes sont politiques : elles existent en raison des institutions politiques en place. Le dictateur obtient un revenu excédent son revenu de réserve parce qu’il occupe une position de pouvoir au sein de l’État.

Ces rentes sont un exemple de rentes persistantes (ou stationnaires). Contrairement aux rentes stationnaires qui encouragent les travailleurs à travailler beaucoup et bien, ou aux rentes dynamiques que reçoivent les innovateurs à succès, ces rentes ne jouent aucun rôle utile dans l’économie. Elles récompensent simplement le fait d’avoir du pouvoir.

La recherche de rentes par un dictateur (qui comprend toutes les activités visant à étendre ou à perpétuer ses revenus élevés) implique souvent d’utiliser les ressources de l’économie afin de contrôler la population pour permettre au dictateur de rester au pouvoir, au lieu de les utiliser pour produire des biens et services. Cela ressemble à certaines activités de recherche de rentes d’une entreprise maximisant ses profits, comme faire de la publicité ou exercer une pression sur le gouvernement pour obtenir des avantages fiscaux. Cependant, cela diffère des activités de recherche de rentes comme l’innovation, qui crée souvent des bénéfices économiques considérables.

Pour simplifier le problème de prise de décision du dictateur, nous supposons que le dictateur ne choisit pas le service public qu’il va offrir, c’est-à-dire que nous prenons le service public comme donné. Le dictateur ne choisit que la quantité d’impôts à lever.

Même un dictateur n’est pas libre de faire ce qu’il veut

Comme dans l’Unité 5, où Bruno usait de son pouvoir coercitif pour exploiter Angela, le dictateur ne voudra pas fixer un niveau d’impôts tel que les citoyens n’auraient plus la force ni la capacité de produire. Cependant, le dictateur fait face à une contrainte supplémentaire : si l’impôt est trop élevé, les citoyens vont essayer de le chasser du pouvoir, en se révoltant ou en s’engageant dans d’autres formes de protestation.

Nous supposons qu’il y ait deux raisons de destituer un dictateur :

  • Des raisons liées à la performance : par exemple, si les impôts demandés sont trop élevés.
  • Des raisons non liées à la performance : le dictateur n’a pas de contrôle sur ces raisons.

Le dictateur veut maximiser la rente politique totale attendue pendant qu’il est au pouvoir, et pas uniquement la rente qu’il peut obtenir pendant une année. Il doit donc prendre en compte la durée probable de sa place au pouvoir. Il est bien sûr impossible de la prédire, mais il peut raisonnablement s’attendre à ce que, pour une quantité donnée de services publics, le temps qu’il passera au pouvoir soit inversement proportionnel au montant de l’impôt qu’il demande.

La Figure 22.4 montre de quelle manière un dictateur, se projetant dans le futur, évaluerait deux niveaux possibles d’imposition. Avec le niveau plus élevé, le dictateur reçoit une rente annuelle plus importante, mais pendant une période plus courte, parce que la probabilité qu’il soit chassé du pouvoir est plus élevée.

Le dictateur, se projetant dans le futur, considère la rente politique totale qu’il obtiendra avec deux niveaux différents d’imposition annuelle.
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Figure 22.4 Le dictateur, se projetant dans le futur, considère la rente politique totale qu’il obtiendra avec deux niveaux différents d’imposition annuelle.

Impôt plus élevé
: Si le dictateur perçoit un impôt T2, il anticipe de rester au pouvoir pendant D2 ans. Sa rente politique totale est (T2 − C)D2, où C correspond au coût des services publics offerts.
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Impôt plus élevé

Si le dictateur perçoit un impôt T2, il anticipe de rester au pouvoir pendant D2 ans. Sa rente politique totale est (T2C)D2,C correspond au coût des services publics offerts.

Impôt plus faible
: S’il perçoit moins d’impôts, il s’attend à rester plus longtemps au pouvoir. Sa rente politique totale est (T1 – C)D1.
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Impôt plus faible

S’il perçoit moins d’impôts, il s’attend à rester plus longtemps au pouvoir. Sa rente politique totale est (T1C)D1.

En supposant que le secteur privé n’offre pas aussi ces services au public, vous pouvez considérer l’État comme un monopoliste offrant les services publics à un « prix » (l’impôt) que les citoyens sont légalement obligés de payer. Le dictateur fait face à une contrainte similaire à une courbe de demande. Tout comme la quantité que peut offrir une entreprise monopolistique est inversement proportionnelle au prix qu’elle fixe, le temps que passera le dictateur au pouvoir est inversement proportionnel au taux d’imposition qu’il fixe.

La Figure 22.5 montre l’effet du taux d’imposition fixé par le dictateur sur la durée attendue du gouvernement, définie comme le nombre d’années qu’il peut espérer rester au pouvoir après cette année.

La courbe de durée : le dictateur fixe l’impôt, étant donné le coût des services publics
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Figure 22.5 La courbe de durée : le dictateur fixe l’impôt, étant donné le coût des services publics.

Quelle est la durée de règne maximale (Dmax) que le dictateur puisse espérer ? Pour trouver la réponse, imaginez que notre dictateur perde soudainement tout intérêt pour l’argent et veuille simplement rester aussi longtemps que possible au pouvoir. Que ferait-il ?

Il ne peut pas réduire la probabilité d’être destitué pour des raisons indépendantes de sa performance. Cependant, il peut réduire la probabilité d’être destitué « liée à sa performance » en collectant juste assez d’impôts pour couvrir les coûts de production des services publics. Dans la Figure 22.5, Dmax correspond donc au point d’intersection entre la courbe de durée et la droite des coûts. C’est la durée attendue lorsque l’on ne considère que les facteurs non liés à la performance du dictateur. Tout taux d’imposition supérieur au coût de production réduit la durée espérée en dessous de Dmax comme le montre la pente descendante de la courbe de durée.

Leibniz : La durée espérée du dictateur ou de l’élite au pouvoir

La courbe de durée passe par les points X et Y de la Figure 22.4 et ne descend pas sous la droite des coûts parce que si elle le faisait, le dictateur devrait payer de sa poche une partie des coûts des services publics. Le dictateur dans un pays où l’État de droit est davantage respecté – donc où la probabilité d’une révolte non liée à la performance est moins élevée – aura une courbe de durée qui croisera la droite des coûts à la droite de la courbe représentée sur le graphique.

La courbe de durée correspond à la frontière des possibles pour le dictateur. Les points appartenant à l’ensemble des possibles au-dessus de la droite des coûts impliquent des rentes positives pour lui. La courbe représente un arbitrage familier :

  • Des impôts plus élevés : plus de rentes à court terme au prix d’une probabilité supérieure d’être chassé du pouvoir rapidement. Une durée moindre au pouvoir est le coût d’opportunité de rentes annuelles plus élevées.
  • Des impôts plus faibles : le dictateur obtient des rentes sur une durée plus longue, mais d’un montant annuel inférieur. Des rentes annuelles moins élevées sont le coût d’opportunité d’une durée au pouvoir plus longue.

Le dictateur choisit un niveau d’imposition maximisant sa rente totale

Comment un dictateur exposé à une courbe de durée choisit-il le taux de prélèvement qu’il imposera aux citoyens ? La réponse ressemble à la manière dont une entreprise monopolistique fixerait le prix de son produit. Regardez la Figure 22.6.

Le dictateur choisit un niveau d’imposition qui maximise ses rentes politiques
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Figure 22.6 Le dictateur choisit un niveau d’imposition qui maximise ses rentes politiques.

Le dictateur trouvera le montant d’impôt qui maximisera sa rente politique totale attendue, qui, comme dans la Figure 22.6, sera :

Ce problème est analogue à l’entreprise maximisant ses profits, qui choisit le prix qui lui permettra d’atteindre le niveau le plus élevé s’agissant des profits attendus, soit (P − C)Q, où P est le prix que fixe l’entreprise et Q, la quantité vendue.

La convexité implique que pour une valeur donnée de D, se déplacer vers le haut du graphique (augmenter T) rend les courbes plus pentues, tandis que pour une valeur donnée de T, se déplacer vers la droite (augmenter D) aplatit les courbes.

Tout comme nous avons utilisé les courbes d’isoprofit de l’entreprise pour déterminer le prix qu’elle fixera afin de maximiser ses profits, nous pouvons maintenant utiliser les courbes d’isorente du dictateur tracées sur la figure afin de déterminer le taux d’imposition qu’il imposera aux citoyens. La forme des courbes d’isorente est similaire à celle des courbes d’isoprofit :

  • Les courbes d’isorente supérieures sont les plus éloignées de l’origine.
  • La valeur absolue de leur pente est (TC)/D.
  • Elles sont « courbées vers l’intérieur » (convexes) vers l’origine, comme on peut le voir sur le graphique.
  • La courbe d’isorente correspondant à « l’absence de rente » est la droite horizontale des coûts (sa pente est nulle).

Supposez maintenant que le dictateur pense à fixer un faible niveau d’impôt et à rester longtemps au pouvoir, ce qui correspond au point A. Parce qu’à ce point, le courbe d’isorente est moins pentue que la courbe de durée, nous pouvons voir qu’il ferait mieux en augmentant le niveau d’impôt et en supportant le coût d’opportunité associé (une durée au pouvoir attendue réduite).

En poursuivant ce raisonnement, nous pouvons observer que le taux d’imposition indiqué par le point F sur la courbe de durée offre au dictateur un plus grand surplus par an, mais insuffisant pour compenser la durée raccourcie de son règne. Un taux d’imposition plus faible augmenterait sa rente attendue.

Leibniz : Comment le monopoliste fixe le niveau d’imposition maximisant sa rente

Afin de maximiser sa rente politique, le dictateur va sélectionner le point B, c’est-à-dire imposer l’impôt T* et espérer rester au pouvoir pendant D* années, ce qui correspond à une rente totale de (T* − C)D*. Au point B, la pente de la courbe d’isorente la plus élevée est égale à la pente de la frontière des possibles (la courbe de durée) :

Question 22.1 Choisissez la ou les bonnes réponses

Observez la Figure 22.6. Laquelle de ces affirmations est correcte ?

  • Un dictateur égoïste va maximiser le revenu fiscal annuel qu’il collecte.
  • Se déplacer du point A au point B sur le graphique est une amélioration au sens de Pareto, améliorant la situation à la fois des citoyens et du dictateur.
  • À T*, une augmentation du taux d’imposition augmente la rente totale attendue.
  • Les dictateurs utilisent une partie des recettes fiscales pour offrir des services publics essentiels.
  • Faux. Un dictateur maximise la rente totale attendue, ce qui requiert que l’impôt soit inférieur au niveau maximal (comme T* dans le graphique ci-dessus).
  • Faux. Cela améliore la situation du dictateur. Cependant, les citoyens se trouveront dans une moins bonne situation, puisqu’ils devront payer plus d’impôts sans amélioration des services publics en place, ni augmentation de l’offre.
  • Faux. T* est le taux d’imposition optimal. Augmenter le taux d’imposition au-delà de ce niveau diminuera la rente totale attendue parce que le raccourcissement de la durée attendue l’emportera sur l’augmentation de la rente annuelle.
  • Vrai. Les dictateurs ne peuvent pas s’accaparer tous les revenus fiscaux pour leur rente, mais doivent dépenser au moins C pour offrir des services publics essentiels (État de droit, défense, etc.) afin d’éviter de perdre le pouvoir.

22.3 La concurrence politique affecte les actions de l’État

Tout comme la concurrence discipline les entreprises d’une économie en limitant les profits qu’elles peuvent réaliser en fixant un prix trop élevé, la compétition électorale est la méthode utilisée dans une démocratie pour discipliner les politiciens et s’assurer qu’ils offrent les services désirés par le peuple à un prix raisonnable (en termes d’impôts). Ci-dessous, nous proposons quelques éléments probants à ce sujet, à partir de données américaines.

Dans d’autres pays, on peut également observer que le risque de perdre le pouvoir affecte les actions des politiciens. L’introduction d’élections locales dans les villages chinois donna lieu à une hausse de l’offre de services publics locaux, comme les services de santé ou l’éducation, et s’accompagna vraisemblablement d’une baisse de la corruption.7

Même dans des contextes non démocratiques, la peur de perdre leur poste peut discipliner les politiciens. En Chine, les gouverneurs des provinces et les secrétaires du Parti communiste ne sont pas soumis à l’examen des électeurs, mais à celui de fonctionnaires de haut niveau du gouvernement central. Les gouverneurs et les secrétaires du parti sont souvent promus, mais presque tout aussi souvent renvoyés. Les archives de tous les licenciements sur la période 1975–1998 montrent que ceux dont la province connut une croissance économique rapide furent promus, tandis que ceux dont la province connut un retard de développement économique furent démis de leurs fonctions.

Comment les économistes apprennent des données La concurrence électorale influence-t-elle les politiques ?

Imaginez un politicien qui souhaite rester au pouvoir et qui sait qu’il doit satisfaire la majorité des électeurs pour être réélu. Cependant, il a aussi ses propres objectifs : faire progresser un programme particulier qu’il apprécie ou maintenir des bonnes relations avec les individus riches qui soutiendront ses campagnes électorales et qui le recruteront quand sa carrière politique sera terminée. Est-ce que la menace de « satisfaire les électeurs ou être chassé du pouvoir » va le conduire à favoriser davantage les intérêts de la population, au lieu de ses intérêts personnels ?

Une simple comparaison des mesures mises en œuvre par les politiciens dans les districts sans concurrence électorale (par exemple, quand il n’y a pas d’autre candidat pour le même siège) à celles mises en œuvre là où il y a une concurrence électorale ne permet pas de répondre à la question. En effet, les districts concurrentiels et non concurrentiels, ainsi que les politiciens qui les représentent, sont différents à bien des égards, de sorte qu’une simple comparaison mélangerait les effets de la compétition politique avec les effets de ces autres différences.

Les économistes Tim Besley et Anne Case ont développé une méthode ingénieuse pour répondre à la question. Les gouverneurs de certains États américains ne peuvent effectuer plus de deux mandats de quatre ans. Ainsi, à la fin de leur premier mandat, ils font face à une concurrence électorale pour leur réélection. Lors de leur second mandat, ils n’y seront plus soumis puisqu’ils ne seront pas autorisés à se présenter.

Dans cette « expérience », le « traitement » correspond à la perspective de la concurrence électorale, et les gouverneurs dans leur premier mandat sont le « groupe de traitement ». Les gouverneurs dans leur second mandat représentent le « groupe de contrôle ». Comme dans toute bonne expérience, les autres facteurs importants sont gardés constants. Nous observons les mêmes individus, dans les mêmes districts, en tant que traité et en tant que contrôle.

Ils ont trouvé qu’au cours de leur premier mandat (la période de traitement), les gouverneurs républicains et démocrates ont mis en place des niveaux très similaires d’imposition totale par personne. Cependant, au cours de leur second mandat (la période de contrôle), les gouverneurs du Parti démocrate, qui ont tendance à préférer plus de dépenses publiques et d’impôts, ont mis en place des niveaux d’impôts beaucoup plus élevés que les Républicains. Les gouverneurs républicains, quand ils n’étaient pas soumis à la compétition politique, ont mis en place des taux plus faibles pour le salaire minimum.

Qu’ils soient démocrates ou républicains, les gouverneurs soumis à la concurrence électorale lors de leur premier mandat mettent en place des politiques très similaires à celles appréciées par les électeurs indécis (« swing voters ») dont le vote change d’une élection à l’autre, et qui jouent un rôle déterminant dans le résultat de nombreuses élections, à savoir : des impôts faibles et un salaire minimum élevé. Cependant, ils s’en écartent ensuite en fonction de leurs préférences politiques ou de leurs intérêts économiques, lorsque la concurrence électorale a disparu.

La concurrence politique comme une contrainte

élite gouvernante
Très hautes autorités de l’État et du gouvernement, comme le président, les membres des cabinets et les responsables du Parlement unis par un intérêt commun comme l’appartenance à un parti politique particulier.

Nous introduisons maintenant la compétition politique dans le modèle pour observer comment cela influence le choix du niveau d’imposition. Le gouvernement n’est plus représenté par un dictateur, mais par ce que nous appelons une élite gouvernante, composée de hauts fonctionnaires et de leaders parlementaires, unifiés par un intérêt commun tel que l’adhésion à un parti particulier. Contrairement au dictateur, l’élite ne peut être démise de ses fonctions qu’en perdant une élection, et non pas par un soulèvement populaire ou d’autres moyens non électoraux.

Quand nous parlons de destitution du pouvoir ou de la durée au pouvoir, nous ne parlons pas d’un individu en particulier (ce qui était le cas avec le dictateur), mais plutôt d’un groupe entier et de son affiliation à un parti politique. Aux États-Unis, par exemple, l’élite gouvernante du Parti républicain fut démise de ses fonctions en 2008 avec l’élection de Barack Obama. L’élite gouvernante du Parti démocrate associée à la présidence d’Obama fut démise de ses fonctions avec l’élection de Donald Trump huit ans après.

Dans notre modèle, l’élite gouvernante peut être démise de ses fonctions pour deux raisons, toujours à l’occasion d’élections (bien que, bien sûr, la réalité soit plus complexe) :

  • Des raisons liées à la performance : elle lève trop d’impôts, par exemple.
  • Des raisons non liées à la performance : même les élites au pouvoir qui servent les intérêts de leurs citoyens perdent souvent les élections.

La Figure 22.7 présente plusieurs exemples de la durée au pouvoir d’élites gouvernantes et des raisons pour lesquelles elles ont finalement quitté le pouvoir. Le mandat ininterrompu le plus long d’une élite gouvernante fut celui du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) mexicain, qui fut à la tête du Mexique de la révolution mexicaine au début du 20e siècle jusqu’au début du 21e siècle. Le plus long gouvernement par un seul individu est celui de Fidel Castro (quarante-neuf ans) à Cuba, auquel a succédé son frère Raul. La période la plus courte au pouvoir dans ce tableau correspond au gouvernement élu de Gough Whitlam en Australie, qui fut remplacé par le Gouverneur général (qui n’est pas un élu) suite à une impasse parlementaire sur le budget.

Élite gouvernante Pays Règne Modalité d’accès au pouvoir Modalité de départ du pouvoir
Parti du Congrès Inde 1947–1977 Élection (fin du régime colonial) Élection
Parti communiste Cuba 1959– Révolution Toujours au pouvoir en 2017
Parti social-démocrate Suède 1932–1976 Élection Élection
Deuxième République Espagne 1931–1939 Élection Coup d’État militaire, guerre civile
Francisco Franco Espagne 1939–1975 Coup d’État militaire, guerre civile Mort naturelle, retour de la démocratie
Parti révolutionnaire institutionnel Mexique 1929–2000 Élection Élection
Parti démocrate États-Unis 1933–1953 Élection Élection
Parti sandiniste Nicaragua 1979–1990 Révolution Élection
Congrès national africain Afrique du Sud 1994– Révolution non violente & élection Toujours au pouvoir en 2017
Parti travailliste australien Australie 1972–1975 Élection Démis par l’exécutif (non élu)

Figure 22.7 Exemples d’élites gouvernantes, leur période au pouvoir et les raisons de leur départ.

L’idée clé dans notre modèle est que la concurrence politique rend la probabilité de perdre une élection plus dépendante de la performance du gouvernement. Cela signifie que la courbe de durée est davantage aplatie. En d’autres mots, une hausse des impôts par l’État aura un effet plus important sur la durée attendue au pouvoir de l’élite gouvernante qu’en l’absence de compétition politique.

La réponse de la durée attendue à une variation des impôts est :

C’est l’inverse de la pente de la courbe de durée. Si la concurrence politique est faible, la courbe est plus pentue, à l’image d’une courbe de demande fortement pentue (inélastique), qui indique une faible concurrence sur le marché des biens et services.

La courbe de durée plus plate, plus concurrentielle, qui est tracée dans la Figure 22.8 indique une situation dans laquelle la hausse de l’impôt au-delà du coût de production des services publics est associée à une réduction de la durée du pouvoir pour l’élite gouvernante.

L’ensemble des possibles pour l’impôt et la durée du gouvernement dans un système politique relativement peu concurrentiel et concurrentiel.
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Figure 22.8 L’ensemble des possibles pour l’impôt et la durée du gouvernement dans un système politique relativement peu concurrentiel et concurrentiel.

Une dictature
: Dans une dictature, la courbe de durée est pentue.
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Une dictature

Dans une dictature, la courbe de durée est pentue.

Une courbe plus plate
: La courbe de durée plus concurrentielle (plus sombre) est plus plate.
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Une courbe plus plate

La courbe de durée plus concurrentielle (plus sombre) est plus plate.

Une hausse d’impôts
: La hausse de l’impôt au niveau de T’ au-delà du coût de production des services publics est associée à une réduction plus considérable de l’espérance de vie du gouvernement quand la concurrence politique est plus forte.
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Une hausse d’impôts

La hausse de l’impôt au niveau de T’ au-delà du coût de production des services publics est associée à une réduction plus considérable de l’espérance de vie du gouvernement quand la concurrence politique est plus forte.

Le modèle permet de comprendre pourquoi les élites gouvernantes ainsi que les riches et puissants membres de la société souvent alliés à ces élites se sont si souvent opposés à la démocratie et ont tenté de limiter les droits politiques des moins riches. Dans la Figure 22.9, le vote est initialement réservé aux riches et, en conséquence, l’élite est soumise à une faible concurrence politique (la courbe de durée est pentue) et maximise sa rente au point B. Cependant, supposez maintenant que tout le monde ait le droit de vote et que des partis politiques d’opposition aient le droit de défier l’élite. Cette hausse de concurrence politique se reflète dans la courbe de durée aplatie, indiquant que l’ensemble des possibles de l’élite s’est restreint. Elle choisit maintenant le point G et lève moins d’impôts par an.

Choix du niveau d’imposition dans des contextes plus et moins concurrentiels
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Figure 22.9 Choix du niveau d’imposition dans des contextes plus et moins concurrentiels.

Remarquez, sur la figure, que l’élite politique dans un système plus concurrentiel adopte un impôt plus faible, mais a la même durée au pouvoir espérée que l’élite du système moins concurrentiel (avec un impôt plus élevé). Cependant ce n’est pas nécessairement le cas : en général, la durée peut s’allonger ou se raccourcir lorsque le contexte devient plus concurrentiel.

effet de substitution
L’effet dû uniquement aux changements dans le prix ou le coût d’opportunité, pour un nouveau niveau d’utilité donné.
effet de revenu
L’effet qu’un revenu additionnel aurait s’il n’y avait pas de changement dans le prix ou le coût d’opportunité.

Vous connaissez déjà la raison pour laquelle la durée au pouvoir attendue peut ne pas changer lorsque la concurrence politique augmente.Deux effets se contrebalancent :

  • Augmenter les impôts implique un risque de destitution plus élevé pour l’élite au pouvoir : la courbe de durée est plus plate. C’est l’effet de substitution : il pousse l’élite au pouvoir à choisir une durée espérée plus longue et une rente annuelle moindre.
  • L’élite gouvernante a perdu du pouvoir : le déplacement vers l’intérieur de la courbe de durée signifie qu’elle recevra moins de rentes quoi qu’elle fasse. C’est l’effet de revenu qui résulte du choix de l’élite au pouvoir d’avoir une durée espérée moindre et un taux d’imposition plus faible.

Dans l’exemple que nous avons montré, l’effet de substitution compense exactement l’effet de revenu.

Leibniz : L’effet de revenu et l’effet de substitution d’une augmentation du niveau de concurrence politique

Exercice 22.3 Comparaison des courbes de durée au pouvoir pour des gouvernements et des entreprises monopolistiques

Dans quelle mesure la courbe de durée au pouvoir de la Figure 22.8 est-elle similaire et différente de la courbe de demande à laquelle fait face une entreprise monopolistique que nous avons étudiée à l’Unité 7 ?

Exercice 22.4 Effets de revenu et de substitution

En appliquant ce que vous avez appris sur les effets de revenu et de substitution et comment ils peuvent être analysés dans un graphique avec des courbes d’indifférence et des frontières des possibles (cf. l’Unité 3), retracez la Figure 22.9 pour montrer la décomposition du choix final après la hausse de concurrence, en effet de revenu (réduction de la durée, D) et effet de substitution (hausse de D).

22.4 Pourquoi un ancien dictateur peut vouloir se soumettre à la concurrence politique

Nous avons vu deux versions du modèle de « l’État en tant que monopoliste » : dans l’une, l’« État » est un dictateur qui peut être renversé, comme le furent Louis XVI et Nicolae Ceausescu, et dans l’autre, l’élite gouvernante est soumise à la compétition électorale, avec la possibilité qu’un autre parti politique la batte lors d’une élection et devienne la nouvelle élite gouvernante.

Au fil des deux derniers siècles, le degré de concurrence politique augmenta dans de nombreux pays, de telle sorte que la version de la « concurrence politique » du modèle de « l’État en tant que monopoliste » s’applique plus souvent que celle du « dictateur ».

Vous pouvez en apprendre davantage sur les transitions démocratiques en Afrique du Sud et au Salvador dans ce livre : Elisabeth Jean Wood. 2000. Forging Democracy from Below: Insurgent Transitions in South Africa and El Salvador. Cambridge: Cambridge University Press.

Le plus souvent, cela tient au fait que l’élite gouvernante trouva qu’il était dans son intérêt d’accepter un système politique plus concurrentiel, et parfois d’en créer un de sa propre initiative :

  • Afrique du Sud : vous avez déjà lu que la population d’origine européenne (qui était à la fois l’élite économique et l’élite politique) répondit aux vagues de grèves dans l’industrie, aux protestations locales et aux manifestations étudiantes en octroyant le droit de vote à tous les adultes sud-africains, indépendamment de leur ethnicité.
  • Salvador : après dix ans de guerre civile et face à une insurrection armée qu’elles ne pouvaient pas étouffer, les élites économique, politique et militaire du Salvador se sont inclinées face aux revendications de leurs opposants réclamant un système politique démocratique.
  • États-Unis : au moment de l’adoption de la constitution américaine à la fin du 18e siècle, James Madison, l’auteur du recueil d’articles Le Fédéraliste, pensait que la seule manière de garantir la stabilité était d’augmenter la démocratie. Par cet argument, il persuada les autres riches propriétaires terriens (et propriétaires d’esclaves) de donner une chance à la démocratie. Il en résulta la constitution américaine, ratifiée en 1788, qui malgré sa reconnaissance de l’esclavage en tant qu’institution légale est considérée comme une étape importante de la longue route vers la démocratie totale.

Comment une élite gouvernante non démocratique peut-elle augmenter la stabilité du système face aux troubles ? Une première méthode consiste à utiliser le pouvoir coercitif de l’État pour emprisonner et intimider les opposants qui dénonceraient l’ampleur des rentes politiques du gouvernement. Néanmoins, il y a des limites à l’efficacité de ces stratégies d’« État policier », comme en témoigne l’exemple de l’élite gouvernante blanche sous l’apartheid en Afrique du Sud, dont la tentative a échoué. L’élite du Parti communiste de la République démocratique allemande (l’Allemagne de l’Est) a elle aussi fait l’expérience des limites de sa capacité à imposer la stabilité par la force. Les manifestations populaires et les opposants au gouvernement eurent du succès, notamment parce que la police et les forces armées finirent par se ranger du côté de l’opposition.

Une autre manière de garantir la stabilité est de modifier le système politique pour le rendre plus démocratique, ce qui donne aux citoyens insatisfaits les moyens légaux d’influencer le gouvernement.

Un plus grand degré de démocratie aplatit la courbe de durée, réduisant ainsi la taille de l’ensemble des possibles pour l’élite, comme nous l’avons montré dans la Figure 22.9. Cependant, si le renforcement de la démocratie augmente la stabilité du système politique autant que dans la Figure 22.10, il peut signifier pour l’élite une rente espérée supérieure à celle du point A′. Cela serait possible parce que la hausse de la durée attendue du gouvernement, qui découlerait d’une plus grande stabilité, l’emporterait sur la réduction des impôts, qui pourrait être imposée suite à l’augmentation du pouvoir des citoyens de destituer un gouvernement qui extrait trop de rentes. Dans la Figure 22.10, la rente attendue plus élevée au point A′ se reflète dans la surface plus grande de (T** − C)D** comparée à (T* − C)D*.

Effet d’une plus grande stabilité et de la concurrence : un exemple dans lequel l’élite gagne
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Figure 22.10 Effet d’une plus grande stabilité et de la concurrence : un exemple dans lequel l’élite gagne.

Exercice 22.5 Effets d’économies réalisées sur le coût des services publics

Imaginez une situation dans laquelle l’élite pourrait mettre en place le même niveau de services publics à un coût moindre. Cela s’apparenterait à une augmentation de l’efficacité de l’État. Ce serait le cas, par exemple, si l’État pouvait adopter des méthodes d’enseignement plus efficaces ou trouver un moyen d’encourager les enseignants à améliorer leur enseignement. Ou l’État pourrait exiger des entreprises qui construisent des infrastructures publiques, comme les routes, qu’elles se fassent concurrence au lieu de s’entendre pour fixer des prix élevés.

  1. Quelles courbes changeraient sur le graphique ? Tracez un graphique représentant cette nouvelle situation. Indice : la (valeur absolue de la) pente des courbes d’isorente est (T − C)/D.
  2. Expliquez pourquoi l’élite au pouvoir pourrait vouloir introduire de telles mesures.
  3. Est-ce que l’élite lèvera le même niveau d’impôts, un niveau supérieur ou un niveau inférieur ?
  4. Pour quelles raisons ces politiques pourraient-elles ne pas être mises en place ?

Question 22.2 Choisissez la ou les bonnes réponses

Observez la Figure 22.10. Laquelle de ces affirmations est correcte ?

  • Se déplacer de A à A’ dans le graphique est une amélioration au sens de Pareto, améliorant la situation à la fois des citoyens et de l’élite gouvernante.
  • L’augmentation de la concurrence améliorera toujours la situation de l’élite gouvernante.
  • L’augmentation de la concurrence serait préjudiciable aux élites si elles n’y répondent pas par une réduction du taux d’imposition.
  • L’effet de « substitution » force les élites qui font face à plus de concurrence à demander des impôts plus élevés.
  • Vrai. Les citoyens bénéficient à la fois d’un taux d’imposition plus faible et d’une durée attendue plus longue (en supposant que le changement de régime soit coûteux pour les citoyens). Les élites augmentent leur rente totale espérée.
  • Faux. Dans cet exemple, la rente totale espérée de l’élite augmente. Cependant, dans d’autres situations, comme celle représentée dans la Figure 22.8, elle se retrouve sur une courbe d’isorente plus basse.
  • Faux. Dans l’exemple ci-dessus, si les élites maintiennent le taux d’imposition à T* après un déplacement de la courbe de durée, elles atteindront quand même une courbe d’isorente plus élevée que celle sur laquelle elle se trouvaient précédemment.
  • Faux. L’effet de substitution causé par l’aplatissement de la courbe de durée poussera les élites à imposer un taux d’imposition plus faible.

22.5 La démocratie comme institution politique

Nous avons vu qu’à l’image des entreprises, l’État (traité dans ce modèle comme un seul individu) est un acteur économique important. En tant qu’acteur, il impose des lois, fait la guerre, perçoit des impôts et offre des services publics, tels que l’État de droit, une devise stable, des routes, des soins de santé et des écoles. Cependant, comme les entreprises, l’État est aussi une scène. Sur la scène de l’État, les politiciens, les partis politiques, les soldats, les citoyens et les bureaucrates interagissent selon les règles informelles et formelles que constituent les institutions politiques.

institutions politiques
Les règles du jeu qui déterminent qui a le pouvoir et comment il est exercé dans une société.

Les institutions politiques d’un pays sont les règles du jeu qui déterminent qui a le pouvoir et comment celui-ci est exercé dans une société. La démocratie est une institution politique, ce qui signifie que c’est un ensemble de règles qui déterminent :

  • qui fait partie de l’État,
  • quels types de pouvoirs peuvent être utilisés pour gouverner.

Les institutions politiques diffèrent d’un pays à l’autre et dans le temps. Cependant la démocratie et la dictature sont deux des catégories d’institutions politiques principales.

La valeur essentielle au cœur de la démocratie est l’égalité politique. Les citoyens doivent tous avoir les mêmes opportunités d’exprimer leur opinion afin d’orienter les politiques et les autres activités de l’État.

La démocratie est parfois promue comme « un moyen de laisser le peuple gouverner » ou, selon Abraham Lincoln, comme « un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Cependant, il est difficile de déterminer qui est « le peuple » et ce que veut « le peuple ». Kenneth Arrow est l’économiste qui a le plus contribué à notre compréhension des problèmes auxquels font parfois face les électeurs dans le choix entre différentes options.

Les grands économistes Kenneth Arrow

Kenneth Arrow Kenneth Arrow (1921–2017) explique les influences qu’ont eues la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale sur ses idées, en particulier celles de « la liberté et la prévention de la guerre ».

Un bon résumé de l’explication d’Arrow des problèmes découlant de l’usage du vote pour déterminer quelle action est préférée et de ses contributions plus générales aux sciences économiques et aux autres sciences sociales se trouve dans l’essai de Steven Durlauf « Kenneth Arrow and the golden age of economic theory ».8

En plus de son travail sur les systèmes électoraux, il fut l’un des premiers à démontrer que des conditions étaient nécessaires pour qu’un phénomène comme la « main invisible » d’Adam Smith puisse fonctionner. En bon chercheur, détaché de toute rhétorique idéologique, il écrivit plus tard :

Il y a à ce jour une longue et (…) imposante lignée d’économistes d’Adam Smith aux économistes contemporains qui ont essayé de montrer qu’une économie décentralisée fondée sur les intérêts personnels et guidée par des signaux de prix serait compatible avec une allocation cohérente des ressources économiques qui pouvait être considérée (…) comme supérieure à une vaste classe d’allocations alternatives possibles. (…) Il est important de savoir non seulement si c’est vrai, mais aussi si ça pourrait être vrai. (italiques originales) (General Competitive Analysis, 1971)

Arrow fut un pionnier dans l’étude de nombreux sujets abordés dans L’Économie, dont les asymétries d’information et l’économie de la connaissance. Il a contribué à élargir le champ de l’économie pour y ajouter des connaissances tirées d’autres disciplines. Un an avant sa mort, Arrow a co-enseigné un cours sur les inégalités à l’université de Stanford en utilisant une première ébauche de l’Unité 19 de ce livre, qui fut révisée à la lumière de ses commentaires.

Dans l’Unité 1, nous avons expliqué que nous utilisons le mot démocratie pour nous référer à un type d’État dans lequel existent trois institutions politiques :

  • Un État de droit : tous les individus sont soumis aux mêmes lois et personne n’est « au-dessus de la loi », pas même le plus puissant des membres du gouvernement.
  • Des libertés civiles : les membres d’une société ont droit à la liberté d’expression, à la liberté d’association et à la liberté de la presse.
  • Des élections inclusives, équitables et décisives : des élections équitables dans lesquelles aucun groupe majoritaire de la population n’est exclu du vote et à l’issue desquelles le perdant quitte le pouvoir.

Idéalement, dans une démocratie, ceux qui exercent un pouvoir sont élus selon un processus concurrentiel, inclusif et ouvert. L’État de droit et les libertés civiles limitent ce qu’ils peuvent faire du pouvoir.

La démocratie a longtemps été défendue comme un bon système politique pour deux motifs assez différents :

  • Pour sa valeur intrinsèque : en tant que système politique compatible avec la dignité individuelle et la liberté.
  • Pour la réponse apportée aux problèmes nationaux : en tant que système qui fonctionne mieux que les autres méthodes.

Nous nous concentrons ici sur les conséquences de la démocratie sur la résolution des problèmes (deuxième point), non pas sur ses qualités intrinsèques (premier point).

Aucun État existant ne correspond à l’idéal démocratique d’égalité politique, où chaque citoyen dispose de la même influence sur les décisions. De même, nous ne pouvons dire d’aucun État de nos jours qu’il correspond parfaitement aux trois institutions politiques définissant la démocratie.

Pensez par exemple aux élections inclusives. Certains groupes de la population (comme les individus coupables de crimes majeurs) sont exclus du vote dans de nombreux pays, mais nous considérons tout de même que leur système politique est démocratique. Pourtant, l’exclusion d’un groupe significatif de la population (comme les femmes jusqu’à récemment) constitue une violation assez grave du critère d’« élections inclusives » servant à disqualifier un pays du club des nations démocratiques. En voici quelques exemples :

  • Bengale-Occidental : pour comprendre l’importance des restrictions du droit de vote, souvenez-vous de l’Unité 5, où nous avions analysé la mise en œuvre d’une réforme agraire dans le Bengale-Occidental, appelée Opération Barga. Nous avions utilisé la courbe de Lorenz pour illustrer les effets de la réforme dans la Figure 5.18. Nous pouvons comprendre maintenant comment des élections inclusives pourraient affecter la probabilité de réformes similaires. Dans le cas hypothétique où seuls les propriétaires terriens ont le droit de vote et votent pour leurs propres intérêts économiques, ces derniers ne soutiendraient pas un parti qui promet de mettre en place une réforme pareille (rappelez-vous que dans l’exemple de la Figure 5.18, la part de la récolte revenant aux propriétaires diminue de 50 à 25 % après la réforme). Comme les propriétaires terriens ne constituent que 10 % de la population, en cas de suffrage universel, le résultat serait différent. Les agriculteurs, constituant la majorité de l’électorat, éliraient le parti qui propose la réforme agraire. Dans la vraie vie, le parti politique qui instaura la réforme dans le Bengale-Occidental gagna les élections et resta ensuite à la tête du gouvernement durant trois décennies.
  • États-Unis : aux États-Unis, le Voting Rights Act de 1965 donna le droit de vote à un grand nombre de citoyens afro-américains de facto privés de leurs droits. Il en résulta un déplacement considérable des dépenses d’éducation vers des districts comprenant un grand nombre d’électeurs noirs, auparavant exclus du vote.
  • Brésil : au Brésil, avant le milieu des années 1990, seuls les électeurs sachant relativement bien lire et écrire (soit environ trois quarts de la population) pouvaient remplir un bulletin de vote considéré comme valide. Environ 11 % des bulletins de vote étaient considérés comme invalides en raison des barrières de la langue et concernaient, pour la plupart, les électeurs pauvres. En 1996, un système de vote électronique fut introduit. Il utilisait des photos des candidats et une interface similaire aux claviers des téléphones ou aux écrans des distributeurs de billets. Le système guidait l’électeur pas à pas à travers le processus. En conséquence, le nombre de votes valides réalisés par les individus les plus pauvres augmenta. Ce changement de la composition de l’électorat poussa les élus à favoriser les dépenses bénéficiant majoritairement aux plus pauvres. Les dépenses de santé publique augmentèrent, par exemple, de plus d’un tiers.9

Cependant, comme nous allons le voir dans les prochaines sections, le fonctionnement d’un État n’est pas déterminé uniquement par la présence ou l’absence de libertés civiles, d’un État de droit ou d’élections inclusives et justes.

22.6 Préférences politiques et concurrence électorale : le modèle de l’électeur médian

Dans un système électoral bipartisan, les programmes des deux partis sont remarquablement similaires, ce qui laisse perplexe et donne lieu à la critique selon laquelle la démocratie ne donnerait le choix qu’entre « bonnet blanc et blanc bonnet ». En voici quelques exemples :

  • Quelle taille l’État doit-il avoir ? : depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Parti travailliste et le Parti conservateur du Royaume-Uni sont profondément divisés s’agissant de leurs objectifs et valeurs politiques, comme la taille du secteur public. Cependant, regardez à nouveau la Figure 22.2 montrant la taille du secteur public britannique. Il y eut un changement significatif lors de la Seconde Guerre mondiale, avec un élargissement considérable. Depuis, on observe des fluctuations de dépenses associées aux années travaillistes et aux années conservatrices, mais la taille du secteur public n’a pas tellement changé.
  • Quel doit être le rôle de l’État ? : depuis un demi-siècle, le gouvernement de l’État indien du Kerala alterne entre le Parti centriste du Congrès (et ses alliés) et le Parti communiste (et ses alliés). Depuis le premier gouvernement du Parti communiste, le pouvoir a changé de mains à sept reprises. Durant cette période, les priorités principales du gouvernement ont peu changé, donnant une importance toujours considérable à l’éducation, la santé et aux autres services publics.

Pour comprendre pourquoi les partis politiques adoptent parfois des politiques très similaires, nous utilisons un modèle économique. À l’image des entreprises qui se font concurrence pour les achats des consommateurs, dans les démocraties, les partis politiques sont en concurrence pour obtenir les voix des citoyens en offrant des programmes politiques, constitués de politiques qu’ils promettent de mettre en place s’ils sont élus. Nous allons nous intéresser à un système simple à scrutin majoritaire, dans lequel celui qui gagne est le parti ou le candidat remportant le plus de voix.

L’électeur médian et l’offre politique dans une démocratie idéale

Imaginez une situation où il y a seulement deux partis, l’un qui représente la « gauche » (en faveur de plus d’impôts et de dépenses publiques, par exemple) et l’autre la « droite » (en faveur de moins d’impôts et de dépenses publiques). Si ces partis ne s’intéressent qu’à la victoire électorale, sous quelles conditions offriront-ils des programmes distincts, adaptés à leurs militants respectifs ? Et s’ils offrent des programmes similaires, où ceux-ci seront-ils situés le long du spectre politique ?

Nous pouvons proposer une réponse à ces questions en utilisant un modèle développé par l’économiste Harold Hotelling. Il avait imaginé la localisation de magasins le long d’une ligne de chemin de fer. Dans son article, Hotelling a également appliqué son modèle de concurrence aux programmes politiques des Partis démocrate et républicain américains.10

Nous allons appliquer le modèle d’Hotelling aux glaces. Imaginez une plage le long de laquelle sont répartis uniformément des baigneurs. Ils peuvent acheter une glace à un ou plusieurs stands mobiles vendant des glaces. Pour commencer, nous supposons que chaque baigneur n’achète qu’une glace et que toutes les glaces sont au même prix. S’il y a plus d’un glacier, ils achèteront leur glace au vendeur le plus proche.

modèle de l’électeur médian
Un modèle économique de la localisation des activités économiques appliqué aux positions prises dans les programmes électoraux quand deux partis sont concurrents et qui fournit les conditions sous lesquelles, afin de maximiser le nombre de votes, les partis adopteront des positions qui attireront l’électeur médian. Voir également : électeur médian.

Comprendre où les glaciers vont décider de s’installer sur la plage (à droite, à gauche, au milieu) va nous aider à comprendre où les partis politiques se placent le long d’un continuum allant d’un taux d’imposition élevé (à gauche) à un taux faible (à droite). C’est ce qu’on appelle le modèle de l’électeur médian.

Au début, il n’y a qu’une seule vendeuse sur la plage, nommée April. April a tout le marché pour elle et peut donc s’installer n’importe où. Nous supposons qu’elle s’est installée à l’endroit indiqué par A0 sur la Figure 22.11, à l’extrémité gauche de la plage.

Vendeurs de glaces sur la plage : le modèle de l’électeur médian de la concurrence électorale et des programmes politiques.
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Figure 22.11 Vendeurs de glaces sur la plage : le modèle de l’électeur médian de la concurrence électorale et des programmes politiques.

Une seule vendeuse
: Une vendeuse unique, April, arrive sur la plage et installe son stand de glaces au point A0.
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Une seule vendeuse

Une vendeuse unique, April, arrive sur la plage et installe son stand de glaces au point A0.

Un second vendeur
: Un deuxième vendeur, Bob, arrive et s’installe au point B0, à mi-chemin entre le stand d’April et l’extrémité droite de la plage.
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Un second vendeur

Un deuxième vendeur, Bob, arrive et s’installe au point B0, à mi-chemin entre le stand d’April et l’extrémité droite de la plage.

Bob se déplace à gauche
: Bob réalise qu’il pourrait vendre plus en se déplaçant vers la gauche et en se rapprochant d’April, et il s’installe au point B1.
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Bob se déplace à gauche

Bob réalise qu’il pourrait vendre plus en se déplaçant vers la gauche et en se rapprochant d’April, et il s’installe au point A1.

April répond…
: Parce que sa clientèle a diminué, elle va s’installer juste à droite du nouvel emplacement de Bob, au point B1.
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April répond…

Parce que sa clientèle a diminué, elle va s’installer juste à droite du nouvel emplacement de Bob, au point B1.

… et Bob répond à nouveau…
: Mais alors, Bob fait la même chose.
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… et Bob répond à nouveau…

Mais alors, Bob fait la même chose.

Les deux vendeurs jouent à saute-mouton
: Ils vont continuer ce manège jusqu’à se retrouver côte à côte au milieu de la plage.
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Les deux vendeurs jouent à saute-mouton

Ils vont continuer ce manège jusqu’à se retrouver côte à côte au milieu de la plage.

Le milieu de la plage
: À cet endroit, aucun des deux n’a d’incitation à se déplacer puisqu’ils se sont partagé les consommateurs en deux parts égales. C’est l’équilibre de Nash sous les règles du jeu que nous avons fixées au début.
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Le milieu de la plage

À cet endroit, aucun des deux n’a d’incitation à se déplacer puisqu’ils se sont partagé les consommateurs en deux parts égales. C’est l’équilibre de Nash sous les règles du jeu que nous avons fixées au début.

Parallèle avec la politique
: Imaginez que les baigneurs à l’extrémité gauche de la plage n’achètent jamais de glace (ils sont comme les citoyens qui ne votent pas). Alors April et Bob s’installeront au centre de ceux qui votent, à savoir aux points An′ et Bn′.
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Parallèle avec la politique

Imaginez que les baigneurs à l’extrémité gauche de la plage n’achètent jamais de glace (ils sont comme les citoyens qui ne votent pas). Alors April et Bob s’installeront au centre de ceux qui votent, à savoir aux points An et Bn.

Ensuite arrive Bob, un deuxième vendeur, qui, sur le plan économique, est identique à April. Où s’installera-t-il afin de maximiser ses ventes, et par conséquent ses profits ? Il pourrait remarquer que le marché à droite d’April est plus grand que celui à sa gauche, et s’installer au milieu de la plage à la droite d’April, au point B0. Il obtiendrait alors tous les baigneurs à sa droite et tous ceux à sa gauche qui sont plus proches de lui que d’April.

Cependant, Bob verrait tout de suite qu’il peut vendre plus en se déplaçant vers la gauche, en direction d’April. Bien que les consommateurs à sa droite doivent maintenant marcher plus pour acheter leur glace, ils n’iront sûrement pas chez April, qui est encore plus éloignée. Il gagne ainsi quelques consommateurs à sa gauche, qui avant, étaient plus proches d’April, mais sont maintenant plus proches de lui, et il ne perd aucun consommateur à sa droite.

Jusqu’où se déplacera-t-il ?

équilibre de Nash
Un ensemble de stratégies, une par joueur dans le jeu, tel que la stratégie de chaque joueur est la meilleure réponse aux stratégies choisies par tous les autres.

Il finira par s’installer juste à la droite d’April, de telle sorte qu’il obtiendra toutes les ventes sur la grande étendue de plage à sa droite. Bob ou April pourraient-ils augmenter leurs profits en changeant leur localisation ? Autrement dit, s’agit-il d’un équilibre de Nash ?

Non, ce n’est pas un équilibre de Nash.

April, qui comprend la stratégie de maximisation des profits de Bob, se déplace jusqu’à se retrouver juste à la droite de Bob, au point A1. C’est elle qui obtient alors la plus grande part de marché. Cependant, Bob fait la même chose, et ils jouent à saute-mouton jusqu’à se retrouver côte à côte au milieu de la plage.

À cet endroit, aucun des deux n’est incité à se déplacer puisqu’ils se sont partagé les consommateurs en deux parts égales. L’installation de chacun au milieu de la plage correspond à l’équilibre de Nash sous les règles de ce jeu. Les baigneurs installés vers le milieu de la plage en profitent : ils doivent marcher moins pour acheter une glace, par rapport à ceux situés aux extrémités.

Pour en revenir à la politique, nous pouvons penser aux électeurs rangés le long d’un spectre gauche-droite, par analogie aux consommateurs installés sur la plage. S’il y a deux partis rivalisant pour obtenir des voix et que chaque électeur donne sa voix au parti qui offre les politiques qui sont les plus proches de sa position, le seul équilibre de Nash correspond à la situation où les deux partis proposent des politiques au milieu du spectre gauche-droite.

On peut donc s’attendre, à partir de ce modèle, à ce que les électeurs au milieu du spectre politique trouvent deux offres électorales qui leur plaisent. Ceux qui sont plus éloignés du centre doivent choisir entre deux offres. L’une sera un peu mieux que l’autre, mais ils n’apprécieront pas tellement ni l’une, ni l’autre des offres politiques.

électeur médian
Si les électeurs peuvent être rangés sur une dimension unique du plus au moins (comme la préférence pour des impôts plus ou moins élevés, une protection de l’environnement plus ou moins importante), l’électeur médian est celui du milieu – c’est-à-dire (s’il y avait un nombre impair d’électeurs au total), avec un nombre égal d’électeurs préférant plus et préférant moins que l’électeur médian. Voir également : modèle de l’électeur médian.

Le citoyen au centre, appelé l’électeur médian, est doublement favorisé. Premièrement, il peut choisir entre deux offres très proches de ses préférences.

Deuxièmement, c’est un « électeur versatile ». Pour comprendre ce concept, imaginez une famille située à l’extrémité droite de la plage. Si elle choisit de se déplacer légèrement vers la droite, est-ce que cela affecte la localisation des stands des glaciers à l’équilibre de Nash ? Tant que la moitié des consommateurs est à la gauche de Bob et l’autre moitié à sa droite, il ne gagnera rien à se déplacer, car la moitié des consommateurs reste plus proche de lui et l’autre moitié reste plus proche d’April. Au contraire, si une famille située légèrement à la droite de Bob se déplace vers la gauche, elle se retrouvera sans doute plus proche d’April que de Bob. En conséquence, April aura plus de consommateurs que Bob, et Bob voudra se déplacer vers la gauche.

En politique, quand les électeurs versatiles changent légèrement leurs préférences politiques, en se déplaçant de l’autre côté des partis au centre, les partis au centre se déplacent également. Quand les autres électeurs modifient leurs préférences politiques, ils peuvent aussi avoir un effet sur les offres politiques, mais plus ils seront éloignés du centre, et plus ils devront modifier leurs préférences pour traverser le centre et se retrouver « de l’autre côté ».

Exercice 22.6 Pierre-papier-ciseaux

Supposez qu’April et Bob soient contents de vendre leurs glaces côte à côte sur la plage, April obtenant tous les consommateurs à sa gauche et Bob tous ceux à sa droite. Ils resteront là parce que c’est un équilibre de Nash. Puis soudain arrive Caitlin, une troisième vendeuse de glaces.

  1. Où va-t-elle s’installer ?
  2. Que se passera-t-il ensuite ? Et après ?
  3. Est-ce que ce processus finira par prendre fin ?
  4. Y a-t-il un équilibre de Nash ?
  5. Dans le jeu « Pierre-papier-ciseaux », la meilleure réponse à « pierre » est de jouer « papier », la meilleure réponse à « papier » est de jouer « ciseaux » et la meilleure réponse à « ciseaux » est de jouer « pierre ». Dans quelle mesure la situation de Caitlin, April et Bob sur la plage est-elle similaire à « Pierre-papier-ciseaux » ?

22.7 Un modèle plus réaliste de concurrence électorale

Le modèle de l’électeur médian avec les glaciers sur la plage illustrant la concurrence politique prédit des offres politiques similaires qui reflètent les préférences de l’électeur médian. Il s’agit d’une analyse très simplifiée du processus concurrentiel. Comme l’on peut s’y attendre, on observe souvent que les partis ne gravitent pas tous autour du centre et n’offrent pas tous des programmes similaires. Par exemple, les élections aux États-Unis et en France, respectivement en 2016 et 2017, ont opposé un candidat nationaliste et anti-immigration (Donald Trump et Marine Le Pen) à un candidat favorable au commerce international et à la tolérance envers les étrangers (Hillary Clinton et Emmanuel Macron).

Rappelez-vous le modèle de concurrence parfaite entre entreprises que vous avez étudié dans l’Unité 8, et qui ignorait de nombreux facteurs qui influencent la concurrence (par exemple, la publicité, l’innovation ou lobbying auprès des politiques pour obtenir des législations favorables). De manière similaire, le modèle de l’électeur médian omet beaucoup de choses. Quatre faits nous mènent à des conclusions assez différentes du modèle de l’électeur médian :

  • Tout le monde ne vote pas : si un électeur n’est attiré par aucun programme, il peut s’abstenir, et dans beaucoup de pays, les plus pauvres – ceux qui bénéficieraient d’une hausse des dépenses publiques – sont moins susceptibles de voter.
  • Un parti ou candidat ne choisit pas son programme uniquement pour obtenir des voix : il peut recevoir des contributions financières de citoyens ou convaincre des bénévoles de travailler pour la campagne.
  • Les leaders des partis politiques peuvent vouloir autre chose : être élu n’est pas leur seule motivation pour faire de la politique.
  • Les électeurs ne sont pas distribués uniformément : le spectre politique n’est pas comme la plage.

Dans notre exemple de la plage de la Figure 22.11, nous avons analysé ce qui se passerait si les baigneurs à l’extrémité gauche de la plage n’achetaient jamais de glaces (s’ils étaient comme les citoyens qui ne votent pas). April et Bob s’installeraient alors au centre de ceux qui votent effectivement, c’est-à-dire aux points An et Bn, à la droite du centre sur le graphique. Si c’est de cette manière que fonctionne la politique, alors les offres sont similaires, et l’électeur favorisé n’est plus l’électeur médian, mais un électeur se trouvant à droite du centre.

Supposons ensuite que toutes les familles n’achètent pas exactement une glace. Certaines familles achètent beaucoup de glaces et d’autres en achètent moins. Où s’installeront April et Bob si d’un côté de la plage les acheteurs veulent acheter plus de glaces que de l’autre ?

April et Bob s’installeront de nouveau côte à côte, mais davantage à proximité des familles qui aiment les glaces. En politique, cela veut dire que les partis changeront leurs programmes à l’attention des électeurs qui peuvent contribuer à leur campagne électorale, que ce soit via des contributions financières ou le temps passé à faire campagne. Cela les entraînerait encore plus vers la droite, si ces électeurs étaient disposés à faire des contributions au financement de la campagne.

Le même phénomène s’observerait si les citoyens insatisfaits d’un côté du spectre politique étaient plus susceptibles de s’engager dans d’autres activités politiques (manifester, critiquer les offres politiques). Le désir de séduire, ou peut-être de réduire au silence ces électeurs isolés serait un autre aimant attirant les offres politiques des deux partis dans leur direction.

Cependant, quand cela arrive, les deux partis font des offres politiques similaires. Supposez maintenant qu’il y ait une condition supplémentaire. Au lieu d’être répartis uniformément le long de la plage, la plupart des baigneurs sont dans deux groupes et peu se trouvent au centre. L’un des groupes est à gauche et l’autre à droite. Pour s’assurer que les baigneurs ne renoncent pas à acheter des glaces car il faut marcher trop longtemps, April et Bob peuvent vouloir s’éloigner du centre afin de ne pas perdre les ventes aux acheteurs potentiels, trop éloignés vers la gauche ou la droite.

La politique est très différente du commerce des glaces pour une autre raison. En plus de vouloir gagner les élections, les dirigeants politiques se soucient en général du contenu des programmes. Ils seraient prêts à risquer de perdre des voix à l’extrémité du spectre politique pour prendre une position plus cohérente avec leurs valeurs personnelles.

Le modèle des « baigneurs à la plage », modifié pour prendre en compte :

  • l’abstentionnisme de certains électeurs,
  • l’importance de l’argent et des activités politiques au-delà du vote,
  • le fait que les électeurs ne soient pas nécessairement répartis de façon uniforme le long du spectre politique,
  • et le fait que les chefs de parti se préoccupent aussi du contenu de leur programme,

nous aide à comprendre quelle offre politique sera l’équilibre de Nash dans le processus de concurrence politique par élection.

Il y a cependant une différence importante entre les élections et le commerce de glaces. April et Bob se partagent le marché et survivent tous les deux, avec peut-être l’un des deux qui prend une part un peu plus grande du marché. Dans un système politique à scrutin majoritaire, si les deux partis offrent des programmes similaires, le parti qui obtient une voix de plus que l’autre formera le gouvernement. Le gagnant nomme tous les ministres du gouvernement, par exemple, et pas seulement 51 % d’entre eux.

Les grands économistes Albert O. Hirschman

Albert O. Hirschman Albert Hirschman (1915–2012) vécut une vie extraordinaire. Né à Berlin en 1915, il s’enfuit à Paris en 1933 au lendemain de l’accession au pouvoir d’Hitler. Il rejoignit la Résistance française en 1939, facilitant la fuite de nombreux artistes et intellectuels échappant aux nazis. Il émigra aux États-Unis en 1941.

Étant donné son histoire, il n’est pas surprenant que la carrière d’économiste d’Hirschman n’ait pas suivi une trajectoire habituelle. Il évolua avec facilité à travers les frontières disciplinaires, se préoccupa de questions ignorées par le courant dominant de la profession et développa des idées originales, profondes et durables.

Parmi ses nombreuses contributions influentes, Hirschman est connu en particulier pour la thèse développée dans son livre Exit, Voice and Loyalty de 1970. Il s’intéresse à la manière dont peut être améliorée la performance d’entités, comme les entreprises et l’État.11

Il identifia deux forces – la défection (exit, en anglais) et la prise de parole (voice, en anglais) – qui pouvaient servir à alerter une organisation de sa mauvaise posture et donner des incitations pour son redressement. La défection correspond au départ des clients d’une entreprise pour rejoindre un concurrent. La prise de parole renvoie à la protestation, la tendance de clients déçus à « faire des histoires ». Quand une entreprise marche mal ou de façon immorale, les actionnaires peuvent vendre leurs parts (défection) ou faire campagne pour un changement dans sa gestion (prise de parole).

Hirschman observa que les économistes vantaient traditionnellement les mérites de la défection (concurrence) et négligeaient la prise de parole. Ils privilégiaient les politiques fondées sur la défection, comme celles permettant aux parents de choisir plus facilement l’école de leurs enfants, afin d’encourager la concurrence entre les écoles.

Il considérait cela comme une omission, parce que la prise de parole pouvait permettre de corriger une défaillance à moindre coût (les parents pourraient chercher utilement à réformer les politiques scolaires, dans cet exemple), tandis que la défection pouvait impliquer un gaspillage considérable de capital et de ressources humaines. De plus, la défection n’est pas toujours une option, par exemple dans l’administration fiscale, de telle sorte que le libre exercice de la parole est le fondement d’une bonne performance.

Après avoir fait cette distinction, Hirschman explora l’interaction entre la défection et la prise de parole. Si la défection était une option trop facilement accessible, la prise de parole aurait peu de temps pour agir. Une défaillance réparable pourrait finir par être fatale à une organisation. Cet effet serait encore plus fort si ceux qui sont sensibles à une baisse de performance étaient les premiers à faire défection. Comme il le dit, « la défection rapide des clients sensibles au niveau de qualité (…) paralyse la prise de parole en la privant de ses agents principaux ».

Le fait que la facilité de défection affaiblisse la prise de parole a des conséquences paradoxales. Une entreprise monopolistique peut apprécier une quantité modérée de concurrence, ce qui lui permet de se débarrasser de ses clients les plus « gênants ». Un système ferroviaire national peut être plus performant si les routes sont en mauvais état, parce qu’alors ses clients mécontents ne peuvent pas facilement faire défection et travailleront plutôt à son amélioration. Et l’existence d’écoles privées peut conduire à une moins bonne qualité des écoles publiques, si les parents sensibles à la qualité sont les premiers à retirer leurs enfants de l’enseignement public.

L’interaction entre défection et prise de parole fonctionne par le biais d’un troisième facteur, appelé loyauté par Hirschman. L’attachement à une organisation crée une barrière psychologique à la désertion. En ralentissant la défection, la loyauté peut créer l’espace nécessaire à la prise de parole pour opérer. Cependant, la loyauté peut aussi entraver la performance si elle devient une allégeance aveugle, parce qu’elle étoufferait à la fois la défection et la prise de parole. Les organisations peuvent promouvoir la loyauté justement pour cette raison. Cependant, si elles répriment trop efficacement la défection et la prise de parole, elles « se privent elles-mêmes de ces deux mécanismes de récupération ».

Hirschman était très critique envers l’affirmation selon laquelle, dans un système bipartisan, les deux partis adopteraient des programmes similaires qui reflèteraient les préférences de l’électeur médian. Cette affirmation est fondée sur un raisonnement qui prend en compte la défection, mais néglige la prise de parole. Hirschman reconnaissait que les électeurs aux marges d’un parti politique n’ont pas d’option viable de défection, mais il contestait la conclusion que ces électeurs n’avaient pas de pouvoir :

Il est vrai qu’il ne peut pas faire défection (…) mais justement pour cette raison sa (…) motivation sera au niveau maximal pour utiliser toutes les influences possibles afin d’empêcher (…) le parti de faire des choses qui lui sont particulièrement désagréables (…) « Ceux qui n’ont nulle part ailleurs où aller » ne sont pas impuissants mais influents.

Pour en lire davantage sur Albert Hirschman, consultez ces articles de blog par Rajiv Sethi :

Albert Hirschman aimait jouer avec la langue. L’anglais était la quatrième langue qu’il avait apprise (après l’allemand, le français et l’italien), mais il était tout de même capable d’inventer de belles expressions. Un de ses passe-temps consistait à inventer des palindromes (des mots comme « kayak », qui se lisent dans un sens comme dans l’autre) et il en rassembla une collection sous le nom de Senile Lines par Dr. Awkward comme cadeau d’anniversaire pour sa fille Katya. Les droits à « la vie, la liberté et la quête du bonheur » énumérés dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis furent son inspiration pour la phrase inoubliable « le bonheur de la quête » (« the happiness of pursuit », en anglais), par laquelle il exprimait la joie de participer à une action collective. L’exercice espiègle de prise de parole par Hirschman lui-même démontrait que les gens n’agissent pas uniquement pour obtenir quelque chose, mais aussi pour devenir quelqu’un.

Responsabilité à travers la concurrence politique et économique : résumé

Au début de cette unité, nous avons étudié comment un monopole naturel pouvait être géré s’il était entre les mains d’une entreprise privée ou de l’État, en opposant deux types de responsabilité découlant du pouvoir du monopoliste privé ou de l’administration publique. L’idée principale réside dans le fait que les clients qui font face à un monopole ne sont pas impuissants. Ils ont le choix d’acheter moins, voire pas du tout. De manière similaire, les citoyens face à une entreprise d’État peuvent se défendre contre des services insatisfaisants, en cherchant à remplacer le gouvernement en place lors d’une élection.

Les modèles que nous avons étudiés éclaircissent les similitudes et les différences entre le comportement de maximisation des profits d’une entreprise monopolistique et le comportement de maximisation des rentes politiques d’une élite gouvernante. Ils sont résumés dans la Figure 22.12, accompagnés d’une précision quant à la combinaison proposée de ce qu’Albert Hirschman appelait défection et prise de parole pour responsabiliser les détenteurs du pouvoir vis-à-vis de ceux qui en sont affectés.

Dans le tableau, la « démocratie idéale » est représentée dans le « modèle de l’État comme monopoliste » par une situation caractérisée par une courbe de durée plate (similaire à l’entreprise en concurrence parfaite exposée à une courbe de demande plate). Cela signifie que toute élite gouvernante qui essaye de s’approprier une rente est destituée à la fin de l’année, de la même manière qu’une entreprise qui fixerait un prix plus élevé que la concurrence perdrait immédiatement tous ses clients et ferait faillite.

Types de concurrence politique et économique Courbe de demande/durée Responsabilité (défection/prise de parole) Prix/taxe et coût Profits/rentes Commentaire
Concurrence politique limitée (dictateur) Pentue Aucune T > C Rentes politiques > 0 « L’État en tant que monopoliste »
Concurrence économique limitée (monopole) Pentue Défection limitée P > Cm Profits économiques > 0 Unité 7
Démocratie idéale (concurrence entre partis) Plate Prise de parole et défection T = C Rentes politiques = 0 Section 22.3
« Concurrence parfaite » entre entreprises Plate Défection P = Cm Profits économiques = 0 Unités 8 & 11

Figure 22.12 Comparaison entre les modèles d’entreprises et de gouvernements, monopolistiques et concurrentiels. Notation : T = impôt total perçu au cours d’une année ; C = coût annuel de fourniture du bien public ; P = prix du bien ; Cm = coût marginal du bien.

Exercice 22.7 Équilibres de Nash dans le modèle de l’électeur médian

Dans les cas suivants, s’installer au milieu de la plage est-il toujours un équilibre de Nash ? Dans chaque cas, expliquez l’analogie politique de l’exemple des vendeurs de glace.

  1. Supposez que les baigneurs ne veuillent pas marcher trop loin pour acheter une glace.
  2. Supposez que les baigneurs soient concentrés à chaque extrémité de la plage, plutôt que d’être répartis uniformément le long de la plage.
  3. Supposez que les baigneurs soient répartis uniformément le long de la plage, mais que ceux à l’extrémité gauche de la plage ne veuillent pas marcher trop loin pour acheter une glace, tandis que ceux à l’extrémité droite achèteront sûrement un cornet, peu importe la distance.

Question 22.3 Choisissez la ou les bonnes réponses

Observez la Figure 22.11. Quelles affirmations, parmi les suivantes, sont correctes ?

  • Quand April est installée au point A0 et Bob est au point B0, April attirera plus de clients que Bob.
  • Quand April est installée au point A1 et Bob est au point B1, April attirera plus de clients que Bob.
  • L’équilibre de Nash changerait si tous les baigneurs à l’extrémité droite de la plage se déplaçaient à mi-chemin entre leur position initiale et Bn.
  • Les baigneurs qui n’achètent jamais de glace n’ont pas d’influence sur la position des stands.
  • Faux. Bob est le vendeur le plus proche pour plus de la moitié des consommateurs.
  • Vrai. April attirera tous les consommateurs à la droite de sa position, ce qui correspond clairement à plus de la moitié de tous les consommateurs.
  • Faux. April et Bob restent chacun le vendeur le plus proche pour exactement la moitié des consommateurs. S’ils s’installent autre part, ils attireront moins de consommateurs.
  • Vrai. April et Bob ne s’intéressent qu’à maximiser les ventes et ignorent donc les baigneurs qui n’achètent pas de glaces quand ils choisissent leur position sur la plage.

22.8 Les progrès de la démocratie

Troubles sociaux et suffrage universel

En proposant une extension du modèle de l’État comme monopoliste pour inclure la concurrence politique, nous avons un cadre nous permettant de comprendre l’émergence d’institutions représentatives finalement du suffrage universel, comme décrit au début de cette unité. Les gouvernements survivaient s’ils fournissaient aux citoyens des services publics essentiels à un taux d’imposition raisonnable, plutôt qu’en recourant à des intrigues de palais ou à la menace de la force.

Aux États-Unis, par exemple, le conseil d’école de la ville textile de Lowell (Massachusetts) défendait une extension de la gratuité de l’éducation dans son rapport annuel de 1846 en disant : « Laissons donc l’influence des écoles publiques devenir universelle ; car elles sont (…) notre plus sûr rempart contre des agitations internes. »

La peur de l’instabilité, qui poussa certains riches aux États-Unis et dans d’autres pays à se prononcer pour plus de démocratie, contribua également à la diffusion de la démocratie (voir la Figure 22.13). Comme vous l’avez vu dans la Figure 19.2, les inégalités se sont accrues dans les années qui ont suivi la révolution capitaliste dans les pays pour lesquels nous disposons de données. Durant cette période, les agriculteurs, les ouvriers de l’industrie et les pauvres ont revendiqué une plus grande égalité politique – et en particulier le droit de vote – afin d’obtenir une part plus grande des revenus et de la richesse générés par la croissance économique rapide. L’année 1848 fut marquée par des tentatives de révolutions contre la monarchie en Sicile, en France, en Allemagne, en Italie et dans l’empire autrichien. Au même moment, Karl Max rédigeait Le Manifeste du Parti communiste. L’un des leaders révolutionnaires, James Bronterre O’Brien, dit au peuple :

Les coquins vous diront que c’est parce que vous n’avez pas de propriété que vous n’êtes pas représentés. Je vous dis qu’au contraire, c’est parce que vous n’êtes pas représentés que vous n’avez pas de propriété (…)12

Selon O’Brien, obtenir du pouvoir politique permettait d’obtenir une part plus grande du gâteau économique, et pas le contraire.

Dans de nombreux pays, à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, les riches arrivèrent à la conclusion qu’il pouvait être judicieux d’élargir la démocratie, à l’image des leaders de l’apartheid en Afrique du Sud un siècle plus tard.

La Figure 22.13 montre que la démocratie telle que définie par ses trois caractéristiques (État de droit, libertés civiles et élections justes et ouvertes) est arrivée très tardivement dans l’Histoire.

Les progrès de la démocratie dans le monde
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Figure 22.13 Les progrès de la démocratie dans le monde.

Center for Systemic Peace. 2016. Polity IV annual time series ; Inter-parliamentary union. 2016. ‘Women’s Suffrage’. Les périodes initiales de démocratie inférieures à cinq ans n’apparaissent pas.

Le premier pays démocratique fut la Nouvelle-Zélande, qui devint entièrement démocratique juste avant le tournant du 20e siècle, bien que le pays restât une colonie britannique jusqu’en 1907. À cette époque, beaucoup de pays organisaient des élections, mais les femmes, ceux qui ne détenaient pas de propriété et d’autres groupes défavorisés n’avaient pas le droit de vote.

L’Afrique du Sud, le Mexique et certains des pays autrefois gouvernés par le Parti communiste (la Pologne, par exemple) sont des ajouts relativement récents au club des nations démocratiques. Il en va de même pour La Suisse. Quand les femmes suisses obtinrent enfin le droit de vote en 1971, les premiers ministres du Sri Lanka, de l’Inde et d’Israël étaient tous des femmes. Le suffrage universel masculin en Suisse avait été accordé quatre-vingt-dix ans plus tôt. Si le suffrage universel masculin était suffisant pour remplir le critère d’une élection « ouverte », alors la Suisse et la France (1884) auraient été les premières démocraties, mais l’exclusion de groupes importants de la population implique que les élections ne sont pas ouvertes.

Exclure les femmes du vote a une influence sur les politiques qui sont adoptées par les gouvernements élus. Le prochain encadré, intitulé « Le droit de vote des femmes et la baisse de la mortalité infantile aux États-Unis », montre qu’exclure les femmes du suffrage a des effets importants sur les politiques publiques et également sur le bien-être des citoyens.

Les États-Unis ont accordé le droit de vote aux femmes en 1920, mais ont refusé le droit de vote aux afro-américains dans de nombreux États avant 1965. Nous avons indiqué le statut compliqué des États-Unis en vert clair. Nous avons fait de même pour l’Australie, où les indigènes n’obtinrent le droit de vote qu’en 1962, et pour le Canada, qui limita le droit de vote des Amérindiens pendant une courte période.

La démocratie la plus peuplée au monde est (de loin) l’Inde, depuis son indépendance du Royaume-Uni en 1947. Le pays le plus peuplé qui n’est pas une démocratie est (également de loin) la Chine.

Vous pouvez remarquer dans le graphique les deux « vagues » de pays devenus démocratiques. La première vague eut lieu autour de la Première Guerre mondiale et de la Révolution russe, et elle tripla le nombre de démocraties dans le monde en moins d’une décennie. La Première Guerre mondiale donna un élan important à la diffusion de la démocratie durant cette première vague.

En examinant le graphique, vous pouvez voir que les États-Unis n’étaient pas une démocratie à l’époque, car le droit de vote était réservé aux hommes. Les autres pays vainqueurs de la Première Guerre mondiale (la France et le Royaume-Uni) n’étaient pas non plus des démocraties à cette époque. Dans ces deux pays, les femmes et ceux qui n’étaient pas propriétaires ne pouvaient pas voter.

Une seconde vague de démocraties émergea après la Seconde Guerre mondiale. De nombreuses anciennes colonies, dont l’Inde et l’Indonésie, devinrent démocratiques à cette période.

L’extension du droit de vote au début du 20e siècle impliqua la démocratisation de nombreux pays d’Europe du nord ainsi que la Nouvelle-Zélande. Dans ces pays, l’État de droit et les libertés civiles – les deux autres critères définissant un système politique démocratique – étaient en place longtemps avant l’introduction du suffrage universel.

Après la Seconde Guerre mondiale, la plupart des pays avaient accordé le droit de vote à pratiquement tous les adultes (bien qu’en Arabie Saoudite, par exemple, les femmes ne l’aient obtenu qu’en 2015). Aujourd’hui, les pays considérés comme non démocratiques (comme la Russie) le sont non pas en raison de limites sur le suffrage, mais parce que l’État de droit et les libertés civiles ne sont pas suffisants.

Les taches bleues dans les bâtons montrent que la démocratie a connu quelques interruptions, dont la période de dictature au Chili suite au renversement par les militaires du gouvernement démocratique et la période de l’Allemagne nazie entre 1933 et 1945. Néanmoins, la plupart des pays devenus démocratiques le sont restés.

Tous les pays de la figure peuvent être considérés comme démocratiques parce qu’ils se rapprochent suffisamment des critères que nous avons présentés. Cependant, dans certains cas, le décalage est considérable entre nos critères d’État de droit, de libertés civiles et d’élection ouvertes et justes et la manière dont fonctionne le système politique en pratique. Aux États-Unis, par exemple :

  • En 2000 et 2016, le gagnant de l’élection présidentielle a récolté moins de suffrages que son opposant.
  • Les contributions privées d’individus et de groupes riches jouent un rôle important dans le financement des campagnes électorales (voir l’encadré « Est-ce que l’argent est roi ? » dans la Section 22.14 pour comprendre à quel point cela peut aller à l’encontre de la valeur démocratique d’égalité politique).

Priorités de dépenses dans une démocratie

Joseph Schumpeter (voir Section 2.5) a écrit un jour que le budget public est le « squelette de l’État dépouillé de toute idéologie trompeuse ». Selon lui, la manière dont un État dépense son argent révèle ses priorités réelles, tout comme les habitudes de dépenses d’un individu permettent d’étudier ses préférences.

Joseph Schumpeter. 1918. ‘The crisis of the tax state.’ Reproduced in Swedberg R. (ed.) 1991. Joseph A. Schumpeter, The Economics and Sociology of Capitalism. Princeton University Press.

Comme nous l’avons vu, avant le 20e siècle, une activité importante des États était la défense (dans certains cas, l’invasion d’autres pays) et la levée d’impôts pour la financer. Cependant, bien avant cela, certaines institutions gouvernantes avaient compris qu’offrir un cadre propice à la croissance économique pouvait leur être bénéfique – cela passa, par exemple, par la construction de canaux, de routes et d’écoles au 19e siècle. Le développement économique pouvait être un atout en élargissant l’assiette fiscale, en constituant une société davantage orientée vers la science ou en construisant des institutions financières qui pourraient prêter de l’argent à l’État.

Au cours du 20e siècle, la production à grande échelle des entreprises devint visible pour l’État et se produisit dans un même lieu. Cela facilita l’imposition et la réglementation des entreprises, et les États purent également utiliser les registres de comptabilité et de paie des entreprises pour déterminer qui était payé et combien. Cela signifie qu’il devint également plus simple de lever l’impôt auprès des individus. De nombreux pays optèrent ainsi pour la retenue directe des impôts sur les salaires de leurs citoyens, et de nombreux travailleurs furent explicitement imposés au titre de la « Sécurité sociale », c’est-à-dire pour financer les retraites et parfois les services de santé.

La Mirrlees Review (2010) propose des pistes pour une réforme complète du système d’impôts et de transferts au Royaume-Uni, permettant de mieux répondre aux défaillances de marché et aux injustices.

Des changements dans la structure de l’économie ont aussi permis à l’État de lever plus facilement des impôts, non seulement sur des biens spécifiques comme le sel ou les importations, mais sur la consommation en général et finalement sur la valeur ajoutée de la production. Ces impôts à large assiette d’imposition jouent un rôle important pour les finances publiques des économies avancées. Par l’extension du vote à presque tous les adultes, les États furent amenés à assumer une plus grande responsabilité auprès de leurs citoyens s’agissant de la fourniture de services publics.

Ces processus historiques de transition d’un monopole politique vers la concurrence politique ont créé la base des États modernes que nous connaissons aujourd’hui dans le monde, avec leurs profils spécifiques en termes de dépenses publiques.

La Figure 22.14 montre comment les États démocratiques des États-Unis, de la Corée du Sud et de la Finlande dépensent leur argent.

Dépenses publiques en Finlande, aux États-Unis et en Corée du Sud (2013)
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Figure 22.14 Dépenses publiques en Finlande, aux États-Unis et en Corée du Sud (2013).

La dépense publique de la Finlande correspond à 57,5 % de son PIB, ce qui en fait la plus importante parmi les trois pays. Aux États-Unis, elle correspond à 38,8 %. Note : cela ne signifie pas que les États-Unis dépensent moins que la Finlande en termes absolus, mais que la dépense publique représente une plus petite part du PIB du pays. La dépense publique de la Corée du Sud correspond à 31,8 % de son PIB.

Voici la signification des catégories :

assurance sociale
Dépenses publiques financées par les impôts et qui offrent une protection contre différents risques économiques (par exemple, la perte de revenus consécutive à la maladie ou au chômage) et permettent aux individus de lisser leurs revenus tout au long de la vie. Voir également : co-assurance.
  • Services publics généraux : toute dépense de fonctionnement des parlements, sénats, administrations déconcentrées, ainsi que l’aide au développement et les transactions de dette publique.
  • Défense : comme expliqué précédemment, l’un des objectifs de l’État est la protection de la nation ou la guerre.
  • Affaires économiques : cela inclut les dépenses d’infrastructures comme les routes, les ponts et Internet.
  • Ordre public et sécurité : cela comprend les services de police, de pompiers et de prison ainsi que la justice.
  • Protection sociale : dans l’Unité 19, nous avons évoqué les dépenses d’assurance sociale que l’État pouvait faire, et celles-ci sont labellisées « Protection sociale » dans la figure.
  • Éducation : tous les États doivent fournir un niveau minimal d’éducation.
  • Santé : cela inclut l’équipement médical, les soins hospitaliers et ambulatoires et la santé publique.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les États n’ont pas tous les mêmes profils de dépenses. Le fait que les institutions politiques diffèrent d’un pays à l’autre, même au sein des démocraties, en est une.

Exercice 22.8 L’influence de l’histoire sur les profils de dépense publique

  1. Comment caractériseriez-vous les deux plus grandes différences dans les profils de dépenses entre les trois paires de pays (États-Unis vs. Corée du Sud, États-Unis vs. Finlande, Finlande vs. Corée du Sud) ?

  2. Quelles différences entre ces pays et leur histoire individuelle pourraient expliquer ces différences ? Vous devrez effectuer quelques recherches pour appuyer vos réponses.

Exercice 22.9 Comparaison des dépenses publiques

Allez à la source de la Figure 22.14, OECD statistics, et essayez de trouver des pays différents pour chacun des critères suivants (pour l’année 2015, ou l’année disponible la plus récente).

  1. La part des services publics généraux (en pourcentage du PIB) est supérieure à la Corée du Sud, mais inférieure à celle de la Finlande.
  2. La part de la dépense publique en santé (en pourcentage du PIB) est supérieure à celle des États-Unis.
  3. La part de la dépense publique en protection sociale (en pourcentage du PIB) est supérieure à celle de la Finlande.
  4. La part de la dépense publique en défense (en pourcentage du PIB) est supérieure à celle de la Corée du Sud.

22.9 Formes de démocratie

Dans l’Unité 1, nous avons défini le capitalisme comme un système économique, et nous avons souligné les différences importantes entre les économies capitalistes, en termes de rôle de l’État et du degré d’inégalités dans l’économie. La démocratie en tant qu’ensemble d’institutions politiques (système politique) existe, elle aussi, sous diverses formes.

Responsabilité et transferts de pouvoir

Les conditions dans lesquelles un gouvernement quitte le pouvoir et est remplacé par un autre illustrent les formes de démocratie. Il y a deux principes essentiels à un régime démocratique :

contrôle démocratique
Contrôle démocratique par le moyen des élections ou d’autres processus démocratiques. Voir également : responsabilité (au sens de avoir à répondre de), responsabilité politique.
  • Responsabilité démocratique : un parti à la tête du gouvernement qui ne sert pas les intérêts de la majorité des citoyens perdra les élections et devra quitter ses fonctions. Le contrôle démocratique garantit que les citoyens, par le biais de leur droit de vote, puissent destituer un gouvernement qu’ils estiment peu performant et le remplacer par un autre qu’ils préfèrent.
  • Pas de transfert de pouvoir sans élection : la destitution d’un gouvernement résulte (mises à part de rares exceptions) d’une défaite électorale plutôt que d’un coup militaire, d’un assassinat, d’un effondrement de l’ordre social ou d’une impasse dans le processus exécutif.

Vous avez déjà vu ces deux principes dans le modèle de l’État présenté plus tôt dans cette unité. Dans le modèle, la responsabilité démocratique est représentée par une courbe de durée plus plate, car il y avait une plus grande probabilité que le gouvernement soit destitué lorsqu’il collecte des rentes politiques substantielles.

Les pays diffèrent considérablement selon ces deux dimensions (Figure 22.15). De nombreux pays satisfont ces deux critères, mais d’autres sont à peine compatibles avec l’un et l’autre, et leur statut de démocratie est donc contesté.

  • Singapour : un exemple de stabilité politique extraordinaire, où la probabilité d’un transfert de pouvoir par un moyen autre qu’une élection paraît très faible. Pourtant, en plus de cinquante ans, il n’y a pas eu un seul transfert de pouvoir via une élection. Le même parti politique gouverne cette cité-État depuis 1959. Cette longévité politique remarquable est certainement due au fait que les conditions de vie à Singapour se sont améliorées rapidement lors de cette période. Cependant, la faible liberté de la presse et d’autres pratiques non démocratiques du parti au pouvoir empêcheraient les citoyens de transférer facilement le pouvoir à un autre parti s’ils le voulaient.
  • Italie : pays incontestablement démocratique, l’Italie peine à satisfaire le second principe. Les gouvernements qui déçoivent les électeurs sont régulièrement remplacés. Cependant les gouvernements sont également remplacés en cas d’impasse parlementaire ou par l’intervention du président qui peut dissoudre le parlement.
  • Pakistan : un exemple de pays où la démocratie n’adhère pas fortement ni à l’une, ni à l’autre des dimensions. Les gouvernements successifs du Pakistan sont connus pour ne pas répondre aux demandes des électeurs, et les transferts de pouvoir par voie non électorale comptent trois coups militaires réussis.
Responsabilité démocratique et transferts du pouvoir
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Figure 22.15 Responsabilité démocratique et transferts du pouvoir.

Exercice 22.10 Comment la démocratie aide à protéger les gouvernés

En 1943, il y eut une famine dans le Bengale-Occidental, en Inde, alors que le pays était sous le joug colonial du Royaume-Uni. Au moins 2 millions de personnes sont mortes. Amartya Sen, un économiste lauréat du prix Nobel, a affirmé : « Dans l’Histoire du monde, aucune famine n’a eu lieu dans une démocratie fonctionnelle. »

  1. Comment les caractéristiques déterminantes d’une démocratie pourraient confirmer cela ?
  2. En quoi la domination coloniale par une puissance étrangère est-elle différente d’une démocratie ?
  3. Comment ces différences pourraient-elles expliquer la famine de 1943 et le fait que l’Inde ne connut aucune autre famine depuis sa transition vers un régime démocratique ?
  4. Lisez cet article et relisez l’introduction de l’Unité 2 sur la famine irlandaise. Expliquez comment la pensée économique de l’époque a pu contribuer à la réponse limitée du gouvernement colonial britannique face à la famine durant cette période.

22.10 La démocratie fait la différence

Notre modèle de l’État nous permet également de comprendre l’impact de l’un des développements les plus importants de la politique et de l’économie du 20e siècle : l’extension du droit de vote à presque tous les adultes. En conséquence, les États allouèrent une partie de plus en plus grande de leurs revenus fiscaux aux services publics et à d’autres dépenses visant à aider considérablement les plus démunis. Comme nous l’avons vu dans l’Unité 19, cela augmenta la part de bien-être revenant de droit aux citoyens, par rapport à celle achetée sous forme de biens ou de services marchands.

La croissance des formes diverses d’assurance sociale est en grande partie responsable des deux étapes de l’augmentation de la taille du secteur public au Royaume-Uni que vous avez observée dans la Figure 22.2 : la première eut lieu après l’extension du droit de vote en 1928 et la seconde après la Seconde Guerre mondiale.

Friedrich Hayek avait averti dans son livre La Route de la servitude que l’augmentation de la taille du secteur public affaiblirait la démocratie et l’État de droit, en soulignant les cas de l’Allemagne fasciste et la Russie communiste.13 Cela ne paraît pas être le cas en général : les pays placés aux premiers rangs des mesures de l’État de droit (Norvège, Finlande, Suède, Danemark et Pays-Bas) sont remarquables par le niveau élevé de leurs revenus fiscaux en proportion du PIB. Les États-Unis et le Royaume-Uni, qui ont un secteur public plus petit, sont moins bien classés.14 15

Cependant, cette corrélation ne prouve pas qu’un secteur public de taille supérieure favorise l’État de droit et la démocratie. Le mieux que l’on puisse dire est qu’une démocratie durable, un État de droit et un secteur public important (relativement à la taille de l’économie) peuvent coexister.

Comment les économistes apprennent des données Le droit de vote des femmes et la baisse de la mortalité infantile aux États-Unis

Souvenez-vous de James Bronterre O’Brien qui, lorsqu’il faisait campagne contre la propriété foncière comme prérequis pour voter en Grande-Bretagne au 19e siècle, écrivait : « C’est parce que vous n’êtes pas représentés (…) que vous n’avez pas de propriété. »

Mais est-ce que l’obtention du droit de vote augmente la richesse et le bien-être des groupes qui étaient jusqu’alors exclus du suffrage ?

Il n’est pas facile de répondre à cette question. Pensez au cas de l’Afrique du Sud. Jusqu’en 1994, les individus d’origine non européenne n’avaient pas le droit de vote, mais ils étaient également discriminés par les employeurs, les propriétaires, les écoles et les institutions médicales. Est-ce que les inégalités, en termes de richesse, de santé et d’autres dimensions de bien-être, selon l’origine dans ce pays étaient dues aux restrictions des droits politiques démocratiques imposées à certains groupes ?

Dans les expériences comportementales et selon d’autres données, les femmes, en moyenne, valorisent davantage le bien-être des enfants et les services publics. Le cas échéant, nous devrions nous attendre à ce que les politiques publiques changent lorsque les femmes peuvent voter.

Une expérience naturelle permettant d’évaluer l’importance du suffrage repose sur l’extension du droit de vote aux femmes aux États-Unis, parce que les lois électorales diffèrent d’un État à l’autre. Ainsi, les femmes obtinrent le droit de vote à différents moments, dès 1869 dans le Wyoming. En 1920, un amendement à la Constitution américaine accorda le droit de vote aux femmes dans tous les États. Grant Miller utilisa l’information sur la date d’obtention du droit de vote des femmes pour faire une comparaison avant-après des actions mises en place par les élus, des dépenses publiques en matière de santé infantile et de l’état de santé des enfants.16

Miller décida de se concentrer sur les politiques de santé infantile parce que les femmes avaient fait campagne pour accroître les services de santé pour les enfants. Il est donc raisonnable de supposer qu’à cette époque les femmes auraient choisi des politiques différentes de celles que les hommes auraient choisies. Au 19e siècle et avant, cependant, ceux qui ont soutenu que seuls les hommes devraient voter ont souvent affirmé que les femmes étaient représentées par leurs époux, leurs frères ou leurs pères.

La logique de l’expérience naturelle est indiquée ci-dessous, chacune des flèches représentant des causes possibles explorées par Miller :

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Voilà ce que Miller a trouvé :

  • En regardant État par État la date à laquelle les femmes ont obtenu le droit de vote, on ne voit pas d’effet apparent sur les dépenses publiques fédérales dans d’autres domaines, mais cela a augmenté les dépenses sociales de 24 %. Au niveau fédéral, au cours de l’année suivant le passage du Dix-neuvième Amendement, le Congrès américain vota une hausse considérable des dépenses en santé publique, visant en particulier les enfants. Un historien en a conclu que « le Congrès était surtout guidé par la peur d’être puni dans les urnes (…) par les électrices. »
  • Le nombre de décès d’enfants âgés de moins de 9 ans diminua de l’ordre de 8 à 15 %, principalement en raison de la diminution des cas de maladies visées par les programmes publics mis en place, en particulier les campagnes de porte-à-porte sur l’hygiène déployées à grande échelle. Pour mettre les choses en perspective, en 1900 un enfant sur cinq mourait avant l’âge de 5 ans. L’adoption des programmes de santé empêcha environ vingt mille décès d’enfants par an.

Ces effets ne furent possibles que grâce à la révolution du 19e siècle en termes de connaissances scientifiques des bactéries et des maladies. Cependant, ces avancées scientifiques devaient encore être mises à la disposition du public sous la forme de l’accès à une meilleure santé. C’est ce que le droit de vote des femmes aida à faire.

La recherche de Miller montre que les politiques publiques connurent de grands changements lorsque les femmes américaines purent être directement représentées. C’est pourquoi nous avons daté à 1971 la démocratie en Suisse (Figure 22.10), bien que les hommes aient obtenu le droit de vote bien plus tôt que dans tout autre pays, car qui peut voter a une importance.

Outre le poids du secteur public, existe-t-il d’autres effets des progrès de la démocratie sur le fonctionnement de l’économie ? L’expérience de nombreux pays semble indiquer que oui. Par exemple, l’âge d’or du capitalisme (les trois décennies suivant la Seconde Guerre mondiale) correspond à la première période au cours de laquelle toutes les grandes économies étaient gouvernées par un régime démocratique.17

Bien qu’il semble probable que la démocratie soit en partie responsable de ces réussites, par exemple en améliorant la stabilité du système politique, il est impossible d’établir que la démocratie soit la seule ou la principale cause. De nombreux autres facteurs ont changé au même moment et pourraient expliquer les changements économiques.

Les premiers pays à avoir promu davantage d’égalité politique ont maintenant un équilibre différent entre temps de travail et temps libre, comme le montre la Figure 22.16. Ce n’est pas surprenant si l’on considère que la réduction du nombre d’heures travaillées au cours du dernier siècle ne fut pas seulement le fait d’individus choisissant d’effectuer des journées de travail moins longues. Comme nous l’avons vu dans l’Unité 3, ce fut aussi le fait de partis politiques (en particulier après l’extension du droit de vote aux travailleurs) qui ont cherché à modifier la législation afin de limiter le nombre d’heures que l’on pouvait demander à un travailleur d’effectuer sans compensation supplémentaire.

Durée de la démocratie et temps de travail (2014)
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Figure 22.16 Durée de la démocratie et temps de travail (2014).

Cependant, les pays avec le moins grand nombre d’heures de travail en 2014 et le plus grand nombre d’années de régime démocratique (Danemark, Suède et Pays-Bas) avaient le plus grand nombre d’heures de travail à l’époque où ils devinrent des démocraties, par rapport à la moyenne des autres pays pour lesquels nous disposons de données. Ces données appuient l’idée selon laquelle la démocratie a un effet sur le volume d’heures travaillées.

La Figure 22.17 montre que les premiers pays à donner le droit de vote à tous leurs citoyens (Finlande, Norvège, Suède, Danemark et Pays-Bas) ont aujourd’hui une distribution du revenu disponible plus égalitaire que les pays dont l’expérience de l’égalité politique est plus récente. Dans de nombreux cas, la réduction des inégalités en termes de revenu disponible découla de programmes publics qui ont bénéficié aux électeurs plus pauvres (les femmes ou les travailleurs, par exemple) qui étaient auparavant exclus du vote (comme nous l’avons vu dans les Figures 19.1 et 5.16).

Durée de la démocratie et inégalités en termes de revenu disponible (2015)
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Figure 22.17 Durée de la démocratie et inégalités en termes de revenu disponible (2015).

Cross National Data Center. LIS Database.. Les revenus marchands (du travail et du capital) et le revenu domestique des ménages sont normalisés et les valeurs extrêmes supérieures et inférieures sont recodées.

Exercice 22.11 Temps de travail et inégalités dans les pays moins démocratiques

  1. Redessinez les Figures 22.16 et 22.17 en utilisant une autre définition de la démocratie, sur la même période que celle de la Figure 22.13 (1890–2015). Par exemple, considérez un pays comme « démocratique » même si les femmes et certains groupes minoritaires n’ont pas le droit de vote (vous savez déjà que cela affectera la durée de la démocratie en Australie, aux États-Unis, au Canada, en Suisse et en France). Vous pouvez télécharger la base de données Polity IV qui a été utilisée pour créer la Figure 22.13, et considérer qu’un score Polity égal ou supérieur à 6 qualifie une démocratie. Les données sur les temps de travail et les inégalités sont montrées ci-dessous.

    Pays Moyenne des heures travaillées (2014) Indice de Gini du revenu disponible
    Australie 1 803 0,330
    Danemark 1 438 0,247
    Allemagne 1 371 0,287
    Pays-Bas 1 420 0,254
    États-Unis 1 765 0,390
    Suède 1 609 0,236
    Royaume-Uni 1 675 0,335
    France 1 474 0,288
    Italie 1 734 0,327
    Belgique 1 575 0,282
    Canada 1 688 0,317
    Suisse 1 568 0,291
    Finlande 1 643 0,262
    Norvège 1 427 0,244
    Autriche 1 629 0,268
    Brésil 1 711 0,462
    Corée du Sud 2 124 0,310
    Inde 2 162 0,502
    Japon 1 729 0,302
    Pologne 2 039 0,307
    Afrique du Sud 2 215 0,605
    Mexique 2 137 0,437
  2. Avec cette définition alternative, moins stricte, de la démocratie, auriez-vous une conclusion différente s’agissant de la relation statistique entre démocratie et :

    1. temps de travail ?
    2. inégalités ?

22.11 Une énigme : la persistance des injustices et les défaillances de marché dans les démocraties

L’Afrique du Sud contemporaine est un exemple, parmi d’autres, d’une société dans laquelle toutes les opportunités de gains mutuels ne sont pas exploitées. Par exemple, plus d’un quart de la population active est au chômage. De plus, il est largement reconnu, y compris au sein de la population sud-africaine aisée, que la répartition des charges et bénéfices de l’économie est encore extrêmement injuste.

Les unités précédentes ont montré des cas similaires où les résultats économiques ne sont pas efficaces au sens de Pareto, c’est-à-dire que les gains mutuels potentiels ne sont pas tous réalisés, comme le montrait le tableau récapitulatif dans la Figure 12.8. La Figure 22.3 donnait une liste des mesures visant à corriger les sources d’inefficacité et d’injustice ressenties. Et nous savons que les citoyens dans de nombreux pays pensent que la distribution des richesses ou des revenus est injuste.

C’est une énigme. Si l’intervention de l’État permettait de réaliser les gains potentiels et que le citoyens dans une démocratie préféraient qu’il agisse de la sorte, pourquoi ces inefficacités persisteraient-elles dans une société démocratique avec une économie capitaliste ? La réponse courte est qu’à l’instar des défaillances de marché, les États peuvent échouer également.

Défaillances de l’État

La correction d’un problème d’inefficacité au sens de Pareto ou d’une injustice ressentie nécessite que la solution soit :

  • Réalisable économiquement : la mesure pour corriger le problème doit fonctionner si elle est déployée.
  • Réalisable administrativement : l’État doit avoir la capacité de déployer la mesure.
  • Autorisée par les intérêts particuliers : ceux qui contrôlent l’action publique doivent vouloir la mise en œuvre de la mesure.

Impossibilité économique

économiquement possible
Politiques dont les résultats visés sont un équilibre de Nash, de sorte qu’une fois introduites, les acteurs économiques privés n’en contreront pas les effets désirés.

Étant donné les préférences individuelles et les informations disponibles pour les acteurs économiques privés, il est possible qu’il n’y ait pas d’ensemble possible de politiques qui permettraient un résultat efficace et juste. Une politique est réalisable économiquement, si c’est un équilibre de Nash, c’est-à-dire qu’aucun acteur ne peut améliorer sa situation en changeant son comportement.

Par exemple, un État qui voudrait imposer la concurrence parfaite dans tous les secteurs n’y arriverait pas. Comme les entreprises sont libres de faire de la publicité et de différencier leurs produits, le régulateur ne peut pas imposer que les courbes de demande soient horizontales. Nous avons également vu qu’aucune politique macroéconomique ne peut complètement éliminer le chômage, puisque la menace du chômage incite les gens à travailler dur et bien.

Impossibilité administrative

administrativement possible
Politiques pour lesquelles l’État a suffisamment d’information et de ressources humaines pour leur mise en œuvre.

Même s’il existait une politique réalisable économiquement susceptible de répondre à un problème si elle était adoptée et mise en place, elle pourrait être impossible en pratique, en raison d’un manque d’informations et des capacités limitées des représentants de l’État. Cela signifierait qu’elle ne serait pas réalisable administrativement. En échouant dans la compréhension des motivations des acteurs économiques pertinents et d’autres aspects du problème, les politiques adoptées par le gouvernement peuvent ne pas être bien adaptées aux objectifs de tous les acteurs. Les États peuvent manquer de capacité pour collecter les impôts de manière efficace et honnête, faire appliquer et respecter leurs politiques via le système judiciaire (dont la politique anti-monopole) et offrir des services publics comme l’éducation et la santé.

Intérêts particuliers

Même si une politique est réalisable économiquement (c’est un équilibre de Nash) et peut être mise en œuvre administrativement, l’État pourrait choisir de ne pas l’adopter si certains groupes s’y opposent (y compris des membres du gouvernement eux-mêmes) parce qu’elle leur serait préjudiciable, ce qui peut être le cas si certains groupes profitent de l’injustice ou de l’inefficience.

Dans les trois prochaines sections, nous nous intéresserons, à tour de rôle, à la manière dont l’impossibilité économique, l’impossibilité administrative et les intérêts particuliers peuvent empêcher l’introduction de politiques justes et efficaces.

22.12 Impossibilité économique

De nombreuses activités économiques importantes ne peuvent pas être exécutées par les pouvoirs publics. L’État peut utiliser son pouvoir de lever des impôts pour la création d’écoles et mettre une obligation de scolarité pour tous les enfants jusqu’à l’âge de 16 ans. Cependant, il ne peut pas forcer les élèves à travailler dur et à apprendre beaucoup, ni soumettre les enseignants à une obligation de résultat dans le cadre de leur enseignement.

Comme nous l’avons vu dans la Section 22.1, l’État utilise la réglementation et la fourniture de services publics, mais il peut aussi donner des incitations et des informations visant à pousser les individus à agir selon les objectifs qu’il se donne. Par exemple, la banque centrale peut diminuer le taux d’intérêt auquel elle prête aux banques commerciales, avec l’intention de les pousser à prêter aux ménages et aux entreprises à un taux plus bas, et ainsi de stimuler la dépense. L’État peut aussi imposer une taxe sur l’essence pour modifier le coût d’opportunité de conduire sa voiture, donnant aux gens une raison pour limiter l’utilisation de leur voiture.

Deux exemples d’activités économiques importantes mais « difficiles à commander » sont l’investissement et le fait de travailler dur. Les États ne disposent pas des informations ou de l’autorité légale pour demander aux personnes riches d’utiliser leurs ressources financières pour investir dans des infrastructures (à part dans des circonstances exceptionnelles, comme en temps de guerre), ou aux travailleurs de travailler dur et bien.

Comment les politiques fonctionnent en déplaçant l’équilibre de Nash

Il est essentiel de comprendre comment les acteurs privés réagissent aux politiques publiques pour répondre aux problèmes sociaux et économiques. Par exemple, le régulateur qui impose une taxe sur les boissons sucrées afin de réduire l’obésité ne contrôle pas les réactions des consommateurs. Un résultat de la taxe, qui soit réalisable économiquement, doit être fondé sur la manière dont répondent les individus au fait qu’un soda coûte maintenant plus cher. Le politique doit prendre en compte, par exemple, le fait que les consommateurs consommeront plus d’autres aliments sucrés non taxés, au lieu de consommer des boissons sucrées. La recherche économique que nous avons passée en revue dans la Section 7.9 oriente le régulateur dans le choix d’une politique de prévention efficace contre le diabète, à travers son effet sur les prix relatifs.

ceteris paribus
Les économistes simplifient souvent l’analyse en mettant de côté certains aspects considérés comme ayant moins d’importance par rapport à la question qui les intéresse. La signification littérale de l’expression est « toutes choses égales par ailleurs ». Dans un modèle économique, elle signifie que l’analyse « garde les autres facteurs inchangés ».

Pour qu’une politique soit réalisable économiquement, il faut que le résultat souhaité soit un équilibre de Nash, c’est-à-dire que tous les individus affectés fassent du mieux qu’ils peuvent dans le cadre de cette politique, étant donnée la manière dont tous les autres acteurs agissent en réaction à la politique. Beaucoup de modèles utilisés par les économistes comprennent la condition ceteris paribus, qui implique que tous les autres facteurs soient constants. Cependant, comme les économistes se plaisent à le dire, dans de nombreuses applications importantes de la théorie économique, « ceteris n’est pas paribus ». Toutes les autres choses ne sont jamais égales avant et après l’introduction d’une politique. Vérifier si une politique est économiquement réalisable nécessite de relâcher la condition ceteris paribus afin de considérer l’ensemble complet des stratégies disponibles pour les acteurs dans les nouvelles circonstances.

Pour comprendre comment la faisabilité économique restreint les décideurs publics, imaginez une situation dans laquelle le régulateur voudrait introduire une allocation chômage financée par un impôt sur les profits. Le but de cette politique serait d’améliorer le niveau de vie des chômeurs sans augmenter le taux de chômage.

Conséquences imprévues

Nous commençons par identifier l’équilibre de Nash dans la situation précédant l’introduction de la politique. Dans la Figure 22.18a, l’économie est au point N, où les courbes de fixation des prix et des salaires se croisent. Comme nous l’avons confirmé dans l’Unité 9 (Section 9.6), c’est un équilibre de Nash parce que ni un travailleur (employé ou chômeur), ni une entreprise ne peuvent améliorer leur situation en fixant un salaire ou un prix différent, en offrant de travailler à un salaire différent ou en recrutant un nombre de travailleurs différent.

Tout d’abord, nous examinons l’effet de court terme de la politique en utilisant la Figure 22.18a.

  • Situation initiale : l’équilibre de Nash est au point N.
  • Les électeurs demandent une nouvelle politique : les travailleurs (employés et chômeurs) votent pour élire un gouvernement qui promet de mettre en place une allocation chômage qu’obtiendraient les travailleurs quand ils n’ont pas d’emploi, et financée par un impôt sur les profits.
  • Effet de court terme : cela augmente l’option de réserve des travailleurs employés, déplaçant vers le haut la courbe de fixation des salaires, de telle sorte que les employeurs doivent maintenant payer plus pour encourager les travailleurs à travailler dur et bien. Cela est indiqué par le point C.

La politique a l’effet voulu : les chômeurs reçoivent un revenu plus élevé et les salaires des travailleurs employés ont également augmenté, une conséquence apparemment inattendue de la politique. Cependant, cet effet inattendu – l’augmentation des salaires – a pour effet de dévier l’économie de l’équilibre de Nash initial. Nous verrons en quoi les effets de long terme peuvent être différents des effets de court terme.

En utilisant l’analyse de la Figure 22.18a, suivez la logique du modèle au fur et à mesure que les acteurs réagissent à la politique.

Introduction d’une allocation chômage : effets de court et long terme.
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Figure 22.18a Introduction d’une allocation chômage : effets de court et long terme.

Le statu quo
: L’équilibre de Nash est au point N. Le nouveau gouvernement met en place une allocation chômage que les travailleurs reçoivent quand ils sont au chômage, et financée par un impôt sur les profits.
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Le statu quo

L’équilibre de Nash est au point N. Le nouveau gouvernement met en place une allocation chômage que les travailleurs reçoivent quand ils sont au chômage, et financée par un impôt sur les profits.

La conséquence inattendue
: Cela augmente l’option de réserve des travailleurs employés, de telle sorte que les employeurs doivent maintenant payer plus leurs employés pour les encourager à travailler dur et bien. Cela est indiqué par le point C.
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La conséquence inattendue

Cela augmente l’option de réserve des travailleurs employés, de telle sorte que les employeurs doivent maintenant payer plus leurs employés pour les encourager à travailler dur et bien. Cela est indiqué par le point C.

Le résultat
: L’impôt sur les profits déplace la courbe de fixation des prix vers le bas. Le nouvel équilibre de Nash est au point N′, correspondant à un taux de chômage plus élevé et à un salaire réel plus faible.
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Le résultat

L’impôt sur les profits déplace la courbe de fixation des prix vers le bas. Le nouvel équilibre de Nash est au point N′, correspondant à un taux de chômage plus élevé et à un salaire réel plus faible.

Quel est l’effet de long terme de la politique ? Sur le graphique du marché du travail, nous voyons qu’il y a :

  • Un nouvel équilibre de Nash : l’allocation chômage déplace la courbe de fixation des salaires vers le haut. Dans le court terme, le marché du travail se déplace au point C. Cependant, l’impôt qui finance l’augmentation des allocations déplace la courbe de fixation des prix vers le bas, conduisant le salaire réel à la baisse afin que les entreprises s’assurent une marge de profits suffisante.
  • Les entreprises emploient moins de travailleurs ou ferment : certaines entreprises qui payent le nouveau salaire plus élevé vont réaliser des profits insuffisants pour lancer plus d’investissements et elles emploieront donc moins de travailleurs. D’autres entreprises vont fermer ou déplacer leur production à l’étranger.
  • Effet de long terme de la politique : ces changements vont déplacer l’économie vers le point N′, où (comme voulu) les chômeurs reçoivent un revenu supérieur quand ils ne travaillent pas. Mais moins de travailleurs sont employés et les travailleurs employés reçoivent un salaire plus faible.

L’objectif de la politique, à savoir augmenter le niveau de vie des chômeurs sans augmenter le chômage, était économiquement irréalisable.

Pourtant nous avons vu dans l’Unité 16, à la Figure 16.16, que les pays avec des allocations chômage plus élevées n’ont pas nécessairement un taux de chômage plus élevé. Cela indique que ces pays ont réussi à atteindre un équilibre de Nash différent de N ou N′. La Figure 22.18b montre comment cela a pu arriver : il y a un troisième équilibre de Nash au point N″, où une nouvelle courbe de fixation des prix supérieure croise la courbe de fixation des salaires après la réforme.

Combiner la mise en place d’allocations chômage à une politique salariale de solidarité
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Figure 22.18b Combiner la mise en place d’allocations chômage à une politique salariale de solidarité.

L’approche suédoise tire ses origines de la « politique salariale de solidarité » élaborée en 1951 par deux économistes, Gösta Rehn et Rudolph Meidner, qui travaillaient à l’institut de recherche de la confédération syndicale en Suède.

Ils estimaient que les travailleurs et les employeurs partageaient un intérêt commun pour une croissance rapide de la productivité, et que les travailleurs pouvaient profiter de salaires plus élevés, sans que les profits de l’entreprise ne soient réduits si une part plus grande de la production économique nationale était le fait d’entreprises très productives plutôt que d’entreprises peu productives.

La politique salariale de solidarité suédoise comprenait en fait trois politiques reliées entre elles :

  • À travail égal, salaire égal : cela signifie que le salaire pour chaque emploi était fixé au niveau national par des négociations entre l’association des employeurs et le syndicat. Cela avait pour effet de réduire les différences de salaires entre des travailleurs effectuant un travail similaire. Les entreprises à faible productivité n’auraient survécu qu’en payant à leurs travailleurs des salaires plus faibles que les autres entreprises. Sous cette nouvelle politique, elles ne pouvaient pas payer le salaire négocié et rester rentables, et durent donc quitter le secteur. Les entreprises à productivité plus élevée ont survécu et pouvaient reprendre les parts de marché des entreprises sorties.
  • Allocations chômage : il s’agissait d’allocations généreuses mais limitées dans le temps. Vous pouvez vous reporter à l’Unité 16 pour avoir plus de précisions sur le fonctionnement de ce type de politique.
  • Politique active du marché du travail : des indemnités de formation ou de mobilité pour les travailleurs déplacés, par exemple, afin d’améliorer leur appariement avec les postes vacants. Cela protégeait les travailleurs plutôt que les emplois. À nouveau, reportez-vous à l’Unité 16 pour avoir plus de précisions sur le fonctionnement de ce type de politique.

Isolée, l’augmentation des allocations chômage financée par les impôts aurait probablement déplacé la courbe des prix vers le bas, comme dans l’exemple ci-dessus. Cependant, la politique salariale de solidarité força également les entreprises à faible productivité à quitter le marché. Les entreprises restantes avaient une productivité plus élevée et pouvaient donc maintenir leur marge de profits à un prix plus faible, déplaçant la courbe des prix vers le haut. Les indemnités de formation et de mobilité garantissaient que les entreprises plus productives aient accès à une main-d’œuvre bien formée, ce qui leur permettait de baisser encore plus leurs coûts et leurs prix. La Figure 22.18b montre comment cette combinaison de politiques résulta en un nouvel équilibre au point N″, avec un salaire réel plus élevé et sans l’augmentation du chômage du point N′.

L’exemple suédois illustre comment un environnement politique démocratique caractérisé par de grands syndicats se situant dans une optique nationale et un État réactif peuvent maintenir des niveaux faibles d’inégalités (indiqués dans la Figure 22.17), tout en augmentant le niveau de vie moyen.

Faisabilité économique : un exemple venu du Chili

L’analyse précédente utilisant le modèle du marché du travail est une simplification. Cependant, elle nous aide à comprendre les forces économiques réelles à l’œuvre dans le monde. Le Chili est un exemple.

En 1970, le socialiste Salvador Allende fut élu président du Chili sur une victoire inattendue, avec un programme promettant plus de services publics et la nationalisation d’une grande partie des entreprises privées du pays.

La Figure 22.19 montre la réaction des plus riches, reflétée dans les cours de la Bourse. Une action (ou une participation) est une part de la propriété d’une entreprise. Son prix (comme vous l’avez appris dans l’Unité 11) mesure la valeur de la possession d’une part de cette entreprise, et donc de la réception d’une partie de ses profits et du bénéfice de la future revente de cette part à une autre personne.

Le prix des actions augmente lorsque, en tenant compte de tous les facteurs importants, les propriétaires ou acheteurs potentiels d’actions pensent qu’une entreprise fera plus de profits à l’avenir. Quand un président socialiste fut élu au Chili, les personnes les plus aisées craignirent une hausse des impôts, l’introduction de politiques favorisant leurs employés et nécessitant des rémunérations supérieures, et le fait que l’État, voire les travailleurs puissent exproprier les actifs des entreprises (en s’octroyant leur propriété).

Ces craintes limitèrent l’ensemble des politiques réalisables économiquement pour le gouvernement d’Allende. En effet, si les riches pensaient que les entreprises qu’ils détenaient seraient moins profitables à l’avenir, ils n’auraient pas eu d’incitation à investir dans l’augmentation des actifs de leur entreprise. Plutôt que d’investir dans ces entreprises, les riches pourraient préférer plutôt investir soit à l’étranger (ce qu’on appelle la fuite des capitaux), soit dans l’immobilier ou dans d’autres actifs chiliens davantage susceptibles de gagner en valeur dans le futur.

Comme vous pouvez l’observer dans la Figure 22.19, les cours de la Bourse s’effondrèrent dès le lendemain de l’élection d’Allende. Nous reprendrons l’histoire du Chili un peu plus tard et nous analyserons comment les intérêts politiques et l’infaisabilité économique peuvent limiter les marges de manœuvre d’un gouvernement démocratiquement élu.

Cours de la Bourse au Chili : l’élection d’un président socialiste en 1970
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Figure 22.19 Cours de la Bourse au Chili : l’élection d’un président socialiste en 1970.

Données de la bourse de Santiago. L’instant zéro correspond au premier jour de cotation sur la Bourse de Santiago suite à l’élection. Daniele Girardi and Samuel Bowles. 2018. ‘Institution shocks and economic outcomes: Allende’s election, Pinochet’s coup, and the Santiago stock market’. Journal of Development Economics 134: pp. 16-27.

Exercice 22.12 Les économies réussissent quand les politiques nationales sont alignées avec les incitations individuelles

En 1759, Adam Smith écrivait dans La Théorie des Sentiments Moraux :

L’homme (…) amoureux de son plan idéal de gouvernement (…) semble imaginer qu’il peut arranger les différents membres d’une grande société avec autant de facilité qu’il arrangerait les différentes pièces sur un échiquier (…) mais sur le grand échiquier de la société humaine, chaque pièce individuelle se déplace de son propre chef, de façon entièrement différente de ce que voudrait obtenir d’elle le législateur. Si ces deux plans de déplacement coïncident et agissent dans la même direction, le jeu de la société humaine se poursuivra facilement et en harmonie, et il sera probablement heureux et prospère. S’ils sont opposés ou différents, le jeu se poursuivra misérablement, et la société sera en tout temps au plus haut degré de discorde.

  1. Avec vos propres mots, expliquez comment Smith conçoit la faisabilité économique des politiques publiques.
  2. En utilisant ce que vous avez appris sur les contraintes auxquelles fait face la banque centrale en tant que régulateur, donnez un exemple qui illustre l’affirmation de Smith.

Question 22.4 Choisissez la ou les bonnes réponses

Regardez à nouveau la Figure 22.18a. Lesquelles des propositions suivantes sont correctes ?

  • Le déplacement vers le haut de la courbe des salaires aurait causé une hausse des salaires réels si les taxes sur les entreprises n’avaient pas également augmenté.
  • Les mesures qui déplacent la courbe des salaires sans toucher à celle des prix ne peuvent pas augmenter les salaires réels à l’équilibre.
  • L’impact à long terme du financement d’une hausse de l’allocation chômage par une taxe sur les profits est le contraire de l’impact à court terme.
  • Augmenter l’allocation chômage dégrade la situation de tous les travailleurs.
  • Faux. Sans la taxe sur les entreprises, le nouveau point d’équilibre serait à l’intersection entre l’ancienne courbe des prix et la nouvelle courbe des salaires. Comme vous pouvez le voir sur le graphique, les salaires réels resteraient au niveau prévalant avant l’introduction de la mesure et l’emploi diminuerait.
  • Vrai. La courbe des prix est horizontale ; aussi, à moins d’un déplacement vers le haut ou le bas de la courbe des prix, l’équilibre aura des salaires réels au même niveau.
  • Vrai. Dans le court terme, les salaires réels augmentent et l’emploi reste constant. Dans le long terme, les salaires réels et l’emploi baissent tous les deux.
  • Faux. Les allocations chômage offrent une assurance valorisée par les travailleurs qui pourraient perdre leur emploi. Bien que les travailleurs voient leur situation dégradée par la baisse des salaires et de l’emploi, dans leur ensemble ils pourraient bénéficier de la mesure.

22.13 Impossibilité administrative

Information limitée

asymétrie d’information
Information qui est pertinente pour les parties dans une interaction économique, mais qui n’est connue que par certaines et pas par d’autres. Voir également : sélection adverse, aléa moral.

Souvenez-vous que de nombreuses défaillances de marché ont lieu en raison d’asymétries d’information – le prêteur ne sait pas comment l’emprunteur utilisera les fonds prêtés, l’employeur ne sait pas à quel niveau d’effort l’employé travaillera, la compagnie d’assurance ne sait pas si la personne souscrivant à l’assurance-vie est très malade, et ainsi de suite. Dans ces trois cas, l’information limitée dont dispose le principal (le prêteur, l’employeur ou l’assureur) ne lui permet pas d’écrire un contrat complet avec l’agent (l’emprunteur, l’employé ou l’assuré). Un contrat complet aurait « internalisé » les effets externes qui causent la défaillance de marché, garantissant que l’agent supporte tous les coûts et profite de tous les bénéfices de ses actions.

La même chose est vraie des défaillances de marché de nature environnementale. Si le citoyen souffrant d’une maladie respiratoire pouvait faire un procès à l’entreprise polluante responsable de sa maladie et obtenir une compensation pour les coûts liés à sa maladie, cela pourrait « internaliser » les coûts externes des actions du pollueur et donner lieu à des efforts de réduction de la pollution plus efficaces. Cependant, dans la plupart des cas, cela n’est pas possible, parce que le citoyen ne dispose pas des informations nécessaires pour savoir qui pollue et ne serait pas en mesure de payer les frais judiciaires et les autres dépenses liées à l’action en justice.

Cependant, l’État ne dispose pas non plus de cette information, ce qui limite sa capacité à concevoir des politiques répondant aux défaillances de marché environnementales. Comme nous l’avons vu dans l’Unité 20, souvent les États ne savent pas à quel point les citoyens valorisent la qualité de l’environnement, ni ne connaissent l’efficacité des politiques environnementales afin de garantir un environnement durable. Et comme nous l’avons vu, il n’est pas facile pour les pouvoirs publics d’accéder à ces informations.

L’information limitée n’est cependant pas le seul facteur limitant la faisabilité administrative des politiques.

Capacités limitées

Les impôts, comme nous l’avons vu, peuvent modifier les comportements des agents privés. Par exemple, taxer l’essence pour augmenter son prix réduit les trajets en voiture et les dégâts environnementaux liés. Cependant, afin de lever un impôt de manière efficace et de percevoir des revenus, l’État doit disposer d’agents du Trésor public compétents, non corrompus, avec assez de ressources pour trouver et sanctionner l’évasion fiscale et avec assez de légitimité pour que la plupart des citoyens décident de payer leurs impôts. Si ce n’est pas le cas, des vendeurs continueront de vendre de l’essence à un prix inférieur et entraîneront la faillite de leurs concurrents honnêtes.

capacité à lever l’impôt
La capacité d’un État à imposer et collecter des impôts importants auprès de la population à un coût réduit (coût administratif et autres coûts). Une mesure de cette capacité correspond au montant collecté divisé par les coûts de l’administration fiscale.

La capacité administrative est requise pour un grand nombre de taxes, comme les tarifs douaniers aux frontières, l’impôt sur les salaires prélevé à la source ou encore l’impôt sur le revenu des sociétés payé par les entités économiques légalement constituées. L’utilisation des livres de comptes dans les grandes entreprises facilite leur audit et l’estimation précise de leur montant d’impôts. Mais cela dépend également de la technologie et des institutions disponibles. Les flux internationaux d’obligations financières dont il est difficile de suivre la trace rendent illégale l’évasion fiscale et font de l’optimisation fiscale légale (par exemple, en déplaçant les profits dans des paradis fiscaux à l’international) un problème pour les États qui veulent collecter des taxes. Cela réduit leur capacité à lever l’impôt.18

Le manque de capacité administrative affecte tous les aspects des pouvoirs publics, pas seulement les impôts. Par exemple, une réforme éducative consistant à exiger des enseignants qu’ils abandonnent les méthodes d’apprentissage par cœur pour des méthodes fondées sur un apprentissage plus actif et centré sur les élèves peut être impossible à mettre en place au regard des compétences du personnel éducatif actuel.

Infaisabilité administrative : un cas au Nigéria

Au Nigéria, le manque d’information sur l’avancement des projets d’infrastructure financés par l’État et une administration médiocre et minée par la corruption ont donné lieu à de faibles performances.

En 2006–2007, le secteur public reçut des fonds et la responsabilité de mettre en place 4 700 petits projets d’infrastructure comme l’installation de puits, la construction de barrages et de centres de santé. Seuls 31 % des projets furent menés à leur terme et 38 % ne furent jamais lancés. Par exemple, des fonds furent reçus pour la construction de 1 348 puits, mais 846 d’entre eux ne furent jamais terminés, ce qui priva des milliers de personnes de l’opportunité d’un meilleur accès à l’eau.

Les économistes Imran Rasul et Daniel Rogger voulaient découvrir pourquoi certaines organisations ont réussi à mener à bien leurs projets, tant s’agissant du respect des échéances que du budget imparti, et pourquoi d’autres n’y sont pas parvenues. Ils purent effectuer leur recherche parce que le gouvernement nigérian avait collecté des informations, auprès d’équipes indépendantes d’ingénieurs, sur le nombre et la qualité des projets achevés. La disponibilité d’informations précises de ce type, obtenues auprès d’observateurs indépendants, sur la quantité et la qualité des services publics est très rare pour un pays à faible revenu.19

Rasul et Rogger ont découvert que la mise en œuvre et les réalisations concrètes dans les organisations du secteur public sont affectées par la manière dont ces organisations sont gérées. Ils furent surpris de découvrir que l’utilisation d’incitations basées sur la performance, selon lesquelles les dirigeants étaient récompensés pour leur bonne performance mesurée par les organisations (et non pas par des évaluateurs externes), était corrélée à des taux de finalisation inférieurs. Dans les organisations où les fonctionnaires avaient plus d’autonomie dans la prise de décision (pas dans celle en réponse aux incitations basées sur la performance), les résultats étaient meilleurs.

Si les incitations financières peuvent jouer un rôle positif sur la motivation des fonctionnaires, le cas nigérian montre que s’il est difficile de collecter et vérifier des informations, la mise en place d’incitations simples, basées sur la performance, pour des tâches complexes peut s’avérer contre-productive. Lorsque l’information est de piètre qualité ou manquante, il peut s’avérer plus judicieux de donner plus d’autonomie aux organisations. Dans ce cas, les fonctionnaires rendus autonomes ont observé des normes sociales de responsabilité, et les taux de réalisation ont été supérieurs.

22.14 Intérêts particuliers

Dans une démocratie, on dit souvent que l’État est idéalement au service du peuple. En termes économiques, cela signifie que les représentants de l’État sont les agents et que les citoyens sont les principaux.

relation du type principal–agent
Il s’agit d’une relation asymétrique dans laquelle une partie (le principal) bénéficie d’une action ou d’un attribut d’une autre partie (l’agent) pour laquelle les informations du principal ne sont pas suffisantes pour faire appliquer un contrat complet. Voir également : contrat incomplet. Connu également sous le terme : problème du type principal-agent.

Mais cela donne lieu immédiatement à deux questions :

  • Pourquoi l’agent (le représentant élu) ferait-il ce que les principaux (les citoyens) désirent ? Comme dans toute relation du type principal–agent l’agent a ses propres objectifs, et ils diffèrent de ceux du principal. Notre modèle de l’État en tant que monopole nous a montré que l’État n’a pas besoin de servir les intérêts du peuple dans une société non démocratique. De plus, nous avons constaté que ce problème ne disparaissait pas dans une démocratie.
  • Qui est « le peuple » ? En termes économiques, qui est le principal (ou qui sont les principaux) ? Jusqu’à maintenant le principal était le prêteur ou l’employeur, que nous pouvions simplement représenter par un seul individu. En revanche, les citoyens-principaux sont nombreux et ont des attentes différentes à l’égard de l’action publique, que ce soit en termes de diminution de la pollution, d’amélioration des écoles, de politiques pour promouvoir l’innovation, de transferts vers les pauvres financés par les impôts ou d’autres politiques, etc.

Responsabilité démocratique des représentants élus

Pensez au premier problème, à savoir le problème de motiver les représentants élus à faire ce que veulent les citoyens, comme à un problème de type principal–agent, tel qu’un employeur essayant de motiver son employé à contribuer aux profits de l’entreprise. Quelles sont les solutions possibles quand le responsable essaye de motiver les travailleurs de son équipe ? Le responsable pourrait :

  • Payer une rente économique à l’agent : il aura peur de la perdre s’il ne travaille pas de manière satisfaisante.
  • Surveiller le travail de l’employé : pour détecter des signes d’un travail inadéquat.
  • Remplacer le travailleur par un autre travailleur : si l’on découvre que le travail réalisé n’est pas satisfaisant.

Dans une démocratie, les représentants élus sont tenus pour responsables envers l’électorat par un ensemble similaire de stratégies :

  • Donner au représentant un salaire suffisant, le prestige et d’autres agréments liés à sa fonction : de façon à ce qu’il veuille garder le poste.
  • Surveiller les activités du gouvernement : pour déterminer la qualité de la performance du pouvoir en place, par le biais de principes légaux tels que la transparence et le contrôle par la justice, ainsi que la presse indépendante et la liberté d’expression.
  • Tenir des élections périodiques : un gouvernement qui n’a pas donné satisfaction aux citoyens sera remplacé par un nouvel ensemble de dirigeants politiques.
court-termisme
Ce terme subjectif renvoie au cas où une personne formule un jugement en donnant trop d’importance aux coûts, bénéfices et autres éléments advenant dans un futur proche.

C’est ainsi que les démocraties résolvent le problème de type principal–agent qu’est la responsabilisation des élus à l’égard du public. Cette solution a cependant un inconvénient : le fait que les représentants, comme les employés, soient sujets à un examen périodique leur donne une incitation à entreprendre des projets dont les objectifs désirables seront visibles avant la prochaine élection. C’est ce qu’on appelle le court-termisme.

Les gouvernements, par exemple, mettent parfois en œuvre des politiques budgétaires expansionnistes (en réduisant les impôts ou en augmentant les dépenses) dans la période précédant les élections, dans le but d’augmenter les revenus disponibles et de diminuer le chômage au moment où les gens iront voter. Cette tentative de pousser le niveau d’emploi au-dessus du niveau stable de long terme (rappelez-vous le modèle du marché du travail) finit par créer des pressions inflationnistes insoutenables. Cependant, ces conséquences négatives ne deviennent visibles qu’après l’élection.

Puisque les élections futures encouragent les dirigeants politiques à ne penser qu’au court terme, une solution partielle consiste à retirer une partie de leurs prérogatives en matière de politiques. C’est l’argument mobilisé pour défendre un système judiciaire indépendant (non élu) et l’autonomie politique de la banque centrale.

Par exemple, les gouverneurs du système de la Réserve fédérale aux États-Unis sont nommés par le président pour un mandat de quatorze ans, fixé de telle sorte que cela rend peu probable la possibilité qu’un président en nomme plusieurs durant son mandat. La Figure 15.18 montre à quel moment les banques centrales de différents pays ont commencé à cibler l’inflation. Ce fut un signal d’une plus grande autonomie de la politique de la banque centrale. En outre, aux États-Unis, les nominations présidentielles à la Cour suprême sont à vie.

L’élaboration des politiques dans une démocratie est parfois également biaisée en faveur de petits groupes. Voici la raison. Imaginez une politique, par exemple une réduction des tarifs douaniers sur les importations de vêtements, qui aura pour conséquence la disponibilité de vêtements moins chers pour la population, mais réduira l’emploi et les revenus des travailleurs dans le secteur textile domestique. Supposez que cela coûte un total de 1 million d’euros aux 500 travailleurs du textile et en même temps que cela rapporte un total de 2 millions d’euros de bénéfices aux 2 millions de consommateurs de vêtements.

Considérez maintenant les difficultés auxquelles feront face ceux qui voudront organiser des campagnes pour et contre la mesure :

  • Chaque travailleur dans l’industrie domestique perdrait 2 000 euros par an si la législation était adoptée, de sorte que la plupart seraient du côté « anti-importations » et se positionneraient contre la réduction des tarifs.
  • Chaque consommateur bénéficierait à hauteur de 1 € si la législation était adoptée, de sorte que peu de gens seraient désireux d’envoyer ne serait-ce qu’un email au législateur.

« Tous les animaux sont égaux. Mais certains le sont plus que d’autres. »

Cette citation est tirée du livre de George Orwell La Ferme des animaux (1945), qui est une critique satirique de la dictature de Joseph Staline en Union soviétique. Cependant, elle s’applique aussi à la manière dont fonctionnent les démocraties. Tous les citoyens sont égaux en droits, mais certains ont beaucoup plus de pouvoir que d’autres pour influencer l’action publique.20

Cela renvoie à la deuxième question posée au début de cette section : les citoyens sont loin d’être égaux quand il s’agit d’influencer les élus à favoriser une politique plutôt qu’une autre. Les citoyens riches en particulier ont une voix d’importance disproportionnée dans une démocratie car :

  • Les citoyens riches investissent : leurs décisions d’investissement (voir le cas du Chili, par exemple) peuvent déterminer le sort d’un pouvoir en place.
  • Les citoyens riches financent les hommes politiques : leurs contributions aux campagnes électorales (dans les pays où la pratique est autorisée) ou même les versements personnels directs peuvent influencer le résultat des élections ainsi que les politiques mises en place par les élus une fois qu’ils ont pris leurs fonctions.
  • Les citoyens riches contrôlent les médias : certains sont les propriétaires et directeurs de presse écrite et de chaînes de télé.
  • Les citoyens riches emploient des lobbyistes : eux ou les entreprises qu’ils détiennent emploient des professionnels – souvent des anciens politiciens – afin d’influencer les représentants élus.

Il s’ensuit que les inégalités économiques alimentent les inégalités politiques, qui à leur tour alimentent les inégalités économiques.

Pour des éléments probants sur la manière dont les contributions politiques (ainsi que les intérêts particuliers) ont influencé les politiques liées au marché de l’immobilier aux États-Unis avant la crise, lisez : Atif Mian, Amir Sufi, and Francesco Trebbi. 2013. ‘The Political Economy of the Subprime Mortgage Credit Expansion’. Quarterly Journal of Political Science 8: pp. 373–408.

Par exemple, la relation entre les inégalités économiques et les inégalités politiques affecte les résultats relatifs à l’égalité des sexes. Dans de nombreux pays, les femmes participent beaucoup moins que les hommes à la vie politique et aux décisions publiques. En Inde, la mise en place de quotas pour réserver aux femmes des positions de chef de conseil de village a permis d’augmenter les dépenses publiques dans des domaines préférés par les femmes, comme les puits leur permettant de ne plus avoir à transporter l’eau sur de longues distances. Cela a aussi eu pour effet de réduire la corruption des personnes au pouvoir et de diminuer les stéréotypes. Les hommes des villages choisis aléatoirement pour mettre en place le quota ont adopté de manière inconsciente une perception plus positive quant à l’aptitude des femmes à diriger, par rapport à une situation où ils ne les voyaient que dans des tâches domestiques.

Comment les économistes (et les politologues) apprennent des données Est-ce que l’argent est roi ?

Les Américains disent souvent que « l’argent est roi ». Beaucoup s’inquiètent du fait que l’argent est particulièrement roi quand il s’agit de politique.

Pour certains, il est clair que quand un candidat à un mandat politique reçoit une contribution importante pour sa campagne électorale de la part d’une entreprise ou d’un syndicat avec des intérêts économiques en jeu, le candidat sera plus susceptible de prendre en compte les intérêts de son contributeur quand il s’agira d’utiliser son pouvoir politique pour influencer les politiques publiques.

Nous savons, d’après un article académique sur l’accès aux représentants du Congrès, que les campagnes électorales pour le Congrès américain en 2012 ont dépensé en moyenne 8,5 millions de dollars par siège du Congrès. Cependant, est-ce que les vainqueurs ont offert des faveurs à leurs donateurs, qui n’auraient pas eu lieu en l’absence de ces contributions ?

Nous pourrions nous demander si les membres du Congrès qui ont reçu des contributions d’individus ayant investi dans l’industrie pétrolière ont eu tendance, par la suite, à favoriser les intérêts des entreprises du secteur. Ou encore, est-ce que ceux qui ont reçu des fonds de la part de membres de syndicats ont poussé en faveur de politiques favorisant les intérêts des syndicats ? Dans les deux cas, la réponse serait oui.

Cependant, cela ne démontre pas que les contributions des donateurs ont effectivement acheté une influence sur le législateur. Rappelez-vous que la causalité peut aller dans les deux sens : ceux dont la richesse est tirée du pétrole sont susceptibles de faire des dons à des candidats qui favorisent déjà les intérêts de cette industrie. Les membres d’un syndicat vont donner de l’argent à ceux qui soutiennent déjà les intérêts du syndicat. Montrer simplement une corrélation entre la source de financement et les politiques soutenues par le législateur ne prouve pas que les contributions causent le comportement différent du législateur.

Les politologues Joshua Kalla et David Brockman ont conçu une expérience astucieuse visant à déterminer si le don conduisait le membre du Congrès à se comporter dans l’intérêt du donateur. Ils ont pensé que les citoyens pouvaient influencer les législateurs en les rencontrant et en exprimant leurs opinions. Les membres du Congrès sont des personnes très occupées. Les groupes se font donc concurrence pour pouvoir les rencontrer.21

Ils voulaient déterminer si ceux qui avaient donné de l’argent à un membre du Congrès étaient plus susceptibles d’obtenir un rendez-vous avec lui. Avec la coopération d’un (vrai) groupe d’intérêt Credo Action, ils ont contacté 191 membres du Congrès pour demander un rendez-vous. Tous les électeurs faisant cette requête avaient effectivement fait un don à la campagne électorale du député. Le groupe de contrôle, choisi aléatoirement, et la moitié de l’échantillon total mentionnaient uniquement lors de l’appel qu’ils résidaient dans le district du membre du Congrès. Les électeurs du groupe de traitement s’identifiaient par ailleurs comme étant donateurs eux-mêmes. Toutes les personnes des deux groupes lisaient un script identique, de telle sorte que les requêtes pour le rendez-vous étaient similaires.

Parmi ceux non identifiés comme donateurs, 2,4 % obtinrent un rendez-vous avec soit le membre du Congrès, soit son chef de cabinet. Parmi ceux identifiés comme donateurs, 12,5 % obtinrent un rendez-vous.

Les auteurs en conclurent que :

La grande majorité des Américains qui ne peuvent pas se permettre de contribuer aux campagnes avec des montants importants sont désavantagés quand ils essayent d’exprimer leurs préoccupations aux décideurs publics.

Intérêts particuliers : la suite de l’histoire du Chili

Ce qui s’est passé au Chili en 1970 après l’élection d’Allende ne nous montre pas uniquement les limites économiques à l’ensemble des politiques possibles, mais aussi les limites politiques.

Dans un contexte marqué par des performances économiques faiblissantes, en raison en partie d’investisseurs potentiels freinant l’investissement au Chili, l’opposition à Allende s’organisa, financée notamment de manière secrète par le gouvernement américain. En 1973, les forces armées chiliennes attaquèrent le palais présidentiel et mirent en déroute les troupes loyales à Allende. L’armée prit le contrôle du gouvernement, mit fin à la démocratie et remplaça Allende par le Général Augusto Pinochet non élu.

Cours de la Bourse au Chili : le renversement militaire du gouvernement socialiste, 1973
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Figure 22.20a Cours de la Bourse au Chili : le renversement militaire du gouvernement socialiste, 1973.

L’instant zéro correspond au premier jour de cotation à la Bourse de Santiago suite au coup d’État des militaires.

La population riche anticipa le fait que Pinochet allait instaurer des politiques favorables aux entreprises, donc les cours de la Bourse se sont mis à augmenter à nouveau (Figure 22.20a). La dictature de Pinochet fut maintenue jusqu’à ce qu’un référendum constitutionnel en 1988 demande le retour de la démocratie, ce que les forces armées respectèrent.

Une fois de plus, un changement radical dans le comportement des personnes aisées est enregistré dans les cours de la Bourse au lendemain du référendum (Figure 22.20b).

Cours de la Bourse au Chili : le référendum de 1988, fin du régime militaire
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Figure 22.20b Cours de la Bourse au Chili : le référendum de 1988, fin du régime militaire.

L’instant zéro correspond au premier jour de cotation à la Bourse de Santiago suite au référendum.

Le programme économique d’Allende n’était pas réalisable pour deux raisons :

  • Il n’était pas possible sur le plan économique : il ne pouvait pas obliger les entreprises privées à investir au Chili, et sans leur investissement, l’économie stagnait ou même se contractait.
  • Il n’était pas possible sur le plan politique : bien qu’élu démocratiquement, Allende ne contrôlait pas les forces armées chiliennes, qui, avec le soutien des entreprises et de la CIA, se retournèrent contre lui.

22.15 Les politiques comptent et l’économie fonctionne

Dans cette unité, vous avez appris que le raisonnement d’Adam Smith à propos des hommes sur l’échiquier peut désormais être exprimé en termes économiques, en affirmant que pour qu’une politique soit efficace, elle doit changer l’équilibre de Nash actuel pour un équilibre de Nash différent et préféré (faisabilité économique). De plus, elle doit être également favorisée par une élite gouvernante qui a l’autorité et la capacité de la mettre en œuvre (faisabilité politique et administrative).

Les limites que posent les intérêts particuliers, ainsi que la faisabilité économique et administrative, expliquent pourquoi souvent les États ne parviennent pas à répondre aux problèmes liés aux défaillances de marché et aux injustices que nous avons rencontrés dans ce cours. Cependant, en observant les différentes économies dans le monde, nous constatons des différences considérables dans l’efficacité avec laquelle ces problèmes sont traités. En conséquence, les limites posées par la faisabilité économique, politique et administrative diffèrent fortement entre les pays.

Pour comprendre cela, revenez au problème du changement climatique et à la Figure 20.25a. La Suède, l’Australie et les États-Unis ont, à peu de choses près, le même revenu par personne. Si ces pays faisaient tous face à des contraintes comparables en termes de faisabilité économique, administrative et politique dans l’adoption de politiques visant à limiter les dommages des gaz à effet de serre sur le climat, nous devrions nous attendre à ce que la similarité de leurs revenus aille de pair avec une similarité dans les émissions de CO2 par personne.

Mais ce n’est pas du tout ce que nous constatons avec la figure. Les États-Unis et l’Australie émettent environ trois fois plus de gaz à effet de serre par personne que la Suède. Il paraît probable que ce qui est économiquement réalisable ne diffère pas tellement entre ces trois pays, étant donné qu’ils partagent les mêmes connaissances technologiques et que leurs citoyens réagissent probablement de la même manière aux incitations visant à adopter des sources d’énergie plus propres. Les informations dont l’État dispose et ses capacités dans les trois pays sont également similaires : tous ont des gouvernements bien informés et compétents.

Comme nous l’avons vu avec la Figure 20.25a, les pays avec des revenus par habitant similaires n’ont pas nécessairement des niveaux d’émissions de CO2 par habitant similaires.
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Comme nous l’avons vu avec la Figure 20.25a, les pays avec des revenus par habitant similaires n’ont pas nécessairement des niveaux d’émissions de CO2 par habitant similaires.

Bien que les émissions de dioxyde de carbone soient affectées par la structure industrielle et la spécialisation dans les échanges, elles sont également affectées par ce que désirent les élites, qui ont une influence politique. Les politiques portant sur le changement climatique sont plus susceptibles de trouver des partisans en Suède qu’en Australie et aux États-Unis. Une raison de cette différence tient à l’importance dans la vie politique américaine et australienne de groupes de pression (lobbying) représentant les industries des ressources naturelles, notamment les producteurs de gaz, pétrole et charbon.

Un contraste semblable apparaît lorsque l’on observe les inégalités dans la Figure 19.30. L’Allemagne et les États-Unis ont connu environ le même taux de croissance du PIB lors des quatre dernières décennies, mais ils diffèrent nettement en ce qui concerne les inégalités de niveaux de vie, comme en atteste le coefficient de Gini pour le revenu disponible beaucoup plus élevé aux États-Unis. On peut en dire autant pour la mesure des inégalités intergénérationnelles. Selon cet indicateur, le Danemark, la Suède et la Finlande sont encore plus égaux que l’Allemagne.

Ces différences peuvent s’expliquer par de nombreux facteurs. Cependant, elles sont, au moins partiellement, dues à l’influence politique plus grande en Allemagne qu’aux États-Unis des personnes qui valorisent le maintien d’un niveau de vie plus élevé pour les plus pauvres.

Comme nous l’avons vu dans la Figure 19.30a, les pays à haut revenu similaires en termes de croissance du PIB par tête n’ont pas nécessairement des niveaux similaires d’inégalités.
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Comme nous l’avons vu dans la Figure 19.30a, les pays à haut revenu similaires en termes de croissance du PIB par tête n’ont pas nécessairement des niveaux similaires d’inégalités.

Quelles leçons pouvons-nous tirer de ces comparaisons ?

Une leçon est que, si nous voulons résoudre des problèmes tels que le changement climatique ou les inégalités injustes des niveaux de vie, il est possible dans la plupart des pays de faire beaucoup plus que ce qui est fait pour l’instant. Les forces essentielles contribuant aux inégalités dans les pays à revenus élevés, comme l’introduction de nouvelles technologies et la hausse des importations (venant de Chine, par exemple) qui rendent inutiles les compétences des travailleurs faiblement rémunérés, ne diffèrent pas beaucoup entre les pays à haut revenu dans la Figure 19.30a. Il semblerait que les différences soient plutôt une question de choix parmi un ensemble similaire de politiques réalisables économiquement et administrativement. Certains pays choisissent des politiques qui maintiennent des niveaux élevés d’inégalités, tandis que d’autres cherchent à atteindre une plus grande égalité.

Par ailleurs, nous avons beaucoup à apprendre des pays les plus performants, en étudiant les politiques et les institutions qui semblent expliquer leur réussite dans le traitement des défaillances de marché et des injustices.

Toutes les politiques et institutions efficaces dans un pays ne sont pas nécessairement transférables à d’autres pays. La comparaison entre les systèmes d’innovation de la Silicon Valley et de l’Allemagne dans la Section 21.2 montre comment différentes combinaisons d’entreprises innovantes, de politiques publiques, d’institutions financières et de normes sociales dans ces deux régions produisent des solutions efficaces aux défaillances de marché liées à la production de connaissances. Aucune de ces combinaisons ne pourrait être facilement adoptée dans l’autre pays ou un pays comme le Brésil ou le Portugal.

Certains pays ont des systèmes éducatifs qui enseignent plus efficacement que d’autres. Comme les politiques éducatives diffèrent grandement selon les pays, nous pouvons nous faire une idée de l’importance d’une bonne politique en regardant les différences entre les pays en termes de performance à un test de mathématiques administré à des élèves de 15 ans dans le monde entier.

Vous pouvez accéder aux données du test PISA (Programme for International Student Assessment) de l’OCDE.

Comparons deux pays qui sont ethniquement diversifiés et ont environ le même revenu par personne : les États-Unis et Singapour. La note moyenne en mathématiques à Singapour est 20 % plus élevée qu’aux États-Unis. Plus surprenant encore, l’élève dont la note l’a placé au milieu des élèves américains (l’élève avec la note médiane) se serait trouvé dans le dernier quart des élèves de Singapour. Une comparaison similaire placerait l’élève médian américain dans le dernier quart des étudiants japonais, et à peine au-dessus du dernier quart des élèves finlandais.

La recherche économique s’est intéressée aux effets de la scolarité et de la pré-scolarité sur les inégalités. James Heckman, le sujet de l’une de nos vidéos « Économiste en action », est un éminent chercheur dans ce champ. Pour en savoir plus, vous pourriez lire son livre Giving kids a fair chance.22

Son livre commence par remarquer ce qui suit :

Le hasard de la naissance est l’une des principales sources d’inégalités aux États-Unis de nos jours. La société américaine est divisée entre qualifiés et non qualifiés (…) ; la naissance est en train de devenir le destin.

La stratégie efficace selon Heckman est fondée sur la logique suivante : « Les compétences cognitives et socio-émotionnelles sont développées lors de la petite enfance et leur développement dépend de l’environnement familial. » Grandir dans la pauvreté prive les enfants de l’opportunité de développer ces compétences, et « les environnements familiaux aux États-Unis se sont détériorés ».

Pour y remédier, Heckman prône des « interventions précoces » telles qu’un enrichissement des environnements pré-scolaires et des visites à domicile par des professionnels afin d’aider les parents, qui selon sa recherche, peuvent « produire des effets positifs et durables sur les enfants de familles défavorisées ».

Des politiques proches de celle prônée par Heckman sont mises en place dans des pays comme la Colombie, la Jamaïque, le Chili et l’État d’Orissa en Inde. Des équipes d’économistes et d’experts en développement de l’enfant évaluent rigoureusement ces politiques afin d’identifier leurs effets à long terme et de déterminer la faisabilité d’un déploiement à grande échelle de ces petites interventions pilotes.

Ainsi nous savons que les enfants de parents pauvres deviennent souvent pauvres eux-mêmes. Nous savons également que cela a peu à voir avec la génétique, et est davantage lié au comportement socio-émotionnel associé au fait de grandir dans la pauvreté. Nous connaissons maintenant des interventions efficaces pour briser ce cycle de pauvreté, et les gouvernements peuvent les mettre en place.

22.16 Conclusion

Harold Lasswell, un éminent politologue américain du milieu du 20e siècle, est surtout connu pour son livre Politics: Who gets what, when and how. Le titre reflète une idée fondamentale de cette unité, bien que nous allions au-delà du titre. La politique n’est question que de :

  • qui obtient quoi,
  • qui obtient pour être quoi,
  • qui obtient pour faire quoi.

Cela s’explique par le fait que les processus politiques déterminent les règles du jeu, à savoir les institutions fondamentales qui régissent nos interactions dans l’économie et dans d’autres domaines de la société.23

Cependant, la politique n’est pas simplement le partage d’un gâteau, avec les plus puissants qui obtiennent la plus grande part, et la lutte pour le pouvoir qui diminue parfois la taille du gâteau. Des politiques publiques bien conçues sont également capables d’augmenter la taille du gâteau, en améliorant le niveau de vie d’une grande majorité de la population. Vous avez déjà étudié des exemples, comme les politiques économiques chinoises, qui depuis les années 1980 ont permis l’éradication d’une pauvreté à grande échelle à une rapidité jamais observée dans l’Histoire. Un autre exemple serait les politiques d’assainissement de l’eau et d’éducation en matière d’hygiène qui causèrent la réduction de la mortalité infantile à l’échelle mondiale.

L’économie est un outil important pour comprendre comment les politiques publiques peuvent à la fois augmenter la taille du gâteau et garantir qu’il soit partagé équitablement. L’Économie vous a donné des outils pour comprendre la manière dont nous interagissons entre nous et avec nos environnements naturels en produisant notre subsistance. Notre économie est centrée sur les gens et sur ce que nous faisons en tant qu’acheteurs et vendeurs, emprunteurs et prêteurs, employés et employeurs, électeurs et représentants élus. Nous apprenons beaucoup sur cette économie en voyant les acteurs faire du mieux possible étant donné un ensemble de conditions, et tentant en même temps de changer leurs conditions, souvent à travers des mouvements politiques et les gouvernements.

L’économie peut nous aider à répondre de manière adaptée aux problèmes d’inefficacité et d’injustice dans nos économies, en concevant des politiques qui sont réalisables à la fois économiquement et administrativement. L’économie peut également jouer un rôle en rendant des bonnes politiques politiquement possibles : le raisonnement économique peut avoir un effet puissant sur la compréhension de ce qui peut être fait dans une économie, voire ce qui devrait être fait.

La révolution capitaliste par laquelle nous avons débuté dans l’Unité 1 et les révolutions démocratiques (l’extension du vote à tous les adultes) par lesquelles nous avons terminé ici ont ensemble produit le système économique et politique particulier dans lequel la plupart des lecteurs de L’Économie vivent aujourd’hui. Le capitalisme et la démocratie continuent d’évoluer et de faire évoluer le monde.

L’économie va vous permettre de comprendre comment le capitalisme et la démocratie ensemble sont en train de changer les conditions dans lesquelles vous évoluez et comment vous, avec d’autres, pouvez à votre tour participer à ce processus de changement.

Concepts introduits dans l’Unité 22

22.17 Références bibliographiques

  1. Murray Leibbrandt, Ingrid Woolard, Arden Finn, and Jonathan Argent. 2010. ‘Trends in South African Income Distribution and Poverty since the Fall of Apartheid’. OECD Social, Employment and Migration Working Papers, No. 101. Paris: OECD Publishing. 

  2. Angus Deaton. 2013. The Great Escape: health, wealth, and the origins of inequality. Princeton: Princeton University Press. 

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  10. Harold Hotelling. 1929. ‘Stability in Competition’. Economic Journal 39, pp. 41–57. 

  11. Albert O. Hirschman. 1970. Exit, voice, and loyalty: Responses to decline in firms, organizations, and states. Cambridge, MA: Harvard University Press. 

  12. Alfred Plummer. 1971. Bronterre: A Political Biography of Bronterre O’Brien, 1804–1864. Toronto: University of Toronto Press. 

  13. Friedrich A. Hayek. 1994. The Road to Serfdom. Chicago: University of Chicago Press. Une version condensée est également disponible

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  19. Imran Rasul and Daniel Rogger. 2016. ‘Management of bureaucrats and public service delivery: Evidence from the Nigerian civil service.’ The Economic Journal

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    Kenneth Scheve and Daniel Stasavage. 2012. ‘Democracy, war, and wealth: lessons from two centuries of inheritance taxation’. American Political Science Review 106 (01): pp. 81–102.

    Kenneth Scheve and Daniel Stasavage. 2016. Taxing the rich: A history of fiscal fairness in the United States and Europe. Princeton University Press.

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