Brazilian favela: © Tuca Vieira

Unité 19 Les inégalités économiques

Les disparités économiques sont principalement déterminées par le lieu de naissance, les parents et (dans certains pays) le genre. Des politiques publiques et des institutions adaptées peuvent réduire les inégalités sans diminuer le niveau de vie moyen.

  • Après avoir diminué pendant la majeure partie du 20e siècle, les inégalités de revenu ont augmenté aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Inde et dans de nombreux autres pays.
  • Cependant, en raison de la croissance économique rapide de la Chine et de l’Inde, qui sont des pays très peuplés, les inégalités de revenu entre les individus dans le monde ont diminué depuis la fin du 20e siècle.
  • Les discriminations fondées sur l’origine ethnique, le genre ou la religion et d’autres formes d’opportunités inégales impliquent que des gens autrement identiques auront des revenus et des opportunités économiques différents, ce qui contribue aux inégalités.
  • Les disparités de revenu entre individus sont dues à ce qu’ils possèdent (des terres, par exemple), sont (homme ou femme) ou ont (des compétences particulières), qui leur permettent de recevoir des revenus.
  • Ces déterminants du revenu sont influencés par les institutions et politiques publiques en place dans une société, ainsi que par les technologies de production.
  • Un certain niveau d’inégalités fournit les incitations pour étudier et travailler dur, et pour prendre les risques qui vont de pair avec l’innovation et l’investissement.
  • Cependant, les inégalités réduisent également les opportunités économiques des plus pauvres et peuvent conduire à des conflits sociétaux et imposer des coûts, nuisant aux performances économiques.
  • La mise en œuvre de politiques publiques adéquates peut à la fois limiter les inégalités économiques injustes et augmenter le niveau de vie moyen, comme cela a été fait dans de nombreux pays.

Nous sommes en 1975. Renfu est le fils d’un dirigeant local du Parti Communiste. Dans 10 ans, il ira à l’université Tsinghua, une prestigieuse école d’ingénieurs à Pékin et rejoindra lui aussi le Parti Communiste. Dans 20 ans, il dirigera une entreprise publique. Dans 30 ans, il sera PDG de cette entreprise qui aura été privatisée entre-temps, et sera haut placé dans la hiérarchie du Parti.

En revanche, Yichen, dont les parents n’ont pas de relations avec le Parti, n’ira pas à l’université, mais travaillera à la place dans les champs avec ses parents jusqu’à l’âge de 16 ans, avant de travailler dans une entreprise publique fabriquant des pièces détachées de voitures destinées à l’exportation aux États-Unis et en Europe. Quand elle aura 30 ans, elle ira travailler dans la nouvelle usine Motorola construite près de Tianjin, pour un salaire deux fois supérieur au précédent. Elle ne pourra pas migrer légalement à Tianjin et devra laisser sa fille avec ses parents.

Yichen et Renfu sont des personnages fictifs. Nous aurions pu insérer un avertissement : « Tous les personnages apparaissant dans cet ouvrage sont fictifs… ». Mais cela ne serait pas entièrement vrai – ils illustrent les histoires différentes de vraies personnes vivant aujourd’hui.

Considérons maintenant deux autres personnages fictifs vivant aux États-Unis, également en 1975. Mark et Stefanie, âgés de 17 ans, habitent à Gary, dans l’Indiana. Mark a bientôt terminé le lycée et va commencer à travailler avec son père dans l’aciérie locale où le travail est syndiqué et où il sera bien payé et n’aura pas besoin de faire quatre ans d’études supérieures avant de pouvoir gagner sa vie.

Pendant la récession de 1981, Mark va perdre son emploi. Il tentera alors de mettre à profit ses connaissances en mécanique pour ouvrir une entreprise de pièces détachées pour voitures. Cependant, avec de faibles garanties, il ne sera pas en mesure d’obtenir un prêt bancaire, il ira donc travailler dans une nouvelle usine dans le sud. Dans cette usine, il n’y a pas de syndicats et il sera moins bien payé que dans l’usine de Gary. En 2008, pendant la récession, son usine le remplacera par un robot industriel de la société KUKA Robotics.

Stefanie, dont les deux parents sont médecins, décide d’aller étudier la psychologie à l’université de l’Indiana à Bloomington. Elle travaillera ensuite dans une grande entreprise financière à Chicago et, après une série de promotions, elle deviendra vice-présidente en charge des ressources humaines. Elle investira son épargne en bourse, avec une rentabilité moyenne supérieure à 10 % pendant plusieurs années, et profitera des baisses d’impôts favorisant les plus hauts revenus.

Ces quatre personnes ont eu des trajectoires de vie très différentes. Y a-t-il quelque chose de mal à cela ? Chacune a pris de bonnes décisions, en fonction des informations dont elle disposait au moment de faire ses choix, chacune travaillant dur, et pourtant ces personnes ont eu des vies très différentes. Nous pourrions dire qu’au jeu de la vie, elles ont simplement tiré des cartes différentes.

Dans les cartes qu’elles ont tirées, leurs parents constituent une différence majeure. Tout commence par le fait que Yichen et Renfu étaient nés en Chine, et Mark et Stefanie, aux États-Unis. Les parents des deux Chinois étaient probablement tout aussi pauvres, même si les membres du Parti Communiste bénéficiaient d’un plus haut niveau de prestige social et d’éducation. La différence de patrimoine entre les parents des deux Américains était probablement plus importante. Si Mark avait été noir américain, cette différence aurait été encore plus grande, mais sa famille aurait bénéficié d’un confort matériel supérieur à celui des deux familles chinoises.

En 2017, les enfants de Stefanie et Renfu, qui ont connu un certain succès dans leurs pays respectifs, auront accès à une palette d’opportunités non accessibles aux enfants de Yichen et Mark. En Chine, les enfants de Renfu vont aller dans de meilleures écoles et avoir de meilleures perspectives d’emploi grâce aux contacts de leur père. Avec un peu de chance, ils iront peut-être dans une université américaine, acquerront une expérience professionnelle précieuse sur le marché du travail mondialisé et anglophone de travailleurs formés à l’université, et retourneront en Chine avec des salaires plusieurs fois supérieurs à ceux des citoyens chinois ordinaires.

La fille de Yichen ne bénéficiera pas d’une éducation primaire ou secondaire de bonne qualité. En effet, les restrictions de l’hukou (le système d’enregistrement des ménages) font qu’elle devra aller à l’école dans la région rurale de Yichen et non à Tianjin, où sa mère travaille. Cependant, son train de vie sera probablement meilleur que celui de ses parents, et très certainement meilleur que celui de ses grands-parents.

Aux États-Unis, les enfants de Stefanie iront soit à l’école publique de son quartier aisé, généreusement financée par les impôts fonciers locaux, soit dans une école privée très coûteuse. Ils auront précocement accès à un vocabulaire très étendu, se lieront d’amitié avec d’autres enfants venant du même milieu privilégié et participeront à une multitude d’activités extra-scolaires intéressantes, qui amélioreront leurs performances scolaires et leurs chances d’intégrer une université prestigieuse. Cela se traduira par une rémunération moyenne, tout au long de leur vie, supérieure de près de 800 000 $ aux revenus de ceux ayant quitté l’école après le lycée.1

Les enfants de Mark devront faire face à des écoles publiques très peu financées, à l’absence d’emplois couverts par des conventions collectives, à un salaire minimum qui aura moins de valeur en termes réels qu’il n’en avait du temps de leurs parents, et à des changements commerciaux et technologiques qui exacerberont les effets de ces problèmes. Les trajectoires de vie de ces quatre personnes illustrent seulement quelques-uns des changements mondiaux survenus au cours des 40 dernières années dans la répartition des revenus.

Les inégalités peuvent prendre de nombreuses formes, incluant le revenu, le patrimoine, l’éducation et d’autres opportunités. Dans cette unité, nous allons nous concentrer principalement sur les inégalités de patrimoine et de revenu, parce qu’elles ont toutes deux été étudiées en profondeur par les économistes et qu’elles sont fortement liées aux autres formes d’inégalités. Nous allons commencer par trois ensembles de données :2 3

  • Inégalités de revenu : dans la prochaine section, nous allons passer en revue les faits sur les inégalités de revenu dans le monde et comment elles ont évolué au cours du siècle dernier.
  • Hasard de la naissance : nous allons ensuite considérer les inégalités à travers un autre prisme. Le hasard de la naissance influence le revenu, que ce soit via le pays de naissance, l’origine ethnique, le genre, le patrimoine ou même la qualité et la durée de la scolarité.
  • Le futur des inégalités : le dernier ensemble de données sur les inégalités offre un aperçu de l’avenir des économies riches, en examinant les types d’emplois qui seront disponibles alors que l’automatisation et la relocalisation mondiale de la production industrielle vont accélérer la transition d’une économie manufacturière vers une économie de services.

Nous nous interrogerons ensuite sur la raison pour laquelle les inégalités sont considérées par beaucoup comme un problème et nous développerons une manière d’appréhender la question de savoir s’il y a trop (ou pas assez) d’inégalités. Nous présenterons un modèle sur les causes des inégalités économiques afin de comprendre comment les politiques publiques et d’autres évolutions peuvent altérer le niveau des inégalités économiques. Ensuite, nous utiliserons ce modèle pour expliquer à la fois les évolutions récentes du niveau des inégalités économiques dans certains pays et les effets des politiques publiques sur le degré des inégalités.

Exercice 19.1 Écarts de revenus d’un pays à l’autre et au sein des pays

Dans l’Unité 1, la Figure 1.2 montrait la répartition des revenus d’un pays à l’autre et au sein des pays. La hauteur de chaque barre du graphique varie selon deux axes. Le premier axe de variation, de gauche à droite du graphique, est un classement des pays en matière de revenu intérieur brut par habitant, du plus pauvre à gauche (Liberia) au plus riche à droite (Singapour). Le second axe, du premier au second plan du graphique, montre la répartition des revenus des pauvres au plus riches, au sein de chaque pays.

Vous pouvez trouver une version interactive de cette figure à l’adresse https://tinyco.re/7434364.

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Retournez aux histoires de Mark, Renfu, Stefanie et Yichen et essayez de deviner dans quel décile se trouve chacun de ces personnages fictifs. Justifiez votre choix en quelques mots.

19.1 Inégalités dans le monde et dans le temps

Comme vous le savez de l’Unité 5, vous pouvez utiliser les courbes de Lorenz pour estimer des coefficients de Gini, qui mesurent le degré des inégalités de patrimoine, de revenu, de salaire (revenus du travail), d’années d’éducation, ainsi que d’autres indicateurs de réussite économique et sociale.

Patrimoine, revenu du travail, revenu marchand et revenu disponible

La Figure 19.1 présente des données relatives à trois dimensions des inégalités (patrimoine, salaire et revenu disponible) dans trois économies. Souvenez-vous que le patrimoine correspond à la valeur des actifs détenus par un ménage (nette de ses dettes). Les revenus du travail sont les revenus que l’on reçoit lorsque l’on travaille, que l’on soit salarié ou à son compte. Le revenu marchand correspond à la somme de :

  • tous les revenus du travail et
  • tous les revenus tirés d’entreprises appartenant au ménage ou d’investissements

Enfin, le revenu disponible est le revenu qu’une famille peut dépenser après :

  • avoir payé les impôts
  • avoir reçu les transferts monétaires de l’État tels que les allocations chômage et les retraites
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Deux éléments ressortent de la Figure 19.1 :

  • Le patrimoine est réparti de manière bien plus inégalitaire que les revenus, eux-mêmes répartis de manière bien plus inégalitaire que le revenu disponible : la différence entre les trois mesures des inégalités est toutefois bien moins importante au Japon qu’en Suède et aux États-Unis.
  • La Suède présente une inégalité du revenu disponible beaucoup moins importante que les deux autres pays : cela s’explique par une moindre inégalité du revenu du travail et surtout un système d’imposition et de transferts qui bénéficie aux plus pauvres. Cela n’est pas dû à une plus grande égalité dans la répartition du patrimoine au Suède. Comme vous pouvez le voir d’après le graphique, le patrimoine est réparti presque aussi inégalement en Suède qu’aux États-Unis.
Inégalités de patrimoine, de revenu du travail et de revenu disponible : États-Unis, Suède et Japon (années 2000)
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Figure 19.1 Inégalités de patrimoine, de revenu du travail et de revenu disponible : États-Unis, Suède et Japon (années 2000).

Mattia Fochesato and Samuel Bowles. 2013. ‘Wealth Inequality from Prehistory to the Present: Data, Sources and Methods.’ Dynamics of Wealth Inequality Project, Behavioral Sciences Program, Santa Fe Institute ; Mattia Fochesato and Samuel Bowles. 2017. ‘Technology, Institutions and Wealth Inequality in the Very Long Run’. Santa Fe Institute; Chen Wang and Koen Caminada. 2011. ‘Leiden Budget Incidence Fiscal Redistribution Dataset’. Version 1. Leiden Department of Economics Research.

Inégalités de revenus dans le temps et entre les pays

Une autre manière de mesurer les inégalités est de se concentrer sur les très riches, en répondant à la question suivante : quelle part du revenu ou du patrimoine revient aux 1 % ou 10 % les plus riches de la population ? Cet indicateur a l’avantage de pouvoir être mesuré sur des centaines d’années, car les très riches sont contraints de payer des impôts depuis longtemps, ce qui nous permet d’avoir des informations plutôt correctes sur leurs revenus et leur patrimoine. La Figure 19.2 montre la part du patrimoine total possédée par le centile le plus riche, pour tous les pays dont des données sur longue période sont disponibles.4

Part du patrimoine total possédée par le centile le plus riche (1740–2011)
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Figure 19.2 Part du patrimoine total possédée par le centile le plus riche (1740–2011).

Adapté de la Figure 19 de Daniel Waldenström and Jesper Roine. 2014. ‘Long Run Trends in the Distribution of Income and Wealth’. In Handbook of Income Distribution : Volume 2a, edited by Anthony Atkinson and Francois Bourguignon. Amsterdam : North-Holland. Data.

Trois périodes distinctes se détachent : les 18e et 19e siècles jusqu’à environ 1910 connaissent une augmentation des inégalités de patrimoine (à l’exception de la Norvège et du Danemark), le 20e siècle jusqu’en 1980 montre une baisse des inégalités de patrimoine, et depuis, nous connaissons une augmentation modeste des inégalités de patrimoine.

La Figure 19.3 présente des données similaires pour la part du revenu avant impôts et transferts (plutôt que le patrimoine) reçue par les 1 % les mieux payés. Comme dans la Figure 19.2, il y a des différences entre pays. Par exemple, ces dernières années, les États-Unis sont bien plus inégalitaires que la Chine, l’Inde ou le Royaume-Uni. Mais il y a aussi des tendances communes, similaires à la deuxième et troisième périodes de la répartition du patrimoine : une tendance à la baisse des inégalités pendant plus des trois quarts du 20e siècle, suivie par une augmentation des inégalités depuis 1980.

Part du revenu total reçue par le centile le mieux payé (1913–2015)
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Figure 19.3 Part du revenu total reçue par le centile le mieux payé (1913–2015).

Facundo Alvaredo, Anthony B. Atkinson, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, and Gabriel Zucman. 2016. ‘The World Wealth and Income Database (WID)’.

Explorez les revenus les plus élevés dans les pays qui vous intéressent dans la base de données mondiale sur les revenus et les patrimoines.

Mais cette courbe en forme de U vers de plus grandes inégalités n’est pas apparue dans tous les pays, y compris dans la plupart des grandes économies européennes, comme indiqué dans la Figure 19.4.

Part déclinante pour le centile le mieux payé dans certaines économies européennes et au Japon (1900–2013)
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Figure 19.4 Part déclinante pour le centile le mieux payé dans certaines économies européennes et au Japon (1900–2013).

Facundo Alvaredo, Anthony B. Atkinson, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, and Gabriel Zucman. 2016. ‘The World Wealth and Income Database (WID)’.

Les Figures 19.2–19.4 nous montrent que :

  • Il y a des tendances communes dans la plupart des pays pour lesquels nous avons des données : par exemple, le déclin des inégalités entre 1920 et 1980.
  • Les pays ont connu des évolutions très différentes depuis 1980 : dans certaines des économies les plus importantes du monde – Chine, Inde et États-Unis – les inégalités ont fortement augmenté, tandis que dans d’autres – Danemark, France et Pays-Bas – les inégalités se sont maintenues à des niveaux historiquement modérés.

Nous avons utilisé les données crées par Thomas Piketty et ses collaborateurs afin de réaliser les Figures 19.3 et 19.14. Thomas Piketty est un économiste, auteur du livre d’économie bestseller Le Capital au XXIe siècle.5 Dans notre vidéo « Économiste en action », il analyse les inégalités économiques de la Révolution française à nos jours, et explique pourquoi un examen approfondi des données est essentiel.

Inégalités entre pays et au sein des pays

Au début de l’Unité 1, nous écrivions qu’avant l’émergence du capitalisme, le revenu d’un enfant dépendait de la position économique de ses parents. La partie du monde dans laquelle était né l’enfant importait beaucoup moins.

L’essor économique des premières économies capitalistes changea la donne.

La « grande divergence » de l’Unité 1 a eu lieu parce que le coude de la crosse de hockey du revenu par tête fut atteint plus tôt par certains pays (Grande-Bretagne, Italie et Japon dans la Figure 1.1a) que par d’autres (Chine et Inde). Dans certains pays, il n’est pas encore atteint (Nigeria et Argentine) (voir également la Figure 1.11). La conséquence de cette chronologie différente de la révolution capitaliste dans le monde fut un creusement des inégalités entre les peuples du monde, durant les 19e et 20e siècles jusqu’à très récemment. Même les plus pauvres en Amérique du Nord et en Europe devinrent plus riches que les plus riches d’autres régions du monde.

Comment mesurer les inégalités mondiales ? Pensez à la courbe de Lorenz, construite en alignant tous les individus du monde du revenu le plus faible au revenu le plus élevé, indépendamment de leur pays de résidence. Vous savez, d’après la Figure 1.2, que la section de la courbe de Lorenz qui s’étend de 0 à 0,20 le long de l’axe des abscisses (les 20 % les plus pauvres) est très plate : on y retrouverait la majorité de la population du Liberia et du Nigeria, ainsi que les individus à revenu intermédiaire et bas revenu d’Indonésie et d’Inde, par exemple. Si vous construisez toute la courbe de Lorenz, vous pouvez calculer le coefficient de Gini pour le monde entier. C’est ce que l’on peut voir pour le revenu marchand sur la Figure 19.5. En 2013, par exemple, le coefficient de Gini mondial était de 0,69. Nous pouvons observer que les inégalités mondiales entre les individus sont élevées mais qu’elles ont diminué très récemment.

L’autre série de données de la Figure 19.5 (la courbe rouge) représente les inégalités mondiales d’une autre manière. Elle se concentre sur les inégalités entre pays. Imaginez que chaque individu au sein d’un pays gagne le revenu moyen de ce pays. Dans cette expérience imaginaire, chacun au Royaume-Uni gagne exactement le revenu moyen du Royaume-Uni, tandis que chacun en Chine gagne exactement le revenu moyen de la Chine. À quoi ressembleraient les inégalités de revenu dans cet exemple hypothétique ?

La ligne rouge montre le résultat de ce calcul. Dans notre expérience imaginaire, la seule source d’inégalité dans le monde est l’inégalité d’un pays à l’autre. Les inégalités sont réduites, mais restent encore considérables en raison des grands écarts de revenus entre pays.

Inégalités mondiales de revenu et entre pays (1952–2015).
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Figure 19.5 Inégalités mondiales de revenu et entre pays (1952–2015).

Branko Milanovic. 2012. ‘Global Income Inequality by the Numbers: In History and Now – an Overview’. Policy Research Working Paper 6259. The World Bank. L’inégalité entre pays (fictive) renvoie à l’expérience imaginaire où tout le monde dans un même pays a le même revenu.

Les inégalités mondiales entre les individus diminuent (1986–2013)
: La série bleue montre les inégalités de revenu entre tous les individus dans le monde. C’est donc le coefficient de Gini mondial.
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Les inégalités mondiales entre les individus diminuent (1986–2013)

La série bleue montre les inégalités de revenu entre tous les individus dans le monde. C’est donc le coefficient de Gini mondial.

Branko Milanovic. 2012. ‘Global Income Inequality by the Numbers: In History and Now – an Overview’. Policy Research Working Paper 6259. The World Bank. L’inégalité entre pays (fictive) renvoie à l’expérience imaginaire où tout le monde dans un même pays a le même revenu.

Les inégalités hypothétiques entre pays diminuent…
: La courbe rouge montre les inégalités de revenu entre pays sur la période 1952–2015. Pour les calculer, nous avons supposé que chacun, au sein d’un pays, avait le même revenu. Elles ont commencé à diminuer rapidement depuis les années 1980.
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Les inégalités hypothétiques entre pays diminuent…

La courbe rouge montre les inégalités de revenu entre pays sur la période 1952–2015. Pour les calculer, nous avons supposé que chacun, au sein d’un pays, avait le même revenu. Elles ont commencé à diminuer rapidement depuis les années 1980.

Branko Milanovic. 2012. ‘Global Income Inequality by the Numbers: In History and Now – an Overview’. Policy Research Working Paper 6259. The World Bank. L’inégalité entre pays (fictive) renvoie à l’expérience imaginaire où tout le monde dans un même pays a le même revenu.

… et les inégalités au sein des pays augmentent
: La baisse des inégalités entre pays s’est accélérée avec la croissance des plus grands pays pauvres du monde, la Chine et l’Inde. Cependant, les inégalités au sein des pays, dont la Chine et l’Inde, ont augmenté.
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… et les inégalités au sein des pays augmentent

La baisse des inégalités entre pays s’est accélérée avec la croissance des plus grands pays pauvres du monde, la Chine et l’Inde. Cependant, les inégalités au sein des pays, dont la Chine et l’Inde, ont augmenté.

Branko Milanovic. 2012. ‘Global Income Inequality by the Numbers: In History and Now – an Overview’. Policy Research Working Paper 6259. L’inégalité entre pays (fictive) renvoie à l’expérience imaginaire où tout le monde dans un même pays a le même revenu.

Vous pouvez voir qu’en 1988 (le début de la ligne bleue), le coefficient de Gini pour l’ensemble des individus dans le monde était de 0,69, et que ce nombre aurait été de 0,60 s’il y avait eu l’égalité parfaite au sein des pays (la ligne rouge). Par conséquent, nous voyons que 87 % des inégalités mondiales de revenu sont expliqués par notre mesure des inégalités entre pays (car 0,60/0,69 = 0,87, soit 87 %).

Le graphique montre également que les inégalités entre pays ont diminué rapidement : en 2013, 76 % des inégalités mondiales étaient dues aux inégalités entre pays (0,47/0,62 = 0,76).

Le coefficient de Gini mondial le plus récent est de 0,62. Vous savez que ce nombre est plus proche de 1 (un individu détient tout le revenu mondial) que de 0 (pas de différences de revenu dans le monde). Cependant, quel niveau d’inégalités cela indique-t-il ? Pour comprendre comment interpréter le coefficient de Gini, lisez la rubrique Einstein à la fin de cette section : « Le coefficient de Gini et les différences de revenu au niveau mondial ».

La Figure 19.5 suggère trois messages principaux :

  • Les inégalités dans le monde sont essentiellement entre individus de différents pays (la série rouge) : elles ne sont pas entre individus du même pays (la différence entre les séries bleue et rouge).
  • Mais cela est en train de changer : les deux plus grandes économies du monde, anciennement très pauvres – Inde et Chine – ont augmenté leur revenu moyen plus rapidement que les pays plus riches, réduisant ainsi les inégalités entre pays. Les inégalités au sein des pays ont augmenté, car dans ces pays et dans beaucoup d’autres grands pays les inégalités entre individus ont augmenté.
  • Les inégalités entre les individus diminuent : le résultat net de ces tendances opposées est que les inégalités entre les individus dans le monde ont commencé à diminuer.

Un aperçu de l’avenir des économies riches : le maillon intermédiaire manquant ?

Les inégalités grandissantes au sein de la plupart des pays développés sont associées à une modification de la distribution des emplois. Le nombre d’emplois à salaire faible et à salaire élevé a augmenté, tandis que les emplois à salaire intermédiaire se font de plus en plus rares. La conséquence – plus d’emplois en haut et en bas de l’échelle économique et moins sur les échelons intermédiaires – est connue sous l’appellation « le maillon intermédiaire manquant ».

Les données de la Figure 19.6 illustrent ces deux tendances pour l’économie américaine. Notre exemple porte sur les États-Unis en raison de la qualité des données disponibles, mais les mêmes tendances sont observables dans d’autres pays à hauts revenus.

La Figure 19.6 classe les emplois du mieux payé en haut (en termes de salaire horaire) au moins bien payé en bas, et estime la croissance ou la contraction de l’emploi sur l’axe des abscisses.

L’absence de niveau intermédiaire aux États-Unis (2014–24) : prévisions des métiers qui subiront une variation de l’emploi de 10 000 employés ou plus.
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Figure 19.6 L’absence de niveau intermédiaire aux États-Unis (2014–24) : prévisions des métiers qui subiront une variation de l’emploi de 10 000 employés ou plus.

US Bureau of Labor Statistics. 2014. ‘Employment Projections.’ US Bureau of Labor Statistics. 2015. ‘Occupational Employment Statistics.’

Remarque : la Figure 19.6 montre seulement les emplois pour lesquels on anticipe une variation de 10 000 employés ou plus. Le terme « et apparentés » indique la prise en compte de métiers similaires. Les points bleus représentent les métiers liés aux opérateurs de machines (opérateurs de machine à coudre, opérateurs de machines dans le textile, standardistes, opérateurs de machines et de presses). La ligne horizontale en pointillé correspond au salaire horaire moyen dans tous les métiers aux États-Unis en juin 2015. La ligne en pointillé en forme de C est un polynôme du second degré qui s’ajuste aux données présentées dans le graphique.

Le point labellisé « 1997 » montre le salaire horaire moyen qu’auraient gagné les opérateurs de machines en 2015 si leur salaire s’était maintenu à la même proportion du salaire moyen qu’en 1997.

Estimation de la croissance prévue des métiers aux États-Unis
: La Figure 19.6 ordonne les métiers du mieux payé en haut (en termes de salaire horaire) au moins payé en bas, et estime la croissance ou la contraction de l’emploi sur l’axe des abscisses.
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Estimation de la croissance prévue des métiers aux États-Unis

La Figure 19.6 ordonne les métiers du mieux payé en haut (en termes de salaire horaire) au moins payé en bas, et estime la croissance ou la contraction de l’emploi sur l’axe des abscisses.

US Bureau of Labor Statistics. 2014. ‘Employment Projections.’ US Bureau of Labor Statistics. 2015. ‘Occupational Employment Statistics.’

Remarque : la Figure 19.6 montre seulement les emplois pour lesquels on anticipe une variation de 10 000 employés ou plus. Le terme « et apparentés » indique la prise en compte de métiers similaires. Les points bleus représentent les métiers liés aux opérateurs de machines (opérateurs de machine à coudre, opérateurs de machines dans le textile, standardistes, opérateurs de machines et de presses). La ligne horizontale en pointillé correspond au salaire horaire moyen dans tous les métiers aux États-Unis en juin 2015. La ligne en pointillé en forme de C est un polynôme du second degré qui s’ajuste aux données présentées dans le graphique.

Le point labellisé « 1997 » montre le salaire horaire moyen qu’auraient gagné les opérateurs de machines en 2015 si leur salaire s’était maintenu à la même proportion du salaire moyen qu’en 1997.

Les salaires des travailleurs qualifiés aux États-Unis ont baissé
: En raison de la combinaison de l’effet de l’automatisation et de « l’effet de la Chine », les salaires des opérateurs de machines ont baissé de 73 % du salaire moyen en 1997 à 61 % en 2014.
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Les salaires des travailleurs qualifiés aux États-Unis ont baissé

En raison de la combinaison de l’effet combiné de l’automatisation et de « l’effet de la Chine », les salaires des opérateurs de machines ont baissé de 73 % du salaire moyen en 1997 à 61 % en 2014.

US Bureau of Labor Statistics. 2014. ‘Employment Projections.’ US Bureau of Labor Statistics. 2015. ‘Occupational Employment Statistics.’

Remarque : la Figure 19.6 montre seulement les emplois pour lesquels on anticipe une variation de 10 000 employés ou plus. Le terme « et apparentés » indique la prise en compte de métiers similaires. Les points bleus représentent les métiers liés aux opérateurs de machines (opérateurs de machine à coudre, opérateurs de machines dans le textile, standardistes, opérateurs de machines et de presses). La ligne horizontale en pointillé correspond au salaire horaire moyen dans tous les métiers aux États-Unis en juin 2015. La ligne en pointillé en forme de C est un polynôme du second degré qui s’ajuste aux données présentées dans le graphique.

Le point labellisé « 1997 » montre le salaire horaire moyen qu’auraient gagné les opérateurs de machines en 2015 si leur salaire s’était maintenu à la même proportion du salaire moyen qu’en 1997.

Notez ces points au sujet des données :

  • L’absence de niveau intermédiaire : les emplois à haut salaire et (particulière­ment) ceux à bas salaire connaissent une forte hausse des effectifs, alors que les gains d’emploi pour les métiers à salaire intermédiaire sont plus limités.
  • Les métiers remplacent le travail autrefois effectué au seins des familles : les augmentations les plus importantes sont dans le secteur des services à la personne, la plupart d’entre eux étant liés aux professions de la santé. Ces emplois en hausse se substituent au travail qu’effectuaient autrefois les membres de la famille, comme les aides personnelles ou les soins de santé à domicile.
  • Les tâches répétitives sont effectuées par des machines : la numérisation réduit la demande pour des métiers impliquant des tâches répétitives, comme les préposés au tri postal et les opérateurs de machines. Les tâches que les machines ne remplacent pas sont soit bien payées (conseillers financiers personnels, infirmiers praticiens) soit très peu payées, comme celles consistant à s’occuper de personnes âgées à leur domicile.
  • Les hauts salaires travaillent avec les technologies de l’information : les emplois pour lesquels se créent des postes à haut salaire (mis à part les services à la personne), comme la recherche opérationnelle, les statisticiens et les développeurs Web, sont ceux dans lesquels le traitement numérique de l’information a fortement augmenté la productivité des travailleurs dotés des compétences adéquates.
  • Les travailleurs avec des salaires moyens sont les perdants : les métiers perdant des emplois tendent à avoir des salaires proches de la moyenne, voire inférieurs.

La Figure 19.6 ne montrait que les métiers pour lesquels les gains ou les pertes de postes prévus représentaient au moins 20 % du niveau de l’emploi en 2014 et concernaient au moins 10 000 employés. Cependant, comme le montre la Figure 19.7, la tendance se maintient quand on considère l’ensemble des emplois de l’économie américaine. Les projections des Figures 19.6 et 19.7 sont déjà en cours aux États-Unis, depuis au moins les années 1970.

L’absence de niveau intermédiaire aux États-Unis (2014–24) : la croissance des emplois est la plus élevée pour les premier et dernier quintiles des métiers aux États-Unis, par revenu annuel moyen
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Figure 19.7 L’absence de niveau intermédiaire aux États-Unis (2014–24) : la croissance des emplois est la plus élevée pour les premier et dernier quintiles des métiers aux États-Unis, par revenu annuel moyen.

US Bureau of Labor Statistics. 2014. ‘Employment Projections.’ US Bureau of Labor Statistics. 2015. Occupational Employment Statistics.

Exercice 19.2 Inégalités dans votre classe

  1. En utilisant ce calculateur du coefficient de Gini, calculez le degré des inégalités de taille dans votre classe.
  2. Pourquoi ce coefficient de Gini est-il beaucoup plus petit que celui du patrimoine dans la Figure 19.1 ?
  3. Maintenant, utilisez le calculateur pour calculer le coefficient de Gini pour une autre variable (par exemple âge, poids, temps passé dans les transports pour venir en cours, nombre de frères et sœurs ou note au dernier examen).
  4. Expliquez toutes les différences entre ce coefficient de Gini et celui pour le patrimoine.

Question 19.1 Choisissez la ou les bonnes réponses

La Figure 19.1 illustre, à partir du coefficient de Gini, les inégalités de richesse, de revenu et de revenu disponible aux États-Unis, en Suède et au Japon.

À partir de ces informations, laquelle de ces affirmations est correcte ?

  • La richesse est distribuée de façon beaucoup plus inégale que le revenu dans les trois pays.
  • La Suède a, sans équivoque, une société plus inégale que le Japon.
  • Parmi ces trois pays, les États-Unis ont la société la plus inégale.
  • La Suède parvient à une distribution relativement égale du revenu disponible grâce à son système de taxes et de transferts.
  • Dans les trois pays, le coefficient de Gini pour la richesse est plus élevé que le coefficient de Gini pour les revenus, ce qui indique un niveau d’inégalités plus élevé.
  • La Suède est plus inégale que le Japon en termes de richesse, mais elle est plus égale en termes de revenu disponible.
  • Cette affirmation est correcte pour les revenus et le revenu disponible. Cependant, la Suède est plus inégale que les États-Unis en termes de richesse.
  • Si le coefficient de Gini pour le revenu avant imposition en Suède est similaire à celui des États-Unis et du Japon, le coefficient de Gini pour le revenu disponible est beaucoup plus faible, indiquant que les taxes et transferts parviennent efficacement à redistribuer le revenu.

Question 19.2 Choisissez la ou les bonnes réponses

Dans la vidéo « Économiste in action » de Thomas Piketty, lequel de ces événements n’est PAS une des raisons données par Piketty pour la baisse des revenus des très riches au cours du 20e siècle ?

  • La Première Guerre mondiale
  • La Grande Dépression
  • La Révolution russe
  • La Seconde Guerre mondiale
  • La nationalisation des actifs pendant les Guerres mondiales est l’une des raisons avancées par Piketty.
  • La récession économique est l’une des raisons données par Piketty.
  • Bien que les changements politiques puissent avoir un effet sur la distribution de la richesse dans un pays, Piketty ne mentionne pas la Révolution russe dans la vidéo.
  • La nationalisation des actifs pendant les Guerres mondiales est l’une des raisons avancées par Piketty.

Question 19.3 Choisissez la ou les bonnes réponses

La Figure 19.6 est un nuage de points des métiers dans l’économie américaine. Le salaire horaire moyen en 2015 est reporté sur l’axe des ordonnées et les projections de la croissance de l’emploi pour la période 2014-2024 est reportée sur l’axe des abscisses :

À partir de ces informations, laquelle de ces affirmations est correcte ?

  • Les métiers avec la plus grande croissance attendue sont ceux qui bénéficient d’innovations qui augmentent l’automatisation.
  • Les métiers pour lesquels on anticipe une contraction importante de l’emploi sont ceux dont les salaires sont les plus élevés, ce qui devrait encourager les employeurs à investir dans l’automatisation.
  • Les métiers à haut salaire présentant des perspectives de croissance sont soit dans le secteur des services à la personne, soit sont des métiers dans lesquels le traitement numérique de l’information a substantiellement augmenté la productivité des travailleurs très qualifiés.
  • Il n’y a pas de relation particulière entre le salaire moyen et la croissance attendue de l’emploi.
  • Les meilleures projections en termes de croissance de l’emploi concernent les soignants à domicile et les aides personnnelles à domicile. Ces services sont ceux qui étaient produits presque exclusivement au sein de la famille, et qui sont maintenant de plus en plus réalisés par des personnes extérieures.
  • Les projections d’importantes pertes concernent les métiers dont les salaires sont proches du salaire moyen, ou un peu plus faibles, et qui sont déjà touchés par les technologies permettant le remplacement des personnes, comme le service postal ou les standardistes.
  • Les augmentation les plus importantes se trouvent dans les services à la personne, principalement dans les métiers de la santé. Les projections à la hausse concernent également les métiers à salaire élevé qui impliquent les technologies de l’information.
  • Pour les métiers à haut et à bas salaires, on anticipe une croissance de l’emploi, alors que les métiers à salaire intermédiaire semblent avoir des perspectives limitées en termes de croissance de l’emploi.

Einstein Le coefficient de Gini et les différences de revenus dans le monde

Dans l’Unité 5, vous avez appris que le coefficient de Gini est une mesure des inégalités définie comme la moitié de la moyenne relative des différences de revenus entre chaque paire d’individus dans une population.

Souvenez-vous que la différence moyenne des revenus entre chaque paire d’une population, que nous désignons par Δ, peut être exprimée comme le revenu de la personne la plus riche de la paire (yr) moins le revenu du plus pauvre de la paire (yp), que l’on additionne pour chaque paire de la population, et que l’on divise ensuite par le nombre de paires dans la population (n). La différence moyenne relative est la quantité divisée par le revenu moyen, y.

Ainsi, la moitié de la différence moyenne relative est :

En réarrangeant cette équation, vous pouvez voir que la différence moyenne entre deux individus d’une paire sera le salaire moyen multiplié par le double du coefficient de Gini.

Cependant, on peut interpréter le coefficient de Gini de manière plus intéressante. Après avoir formé toutes les paires possibles à partir de la population mondiale, le revenu moyen dans le monde () sera :

où nous définissons et comme les revenus moyens des plus riches et des plus pauvres de chaque paire, respectivement. Nous pouvons maintenant réécrire l’expression du coefficient de Gini en utilisant et  :

En manipulant et en divisant par , nous obtenons :

En utilisant cette dernière expression, si le coefficient de Gini pour le monde est de 0,62, alors :

Cela nous dit que si le coefficient de Gini est de 0,62, alors parmi toutes les paires de la population ou d’un échantillon aléatoire assez grand de la population, le plus riche des deux sera en moyenne 4,26 fois plus riche que l’autre.

Exercice 19.3 Une autre manière d’interpréter les coefficients de Gini

Utilisez la Figure 5.16 pour estimer le coefficient de Gini pour le revenu disponible au Danemark et en Afrique du Sud. En expliquant la différence entre ces pays en termes d’inégalités de revenu, vous pourriez utiliser l’information sur le Gini. Si deux personnes étaient aléatoirement choisies dans la population du pays, quelle serait en moyenne la valeur du ratio du revenu de la personne la plus riche sur celui de la personne la plus pauvre ? Pour vous permettre de transformer les données sur le coefficient de Gini sous la forme de ce ratio, utilisez la formule de la rubrique Einstein pour construire un tableau du ratio la plus riche/la plus pauvre pour des coefficients de Gini allant de 0,0 à 0,9 (par intervalle de 0,1). Reportez vos résultats dans un graphique. Expliquez la différence d’inégalités entre le Danemark et l’Afrique du Sud en utilisant vos résultats. Qu’est-ce que cette formule implique si le coefficient de Gini est égal à 1 ?

19.2. Hasard de la naissance : un autre prisme pour étudier les inégalités

Dans le monde contemporain, la plupart des inégalités sont attribuables aux différences entre individus portant sur des éléments sur lesquels ils n’ont aucun contrôle, comme l’origine ethnique, le genre, la nationalité ou les parents. Nous appelons ces différences les « hasards de la naissance ».6

Pour comprendre l’importance des hasards de la naissance, imaginez la chose suivante. Retournez à la Figure 1.2. Supposez que vous ne vous intéressiez qu’au revenu, et que vous pouviez choisir entre :

  • le décile de revenu auquel vous appartenez, mais votre pays de naissance vous est attribué de manière aléatoire
  • le pays dans lequel vous naissez, mais votre décile de revenu vous est attribué de manière aléatoire

Choisisseriez-vous l’option 1 (le décile) ou l’option 2 (le pays) ?

Si vous avez choisi l’option 1, vous voudriez évidemment être dans le dernier décile, afin de vous trouver quelque part à l’arrière-plan de la Figure 1.2. Mais où ? Vous auriez la même chance de naître au Nigeria du côté gauche, qu’en Allemagne du côté droit.

Si vous avez choisi l’option 2, vous pourriez sélectionner l’un des pays du côté droit, avec le revenu moyen le plus élevé. Vous auriez la même chance de vous trouver dans le premier décile, au premier plan du graphique, que dans le dernier décile à l’arrière-plan.

La nationalité est l’un des grands hasards de la naissance ayant une incidence sur le revenu. Les passeports et les frontières limitent les opportunités économiques offertes aux citoyens de différents pays. Des individus dotés d’un niveau de formation, de capacités et d’ambition similaires, mais nés de deux côtés différents d’une frontière auront des possibilités dans la vie très différentes, qu’il s’agisse de la frontière entre le Mexique et les États-Unis, de celle entre la Corée du Nord et la Corée du Sud ou de la mer Méditerranée qui sépare l’Afrique du Nord de l’Europe. Même lorsque les migrations sont autorisées, les migrants se voient souvent refuser des droits politiques et sociaux, comme c’est le cas dans les pays du Golfe et certains pays d’Asie de l’Est.

Genre et autres formes d’inégalités catégorielles

Les inégalités fondées sur les hasards de la naissance existent également au sein des pays :

  • Caste : les disparités importantes en termes des possibilités dans la vie en Inde, par exemple, proviennent du système traditionnel hiérarchique et héréditaire des castes. Une caste est un statut social, allant des Brahmins (le plus haut rang) aux Dalits (autrefois appelés les « intouchables »).
  • Discrimination formalisée : jusqu’en 1994, l’apartheid en Afrique du Sud avait officialisé les inégalités via un système complexe de barrières raciales.
  • Colons et peuples indigènes : en Australie, aux États-Unis et dans une grande partie de l’Amérique latine, des inégalités économiques et sociales très fortes existent entre les descendants des colons européens et les peuples dits indigènes, arrivés des dizaines de milliers d’années plus tôt.
inégalité catégorielle
Inégalité entre différents groupes sociaux (identifiés par exemple par une catégorie comme le groupe ethnique, la nationalité, la caste, le genre ou la religion). Connu également sous le terme : inégalité entre groupes.

Les inégalités fondées sur l’identité ethnique ou la caste sont des exemples d’inégalités catégorielles (aussi appelées inégalités de groupe), impliquant des différences économiques entre des individus traités comme appartenant à des catégories sociales différentes, elles-mêmes définies par les classes sociales les plus puissantes. Les castes indiennes sont des catégories, tout comme les catégories « africain », « blanc », « de couleur » et « asiatique » en Afrique du Sud. Les inégalités catégorielles sont principalement fondées sur des hasards de la naissance, car lorsque l’on est né dans l’une des catégories, il est difficile, voire impossible, de changer de catégorie.

Pour comprendre avec quelle facilité la ségrégation raciale ou motivée par d’autres caractéristiques catégorielles peut émerger, prenez deux minutes pour jouer au jeu en ligne La Parabole des Polygones.

La forme la plus répandue d’inégalité catégorielle est celle entre hommes et femmes. Il existe en moyenne de nombreuses différences économiques entre hommes et femmes. C’est un peu curieux, car à l’exception de leur rôle biologique différent dans le processus de reproduction, hommes et femmes sont très similaires : des parents similaires, des écoles similaires (dans la plupart des pays), un héritage génétique similaire s’agissant des déterminants des compétences intellectuelles, etc. Pourtant il est clair que l’économie traite les hommes et les femmes différemment. L’ampleur du phénomène varie selon les pays, mais tous sont concernés.

Les inégalités de revenus entre hommes et femmes autrement similaires sont l’une des mesures de cette inégalité. La Figure 19.8 montre les revenus (du travail) espérés au cours d’une vie entière pour les hommes et les femmes aux États-Unis, quand ils travaillent à plein temps depuis la fin de leur scolarité et jusqu’à la retraite. Ainsi, les différences observées sur le graphique ne sont pas dues au fait que les femmes participent moins longtemps que les hommes au marché du travail en raison de la maternité.

Comme la qualité de formation ne diffère pas entre hommes et femmes en moyenne (et que les filles tendent à réussir aussi bien la plupart des tests de compétences), les différences de salaire liées au genre ne sont pas attribuables à des différences de compétences cognitives ou de qualité d’éducation. Pourtant, pour chaque niveau d’éducation, les femmes peuvent s’attendre à gagner moins que les hommes.

Inégalités catégorielles : éducation et revenus d’une vie entière pour les hommes et les femmes aux États-Unis
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Figure 19.8 Inégalités catégorielles : éducation et revenus d’une vie entière pour les hommes et les femmes aux États-Unis.

Adapté de la Figure 5 in Anthony P. Carnevale, Stephen J. Rose, and Ban Cheah. 2011. The College Payoff. Georgetown University Center on Education and the Workforce. (Note : la moyenne masculine est de 2 520 286 $, vs. 1 909 714 $ pour les femmes.)

Néanmoins, la figure montre également qu’une augmentation du niveau d’études implique des revenus plus élevés pour la vie entière, et que les femmes ayant obtenu une licence à l’université gagnent bien plus que les hommes ayant quitté l’école après le lycée.

Dans de nombreuses régions du monde, les filles sont nettement moins scolarisées que les garçons, mais, comme le montre la Figure 19.9, les filles vont à l’école aussi longtemps que les garçons aux États-Unis et en France, et plus longtemps au Brésil. Les pays dans lesquels les femmes ont historiquement souffert d’être très fortement désavantagées sur les plans social et économique, comme la Chine et l’Indonésie, ont presque éliminé l’écart fille/garçon dans la durée de scolarisation, et l’Inde, bien qu’encore loin derrière, le réduit rapidement.

Inégalités catégorielles : durée moyenne des études des filles par rapport aux garçons (1970–2010)
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Figure 19.9 Inégalités catégorielles : durée moyenne des études des filles par rapport aux garçons (1970–2010).

Inégalités intergénérationnelles

Outre les différences catégorielles comme le pays, le genre ou l’origine ethnique, une seconde source d’inégalité économique au sein d’un pays est constituée par l’héritage. Vous pourriez être riche ou pauvre simplement parce que vos parents étaient riches ou pauvres.

Il y a 200 ans, dans la plupart des pays, il allait de soi que quelqu’un s’attende à rester pauvre simplement parce que ses parents étaient pauvres, et que quelqu’un puisse hériter de l’entreprise paternelle et de son statut social, sans avoir à prouver qu’il était le meilleur candidat pour le poste. La transmission d’inégalités d’une génération à l’autre semblait être l’ordre naturel des choses.

Mais cela a changé avec le développement de l’éducation publique et, dans de nombreux pays, la diminution des discriminations à l’égard des pauvres en raison de leur origine ethnique, leur religion ou tout simplement leurs origines modestes. Dans certains pays, le statut économique des parents joue toujours un grand rôle dans la réussite économique des enfants ; dans d’autres pays, les différences entre les parents ne sont que faiblement transmises à la génération suivante.

transmission intergénérationnelle des différences socioéconomiques
Le processus par lequel le statut économique des enfants à l’âge adulte finit par ressembler à celui des parents. Voir également : élasticité intergénérationnelle, mobilité intergénérationnelle.

L’expression « transmission intergénérationnelle des différences économiques » renvoie aux processus par lesquels le statut économique des enfants vient à ressembler à celui de leurs parents. Le processus de transmission prend de nombreuses formes :

  • Les enfants héritent du patrimoine de leurs parents.
  • La constitution génétique des enfants est similaire à celle de leurs parents.
  • À travers l’influence parentale dans l’éducation des enfants, parents et enfants ont tendance à partager les mêmes préférences, normes sociales ainsi que les mêmes connaissances, compétences et relations acquises en dehors l’école.
inégalité intergénérationnelle
Le degré de transmission des différences dans la génération des parents à la génération suivante, mesuré sous forme d’élasticité intergénérationnelle ou de corrélation intergénérationnelle. Voir également : élasticité intergénérationnelle, mobilité intergénérationnelle, transmission intergénérationnelle des différences socioéconomiques.

Les inégalités intergénérationnelles se produisent lorsque ces processus donnent lieu à des similarités entre le statut économique des parents et celui de leurs enfants : les enfants des plus riches deviennent riches eux-mêmes et les enfants des plus pauvres restent pauvres. 7

Les économistes et les sociologues mesurent les inégalités intergénérationnelles en classant les parents en fonction de leurs revenus ou de leur patrimoine, puis en regardant de quels revenus ou de quel patrimoine leurs enfants disposent lorsqu’ils parviennent à l’âge adulte. Ils confirment l’existence de fortes inégalités intergénérationnelles. Les enfants dont les parents ont un revenu élevé ont plus de chances d’obtenir des salaires élevés une fois adultes, et les enfants issus de familles à faible revenu auront très probablement de faibles revenus une fois adultes.8

Nous pouvons observer ce phénomène sur la Figure 19.10, qui présente des mesures de l’inégalité intergénérationnelle des hommes aux États-Unis (graphique gauche) et au Danemark (graphique droit), fondés sur leurs revenus du travail. La barre haute à gauche du graphique des États-Unis signifie que parmi les hommes dont les pères faisaient partie des 20 % les plus pauvres, 40 % se trouvent eux-mêmes dans cette catégorie, alors que 7 % ont un revenu les classant dans les 20 % les plus riches. À l’inverse, 36 % des hommes nés parmi les 20 % les plus riches appartiennent eux-mêmes à ce quintile – la barre haute violette sur la droite.

Inégalité intergénérationnelle dans les revenus : États-Unis et Danemark
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Figure 19.10 Inégalité intergénérationnelle dans les revenus : États-Unis et Danemark.

Table 14 dans Markus Jäntti, Bernt Bratsberg, Knut Røed, Oddbjørn Raaum, Robin Naylor, Eva Österbacka, Anders Björklund, and Tor Eriksson. 2006. ‘American Exceptionalism in a New Light: A Comparison of Intergenerational Earnings Mobility in the Nordic Countries, the United Kingdom and the United States.’ Discussion Paper Series 1938. Institute for the Study of Labor.

L’une des raisons pour lesquelles les enfants des riches tendent à être plus riches que les enfants des pauvres est l’aide financière apportée par les parents aisés, aussi bien durant leur vie qu’au moment de leur décès, sous forme d’héritage. Notez cependant que les données de la Figure 19.10 portent sur les revenus du travail et ne tiennent pas compte du patrimoine hérité. Les gains des parents et de leurs enfants sont similaires aux États-Unis, en partie car les enfants de parents aisés reçoivent plus d’éducation et de meilleure qualité. Ils profitent aussi des réseaux et des contacts de leurs parents qui améliorent leur accès au marché du travail.

Les données sur le Danemark dans le graphique de droite révèlent moins d’inégalités. Seuls 25 % de ceux dont les parents faisaient partie du quintile le plus pauvre restent eux-mêmes dans ce quintile, comparé à 40 % aux États-Unis. Cela suggère que les personnes nées de parents relativement pauvres sont moins désavantagées au Danemark. De même, 33 % des personnes nées de parents comptant parmi les 20 % les plus riches appartiennent une fois adulte à ce même quintile, comparé à 36 % aux États-Unis. À partir de ces données, nous pourrions conclure que les inégalités intergénérationnelles sont moins importantes au Danemark qu’aux États-Unis, bien que les règles du jeu ne soient pas parfaitement équitables.

élasticité intergénérationnelle
Quand on compare deux familles (les parents et leurs enfants devenus adultes), c’est la différence, exprimée en pourcentage, de statut de la seconde génération associée à une différence d’1 % dans le statut de la génération des parents. Voir également : inégalité intergénérationnelle, mobilité intergénérationnelle, transmission intergénérationnelle des différences socioéconomiques.

L’élasticité intergénérationnelle du revenu ou du patrimoine permet de résumer le taux global d’inégalité intergénérationnelle dans une société. Afin de voir ce que cela mesure, considérez deux paires de père et d’enfants. Le père de la première paire est plus riche que le père de la seconde. L’élasticité intergénérationnelle mesure à quel point l’enfant du père le plus riche sera plus riche que l’enfant du père le plus pauvre. Une élasticité de 0,5, par exemple, signifie que si l’un des pères est 10 % plus riche que l’autre, alors son enfant à l’âge adulte sera en moyenne 5 % plus riche que l’autre enfant. Plus l’élasticité intergénérationnelle est élevée, plus le degré de transmission intergénérationnelle du statut économique est élevé et plus les inégalités intergénérationnelles sont fortes. Dans une société avec une haute élasticité intergénérationnelle, la mobilité intergénérationnelle est faible.

Le terme d’élasticité intergénérationnelle n’a rien à voir avec la signification habituelle du mot élastique. Cependant, comme l’élasticité prix de la demande d’un bien, l’élasticité intergénérationnelle renvoie au changement en pourcentage d’une variable associé au changement en pourcentage d’une autre variable.

mobilité intergénérationnelle
Changements dans le statut économique ou social relatif entre parents et enfants. On parle d’ascension sociale quand le statut d’un enfant dépasse celui de ses parents, de déclassement dans le cas contraire. La corrélation entre les positions des parents et des enfants (par exemple, le nombre d’années d’études ou le revenu) est une mesure répandue de la mobilité intergénérationnelle. Une autre est l’élasticité intergénérationnelle. Voir également : élasticité intergénérationnelle, transmission intergénérationnelle des différences socioéconomiques.

Quelle est la relation entre une mesure des inégalités intergénérationnelles comme l’élasticité intergénérationnelle et l’importance des inégalités entre les membres d’une population à une période donnée ? Vous pouvez penser à de nombreuses raisons pour lesquelles les deux seraient liés.

La Figure 19.11 montre la relation empirique entre l’élasticité intergénérationnelle des revenus et les inégalités de revenu à une période donnée. Les inégalités de revenu à une période donnée, mesurées en utilisant le coefficient de Gini pour le revenu, sont appelées inégalités en coupe transversale. Notez que nous n’incluons pas les effets des impôts et transferts effectués par l’État dans la Figure 19.11, où nous mesurons à la fois les inégalités de revenu et la transmission intergénérationnelle des revenus, car nous nous intéressons à la manière dont ces deux dimensions évoluent, indépendamment des politiques publiques.

Inégalités intergénérationnelles et en coupe transversale.
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Figure 19.11 Inégalités intergénérationnelles et en coupe transversale.

Miles Corak. 2013. ‘Inequality from Generation to Generation: The United States in Comparison.’ In The Economics of Inequality, Poverty, and Discrimination in the 21st Century, edited by Robert S. Rycroft. Santa Barbara, CA : Greenwood Pub Group; Wen-Hao Chen, Michael Förster, and Ana Llena-Nozal. 2013. ‘Globalisation, Technological Progress and Changes in Regulations and Institutions: Which Impact on the Rise of Earnings Inequality in OECD Countries?’ Working Paper Series 597. LIS.

La figure montre que, pour les pays considérés, les inégalités de revenu à n’importe quelle période donnée ont tendance à être plus élevées quand les inégalités intergénérationnelles sont élevées. Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Italie sont des exemples de pays dans lesquels les inégalités en coupe transversale et les inégalités intergénérationnelles sont toutes les deux élevées. Dans d’autres pays (Norvège, Danemark, Finlande), les inégalités intergénérationnelles et les inégalités en coupe transversale sont assez modérées. Cependant, dans certains pays, un type d’inégalités est plus prononcé que l’autre : comparez, par exemple, le Canada et la Suisse.

Est-ce que les inégalités en coupe transversale causent les inégalités intergénérationnelles, ou est-ce que la relation va en sens inverse, ou dans les deux sens, ou n’existe pas ? Nous savons que les sociétés caractérisées par une forte culture d’équité et d’égalité de traitement, comme le Danemark, adoptent des politiques publiques afin de réduire les inégalités individuelles à une période donnée, en offrant notamment des allocations chômage et des retraites généreuses à travers l’État-providence. Parallèlement, ces sociétés tentent aussi de réduire les inégalités intergénérationnelles, en favorisant l’égalité des chances dans l’accès à une éducation de qualité et via d’autres politiques publiques visant à réduire la transmission intergénérationnelle du statut économique. Cela explique en partie les différences observées entre le Danemark et les États-Unis sur la Figure 19.10.

Une autre explication probable de la corrélation observée sur la Figure 19.11 est que, à chaque période (une génération par exemple), certaines personnes ont de la chance – par exemple, elles vivent dans une région qui connaît un boom économique – et d’autres n’en ont pas – eux ou leurs proches souffrent d’une maladie grave, connaissent une grossesse imprévue, font face à une faillite d’entreprise ou à des changements technologiques ou de demande diminuant la valeur de leurs compétences sur le marché du travail. Ces « chocs » créent plus d’inégalités dans une génération donnée.

Si avoir des parents riches donne aux enfants des avantages économiques lorsqu’ils atteignent l’âge adulte, alors ces chocs persistent même après le décès des parents. Le père d’un individu peut être devenu riche simplement par chance, mais ses enfants seront aussi riches (ou en tous cas, plus riches qu’ils n’auraient pu l’être) en héritant.

Ainsi, dans les pays où les inégalités intergénérationnelles sont impor­tantes, par exemple aux États-Unis, en Italie ou en Grande-Bretagne, les revenus élevés ou faibles dus à cette bonne ou mauvaise fortune sont transférés à la génération suivante, et s’ajoutent aux chocs de bonne ou mauvaise fortune auxquels cette génération sera confrontée. Il en résulte que les inégalités intergénérationnelles contribuent aux inégalités en coupe transversale.

Vous connaissez maintenant quelques données principales sur les inégalités dans le monde. Sur cette base, nous allons poser la question suivante : quel est le problème (le cas échéant) avec les inégalités économiques ?

Exercice 19.4 Comment les inégalités de naissance persistent à travers les générations

  1. Retournez aux histoires de Yichen, Renfu, Stefanie et Mark, et indiquez tous les hasards de la naissance qui ont eu une incidence sur leurs réussites ou échecs économiques.
  2. Donnez quelques raisons pour lesquelles les inégalités intergénérationnelles et les inégalités entre les membres d’une population à une période donnée devraient être posi­tivement corrélées.

Question 19.4 Choisissez la ou les bonnes réponses

La Figure 19.10 montre la proportion d’enfants dans chaque quintile de revenu en fonction du quintile de revenu de leur père aux États-Unis et au Danemark, respectivement.

À partir de ces informations, laquelle de ces affirmations est correcte ?

  • Les données valident l’idéal du « rêve américain », un terme inventé en 1931 par James Truslow Adams et qui renvoie au « rêve d’un ordre social dans lequel chaque homme et chaque femme devrait être capable d’atteindre pleinement la stature dont ils sont naturellement capables… sans distinction des conditions fortuites de la naissance ou position » (dans The Epic of America, 1931).
  • Aux États-Unis, 7,4 % des individus issus des 20 % de familles les plus pauvres ont réussi à atteindre un niveau de revenu qui les place parmi les 20 % les plus riches.
  • Au Danemark, il est bien plus difficile pour des familles riches de transmettre leur statut à la génération suivante qu’aux États-Unis.
  • La figure suggère que les pouvoirs publics ne peuvent faire grand-chose pour réduire la transmission intergénérationnelle du statut économique.
  • L’élasticité intergénérationnelle est plus élevée aux États-Unis qu’au Danemark, ce qui montre donc que l’idéal du rêve américain n’est pas confirmé en réalité.
  • La première barre violette dans le panneau de gauche indique ces informations.
  • Le pourcentage des 20 % des pères les plus riches dont les enfants sont aussi parmi les 20 % les plus riches est comparable au Danemark et aux États-Unis : 33,7 % et 36 %.
  • Par exemple, au lieu du point R, le citoyen averse à l’inégalité préférerait n’importe quel point dans la région délimitée par la courbe d’indifférence passant par R et la frontière réalisable.

19.3 Quel est le problème (le cas échéant) avec les inégalités ?

En novembre 2016, nous avions demandé à des étudiants débutant leurs études d’économie à l’université Humboldt à Berlin : « Quel est l’enjeu le plus urgent auquel devraient répondre les économistes aujourd’hui ? » Leurs réponses apparaissent dans le nuage de mots de la Figure 19.12, où la taille d’un mot ou d’une phrase indique la fréquence de son occurrence. Des étudiants d’autres universités dans le monde ont donné des réponses similaires.

Pour les étudiants, les inégalités sont l’un des problèmes principaux que l’économie devrait traiter
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Figure 19.12 Pour les étudiants, les inégalités sont l’un des problèmes principaux que l’économie devrait traiter.

Inégalités perçues, idéales et réelles

Les inégalités sont considérées comme un problème notamment parce que beaucoup de personnes pensent qu’il y en a trop.

Michael Norton, un professeur en administration des entreprises, et Dan Ariely, un psychologue et chercheur en économie comportementale, ont demandé à un vaste échantillon d’Américains leur avis sur ce que devrait être la répartition des richesses aux États-Unis : quelle fraction de la richesse, par exemple, devrait revenir aux 20 % les plus riches ? Ils leur ont également demandé d’estimer la répartition actuelle des revenus.9

La Figure 19.13 donne les résultats, avec les trois premières barres montrant la répartition que différents groupes de répondants considèrent comme idéale, et la quatrième barre la répartition de la richesse telle qu’ils l’estiment aujourd’hui aux États-Unis. La première barre montre que les Américains pensent qu’idéalement, les 20 % les plus riches devraient posséder un peu plus de 30 % de la richesse totale – un peu d’inégalité est désirable, mais pas trop. Comparez maintenant cela à la quatrième barre (« Estimée »), qui indique que les personnes interrogées pensent que les 20 % les plus riches possèdent environ 60 % de la richesse. La barre inférieure montre la répartition réelle. En réalité, le quintile supérieur possède 85 % de la richesse. La répartition réelle est beaucoup plus inégale que l’estimation du grand public – et est très éloignée du faible niveau d’inégalité désiré.

Répartitions idéale, estimée et réelle de la richesse selon les Américains
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Figure 19.13 Répartitions idéale, estimée et réelle de la richesse selon les Américains.

Adapté des Figures 2 et 3 dans Michael I. Norton and Dan Ariely. 2011. ‘Building a Better America – One Wealth Quintile at a Time.’ Perspectives on Psychological Science 6 (1) : pp. 9–12.

Des groupes différents sont pour l’essentiel d’accord sur la répartition idéale des richesses. Les Américains ayant un revenu annuel supérieur à 100 000 $ pensent que la part revenant au 20 % les plus riches devrait être légèrement supérieure à celle préconisée par ceux gagnant moins de 50 000 $. Ce que l’on ne voit pas dans le graphique : les électeurs du Parti démocrate préfèrent une répartition plus égale que ceux du Parti républicain, et les femmes préfèrent plus d’égalité que les hommes. Les différences entre ces groupes restent cependant faibles.

Quand considère-t-on que les inégalités sont injustes ?

Même s’il semble y avoir un consensus sur la répartition idéale aux États-Unis, les politiques publiques susceptibles de redistribuer le revenu et le patrimoine font l’objet de controverses et de débats passionnés – comme dans la plupart des pays. Les différences d’intérêts personnels contribuent à alimenter les arguments. Les Américains plus riches, par exemple, ont tendance à s’opposer à une redistribution qui favoriserait les pauvres, tandis que les Américains plus pauvres la soutiennent.

Cependant, comme les expériences de l’Unité 4 nous le laissent entrevoir, les intérêts personnels ne sont qu’une partie de l’explication. Les personnes diffèrent également par des croyances différentes sur les explications de la pauvreté des pauvres et l’accès à la richesse des riches. Dans le contexte d’une expérience en laboratoire, les personnes expriment souvent des sentiments d’équité forts et renoncent à des sommes d’argent considérables pour s’assurer que les résultats soient en accord avec les idées de justice économique.

Par exemple, les Répondants au jeu de l’ultimatum rejettent ce qu’ils considèrent être une offre injuste, préférant ne rien recevoir et imposer à l’Offreur de repartir les mains vides, plutôt que d’accepter d’être traité de manière injuste. Autant les riches que les pauvres pourraient penser que des niveaux importants d’inégalités sont injustes et que les pouvoirs publics devraient réduire les disparités économiques, même si cela implique de voter pour des politiques publiques réduisant le revenu disponible de l’électeur.

Dans l’Unité 5, vous avez lu des idées différentes sur la justice, non pas fondées sur la façon dont les gens jouent lors de jeux expérimentaux, mais sur des principes moraux. Les théories procédurales, qui sont des idées de justice basées sur la façon dont les inégalités sont apparues, ne se concentrent pas sur le niveau de pauvreté ou de richesse d’une personne, mais sur la raison pour laquelle cette personne est pauvre ou riche.

Christina Fong, une économiste, a voulu savoir si les individus aux États-Unis pensent de cette façon quant il s’agit de leur soutien ou opposition à des politiques visant à augmenter le revenu des pauvres et financées par l’impôt. Elle a montré qu’il est bien moins probable qu’une personne, qui pense que travailler dur et prendre des risques sont essentiels au succès économique, soutienne des mesures de redistribution vers les pauvres que quelqu’un, qui pense que la clé du succès repose sur l’héritage, la couleur de peau, les contacts et la situation des parents.

Les résultats de son étude sont reportés dans la Figure 19.14. Remarquez que les personnes blanches qui pensent qu’être blanc est important pour réussir dans la vie soutiennent massivement des redistributions vers les pauvres – évidemment parce qu’ils pensent que le processus déterminant le succès économique est injuste.

Comment les croyances des Américains au sujet des déterminants de la réussite prédisent leur soutien ou leur opposition aux politiques de redistribution du revenu vers les pauvres
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Figure 19.14 Comment les croyances des Américains au sujet des déterminants de la réussite prédisent leur soutien ou leur opposition aux politiques de redistribution du revenu vers les pauvres.

Figure 5.3 in Samuel Bowles. 2012. The New Economics of Inequality and Redistribution. Cambridge : Cambridge University Press ; Christina Fong, Samuel Bowles, and Herbert Gintis. 2005. ‘Strong Reciprocity and the Welfare State’. In Handbook of Giving, Reciprocity and Altruism. Edited by Serge-Christophe Kolm and Jean Mercier Ythier. Amsterdam : Elsevier.

Cela suggère que, pour beaucoup, la question portant sur le seuil d’inégalités acceptable ne peut pas avoir de réponse, à moins de savoir pourquoi une famille ou une personne est riche ou pauvre. Beaucoup trouvent injuste que le revenu dépende en grande partie de ce que l’on appelle un « hasard de la naissance » (inégalité catégorielle) – votre origine, votre genre ou votre pays. Il est moins probable que les inégalités fondées sur l’effort au travail ou la prise de risque soient considérées comme problématiques.

Exercice 19.5 Répartition estimée, idéale et réelle de la richesse

Utilisez ce calculateur du coefficient de Gini afin de déterminer les coefficients de Gini pour la propriété de la richesse correspondant aux répartitions estimée, idéale et réelle de la Figure 19.13. Note : vous devrez estimer les données visuellement à partir du graphique.

Exercice 19.6 Des règles du jeu équitables

Quand les gens réfléchissent à ce que signifie « trop d’inégalités », certains pensent au coefficient de Gini mesurant les inégalités à une période donnée, tandis que d’autres raisonnent en termes d’inégalités intergénérationnelles.

  1. Utilisez un exemple de deux familles fictives dans chaque pays pour expliquer la combinaison d’inégalités de revenu en coupe transversale et d’inégalités de revenu intergénérationnelles au Canada et en Suisse, indiquée dans la Figure 19.11.

Pensez maintenant aux courbes d’indifférence que vous pourriez dessiner dans cette figure, et qui indiqueraient les combinaisons d’inégalités en coupe transversale et d’inégalités intergénérationnelles qui seraient tout aussi justes selon votre jugement.

  1. Si vous ne vous souciez que du coefficient de Gini et que vous n’appréciez pas les inégalités, à quoi ressembleraient-elles ?
  2. Si vous ne vous souciez que de l’élasticité intergénérationnelle et que vous n’appréciez pas les inégalités, à quoi ressembleraient-elles ?
  3. Sur la Figure 19.11, dessinez les courbes d’indifférence selon vos propres préférences pour les inégalités en coupe transversale et les inégalités intergénérationnelles. Utilisez vos courbes d’indifférence pour ordonner les pays, du plus juste au moins juste.

19.4 Qu’est-ce qu’un niveau d’inégalités trop élevé (ou trop faible) ?

Nous savons que les hasards de la naissance sont importants. Toutefois, même en cas d’égalité des chances (c’est-à-dire si les hasards de la naissance ne comptaient pas), une question subsisterait : à quel point les gagnants devraient-ils être riches par rapport aux perdants ?

Un instrument pour appréhender l’injustice : le voile de l’ignorance

Pour réfléchir à cette question, transportez-vous dans un monde imaginaire, dans lequel vous (peut-être avec quelques autres personnes de votre pays) pouvez créer votre société modèle. Il y aurait deux groupes ou classes de taille égale, l’une appelée « les plus riches » et l’autre « les plus pauvres ». Vous auriez à vivre dans la société que vous avez créée après avoir répondu à la question « À quel point les riches devraient-ils être riches, et à quel point les pauvres devraient-ils être pauvres ? ».

Il y a cependant une difficulté : la classe à laquelle vous appartiendrez sera déterminée à pile ou face après que vous ayez fait votre choix sur le niveau d’inégalités dans la société.

Cette expérience imaginaire revient à choisir un contrat social sous le voile de l’ignorance, selon la terminologie du philosophe américain John Rawls, rencontré dans l’Unité 5. Le « voile de l’ignorance » garantit que nous ignorons la position que nous occuperions dans la société que nous créons.

Derrière l’instrument curieux du voile se trouve un concept important. L’idée fondamentale de Rawls est que la justice devrait être impartiale. Elle ne devrait pas favoriser un groupe par rapport à un autre, et le voile de l’ignorance nous invite à penser en ces termes (car nous ne savons pas encore à quel groupe nous appartiendrions). Rawls nous demandait de réfléchir à l’idée de justice comme si :

Personne ne connaît sa place dans la société, sa position de classe ou son statut social ; personne ne connait non plus ce qui lui échoit dans la répartition des atouts naturels et des capacités, c’est-à-dire son intelligence et sa force, et ainsi de suite. (A Theory of Justice, 1971)

Cela ne nous donne pas de réponse à notre question sur le niveau idéal d’inégalités, mais cela indique tout de même une façon d’aborder le problème.

Niveaux d’inégalités possibles

L’économie nous donne des outils pour étudier les combinaisons possibles des revenus des riches et des pauvres et réfléchir à celles qui pourraient sembler préférables à d’autres.

Essayons une manière de répondre à la question « À quel point les riches devraient-ils être riches, et à quel point les pauvres devraient-ils être pauvres ? ». Disons qu’il ne devrait pas y avoir de différences de revenu entre les riches et les pauvres. Supposez, dans ce cas, que chaque classe reçoit 100 000 dollars par an (par adulte). Cette situation est représentée par le point E (pour « Égalité ») de la Figure 19.15, où la droite à 45 degrés donne tous les points pour lesquels le revenu est le même pour les deux classes (donc les termes « riche » et « pauvre » ne veulent rien dire). Le graphique montre le revenu annuel par adulte des riches et des pauvres sur des axes séparés.

Choix parmi les répartitions de revenu possibles.
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Figure 19.15 Choix parmi les répartitions de revenu possibles.

Égalité entre riches et pauvres
: Le point E désigne la situation dans laquelle les riches et les pauvres reçoivent le même revenu.
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Égalité entre riches et pauvres

Le point E désigne la situation dans laquelle les riches et les pauvres reçoivent le même revenu.

L’idéal de Rawls
: Le point préféré par Rawls est le point R, où les pauvres sont aussi riches que possible.
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L’idéal de Rawls

Le point préféré par Rawls est le point R, où les pauvres sont aussi riches que possible.

L’ensemble des possibles
: La courbe rouge qui passe par les points R et E (et les autres points au-dessus de R) est appelée la frontière des possibles de la répartition des revenus dans l’économie. Sa pente est le TMT.
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L’ensemble des possibles

La courbe rouge qui passe par les points R et E (et les autres points au-dessus de R) est appelée la frontière des possibles de la répartition des revenus dans l’économie. Sa pente est le TMT.

Revenu espéré maximal
: Si vous souhaitiez maximiser votre revenu espéré, alors vous choisiriez le point A, où les gains en termes de revenu des riches sont exactement compensés par les pertes de revenu des pauvres, de sorte que le TMT soit égal à 1.
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Revenu espéré maximal

Si vous souhaitiez maximiser votre revenu espéré, alors vous choisiriez le point A, où les gains en termes de revenu des riches sont exactement compensés par les pertes de revenu des pauvres, de sorte que le TMT soit égal à 1.

Si vous pouviez être sûr(e) d’être riche
: Si vous pouviez truquer la pièce jetée en l’air, de sorte que vous soyez sûr(e) d’être riche (et si vous n’aviez aucune appétence pour l’équité), vous sélectionneriez le point F.
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Si vous pouviez être sûr(e) d’être riche

Si vous pouviez truquer la pièce jetée en l’air, de sorte que vous soyez sûr(e) d’être riche (et si vous n’aviez aucune appétence pour l’équité), vous sélectionneriez le point F.

La pire solution pour les pauvres
: Le point D indique le revenu minimal des pauvres et, comme E, n’est pas Pareto-efficace.
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La pire solution pour les pauvres

Le point D indique le revenu minimal des pauvres et, comme E, n’est pas Pareto-efficace.

Aversion aux inégalités
: Un citoyen averse aux inégalités, avec des courbes d’indifférence comme celles représentées en bleu, choisirait le point B.
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Aversion aux inégalités

Un citoyen averse aux inégalités, avec des courbes d’indifférence comme celles représentées en bleu, choisirait le point B.

Est-ce que cela serait votre choix ? Dans cette version d’une société idéale, vous ne courriez pas le risque de finir plus pauvre que les autres après le lancer de la pièce. Cependant, en tant qu’économiste, vous pourriez penser qu’une égalité complète dans la société entraînerait un trop faible niveau d’incitations à travailler, à étudier et à prendre des risques en innovant et investissant, de sorte que finalement, un niveau minimal d’inégalités pourrait de fait s’avérer préférable pour tout le monde.

Sur le graphique, les points entre E et R montrent toutes les combinaisons possibles pour lesquelles les riches sont plus riches que les pauvres, mais où les pauvres sont aussi plus riches qu’ils ne le seraient sous un régime d’égalité parfaite. Dit autrement, à partir de chacun de ces points, y compris le point E, il y a une possibilité mutuellement avantageuse pour tout le monde : donner plus de revenu aux riches permet aux pauvres d’avoir plus de revenu aussi.

En comparant les deux points, vous pouvez voir que E n’est pas Pareto-efficace, parce que les riches, tout comme les pauvres, sont dans une meilleure situation au point R qu’au point E. La répartition des revenus au point R est aussi celle pour laquelle les pauvres sont aussi riches qu’il est possible de l’être dans l’économie considérée, comme indiqué par la frontière des possibles. C’est le point que Rawls préférait (raison pour laquelle nous avons dénoté ce point « R »).

Choisiriez-vous R ? Notez qu’au-dessus de R, la frontière est très raide. Cela signifie qu’il est possible de rendre les riches plus riches avec une très faible réduction de revenu pour les pauvres.

La courbe rouge passant par R et E (et les autres points au-dessus de R) est la frontière des ensembles possibles de répartition des revenus pour l’économie en question. Nous supposons ici que l’État peut mettre en place des politiques permettant d’atteindre chacun des points économiquement possibles, mais dans l’Unité 22 nous introduirons des limites à la capacité de l’État, ce qui aura pour effet de réduire l’ensemble des possibles. Comme pour toute frontière des possibles, la pente est le taux marginal de transformation, c’est-à-dire, dans ce cas, la transformation de pertes de revenu pour les pauvres en gains de revenu pour les riches.

Si le point R avait été proposé, voudriez-vous prendre en compte les autres points plus hauts sur la frontière des possibles ? Souvenez-vous qu’après le lancer de la pièce, vous aurez soit le revenu des riches, soit le revenu des pauvres, avec une probabilité égale (0,5), donc vous savez que :

Tant que les gains de revenu pour les riches se font sur de faible pertes de revenu pour les pauvres, vous feriez bien de choisir un point plus élevé que le point R. Si vous êtes intéressé(e) par la maximisation de votre revenu espéré et que vous ne vous souciez pas du degré d’inégalité, alors vous devriez choisir le point A, où les gains de revenu des riches sont exactement compensés par les pertes de revenu des pauvres, de telle sorte que le taux marginal de transformation est égal à 1.

Cependant, après le point A, les inégalités deviennent si importantes que le revenu moyen diminue et les riches obtiennent une part plus grande d’un gâteau plus petit. Cette situation peut arriver si les pauvres sont insuffisamment nourris pour travailler dur, ou s’ils sont suffisamment en colère contre leur condition pour inciter les riches à utiliser une partie des ressources économiques destinées à la production de biens et services pour protéger leur richesse, ce qui réduit la production totale. En regardant plus loin la Figure 19.30c, vous verrez des données montrant que les sociétés plus inégalitaires (telles que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Italie) dépensent plus de ressources en emplois dans des services publics et privés de sécurité que ne le font d’autres pays plus égalitaires avec un niveau de PIB par habitant similaire.

Comme pour l’ensemble des possibles lorsqu’Angela et Bruno négociaient à l’Unité 5, il y a un niveau minimal de revenu que les pauvres peuvent obtenir. Ce minimum peut être fixé par leurs besoins biologiques, ou peut-être par le fait que si le revenu tombait en dessous d’un certain seuil, ils se révolteraient. Remarquez que si les pauvres étaient plus pauvres qu’au point F, les riches souffriraient aussi. Ainsi, comme le point E (égalité maximale), le point D (revenu minimum pour les pauvres) n’est pas Pareto-efficace.

Dans cette figure, nous avons étudié les répartitions de revenu suivantes :

  • E : égalité complète
  • R : répartition avec le niveau de revenu le plus élevé possible pour les pauvres
  • A : revenu moyen le plus élevé des riches et des pauvres
  • F : revenu maximal des riches
  • D : répartition telle que les pauvres aient un niveau de vie le plus faible possible

Une préférence pour l’équité

Quel point choisiriez-vous ? Les points entre D et F sont faciles à éliminer, étant inférieurs au point F pour les deux classes. Il en va de même pour les points entre E et R. Écarter toutes les répartitions Pareto-inefficaces signifie qu’aucun point à l’intérieur de l’ensemble des possibles n’est pris en compte.

Cela nous laisse les points entre F et R. Lequel choisir parmi eux ? Pour répondre à cette question, vous devriez consulter vos courbes d’indifférence. Dans ce cas, une courbe d’indifférence donne des combinaisons de revenu pour les deux classes, qui ont la même valeur pour vous.

Les courbes les plus éloignées de l’origine sont préférées (plus de revenu pour les deux classes est toujours mieux). La pente de ces courbes d’indifférence est le taux marginal de substitution entre le revenu des riches et celui des pauvres.

Vous maximiseriez ensuite votre utilité en trouvant le point sur la frontière des possibles auquel le taux marginal de transformation est égal au taux marginal de substitution. Si vous souhaitiez maximiser votre propre revenu espéré, alors vous devriez placer une valeur égale sur le revenu des riches et des pauvres, étant donné que vous avez la même chance de devenir l’un ou l’autre.

aversion pour les inégalités
Une aversion pour les résultats où certains individus reçoivent moins que d’autres.

Cependant, il se peut que vous vous souciiez également de la condition de la classe pauvre même en ayant la chance d’être assigné(e) à la classe plus riche après avoir joué à pile ou face (souvenez-vous, vous devez faire votre choix de société idéale avant de connaître votre affectation). Dans ce cas, vous pourriez être averse aux inégalités, vous souciant de vos propres gains, mais n’aimant pas les inégalités entre groupes. Le cas échéant, votre courbe d’indifférence serait comme celle en bleu indiquée sur la figure. Vous choisiriez alors le point B, quelque part entre l’idéal de Rawls (le niveau de revenu le plus élevé possible pour les pauvres) et le point A, le revenu moyen le plus élevé.

Le graphique familier de l’ensemble des possibles et des courbes d’indifférence permet de clarifier les choix d’inégalité et de justice qu’un citoyen ou un groupe de citoyens pourraient faire. Cependant, il ne nous dit pas comment un point de la frontière des possibles pourrait effectivement être mis en œuvre. Pour changer le niveau d’inégalité dans une société, il est nécessaire de changer une ou plusieurs des variables qui causent les inégalités observées. Afin de comprendre les inégalités de revenu, nous devons d’abord comprendre les facteurs qui déterminent le revenu d’un individu.

Question 19.5 Choisissez la ou les bonnes réponses

La Figure 19.15 montre la frontière des possibles des revenus des riches et des pauvres.

Laquelle de ces affirmations est correcte ?

  • E, le point d’égalité maximale, est Pareto-efficace.
  • Pour un citoyen averse aux inégalités, tout point entre R et F sur la frontière sera préféré à n’importe quel point à l’intérieur de la frontière.
  • Si vous aviez une chance sur 2 d’être riche ou pauvre, alors votre revenu espéré serait maximisé au point B.
  • Entre D et F, diminuer le revenu des pauvres implique aussi de diminuer celui des riches.
  • Le point E n’est pas Pareto-efficace parce qu’au point R, les riches comme les pauvres sont dans une meilleure situation. Cela reflète la croyance selon laquelle l’égalité complète dans une société annihilerait les incitations à travailler, à étudier et à prendre des risques, et que donc un peu d’inégalités serait plus bénéfique pour tous.
  • Quand le taux marginal de transformation est négatif, il mesure le revenu supplémentaire qu’obtiennent les riches par unité à laquelle renoncent les pauvres. C’est au point R qu’il est le plus fort.
  • Si vous aviez une chance sur 2 d’être riche ou pauvre, le revenu espéré serait maximisé au point où le TMT est de -1, c’est-à-dire où la perte d’une unité de revenu pour les riches / les pauvres implique le même gain pour les pauvres / les riches (autrement vous pourriez augmenter le revenu total en choisissant un autre point). C’est le point A.
  • Entre D et F, le revenu des pauvres et des riches diminue. Cela peut être le cas si les riches doivent utiliser des ressources afin de protéger leur richesse des pauvres, réduisant ainsi la production totale.

19.5 Dotations, technologie et institutions

Revenu et dotations

Dans cette section, nous proposons un cadre qui va nous permettre de comprendre pourquoi des individus différents obtiennent des revenus différents.

dotation
Les données sur un individu qui sont susceptibles d’affecter son revenu, comme sa richesse, ses terres, son logement ou un portefeuille d’actions. Cela inclut également le niveau et la qualité de son éducation, des formations spécifiques, les différents langages informatiques que l’individu peut manier, ses expériences professionnelles lors de stages, sa nationalité, le cas échéant, le visa qu’il possède (ou carte verte) lui permettant d’être employé dans un marché de travail particulier, son genre, voire son origine ethnique ou son groupe social. Voir également : capital humain.
capital humain
Le stock de connaissances, compétences, comportements et caractéristiques personnelles qui déterminent la productivité ou le revenu du travail d’un individu. Ce stock peut augmenter par des investissements dans le capital humain, à travers l’éducation, la formation et la socialisation ; c’est l’une des sources de la croissance économique. Le capital humain fait partie des dotations d’un individu. Voir également : dotation.

Le revenu d’un individu dépend de ce qu’il possède, est ou a pour lui permettre d’en tirer des revenus. Ces éléments affectant le revenu d’un individu sont appelés des dotations et incluent :

  • sa richesse financière : l’épargne, les actions ou obligations qu’il possède, dont il tire des intérêts ou dividendes,
  • les biens matériels qu’il possède : par exemple, ses terres ou bâtiments et machines d’une entreprise dont il tire des profits ou une rente, et qu’il peut utiliser comme caution,
  • son niveau d’éducation et son expérience professionnelle, qui ont un effet sur sa valeur pour un employeur et donc sur ses gains en participant au marché du travail (parfois appelé le capital humain),
  • son origine ethnique, son genre, son âge et d’autres caractéristiques qui peuvent influencer le salaire, l’accès au crédit ou d’autres échanges,
  • sa nationalité et si l’individu possède un visa, qui vont déterminer dans quels pays l’individu sera autorisé à travailler et donc avoir une influence sur ses revenus tirés du marché du travail,
  • toute autre caractéristique, propriété ou capacité qui influencent les revenus que peut obtenir un individu.

Ainsi, nous pouvons considérer que le revenu d’un individu dépend de :

  • ses dotations,
  • le revenu résultant de chaque composante de son ensemble de dotations.

Considérez par exemple une personne, nommée Ella, qui a pour dotation la capacité de travailler à plein temps (1 750 heures) pour un salaire basé sur ses compétences de technicienne médicale (30 € de l’heure). Elle reçoit aussi des allocations familiales à hauteur de 2 000 € de la part de l’État pour son enfant. Ses dotations seraient les suivantes :

  • sa capacité de travailler 1 750 heures par an comme technicienne médicale,
  • le droit à des allocations familiales pour son enfant.

Elle n’a trouvé de travail qu’à mi-temps (875 heures), donc le revenu annuel qui découle de ses dotations est : (875 heures x 30 €) + (1 enfant à charge x 2 000 €) = 26 250 €

Considérez maintenant Kamal, qui a récemment hérité de son père d’une somme suffisante pour lancer une petite entreprise. Il travaillait auparavant comme gestionnaire d’une entreprise similaire et gagnait 120 000 € par an. Les dotations de Kamal sont les suivantes :

  • sa capacité de travailler à plein temps en utilisant ses compétences et son expérience de gestionnaire,
  • la possession des bâtiments, biens d’équipement et autres actifs de son entreprise, d’une valeur de 8 millions d’€.

S’il ne gérait pas l’entreprise lui-même, il devrait engager à plein temps un gestionnaire possédant les mêmes compétences et la même expérience que lui, ce qui lui coûterait 120 000 €. L’année dernière, le profit (comptable) de son entreprise était de 600 000 €, sans compter les efforts de Kamal en tant que gérant, qui valent 120 000 € par an. Son revenu était donc de 600 000 € en profits, que nous répartissons en rendement de ses efforts en tant que gérant (120 000 €) et en rendement de la propriété des actifs (480 000 €).

Étudier les raisons pour lesquelles les gens ont différentes dotations et ce qui détermine le revenu associé à chacune de ces dotations nous permet de comprendre les inégalités de revenu.

Les facteurs influençant le revenu individuel peuvent être compris en utilisant le modèle de relations de cause à effet de la Figure 19.16. Les flèches vont d’une cause à un effet.

Les relations causales entre technologie, institutions et politiques, dotations et inégalités
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Figure 19.16 Les relations causales entre technologie, institutions et politiques, dotations et inégalités.

Les institutions et les technologies contribuent à expliquer les différences de dotations entre les individus. La richesse héritée par Kamal lui a donné un atout précieux, tandis que la scolarité subventionnée dans l’enseignement supérieur a permis à Ella de se former comme technicienne médicale. Ces deux exemples soulignent l’influence des institutions sur les dotations.

Nous avons vu que les inégalités intergénérationnelles seront plus élevées quand l’héritage n’est pas lourdement imposé et quand les politiques d’éducation permettent aux riches d’offrir un niveau d’éducation supérieur et de meilleur qualité à leurs enfants. Si les coutumes matrimoniales se traduisent par des niveaux similaires de richesse entre les époux, elles contribuent aux inégalités de dotations. Les universités d’élite privées, par exemple, contribuent à cette sélection parce que, comme des clubs exclusifs, elles fournissent des opportunités de rencontre et d’appariement aux fils et filles venant de milieux privilégiés. Ce sont d’autres exemples de l’influence des institutions sur les dotations.

La technologie compte également. Là où il y a d’importantes économies d’échelle, comme la technologie des plateformes numériques, les formes de concurrence du type « le vainqueur rafle la mise » expliquée dans l’Unité 21 seront favorisées. Dans ce cadre, quelques individus – les vainqueurs – vont capturer des dotations importantes sous la forme d’actifs financiers ou réels de valeur, tandis que les autres n’obtiennent pas grand chose.

La valeur d’une dotation particulière, disons une compétence en programmation ou la possession d’une imprimante 3D, dépend à la fois de la techno­logie et des institutions, ainsi que d’autres facteurs, dont l’offre et la demande. La demande pour la compétence d’Ella était limitée, peut-être en raison de réductions des dépenses de santé, de sorte qu’elle ne pouvait pas travailler à plein temps. L’année prochaine, l’entreprise de Kamal pourrait faire face à un nouveau concurrent, ce qui ne lui permettra pas d’obtenir comme cette année un taux de rendement de 7,5 % (600 000 €/8 000 000 €). Ce sont deux exemples de la façon dont les institutions peuvent influencer le revenu découlant d’un actif.

La technologie compte également. Être physiquement fort était une dotation précieuse en agriculture – du moins jusqu’à ce que la mécanisation rende la force moins déterminante pour le revenu. Dans ce cas, un changement de technologie (mécanisation agricole) a réduit la demande pour un type particulier de compétences, et donc sa valeur (relativement aux autres compétences) diminue. La valeur de la terre, par exemple, dépend de sa productivité pour la culture de produits commercialisables (technologie) et de sa localisation dans une zone pour une utilisation commerciale ou résidentielle (institutions).

Utiliser le modèle pour reconsidérer les inégalités dans les unités précédentes

Dans les unités précédentes, nous avons étudié comment les différences de dotations influencent les performances économiques, y compris les inégalités. La Figure 19.17 résume ces situations, à commencer par l’interaction dans l’Unité 5 entre Bruno, le propriétaire terrien, et Angela, la fermière qu’il a engagée.

Souvenez-vous que ce que Bruno obtient et l’inégalité entre eux dépendaient :

  • De leurs dotations : le fait que Bruno possèdait la terre impliquait qu’il pouvait refuser à Angela la possibilité de l’exploiter.
  • De la productivité du travail d’Angela : cela est déterminé par la dotation d’Angela en termes de capacités et de compétences, ainsi que par la technologie disponible.
  • De l’option de réserve d’Angela : ce qu’Angela aurait reçu en refusant de travailler pour Bruno, ou si Bruno avait refusé de l’engager. Cela a une influence importante sur son pouvoir de négociation avec Bruno. Elle est déterminée par la dotation d’Angela et par les institutions ou politiques publiques en vigueur.

Les dotations des paires d’individus de la Figure 19.17 apparaissent dans la seconde colonne. Dans le premier exemple, Bruno possède la terre et Angela possède seulement son temps et sa capacité de travail. Cette inégalité dans la propriété des terres est importante, car elle détermine qui doit travailler pour qui, et qui peut recevoir un revenu en autorisant d’autres personnes à travailler avec ses biens d’équipement ou sa terre.

Les dotations sont importantes aussi parce qu’elles modifient les options de réserve d’Angela. Si Angela possédait une terre qu’elle pouvait exploiter elle-même, alors Bruno devrait la payer au moins suffisamment pour qu’elle préfère travailler pour lui plutôt que travailler sur sa propre terre.

Souvenez-vous qu’un changement des institutions et politiques publiques peut changer l’option de réserve d’Angela. En l’absence d’État de droit, les institutions étaient telles que Bruno pouvait tout simplement contraindre Angela à travailler. La seule limite au surplus de Bruno était le fait qu’il devait garder Angela en bonne santé pour qu’elle puisse travailler le lendemain.

Le changement institutionnel, qui lui donna le droit de dire non, améliora son option de réserve. Bruno devait maintenant offrir à Angela un contrat tel qu’elle serait au moins aussi bien en travaillant pour lui qu’en ne travaillant pas pour lui. Le nouveau « droit de refuser » d’Angela a augmenté la valeur de sa dotation de travail.

Situation, acteurs et unité Dotation Option de réserve Objet du conflit Institutions et politiques publiques (exemples) Technologie (exemples)
Propriétaire terrien et fermière : Bruno et Angela (Unité 5) Bruno détient la terre ; Angela détient 24 heures de travail potentiel Bruno : louer sa terre à un autre fermier ; Angela : aides publiques Rente payée par Angela à Bruno et nombre d’heures travaillées par Angela Option de réserve d’Angela (qui dépend de la légalité de l’esclavage) et législation limitant le nombre d’heures travaillées Productivité accrue d’Angela en raison de l’amélioration des graines garantissant à Bruno un surplus plus élevé lorsqu’il a tout le pouvoir de négociation.
Emprunt, prêt et investissement : Julia et Marco (Unité 10) Julia : 100 $ l’an prochain ; Marco : 100 $ maintenant Julia : ne rien consommer maintenant, 100 $ plus tard ; Marco : consommer une partie maintenant, stocker et consommer le reste plus tard Julia bénéficie d’un taux d’intérêt faible et Marco d’un taux d’intérêt élevé Concurrence entre les prêteurs et régulation du taux d’intérêt Une amélioration de la technologie de stockage (par exemple, moins de pertes de céréales dues aux souris) permet à Marco de transférer plus facilement ses biens vers le futur et augmente le taux de rendement de ses investissements
Spécialisation et commerce : Greta et Carlos (Unité 18) Les compétences et ressources de chacun qui déterminent l’ensemble de consommation possible en l’absence de spécialisation et de commerce Pour tous les deux : leur utilité s’ils faisaient du mieux possible en l’absence de commerce Le prix auquel ils échangent le bien dans lequel ils se spécialisent Pouvoir de fixation des prix détenu soit par Greta ou Carlos Une amélioration de la technologie de production du bien dans lequel l’un des deux se spécialise bénéficie aux deux, les gains les plus importants allant à la personne qui a le pouvoir de fixer les prix
Entreprise : propriétaires et employés (Unité 6) Propriétaire : propriété de l’entreprise ; employé : capacité de travail étant donné ses compétences Propriétaire : embaucher un autre employé ; employé : allocation chômage et recherche d’emploi Salaire, conditions de travail, effort fourni au travail Niveau des allocations chômage, taux de chômage, législation sur les conditions de travail Une nouvelle technologie peut augmenter la productivité de l’effort de l’employé, augmentant les profits de l’employeur (court terme) et augmentant l’emploi et le salaire réel (long terme). Cela peut aussi avoir des incidences sur la facilité avec laquelle l’employeur peut surveiller l’effort de l’employé
Plantation de bananes : propriétaires et communautés de pêcheurs en aval (Unité 12) Propriétaires : la terre et les autres biens d’équipement de la plantation ; pêcheurs : leurs bateaux et la capacité d’attraper du poisson, accès aux pêcheries Propriétaires : cultiver des bananes sans utiliser le pesticide Weevokil ; pêcheurs : conversion à l’agriculture Utilisation de produits chimiques polluants, compensation potentielle du dommage infligé aux pêcheurs ou engagement à ne pas utiliser de Weevokil Régulations de l’usage de produits polluants, application d’accords privés entre les parties Un nouveau pesticide peut apaiser ou renforcer le conflit entre les deux groupes, selon les externalités

Figure 19.17 Inégalités : dotations, options de réserve, conflits, institutions et technologies.

Dans la dernière colonne de la Figure 19.17, nous considérons de quelle manière les changements technologiques influencent le degré des inégalités. Dans la ligne concernant les propriétaires et les employés des entreprises, une technologie moins intensive en facteur travail, comme nous avons vu dans l’Unité 16, peut – au moins au début – réduire le nombre de travailleurs dont a besoin une entreprise. Cela rend les employés plus vulnérables à une perte d’emploi et réduit la probabilité, pour ceux qui ont perdu leur emploi, d’obtenir un autre emploi au même salaire.

Comme la technologie, les institutions et politiques influencent la valeur des dotations. Dans l’exemple d’Ella, la technicienne médicale, ses compétences spécialisées font partie de ses dotations mais leur rémunération (30 € de l’heure dans notre exemple) dépendra des institutions. Si les employeurs ont pour habitude de discriminer les femmes, ses compétences pourraient avoir moins de valeur. Si une licence était requise pour exercer ce travail, la valeur de ses compétences serait augmentée par la détention de la licence. Ce sont des exemples d’institutions et de politiques publiques qui influencent la valeur de dotations.

Le marché du crédit de l’Unité 10 est un autre exemple. Souvenez-vous que la dotation de Julia est de 100 $ l’année suivante. Ce qu’elle peut consommer maintenant dépend de sa richesse (ce qui est dans la baignoire), qui dépend elle-même de la manière dont les institutions et politiques publiques déterminent si elle peut emprunter, et à quel taux, le cas échéant.

Si sa seule option est le prêteur du village à Chambar ou un prêteur sur salaire à New York, elle est confrontée à un taux d’intérêt élevé et sa richesse (actuelle) est bien plus faible que 100 $. Si elle peut emprunter à un taux d’intérêt faible, sa richesse est proche de 100 $. Si elle ne peut pas emprunter du tout, alors la baignoire est vide et sa richesse actuelle est nulle.

Comment dotations, technologie, institutions et inégalités interagissent dans le temps

Les dotations et le revenu qu’elles apportent changent continuellement avec l’acquisition de nouvelles compétences et l’évolution de la valeur de certaines dotations – comme la baisse du prix d’une terre ou d’un appartement en location. La Figure 19.16 illustre les causes des inégalités économiques. Dans la Figure 19.18, nous illustrons les inégalités comme une cause de changements des institutions, de la technologie et de différences de dotations.

La flèche allant des inégalités économiques aux différences de dotations dans la période suivante capture le fait que les enfants de parents plus riches auront probablement une éducation plus longue et de meilleure qualité, ou hériteront d’une plus grande richesse.

Inégalités économiques dans le temps. Les flèches rouges montrent que les inégalités économiques d’une période ont une influence sur les technologies, les institutions et politiques et les différences de dotations de la période suivante
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Figure 19.18 Inégalités économiques dans le temps. Les flèches rouges montrent que les inégalités économiques d’une période ont une influence sur les technologies, les institutions et politiques et les différences de dotations de la période suivante.

Les inégalités économiques pourraient également influencer les institutions et politiques. Nous en verrons un exemple dans l’Unité 22, quand nous montrerons que dans la plupart des pays – même des démocraties – une personne aisée a plus d’influence sur les politiques mises en œuvre qu’une personne pauvre. Un écart plus grand entre les riches et les pauvres pourrait augmenter l’avantage politique des riches, ce qui pourrait alors encourager des politiques favorisant ceux ayant des revenus plus élevés.

Exercice 19.7 Yichen, Renfu, Mark et Stefanie

Considérez la situation économique de Yichen, Renfu, Mark et Stefanie, présentée au début de cette unité. Donnez des exemples de la manière dont la technologie, les institutions et les différences de dotations expliquent les inégalités économiques entre ces acteurs, et comment les inégalités entre ces personnages pourraient évoluer dans le temps.

19.6 Inégalités, dotations et relations de type principal–agent

Rappelez-vous que les modèles des marchés du travail et du crédit dans les Unités 9 et 10 posaient les fondations pour nos modèles macroéconomiques sur le fonctionnement de l’économie dans son ensemble et pour l’étude de la manière dont les chocs et politiques publiques affectent le niveau d’emploi, les revenus et l’inflation dans l’économie. Nous avions utilisé la courbe de Lorenz pour résumer les effets sur les inégalités. Et quand nous avons expliqué le modèle des inégalités de la Figure 19.6, nous avons eu recours à des exemples tirés des marchés du travail et du crédit.

relation du type principal–agent
Il s’agit d’une relation asymétrique dans laquelle une partie (le principal) bénéficie d’une action ou d’un attribut d’une autre partie (l’agent) pour laquelle les informations du principal ne sont pas suffisantes pour faire appliquer un contrat complet. Voir également : contrat incomplet. Connu également sous le terme : problème du type principal-agent.

Les modèles de type principal–agent offrent également une nouvelle manière d’étudier une dimension importante des inégalités : les différences de pouvoir influencent le type de choix qu’une personne peut faire. Le principal est dans une position qui lui permet d’exercer du pouvoir sur l’agent, tandis que l’agent peut rarement exercer du pouvoir sur le principal. Voici pourquoi.

L’employeur (le propriétaire ou le dirigeant qui est le principal sur le marché du travail) a le pouvoir de déterminer ce que va produire l’entreprise, quelle technologie sera utilisée et dans quel pays sera localisée la production. Il a aussi le pouvoir de fixer le salaire et de déterminer les tâches qu’un travailleur devra remplir, et il peut également le licencier. Le travailleur prend des décisions à propos de son travail en restant dans les limites fixées par l’employeur.

Rappelez-vous que pour inciter le travailleur à travailler dur et bien, l’employeur fixe un salaire tel que l’employé soit dans une meilleure situation en travaillant qu’en ne travaillant pas : l’employé reçoit une rente économique. L’employeur peut licencier le travailleur et le priver de la rente économique qu’il recevrait en travaillant. La peur de perdre cette rente constitue une raison importante pour le travailleur de satisfaire aux souhaits de l’employeur. C’est aussi la raison pour laquelle l’employeur a du pouvoir sur l’employé.

Bien évidemment, le travailleur pourrait démissionner. Cependant, cela n’équilibre pas la relation en termes de pouvoir. S’il reçoit une rente économique, il se pénaliserait lui-même en démissionnant et l’employeur le rempla­cerait simplement par un autre travailleur parmi ceux qui sont au chômage.

Nous pouvons opposer cela aux relations entre acheteurs et vendeurs quand ils n’exercent aucune influence sur les prix, à l’équilibre d’un marché concurrentiel. Aucun de ces agents n’est en position d’exiger des autres agents qu’ils agissent différemment. Pensez par exemple à un acheteur, qui ordonnerait à un vendeur de vendre un bien à un prix inférieur à celui pratiqué, en menaçant de ne pas acheter le bien sinon. Que ferait le vendeur ? Rien. Le vendeur peut vendre autant qu’il le veut au prix pratiqué (rappelez-vous que la courbe de demande à laquelle fait face une entreprise individuelle est horizontale).

Les relations de type principal–agent diffèrent aussi des interactions étudiées à l’Unité 4, où les actions ouvertes à chaque partie étaient identiques – comme la lutte intégrée des parasites ou l’utilisation d’engrais chimiques, ou comme apprendre à coder en C++ ou en Java.

À l’image de la relation entre l’employeur et l’employé, les autres modèles de type principal–agent que nous avons vus reflètent les relations inégales entre des groupes d’individus présentant des différences de dotations, comme les propriétaires terriens et les fermiers locataires ou les prêteurs et les emprunteurs.

La Figure 19.19 illustre la manière dont les marchés du travail et du crédit influencent les relations entre les groupes de prêteurs et d’emprunteurs, et entre employeurs et employés.

Les individus aisés, en haut à gauche du schéma, peuvent utiliser leur richesse pour acheter des biens d’équipement afin de devenir employeurs et ils peuvent aussi devenir prêteurs. Parmi les moins riches, certains deviendront des emprunteurs à succès qui pourront donc aussi devenir employeurs. Ceux qui sont encore moins riches ne peuvent pas emprunter (ils sont exclus du marché du crédit comme nous l’avons étudié dans l’Unité 10 ou ne peuvent emprunter qu’en utilisant leur maison comme collatéral pour leur prêt hypothécaire) et doivent chercher du travail comme employés. Les employeurs recrutent ensuite les employés parmi les moins riches et certains restent au chômage (en raison du fonctionnement du marché du travail étudié dans les Unités 6, 9 et 15).

Les flèches horizontales indiquent une relation de type principal–agent. Dans ce schéma, les prêteurs et les employeurs sont les principaux ; cette similarité est signalée par la couleur rouge qu’ils partagent. Les agents – emprunteurs à succès et employés – sont indiqués en vert pour les distinguer de ceux qui pourraient être des agents mais ne le sont pas (exclus du marché du crédit ou au chômage), et qui sont coloriés en violet. Vous ne voulez clairement pas être dans les encadrés en violet. Cependant, même si vous êtes un agent assez chanceux pour vous trouver dans l’un des encadrés verts, le principal peut vous renvoyer dans un encadré violet simplement en refusant de traiter avec vous. C’est pour cette raison que les prêteurs et les employeurs ont du pouvoir sur les emprunteurs et les employés.

Les marchés du crédit et du travail façonnent les relations entre les groupes avec différentes dotations.
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Figure 19.19 Les marchés du crédit et du travail façonnent les relations entre les groupes avec différentes dotations.

Une économie modélisée
: Considérez une économie composée d’individus riches et d’employés.
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Une économie modélisée

Considérez une économie composée d’individus riches et d’employés.

Exclus du marché du crédit
: Ceux sans richesse (collatéral) ou une richesse insuffisante sont exclus du marché du crédit.
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Exclus du marché du crédit

Ceux sans richesse (collatéral) ou une richesse insuffisante sont exclus du marché du crédit.

Individus riches et emprunteurs à succès
: Ils peuvent acheter des biens d’équipement afin de devenir employeurs.
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Individus riches et emprunteurs à succès

Ils peuvent acheter des biens d’équipement afin de devenir employeurs.

Ceux qui ne sont pas riches
: Ils sont employés ou au chômage.
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Ceux qui ne sont pas riches

Ils sont employés ou au chômage.

Les employeurs recrutent les employés sur le marché du travail
: Cela exclut les chômeurs.
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Les employeurs recrutent les employés sur le marché du travail

Cela exclut les chômeurs.

La Figure 19.19 nous permet de comprendre pourquoi certaines personnes deviennent des principaux (les employeurs, par exemple) tandis que d’autres deviennent des agents (les employés). Si l’on est riche, on peut à la fois être un prêteur et un employeur. Il y a un peu de vrai dans la proposition selon laquelle « les individus naissent dans leur position dans l’ordre économique ». C’était littéralement le cas dans certaines économies du passé. Par exemple, la condition de l’esclave était perpétuée par l’asservissement de ses enfants, que la loi permettait.

Il peut se passer quelque chose de similaire quand la richesse des parents est héritée par les enfants. Il est plus probable que les enfants des employés (qui héritent de peu de richesse) deviennent les travailleurs de la prochaine génération, plutôt que les enfants des employeurs. Vous avez déjà vu que les enfants de parents riches aux États-Unis ont tendance à avoir des revenus élevés un fois adultes (Figure 19.10).

Cependant, regardez à nouveau ce graphique : il y a une certaine mobilité entre les groupes de revenus même aux États-Unis et il existe très peu d’inégalités intergénérationnelles au Danemark. Pour devenir employeur, il est nécessaire d’avoir un certain niveau de richesse. Cependant, hériter cette richesse d’un parent n’est pas la seule possibilité et dans certains pays ce n’est pas le moyen principal d’acquérir de la richesse. La richesse nécessaire pour devenir employeur peut être obtenue par l’épargne. Elle peut aussi être obtenue en développant un grand projet et en convaincant des investisseurs en « capital-risque » de le financer.

Nous avons également vu dans les Unités 13 et 16 qu’il existe des transitions pour les individus entre les différents encadrés au cours de leur vie entière. Une personne jeune peut initialement être un emprunteur puis devenir un prêteur plus tard dans sa vie ; une période de chômage peut être suivie par une période d’emploi.

Question 19.6 Choisissez la ou les bonnes réponses

Laquelle de ces affirmations est correcte ?

  • Les dotations sont des données sur un individu qui peuvent influencer son revenu.
  • Avoir ou ne pas avoir de diplôme ne constitue pas une différence de dotations si cela découle d’un choix individuel.
  • Tous les individus ont la même option de réserve quelles que soient leurs dotations.
  • Un visa (permis de travail pour un non-ressortissant) ne peut faire partie des dotations d’un individu parce qu’il ne peut pas être vendu.
  • C’est la définition d’une dotation.
  • Qu’un individu ait un diplôme ou pas influence son revenu. Ainsi, un individu avec un diplôme et un individu sans diplôme ont différentes dotations.
  • Les options de réserve dépendent des dotations d’un individu. Par exemple, l’option de réserve d’un employeur est d’embaucher un autre employé, tandis que l’option de réserve d’un employé est de recevoir les allocations chômage.
  • La possibilité de commercialisation ne fait pas partie de la définition d’une dotation. Une dotation est toute chose — y compris le bon visa — pouvant avoir une incidence sur le revenu d’un individu.

19.7 Le modèle en pratique : expliquer l’évolution des inégalités

Le modèle présenté dans la section précédente nous permet de comprendre pourquoi les individus ont différents revenus. Cependant, pour comprendre les inégalités, il est nécessaire de considérer tous les changements dans la répartition des revenus. Dans cette section, nous appliquerons le modèle du marché du travail de l’Unité 9, associé à notre compréhension des déterminants du revenu des individus, afin d’examiner l’effet sur les inégalités :

  • d’une hausse du niveau d’éducation des travailleurs
  • d’une réduction des discriminations contre un segment de la main-d’œuvre
  • de l’automatisation de la production réduisant la demande pour certaines compétences et augmentant la demande pour d’autres

Avant de continuer, il pourrait vous être utile de revoir le fonctionnement du marché du travail décrit dans l’Unité 9.

Une main-d’œuvre plus éduquée et plus productive

Quelles seront les conséquences si les travailleurs acquièrent plus d’éducation ? Nous nous attendons à ce que l’éducation supplémentaire augmente la productivité, ce qui signifie qu’une unité d’effort par un travailleur mieux formé produit davantage de biens par heure en utilisant la même technologie. L’effet direct d’une hausse de l’éducation sur un individu est donc d’améliorer leur dotation en travail. Tous les autres facteurs restant égaux, une augmentation de la productivité implique que l’individu peut recevoir un salaire plus élevé pour son travail.

Cependant, que se passe-t-il quand toute la main-d’œuvre devient plus éduquée ? Cela pourrait arriver par exemple si l’âge de la scolarité obligatoire était repoussé. Au salaire réel pré-existant, une augmentation de la productivité impliquera une augmentation du profit pour les entreprises. Cela déplace vers le haut la courbe de fixation des prix, comme on peut le voir dans la partie gauche de la Figure 19.20. Comme les profits sont plus élevés, de nouvelles entreprises entrent sur le marché et les entreprises existantes embauchent plus de travailleurs, ce qui réduit le taux de chômage. Avec un taux de chômage plus faible, il est plus facile pour un travailleur licencié de trouver un nouvel emploi. Les travailleurs ont donc une meilleure position de réserve et le salaire augmente. Les travailleurs ont à la fois une dotation en temps de travail meilleure et plus productive, et le prix de leur dotation a augmenté.

La partie droite de la Figure 19.20 montre l’effet sur les inégalités. Il y a maintenant moins de travailleurs au chômage. Le segment de la courbe de Lorenz représentant les travailleurs employés s’est maintenant aplati, parce que, même si le salaire réel a augmenté, une part plus importante de la main-d’œuvre (85 % au lieu de 80 %) reçoit les mêmes 60 % du revenu total (qui a maintenant augmenté).

Le segment pour les propriétaires est resté intact parce que les mêmes 10 % de la population reçoivent encore 40 % du revenu. Comme le salaire des travailleurs, les profits des propriétaires ont augmenté parce que la production a augmenté. Dans cet exemple, l’effet d’une meilleure éducation et de la hausse de la productivité des travailleurs sur les inégalités est de réduire le coefficient de Gini de 0,36 à 0,33.

Effet d’une main-d’œuvre plus éduquée sur les inégalités entre employeurs, employés et chômeurs : le marché du travail de l’économie dans son ensemble et la courbe de Lorenz.
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Figure 19.20 Effet d’une main-d’œuvre plus éduquée sur les inégalités entre employeurs, employés et chômeurs : le marché du travail de l’économie dans son ensemble et la courbe de Lorenz.

Notre économie modélisée
: Considérez comment l’économie décrite dans la partie gauche, avec son équilibre initial au point X, évolue quand les travailleurs (employés et chômeurs) deviennent plus éduqués.
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Notre économie modélisée

Considérez comment l’économie décrite dans la partie gauche, avec son équilibre initial au point X, évolue quand les travailleurs (employés et chômeurs) deviennent plus éduqués.

La productivité des travailleurs augmente, déplaçant vers le haut la courbe de fixation des prix
: Le salaire compatible avec la marge maximisant les profits de l’entreprise, qui peut fixer les prix, est maintenant plus élevé.
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La productivité des travailleurs augmente, déplaçant vers le haut la courbe de fixation des prix

Le salaire compatible avec la marge maximisant les profits de l’entreprise, qui peut fixer les prix, est maintenant plus élevé.

Des entreprises entrent
: En réponse à des profits plus élevés, la production augmente, ce qui réduit le taux de chômage. Comme cela augmente la position de réserve des employés, cela incite les entreprises à fixer un salaire supérieur. Le nouvel équilibre du marché du travail est au point Y.
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Des entreprises entrent

En réponse à des profits plus élevés, la production augmente, ce qui réduit le taux de chômage. Comme cela augmente la position de réserve des employés, cela incite les entreprises à fixer un salaire supérieur. Le nouvel équilibre du marché du travail est au point Y.

Baisse des inégalités
: La courbe de Lorenz se déplace vers le haut, comme moins de travailleurs sont au chômage. La répartition en pourcentage de la production entre travailleurs et propriétaires reste inchangée.
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Baisse des inégalités

La courbe de Lorenz se déplace vers le haut, comme moins de travailleurs sont au chômage. La répartition en pourcentage de la production entre travailleurs et propriétaires reste inchangée.

Une réduction de la segmentation du marché du travail

marché du travail primaire
Un marché sur lequel les travailleurs sont généralement représentés par des syndicats et bénéficient de salaires élevés et d’une bonne sécurité de l’emploi. Voir également : marché du travail secondaire, marché du travail segmenté.

Jusqu’à présent, nous avons fait l’hypothèse que tous les travailleurs reçoivent le même salaire sur un marché du travail unique. En réalité, il existe une multitude de marchés du travail distincts. Sur le marché du travail primaire, les travailleurs sont généralement représentés par des syndicats et bénéficient de salaires élevés et de la sécurité de l’emploi. L’« échelle des emplois » permet d’être promu à des postes associant des salaires plus élevés et une meilleure sécurité de l’emploi. Les emplois sur le marché du travail primaire sont souvent considérés comme des « bons emplois ».

marché du travail secondaire
Des travailleurs avec, en général, des contrats à court terme assortis de faibles salaires et une sécurité de l’emploi limitée. Cela peut être dû à leur âge ou parce qu’ils sont discriminés en raison de leur origine. Voir également : marché du travail primaire, marché du travail segmenté.

Les travailleurs du marché du travail secondaire ont des contrats à court terme avec des salaires plus modestes et une faible sécurité de l’emploi et sont en général jeunes ou discriminés en raison de leur couleur de peau ou origine ethnique. Dans beaucoup de pays européens, on appelle cela des contrats zéro heure parce que l’employeur ne garantit aucune heure de travail, ni aucun salaire minimal. Le marché du travail secondaire est également désigné comme la « gig economy » (l’économie des petits boulots), dans laquelle le travail indépendant et les contrats de très court terme sont la norme, plutôt que les emplois permanents. Pour une dotation en compétences donnée, ces travailleurs vont recevoir en général un revenu moins élevé que les travailleurs sur le marché du travail primaire. Les institutions bénéficient donc aux travailleurs du marché du travail primaire et désavantagent les travailleurs du marché secondaire, ce qui exacerbe les inégalités de revenu.

marché du travail segmenté
Un marché du travail dont les segments distincts fonctionnent comme des marchés du travail séparés. La mobilité des travailleurs d’un segment à l’autre est restreinte (notamment pour des raisons d’origine, de langue ou d’autres discriminations). Voir également : marché du travail primaire, marché du travail secondaire.

La Figure 19.21 montre une courbe de Lorenz pour une économie dans laquelle le marché du travail est segmenté, avec un segment à bas salaires et un segment primaire à salaires élevés de tailles égales. Les propriétaires ne sont pas segmentés, car ils peuvent facilement investir leur richesse dans l’un ou l’autre secteur, ou dans les deux, de telle sorte que le taux de rendement sera le même dans les deux secteurs. L’élimination de la segmentation du marché du travail implique que tous les travailleurs reçoivent le même salaire, mais la part du revenu qui revient aux travailleurs dans leur ensemble reste intacte, à moins que le pouvoir de négociation respectif des travailleurs et propriétaires ne change. Cela montre comment le changement des institutions peut réduire les inégalités en harmonisant les salaires que reçoivent les individus pour leurs dotations.

La figure illustre le fait que, pour l’essentiel, les inégalités dans les économies modernes sont entre les employés (des travailleurs du marché du travail secondaire aux professionnels très bien payés) et que la réduction de ces inégalités peut considérablement réduire le coefficient de Gini. Là où les syndicats ont réduit la segmentation du marché du travail et atténué les différentiels de salaires entre travailleurs, les inégalités sont plus faibles. Un exemple est la politique salariale solidaire mise en œuvre en Suède et dont nous parlerons à l’Unité 22.

Effet de la segmentation du marché du travail.
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Figure 19.21 Effet de la segmentation du marché du travail.

Un modèle d’économie avec segmentation du marché du travail
: Les 40 travailleurs du marché du travail secondaire n’obtiennent que 10 % du revenu de l’économie ; les 40 travailleurs du marché du travail primaire obtiennent la moitié du revenu (ils sont rémunérés cinq fois plus que les travailleurs secondaires). Les 10 propriétaires obtiennent 40 % du revenu (ils sont rémunérés 16 fois plus que les travailleurs secondaires).
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Un modèle d’économie avec segmentation du marché du travail

Les 40 travailleurs du marché du travail secondaire n’obtiennent que 10 % du revenu de l’économie ; les 40 travailleurs du marché du travail primaire obtiennent la moitié du revenu (ils sont rémunérés cinq fois plus que les travailleurs secondaires). Les 10 propriétaires obtiennent 40 % du revenu (ils sont rémunérés 16 fois plus que les travailleurs secondaires).

Élimination de la segmentation du marché du travail
: Les 80 travailleurs reçoivent maintenant le même salaire, et tous ensemble ils obtiennent 60 % du revenu de l’économie. Le salaire des travailleurs secondaires a augmenté, tandis que celui des travailleurs du marché primaire a baissé.
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Élimination de la segmentation du marché du travail

Les 80 travailleurs reçoivent maintenant le même salaire, et tous ensemble ils obtiennent 60 % du revenu de l’économie. Le salaire des travailleurs secondaires a augmenté, tandis que celui des travailleurs du marché primaire a baissé.

Effet sur les inégalités
: Le coefficient de Gini, qui était de 0,52 en cas de segmentation du marché du travail, a diminué et est maintenant à 0,36.
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Effet sur les inégalités

Le coefficient de Gini, qui était de 0,52 en cas de segmentation du marché du travail, a diminué et est maintenant à 0,36.

Automatisation

automatisation
L’utilisation de machines se substituant à la main-d’œuvre.

L’automatisation est un terme utilisé pour décrire les nouvelles technologies qui permettent à des machines de faire le travail que faisaient autrefois des personnes. Les innovations technologiques qui remplacent le travail sont une partie essentielle de l’économie capitaliste depuis l’introduction au 18e siècle de la machine à filer (« spinning jenny ») que nous avons décrite dans l’Unité 2. Comme nous l’avons vu dans l’Unité 16, généralement les nouvelles technologies mettent des travailleurs au chômage et augmentent la demande pour les compétences d’autres travailleurs. Nous pouvons étudier ces effets en utilisant la courbe de Lorenz et le coefficient de Gini qui en est dérivé.

Pour voir comment, considérez une économie hypothétique dans la Figure 19.22, avant et après l’introduction de machines accomplissant des opérations répétitives qui avaient toujours été réalisées par des hommes. Nous appellerons ces machines des « robots ». La courbe de Lorenz bleue (trait plein) représente la répartition du revenu entre 5 employeurs et 95 travailleurs avant l’introduction des robots. Cinq des travailleurs sont au chômage, et parmi les 90 qui sont employés, tous reçoivent le même salaire, qu’ils effectuent un travail répétitif ou pas.

La pente de la droite la plus plate indique le niveau de rémunération des travailleurs par rapport à leur productivité. Nous voyons que les 90 travailleurs employés reçoivent 60 % du revenu de l’économie. Ainsi, chacun reçoit 0,60/90 ou deux tiers d’un pourcent de ce que produit l’économie. La pente de la droite solide plus pentue montre que les 5 propriétaires reçoivent 40 % du revenu, ainsi chacun reçoit 8 % (=0,40/5) du revenu de toute l’économie.

Effet des robots sur les inégalités : polarisation du marché du travail.
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Figure 19.22 Effet des robots sur les inégalités : polarisation du marché du travail.

La courbe de Lorenz avant introduction des robots
: La courbe de Lorenz bleue (trait plein) montre la répartition du revenu entre chômeurs, employés et propriétaires. Tous les travailleurs, qu’ils effectuent un travail répétitif ou pas, obtiennent le même salaire.
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La courbe de Lorenz avant introduction des robots

La courbe de Lorenz bleue (trait plein) montre la répartition du revenu entre chômeurs, employés et propriétaires. Tous les travailleurs, qu’ils effectuent un travail répétitif ou pas, obtiennent le même salaire.

L’introduction de robots remplace et réduit le prix du travail répétitif
: Après l’introduction de robots, 5 travailleurs supplémentaires – ceux qui effectuaient des tâches répétitives – perdent leur emploi. Les 55 travailleurs effectuant des tâches répétitives qui restent reçoivent maintenant seulement 10 % du revenu de l’économie.
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L’introduction de robots remplace et réduit le prix du travail répétitif

Après l’introduction de robots, 5 travailleurs supplémentaires – ceux qui effectuaient des tâches répétitives – perdent leur emploi. Les 55 travailleurs effectuant des tâches répétitives qui restent reçoivent maintenant seulement 10 % du revenu de l’économie.

Les robots donnent plus de valeur au travail de certains travailleurs
: Trente des employés ont des compétences complémentaires aux machines. Ils obtiennent des salaires plus élevés.
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Les robots donnent plus de valeur au travail de certains travailleurs

Trente des employés ont des compétences complémentaires aux machines. Ils obtiennent des salaires plus élevés.

L’effet des robots sur les inégalités
: L’introduction des robots polarise le marché du travail et augmente le coefficient de Gini.
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L’effet des robots sur les inégalités

L’introduction des robots polarise le marché du travail et augmente le coefficient de Gini.

Pour comprendre l’effet à court terme de l’introduction des robots, pensez à la dotation en compétences des travailleurs. Parmi eux, 60 effectuent un travail répétitif qui était relativement bien payé, comme l’intendance de machines ou le tri du courrier, qui peut maintenant être effectué par des robots. D’autres sont formés non seulement pour manipuler les machines, mais aussi pour les concevoir, les réparer, les calibrer et gérer leur déploiement.

Les effets à court terme dépendent du type de travail effectué par un travailleur :

  • Les robots remplacent le travail : pour des tâches répétitives dans lesquelles les machines et les compétences sont des substituts, la valeur de la dotation d’un travailleur est réduite par la nouvelle technologie parce que le robot peut remplacer le travailleur.
  • Les robots améliorent le travail : pour les tâches dans lesquelles les machines et les compétences sont des compléments, la valeur de la dotation d’un travailleur s’accroît avec la nouvelle technologie.

Ces deux effets sont montrés dans la nouvelle courbe de Lorenz (en pointillé) qui illustre les effets à court terme de la nouvelle technologie sur les travailleurs qui obtenaient auparavant deux tiers d’un pourcent du revenu chacun. Au moins quelques-uns des 60 travailleurs pour lesquels les robots remplacent le travail perdent leur emploi. Cinq d’entre eux sont maintenant au chômage ; les machines ont remplacé leur travail. Le pouvoir de négociation de ceux qui restent employés a diminué (parce qu’eux aussi peuvent être remplacés). Ces 55 travailleurs reçoivent maintenant 25 % du revenu de l’économie et leurs revenus diminuent jusqu’à 0,5 % du revenu total par personne.

D’autre part, les 30 travailleurs qui ont des compétences complémentaires aux robots ont gagné. Ils reçoivent maintenant 35 % du revenu total de l’économie, ce qui correspond à un peu plus de 1 % chacun.

L’effet de l’automatisation peut donc ressembler à l’effet de la segmentation du marché du travail, mais dans le cas des robots, la ségrégation des travailleurs dépend de la facilité de substitution des machines à leurs compétences (les perdants) ou au contraire du degré de complémentarité entre leurs compétences et les machines (les gagnants).

Le coefficient de Gini passe donc de 0,38 à 0,53, ce qui est représenté par la nouvelle courbe de Lorenz, s’éloignant davantage sous la droite d’égalité parfaite.

Un exemple est de l’effet de l’automatisation est l’introduction de guichets automatiques bancaires. Cela a certainement dû augmenter le chômage parmi les employés des guichets des banques.

James Bessen, un économiste, a observé les niveaux d’emploi aux États-Unis et trouvé que le nombre d’employés au guichet de banques continua à augmenter même après l’installation des machines. Au lieu de réaliser des tâches mécaniques, ils étaient maintenant utilisés pour d’autres services, comme conseiller les clients.10

Bessen trouva aussi que l’emploi avait augmenté parmi les comptables et le personnel de vente au détail malgré une automatisation de certaines de leurs tâches. Cependant, il trouva que la technologie se substitua effectivement aux emplois des agents de voyage. L’automatisation était complémentaire aux compétences de certains comptables et employés des guichets des banques, mais était un substitut pour les compétences des agents de voyage.

Écoutez James Bessen parler de son livre dans cet épisode de mai 2016 d’un podcast EconTalk.

Qu’est-ce qui détermine si l’automatisation augmente ou diminue les salaires et l’emploi ? Nous pouvons utiliser une analyse similaire à celle réalisée dans l’Unité 16. Il y a deux effets contradictoires.

D’une part :

  • L’automatisation qui remplace le travail réduit la demande pour certains types de travail : cela met les travailleurs au chômage.
  • Cela réduit l’option de réserve de tous les travailleurs : cela réduit le salaire que les entreprises doivent fixer pour maintenir le niveau d’effort désiré.

D’autre part :

  • L’augmentation de la productivité du travail augmente les profits.
  • Cela motive et finance un accroissement du stock de capital dans l’économie.
  • L’accroissement du stock de capital crée des opportunités d’emploi supplémentaires : cela réduit le chômage et augmente le salaire requis pour motiver les travailleurs le long de la courbe des salaires.

Comme nous l’avons vu dans l’Unité 16, l’ajustement des marchés du travail locaux à des technologies économes en facteur travail et à la concurrence des importations peut prendre beaucoup de temps.

Le modèle ne peut pas déterminer si le nouvel équilibre de Nash du marché du travail impliquera une répartition du revenu, plus ou moins égale qu’avant. L’inégalité entre les travailleurs sera plus grande puisque les robots ont créé des gagnants et des perdants parmi les employés, en augmentant la valeur de certaines dotations en travail (les ingénieurs) et en diminuant la valeur des dotations en travail des autres (les travailleurs effectuant des tâches répétitives). Si le chômage revient à son niveau initial (avant automatisation) et si la marge de l’entreprise sur ses coûts n’est pas affectée, alors le seul effet durable de long terme serait une hausse des inégalités parmi les employés, ce qui va augmenter le coefficient de Gini.

Les pouvoirs publics observant le processus d’automatisation pourraient répondre en levant des impôts sur les profits augmentés des propriétaires et sur les revenus des travailleurs dont les salaires ont augmenté. Ce revenu fiscal peut être utilisé pour financer :

  • De l’emploi et des opportunités de progression de carrières additionnels et une hausse des salaires : ces opportunités pourraient être dans les services à la personne, comme la santé et les soins, où le travail n’est pas répétitif, mais est souvent mal payé.
  • Des opportunités pour les travailleurs aux compétences routinières d’actualiser et améliorer leurs dotations : leur travail devient améliorable par les machines plutôt que remplaçable par les machines ; par exemple, un ancien opérateur de perceuse à colonne apprend à programmer.

Exercice 19.8 Comment l’automatisation affecte l’emploi

Retournez aux Figures 19.6 et 19.7. Utilisez ce que vous avez appris dans cette section sur les robots comme substituts ou compléments aux dotations des employés pour expliquer certaines tendances de la croissance de l’emploi indiquées dans ces figures.

Question 19.7 Choisissez la ou les bonnes réponses

Laquelle de ces affirmations concernant la segmentation des marchés du travail est correcte ?

  • L’« économie des petits boulots » ne fait pas partie du marché du travail primaire.
  • Les travailleurs sur le marché du travail secondaire sont mieux payés que ceux sur le marché du travail primaire.
  • Les syndicats ont essayé de réduire les heures de travail en instaurant des contrats zéro heure.
  • Les emplois du marché du travail primaire sont concentrés dans le secteur agricole.
  • L’« économie des petits boulots » fait partie du marché du travail secondaire.
  • Les travailleurs sur le marché du travail primaire bénéficient de salaires plus élevés et d’une meilleure sécurité de l’emploi, tandis que ceux du marché du travail secondaire ont des salaires et une sécurité de l’emploi plus faibles.
  • Quand les syndicats négocient avec des employeurs sur les heures de travail, les employeurs doivent garantir que les employés pourront travailler pendant le nombre d’heures négocié. Les contrats zéro heure sont différents. Dans ces contrats, l’employeur ne garantit pas un certain nombre d’heures travaillées. Les contrats zéro heure interviennent dans le marché du travail secondaire, qui n’est pas protégé par des syndicats.
  • Les emplois du marché du travail primaire sont ceux qui sont les mieux représentés par les syndicats et qui bénéficient de salaires et d’une sécurité de l’emploi élevés. Bien que certains emplois du secteur agricole se trouvent dans cette catégorie, une plus grande proportion d’emplois du marché du travail primaire est constituée de cols blancs.

19.8 Pré-distribution

politique de redistribution
Impôts, transferts monétaires et en nature de l’État qui génèrent une redistribution du revenu final différente de celle du revenu marchand. Voir également : politique de pré-distribution.
politique de pré-distribution
Actions publiques qui affectent les dotations des individus et leurs valeurs, dont la distribution du revenu marchand et de la richesse privée. L’éducation, le salaire minimum et les mesures de lutte contre les discriminations sont des exemples de ce type d’actions. Voir également : politique de redistribution.

L’État influence le niveau des inégalités dans l’économie. Il dispose de deux leviers d’action :

  • Redistribution : par des taxes et des transferts qui se traduisent par une répartition du revenu disponible différente de la répartition du revenu marchand (comme nous l’avons vu dans la Figure 19.1) et par des dépenses qui fournissent des services publics aux ménages.
  • Pré-distribution : en affectant les dotations dont les individus disposent ainsi que leur valeur, ce qui change les inégalités en termes de revenu marchand (en revenant à la Figure 19.1 de nouveau, ici l’État influence la répartition des revenus avant taxes et transferts ou la répartition des richesses privées).

Les exemples de pré-distribution que vous avez déjà vus incluent :

  • L’augmentation du niveau d’éducation de la main-d’œuvre : cela change les dotations des employés, en leur donnant de nouvelles compétences et d’autres capacités liées au travail qui vont déterminer les revenus marchands.
  • L’élimination ou la réduction de la segmentation du marché du travail : cela – ainsi que d’autres politiques de lutte contre les discriminations – modifiera les prix (les salaires) qu’un individu peut obtenir sur le marché du travail pour ses dotations. En particulier, cela augmente la valeur des dotations des personnes qui, autrement, seraient discriminées.
salaire minimum statutaire
Un niveau minimum de rémunération déterminé par la loi, pour les travailleurs en général ou pour un type spécifique. L’objectif d’un salaire minimum est de garantir un certain niveau de vie aux travailleurs faiblement rémunérés et d’empêcher l’exploitation. Beaucoup de pays, y compris le Royaume-Uni et les États-Unis, ont une législation sur le salaire minimum. Connu également sous le terme : salaire minimum.

D’autres aspects de la pré-distribution affectent la structure institutionnelle de base de l’économie. En définissant et en appliquant le cadre juridique dans lequel interagissent les employeurs, les banques, les employés, les syndicats, les emprunteurs et d’autres acteurs économiques importants, l’État influence la répartition du revenu marchand. En légiférant, l’État peut aussi décider quels droits de propriété sont protégés. Il peut, par exemple, interdire l’esclavage, légaliser les syndicats (Unités 9 et 16), établir un commerce de droits à polluer (Unité 20) ou fixer la durée des droits de la propriété intellectuelle et des brevets (Unité 21). Toutes ces mesures peuvent changer le pouvoir de négociation relatif entre groupes ainsi que leurs options de réserve, ce qui aura un effet sur la répartition des revenus.

Enfin, l’État peut modifier l’ensemble des contrats qui sont autorisés, ce qui altère la répartition des revenus. Nous avons présenté un exemple dans l’Unité 5, quand nous avons examiné l’effet d’une loi limitant le nombre maximum d’heures que les employés peuvent travailler.

Un autre exemple important de pré-distribution limitant les types de contrats autorisés est le salaire minimum statutaire, qui interdit les contrats avec des salaires inférieurs à un seuil déterminé. Cela a un effet sur la valeur de la dotation en travail d’un travailleur, mais cela peut aussi affecter sa probabilité de trouver un emploi. Le coût d’un salaire minimum peut être qu’il y ait moins de postes.

Arin Dube, un économiste, a étudié les différences d’évolution du salaire minimum dans des zones proches de la frontière des États américains.11 Dans notre vidéo « Économiste en Action », il explique son résultat selon lequel une augmentation du salaire minimum a un faible impact négatif sur l’emploi, mais augmente le revenu des travailleurs pauvres en moyenne.

Garantir une éducation de grande qualité dans la petite enfance est une autre politique de pré-distribution.12 Dans notre vidéo « Économiste en Action », le lauréat du prix Nobel d’économie, James Heckman, de l’université de Chicago, montre comment les économistes peuvent apprendre, à partir d’expériences et d’autres données, comment promouvoir l’égalité des chances pour des enfants pauvres.

La Figure 19.23 liste un ensemble de politiques publiques qui peuvent réduire les inégalités du revenu marchand, et qui sont tirées de cette unité et des autres unités.

Dotation Politique publique Effet direct Effet indirect Unité
Travail Éducation primaire de grande qualité, gratuite pour tous les enfants Augmente les opportunités pour les enfants plus pauvres d’atteindre un niveau d’éducation plus élevé, ce qui augmente la valeur marchande de leur dotation en travail Augmente la productivité moyenne du travail, déplaçant la courbe des prix vers le haut, ce qui augmente les salaires et l’emploi (ceteris paribus) U19
Travail Augmenter la part de la récolte qui revient au fermier Augmente la valeur de la dotation en travail du fermier Augmente les revenus des fermiers U5
Travail Éliminer les discriminations ethniques, raciales ou de genre Augmente la valeur de la dotation en travail des individus discriminés Augmente les revenus des groupes ciblés U19
Travail Salaire minimum Augmente la valeur de la dotation en travail de ceux qui auparavant ne pouvaient pas travailler pour un salaire supérieur au salaire minimum Augmente les revenus des pauvres et réduit ceux des employeurs (à moins que les effets sur l’emploi dominent) U19
Travail Lois et politiques pour augmenter le pouvoir de négociation des travailleurs (par exemple, les syndicats) Augmente la valeur de la dotation en travail des membres des syndicats et améliore les conditions de travail Augmente les revenus des membres de syndicats (à moins que les effets négatifs sur l’emploi ou la productivité dominent) et réduit ceux des employeurs U9, U16, U19
Propriété des entreprises Politiques pour garantir la concurrence Réduit la marge des prix au-delà des coûts Augmente les salaires réels, réduit les profits U7, U9, U16
Propriété intellectuelle Restreindre les droits de la propriété intellectuelle (par exemple, raccourcir la durée des brevets ou des droits d’auteur) Réduit la valeur de la dotation en propriété intellectuelle pour les détenteurs de droits de la propriété intellectuelle Peut décourager l’innovation, mais permet une diffusion plus rapide des innovations U21
Licences professionnelles Permettre un accès plus facile aux licences (par exemple, pour les taxis). Augmente l’offre et réduit les revenus des détenteurs de licences Plus d’égalité (si les licenciés sont plus riches que la moyenne) U19

Figure 19.23 Politiques de pré-distribution qui peuvent réduire les inégalités du revenu marchand.

clauses contractuelles de non-concurrence
Un contrat de travail incluant une disposition ou un accord interdisant au salarié de quitter son entreprise pour rejoindre un concurrent. Cela peut réduire l’option de réserve du travailleur, diminuant le salaire que l’employeur a besoin de lui payer.

Exercice 19.9 Clauses de non-concurrence dans le modèle du marché du travail

La législation peut interdire certains types de contrats, comme ceux interdisant aux employés de quitter leur entreprise pour travailler chez un concurrent. La justification avancée pour ces clauses de non-concurrence est que les salariés quittant une entreprise pourraient emmener avec eux des secrets industriels ou commerciaux qui bénéficieraient aux concurrents. Cependant, aux États-Unis, des clauses de non-concurrence sont même imposées dans les contrats des travailleurs de fast-food. Utilisez le modèle du marché du travail pour expliquer pourquoi les employeurs utilisent des contrats comportant des clauses de non-concurrence dans des secteurs non concernés par le secret industriel.

Question 19.8 Choisissez la ou les bonnes réponses

Selon notre vidéo « Économiste en action » d’Arin Dube, quel résultat ci-dessous correspond aux conclusions de son étude sur l’augmentation du salaire minimum ?

  • Augmenter le salaire minimum a augmenté le roulement de la main-d’œuvre.
  • Une augmentation de 10 % du salaire minimum a causé une augmentation de 4 % des revenus.
  • Une augmentation de 10 % du salaire minimum a causé une diminution de 4 % de l’emploi.
  • Il y a eu un faible effet négatif sur l’emploi.
  • Cela pourrait être vrai, mais ce n’est pas indiqué dans la vidéo.
  • Cela pourrait être vrai, mais ce n’est pas indiqué dans la vidéo.
  • Cela pourrait être vrai, mais ce n’est pas indiqué dans la vidéo.
  • C’est ce qui est indiqué dans la vidéo.

Question 19.9 Choisissez la ou les bonnes réponses

Regardez notre vidéo « Économiste en action » de James Heckman. Selon Heckman, laquelle de ces caractéristiques individuelles n’explique PAS la pauvreté persistante au sein d’une famille, de génération en génération ?

  • QI hérité
  • Faible niveau d’éducation
  • Origine ethnique
  • Comportement social
  • Le QI hérité peut contribuer à la pauvreté persistante, mais n’est pas mentionné dans la vidéo.
  • Selon Heckman, c’est l’une des raisons de la pauvreté persistante.
  • Selon Heckman, c’est l’une des raisons de la pauvreté persistante.
  • Selon Heckman, c’est l’une des raisons de la pauvreté persistante.

19.9 Expliquer les tendances récentes des inégalités du revenu marchand

Ces politiques ou d’autres évolutions peuvent-elles expliquer les tendances observées s’agissant des inégalités du revenu marchand ? La Figure 19.24 expose trois de ces tendances et propose des explications possibles fondées sur les modèles que vous avez appris.

Tendances Données Facteurs explicatifs Modèles
Baisse des inégalités au sein des pays (1920–1980) Figures 19.2, 19.3, 19.4 Hausse de l'éducation et de la productivité qui a réduit le chômage.
Réduction de la segmentation du marché du travail et d'autres sources d'inégalités entre les travailleurs.
Améliorations technologiques qui étaient complémentaires aux compétences des travailleurs faiblement ou moyennement qualifiés.
Figures 19.20, 19.21
Stabilité ou hausse des inégalités au sein des pays (1980–2017) Figures 19.2, 19.3, 19.4, 19.6, 17.3 (panel supérieur) Hausse des inégalités entre travailleurs due aux nouvelles technologies qui étaient complémentaires aux compétences des travailleurs très bien payés, et étaient des substituts aux travailleurs effectuant des tâches répétitives.
Des syndicats plus faibles et des partis politiques plus conservateurs au pouvoir ont fait basculer le pouvoir de négociation en faveur des employeurs, tandis que les profits résultants, plus élevés après impôt, ne se sont pas traduits par une hausse de l’emploi (dans certains pays).
Figure 19.22
Stabilité ou baisse des inégalités entre les pays (1995–2017) Figure 19.5 Baisse de la segmentation du marché du travail mondial grâce à la croissance rapide de la productivité du travail et de la demande en Chine et dans d’autres pays. Figure 19.25

Figure 19.24 Utiliser les modèles économiques pour expliquer les tendances des inégalités du revenu marchand.

Pour expliquer la réduction des inégalités entre les pays (et la réduction associée d’inégalités entre les ménages) dans le monde, imaginez le monde comme une seule économie capitaliste avec un marché du travail segmenté par les frontières nationales. Pour ce faire, nous proposons une économie très simple, celle du « monde », composée de seulement deux « pays » : la Chine et l’Europe/Amérique du Nord. Ainsi, au lieu d’avoir deux segments du marché du travail dans un même pays, il y a deux pays, un pays à faible salaire et un pays à salaire élevé, un peu comme la Chine et les États-Unis dans l’Unité 18.

Tout comme il n’est pas simple pour les travailleurs de quitter le marché du travail secondaire pour le marché du travail primaire dans un pays, l’économie globale présente des marchés du travail segmentée par le niveau national à cause des barrières à la migration des travailleurs, qui ne peuvent pas simplement changer de pays. De plus, comme dans l’économie nationale, les propriétaires ne sont pas segmentés. Ils investissent leur richesse là où elle aura le rendement le plus élevé. Comme nous l’avons vu dans l’Unité 18, la mondialisation n’est que partielle : le marché du travail mondial n’est que très peu intégré, tandis que la mobilité du capital est élevée, parce que l’argent n’a pas besoin d’une carte de séjour ou d’un visa de travail pour pouvoir « travailler » dans un pays.

Le processus de mondialisation a été associé à une réduction des inégalités sur le marché du travail mondial, quand des pays exportateurs, autrefois à bas salaire, comme la Chine, ont commencé à rattraper les salaires des économies à haut salaire, comme la France. Un deuxième effet de la mondialisation est l’augmentation considérable de la quantité de travail disponible dans l’économie capitaliste mondiale, et cela a été associé à une augmentation de la part du revenu allant aux propriétaires des entreprises plutôt qu’aux employés.

Le « monde » comme une économie capitaliste unifiée avec un marché du travail segmenté.
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Figure 19.25 Le « monde » comme une économie capitaliste unifiée avec un marché du travail segmenté. Le segment rouge montre l’effet de la mondialisation qui augmente les inégalités en réduisant les salaires dans les pays riches par rapport aux employeurs, tandis que le segment vert montre l’effet d’une augmentation des revenus parmi les employés pauvres en « Chine ».

Le monde avant que la Chine ne prenne son essor
: Initialement, l’économie chinoise hypothétique est pour l’essentiel rurale et pas directement impliquée dans l’économie capitaliste. La main-d’œuvre urbaine chinoise – la moitié de la main d’œuvre totale de ce monde fictif – ne reçoit que 20 % du revenu mondial. La main-d’œuvre en Europe/Amérique du Nord – la moitié de celle de la Chine – reçoit deux fois plus. Le coefficient de Gini mondial est de 0,59.
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Le monde avant que la Chine ne prenne son essor

Initialement, l’économie chinoise hypothétique est pour l’essentiel rurale et pas directement impliquée dans l’économie capitaliste. La main-d’œuvre urbaine chinoise – la moitié de la main d’œuvre totale de ce monde fictif – ne reçoit que 20 % du revenu mondial. La main-d’œuvre en Europe/Amérique du Nord – la moitié de celle de la Chine – reçoit deux fois plus. Le coefficient de Gini mondial est de 0,59.

La Chine prend son essor
: Le secteur rural chinois diminue à 10 %, ce qui augmente la part de la main-d’œuvre chinoise impliquée dans l’économie capitaliste mondiale, qui reçoit maintenant la même part du revenu mondial que les travailleurs issus de l’Europe/Amérique du Nord (30 % chacun).
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La Chine prend son essor

Le secteur rural chinois diminue à 10 %, ce qui augmente la part de la main-d’œuvre chinoise impliquée dans l’économie capitaliste mondiale, qui reçoit maintenant la même part du revenu mondial que les travailleurs issus de l’Europe/Amérique du Nord (30 % chacun).

Un nouveau monde plus égalitaire et doté d’une main-d’œuvre plus abondante, avec des gagnants et des perdants
: L’aire coloriée en rouge montre que la part du revenu mondial que reçoivent les propriétaires a augmenté de 30 à 40 %, tandis que les travailleurs d’Europe/Amérique du Nord ont perdu des revenus. Mais la courbe de Lorenz en pointillé et la disparition des portions coloriées en vert montre une hausse de la part de revenu pour les travailleurs plus pauvres. Le coefficent de Gini mondial chute de 0,59 à 0,545.
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Un nouveau monde plus égalitaire et doté d’une main-d’œuvre plus abondante, avec des gagnants et des perdants

L’aire coloriée en rouge montre que la part du revenu mondial que reçoivent les propriétaires a augmenté de 30 à 40 %, tandis que les travailleurs d’Europe/Amérique du Nord ont perdu des revenus. Mais la courbe de Lorenz en pointillé et la disparition des portions coloriées en vert montre une hausse de la part de revenu pour les travailleurs plus pauvres. Le coefficent de Gini mondial chute de 0,59 à 0,545.

19.10 Redistribution : impôts et transferts

Différences entre économies sur l’étendue et la nature de la redistribution

Nos modèles de salaires et de profits tentent d’expliquer les revenus marchands. Cependant, cela ne correspond pas à la quantité d’argent que les personnes peuvent dépenser, et ne comprend pas des éléments importants pour notre subsistance qu’il n’est pas possible d’acheter, mais que l’on obtient en tant que citoyen.

Le revenu disponible, comme vous le savez, est le revenu dont dispose une personne après avoir payé tous ses impôts et ses cotisations de Sécurité sociale, et après avoir reçu des transferts de l’État. Cependant ce n’est pas une mesure adéquate du niveau de vie d’un ménage, parce qu’elle ne comprend pas les effets de la taxation indirecte, comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et ne tient pas compte de l’accès des ménages à des services publics gratuits ou subventionnés, comme l’éducation et la santé publiques.

transferts en nature
Dépense publique sous la forme de services gratuits ou subventionnés pour les ménages, plutôt que sous la forme de transferts monétaires.

Ces dépenses publiques sont appelées des transferts en nature, parce que ce sont des transferts aux ménages sous forme de services gratuits ou subventionnés, plutôt que sous forme monétaire. En prenant en compte à la fois les taxes indirectes et les transferts en nature, nous obtenons un troisième concept de revenu, appelé revenu final. Le revenu final est la mesure la plus complète du niveau de vie d’un ménage. Il nous donne la valeur de tous les biens et services qu’un ménage peut consommer. La Figure 19.26 résume la relation entre ces trois concepts de revenu.

Différents concepts de revenu
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Figure 19.26 Différents concepts de revenu.

La Figure 19.27 montre les coefficients de Gini pour le revenu marchand, le revenu disponible et le revenu final pour trois grands pays à revenu intermédiaire. En Afrique du Sud, les taxes directes et les transferts diminuent le coefficient de Gini de 0,08 point (de 0,77 à 0,69). Les taxes indirectes et les services publics le diminuent encore de 0,09 point, pour arriver à un coefficient de 0,60 pour le revenu final. Un niveau aussi élevé d’inégalités est relativement exceptionnel. Le Brésil est beaucoup plus inégalitaire que le Mexique à la fois en termes de revenu marchand et de revenu disponible, mais le coefficient de Gini pour le revenu final baisse presque au même niveau que le Mexique, il est de 0,44 comparé à 0,43 au Mexique.

Coefficients de Gini pour le revenu marchand, le revenu disponible et le revenu final
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Figure 19.27 Coefficients de Gini pour le revenu marchand, le revenu disponible et le revenu final.

Nora Lustig, Carola Pessino and John Scott (2014), ‘The Impact of Taxes and Social Spending on Inequality and Poverty in Argentina, Bolivia, Brazil, Mexico, Peru, and Uruguay: Introduction to the Special Issue’. Public Finance Review Vol. 42 (3) : pp. 287–303; Gabriela Inchauste, Nora Lustig, Mashekwa Maboshe, Catriona Purfield and Ingrid Woolard. (2015). ‘The Distributional Impact of Fiscal Policy in South Africa’. Commitment to Equity Working Paper No. 29, February 2015.

L’État-providence

État-providence
Un ensemble de politiques publiques visant à améliorer le bien-être des citoyens en aidant au lissage des revenus (par les allocations chômage et les retraites, par exemple).

Les politiques publiques qui transforment le revenu marchand en revenu final sont souvent désignées sous le terme d’État-providence. Ces politiques peuvent être décomposées en deux catégories, la partie impôts et la partie dépenses. La partie impôts comprend toute politique qui perçoit des recettes pour l’État tandis que la partie dépenses comprend toute politique qui soit donne de l’argent aux ménages, soit dépense de l’argent pour eux. Nous analyserons plus en détail la composition des dépenses publiques dans l’Unité 22.

Dans les pays où la redistribution réduit considérablement les inégalités, cela tient principalement aux dépenses plutôt qu’aux impôts.

Dans les 28 pays de l’Union européenne, le coefficient de Gini moyen pour le revenu marchand en 2015 est 0,46, et celui pour le revenu disponible, après taxes et transferts, est 0,27. Les taxes ne sont responsables de cette redistribution qu’à hauteur de 0,04 point, tandis que le 0,15 point restant est dû aux transferts vers les ménages. Cela ne signifie pas qu’ils ont de faibles taux d’imposition, mais plutôt que les riches et les pauvres payent une fraction similaire de leur revenu en impôts. Par contre, les ménages plus pauvres bénéficient proportionnellement beaucoup plus des dépenses.

Les données sur le coefficient de Gini pour l’UE sont tirées de la base de données nommée « Effects of tax-benefit components on inequality (Gini index), 2011–2015 policies », à laquelle vous pouvez accéder sur le site Internet Euromod statistics.

Les transferts, monétaires et en nature, ont un effet considérable sur les inégalités. Cependant, dans la plupart des cas, ce n’est pas leur objectif. La plupart des transferts sont justifiés par d’autres raisons, et réduire les inégalités n’est qu’un effet secondaire désirable. L’éducation publique, par exemple, a beaucoup de justifications, y compris comme un investissement en capital humain qui rend un pays plus productif. Les subventions à la santé publique sont souvent justifiées sur la base d’un droit de l’homme fondamental à la vie et à jouir d’une bonne santé.

L’État-providence est souvent représenté et débattu en tant que système de redistribution des riches vers les pauvres. Cependant, c’est tout autant un système de redistribution des chanceux vers les moins chanceux, et il est souvent défendu comme tel. L’État-providence est aussi en partie un système de redistribution des jeunes vers les personnes âgées.

assurance sociale
Dépenses publiques financées par les impôts et qui offrent une protection contre différents risques économiques (par exemple, la perte de revenus consécutive à la maladie ou au chômage) et permettent aux individus de lisser leurs revenus tout au long de la vie. Voir également : co-assurance.

Dans des pays où l’État-providence est important, la grande partie des dépenses est sous forme d’assurance sociale, ce qui comprend l’aide aux ménages pauvres, mais aussi les retraites publiques, les assurances chômage, le logement social, les allocations familiales et d’autres dépenses visant des groupes qui ne sont pas forcément caractérisés par de faibles revenus. Les retraites publiques transfèrent des revenus vers les personnes âgées. Les allocations familiales et les dépenses pour l’éducation publique transfèrent des revenus vers les jeunes (ou ceux qui s’en occupent). Comme elles sont financées par les impôts que payent les adultes qui travaillent, elles permettent aux individus de lisser leurs revenus au cours de leur vie. Nous recevons des revenus de l’État quand nous sommes très jeunes et très vieux, quand nos revenus sont bas ou nuls, et nous en remboursons une partie à l’État quand nous sommes en âge de travailler et de recevoir un salaire.

De façon similaire, l’assurance chômage publique est une manière pour les individus en âge de travailler de lisser leurs revenus face au risque de chômage. Nous payons lorsque nous travaillons, et nous recevons de l’argent quand nous n’avons pas d’emploi.

Ces formes d’assurance sociale ne visent pas spécifiquement les personnes pauvres. Cependant elles ont un impact considérable sur les inégalités parce que la plupart des retraités et des personnes au chômage seraient très pauvres s’ils ne recevaient pas les paiements de l’assurance sociale. En fait, dans l’Union européenne, les retraites publiques constituent la politique qui a l’effet le plus important sur les inégalités. Elles réduisent le coefficient de Gini moyen de 0,11 point, soit plus que tous les autres transferts combinés.

La Figure 19.28 montre le revenu marchand et le revenu disponible d’un ménage moyen au Royaume-Uni pendant une année, par âge du principal apporteur de revenu. Les ménages dont le principal apporteur de revenu a moins de 25 ans ont en moyenne un revenu marchand de 24 108 £ et un revenu disponible de 24 735 £. Le groupe de ménages le plus riche est celui dont le principal apporteur de revenu est âgé de 40-44 ans, et les revenus diminuent rapidement après 60-64 ans, lorsqu’il prend généralement sa retraite. Le revenu disponible est supérieur au revenu marchand pour les moins de 25 ans et plus de 65 ans, quand le revenu marchand est le plus faible, et inversement pour ceux âgés de 25 à 64 ans, quand le revenu du ménage est le plus élevé.

Imaginez qu’il n’y ait qu’un ménage par classe d’âge, le coefficient de Gini pour le revenu marchand serait de 0,249 tandis que celui pour le revenu disponible serait de 0,139 – le système d’impôts et de prestations dans son ensemble réduit les inégalités parce qu’il redistribue efficacement des ménages riches vers les ménages plus pauvres. Cependant, le graphique montre que ce résultat pourrait être en grande partie dû à la redistribution opérée de ceux en âge de travailler vers les retraités.

Moyenne du revenu marchand et du revenu disponible des ménages, selon le groupe d’âge du principal apporteur de revenu
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Figure 19.28 Moyenne du revenu marchand et du revenu disponible des ménages, selon le groupe d’âge du principal apporteur de revenu.

Effets des impôts et prestations sur le revenu des ménages, 2014/15, Office for National Statistics.

Comment les économistes apprennent des données Quelle est la meilleure façon de donner de l’argent aux pauvres ? Faites un tirage au sort pour le découvrir.

Presque tous les pays adoptent des politiques visant à augmenter le niveau de vie des pauvres. Cependant, quelle est la meilleure manière de le faire ? Si les États veulent transférer des ressources à des individus ou des familles, vaut-il mieux le faire avec les très pauvres, ou seulement avec ceux qui travaillent ou ceux qui recherchent un emploi ? L’argent devrait-il être donné uniquement aux pauvres ou à tout le monde ?

Ces questions sont controversées et les réponses dépasseront la discipline de l’économie. Mais les économistes ont utilisé des expériences pour mettre en lumière au moins les coûts et bénéfices de différents dispositifs.

Des économistes ont étudié l’effet de simplement donner de l’argent aux pauvres, sans exiger que ces personnes travaillent ni qu’elles en remboursent une partie. En théorie, les transferts monétaires obtenus que l’on soit employé ou pas devraient avoir un impact minimal sur l’offre de travail. Des expériences ont montré que les aides financières sont, au regard des coûts engagés, une façon remarquablement efficace de diminuer la pauvreté dans de nombreuses dimensions, allant de la hausse de la consommation à la baisse des niveaux de stress. Ces résultats ont poussé les décideurs publics à repenser leurs programmes, par exemple en comparant l’impact sur la pauvreté d’un dollar dépensé dans des programmes de formation professionnelle à celui de simplement donner ce dollar.

Certains ont proposé d’étendre ces transferts monétaires à tout le monde, pas uniquement aux pauvres ; cela rejoint le concept de revenu de base inconditionnel (RBI). Certains groupes de la Silicon Valley sont en train de financer des premières expériences sur ces allocations plus universelles à Oakland, en Californie, où l’accès à l’argent est randomisé (les bénéficiaires sont choisis aléatoirement ou tirés au sort). Parmi eux, certains pensent que la technologie évolue à une telle vitesse que ce revenu universel sera nécessaire pour éviter à une grande partie d’entre nous de finir au chômage et sans ressources.

Une autre expérience en Finlande tire au sort entre 2 000 et 3 000 personnes qui recevront un paiement forfaitaire mensuel de 600 $, afin de voir si ces allocations du revenu de base peuvent réduire la pauvreté et simplifier la mise en œuvre des programmes contre la pauvreté. Expérimenter une politique avant de la déployer à grande échelle permet aux économistes d’étudier les effets de certaines politiques, et offre aux décideurs des résultats guidant leur choix de politiques publiques.

Redistribution progressive et régressive

progressive (mesure)
Une dépense ou un transfert qui en proportion augmente davantage les revenus des ménages pauvres que ceux des plus riches. Voir également : régressive (mesure).
régressive (mesure)
Une dépense ou un transfert qui en proportion augmente davantage les revenus des ménages riches que ceux des plus pauvres. Voir également : progressive (mesure).
neutre en termes de répartition
Une mesure qui n’est ni progressive, ni régressive de sorte qu’elle n’altère pas la répartition des revenus. Voir également : progressive (mesure), régressive (mesure).

Quand une taxe ou une politique de transfert a pour effet direct de réduire les inégalités (comparativement au niveau qui aurait prévalu en l’absence de la politique), elle est qualifiée de progressive. Nous venons de voir que les dépenses sont plus progressives que les taxes. Si une politique a pour effet direct d’augmenter les inégalités, elle est qualifiée de régressive. Des politiques qui ne sont ni progressives, ni régressives sont dites neutres en termes de répartition.

Pour qu’une dépense ou un transfert soient progressifs, ils doivent augmenter les revenus des ménages les plus pauvres plus que ceux des ménages les plus riches, en termes de pourcentage. Cela garantira une baisse du coefficient de Gini, et déplacera vers le haut la courbe de Lorenz. Notez qu’une telle politique peut impliquer qu’en termes absolus (en unités de monnaie), les ménages les plus riches obtiennent plus.

Pensez à Bruno, le propriétaire terrien, et Angela, la fermière. Supposez que, suite à leur négociation, le revenu de Bruno soit trois fois plus important que celui d’Angela, Bruno recevant 3 000 pesos par an tandis qu’Angela en reçoit 1 000. Supposez aussi qu’Angela ait deux enfants et Bruno trois, que tous ces enfants aillent à l’école publique et que l’État dépense 200 pesos par an par enfant. Cela implique qu’Angela reçoive un transfert en nature de 400 pesos par an et Bruno, de 600. Pour Angela, cela augmente son revenu final de 40 %. Celui de Bruno augmente seulement de 20 %. Ainsi, le transfert est progressif et le coefficient de Gini pour le revenu final diminuera.

S’il paraît étrange que le coefficient de Gini diminue alors que Bruno reçoit plus qu’Angela, il faut se rappeler que le coefficient de Gini dépend des revenus relatifs, ou du ratio des revenus entre les ménages. Le revenu marchand de Bruno vaut trois fois celui d’Angela. Une politique qui diminue ce ratio va aussi diminuer le coefficient de Gini. Dans le deuxième cas ci-dessus, le revenu final de Bruno était de 3 600 pesos tandis que celui d’Angela était de 1 400 pesos, ce qui implique un ratio de 2,57, comparé à 3 pour le revenu marchand. Bien que Bruno ait reçu plus en termes absolus, l’inégalité relative entre eux a diminué, donc le coefficient de Gini aussi.

L’éducation primaire est souvent très progressive. Un exemple de dépenses en éducation qui peut être régressive est le financement public de l’enseignement supérieur. Cela tient au fait que les enfants de familles riches sont plus susceptibles d’aller l’université. Ainsi, si les enfants de Bruno et d’Angela étaient tous en âge d’aller à l’université, mais que les enfants de Bruno y allaient effectivement, tandis que ceux d’Angela commençaient à travailler, les dépenses publiques pour l’enseignement supérieur seraient régressives : la famille d’Angela ne recevrait rien, tandis que celle de Bruno recevrait quelque chose.

Un principe analogue s’applique aux impôts. Un impôt est progressif si les ménages riches payent une plus grande proportion de leur revenu que les ménages plus pauvres, et il est régressif si les ménages pauvres payent une plus grande proportion de leur revenu que les ménages plus riches. Ainsi, si Bruno paye des impôts de 300 pesos et Angela 150 pesos, l’impôt est régressif, bien que Bruno paye plus en termes absolus : l’impôt de Bruno correspond à 10 % de son revenu, tandis que celui d’Angela correspond à 15 % de son revenu. De nouveau, cela s’explique par l’effet sur le ratio de leurs revenus. Leurs revenus après taxe de 2 700 et 850 ont un ratio de 3,18, qui est plus élevé (plus inégal) que leurs revenus marchands.

Les impôts et les dépenses peuvent être analysés séparément, mais il est important de se rappeler que les dépenses sont financées par les impôts. Quand un État dépense de l’argent pour des écoles publiques qui bénéficient à certains ménages, elles sont financées par les impôts que payent tous les ménages. C’est pour cette raison que la politique budgétaire est redistributive : tous les ménages donnent et reçoivent, mais certains donnent plus qu’ils en reçoivent, et vice versa pour d’autres. L’effet net est de transférer des revenus de certains ménages vers d’autres ménages.

Les Figure 19.29a et 19.29b montrent la distribution des impôts et des dépenses publiques au Mexique. La Figure 19.29a présente les données en termes absolus, tandis que la Figure 19.29b les donne sous la forme du pourcentage du revenu marchand. Les individus appartenant au décile inférieur reçoivent chacun des prestations à hauteur de 6 682 M$ (pesos mexicains) par an en moyenne, comparativement aux 5 557 M$ que reçoivent ceux appartenant au décile supérieur. Comme le montre la Figure 19.29b, lorsque ces transferts sont représentés comme une fraction du revenu marchand, ils augmentent d’autant plus que le décile est faible, avec le décile inférieur recevant des prestations à hauteur de 135 % du revenu marchand et le décile supérieur ne recevant que 13 %. Les transferts sont donc progressifs et réduisent les inégalités.

Distribution des impôts et des dépenses publiques (moyenne en pesos par personne). Déciles de ménages ordonnés par revenu marchand net par personne, Mexico 2014
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Figure 19.29a Distribution des impôts et des dépenses publiques (moyenne en pesos par personne). Déciles de ménages ordonnés par revenu marchand net par personne, Mexico 2014.

Calculs effectués par John Scott en utilisant l’enquête des ménages, Mexico.

Pour ce qui est des impôts, en moyenne, ceux appartenant au décile inférieur payent 594 M$ chacun, comparativement aux 25 902 M$ payés par ceux appartenant au décile supérieur. Cependant, comme les revenus marchands du décile supérieur valaient 40 fois ceux du décile inférieur, les impôts des deux groupes correspondaient à 12 % du revenu, ce qui indique qu’ils ne sont ni régressifs, ni progressifs.

La Figure 19.29a montre que l’effet net des impôts et transferts est que plus le décile auquel appartient un individu est bas, plus cet individu reçoit – les déciles 9 et 10 sont des contributeurs nets, plutôt que des bénéficiaires. Cela implique que le système fiscal est progressif dans son ensemble, donc qu’il réduit le coefficient de Gini. Cela veut aussi dire que la politique budgétaire redistribue efficacement le revenu des deux déciles supérieurs (surtout du plus haut) vers les huit déciles inférieurs. Cependant, les bénéfices pour les 8 premiers déciles sont plus importants que les coûts pour les 9e et 10e déciles. C’est en partie parce que l’État mexicain tire également des revenus de la production de pétrole. Ces revenus sont distribués, mais ne sont pas redistribués – ils correspondent au revenu que reçoit l’État sans imposer les ménages et les entreprises.

La Figure 19.29b montre clairement que les dépenses sont plus progressives que les impôts : tandis que les ménages plus riches tendent à payer en impôts un pourcentage de leur revenu légèrement supérieur au pourcentage que payent les ménages plus pauvres, les dépenses publiques correspondent à une fraction du revenu beaucoup plus importante pour les ménages plus pauvres que pour les ménages plus riches.

Distribution des impôts et des dépenses publiques en pourcentage du revenu marchand. Déciles de ménages ordonnés par revenu marchand net par personne, Mexico 2014
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Figure 19.29b Distribution des impôts et des dépenses publiques en pourcentage du revenu marchand. Déciles de ménages ordonnés par revenu marchand net par personne, Mexico 2014.

Calculs effectués par John Scott en utilisant l’enquête des ménages, Mexico.

Exercice 19.10 Taxes régressives et progressives

  1. Une capitation correspond à un impôt pour lequel tout le monde paye exactement la même somme à l’État en valeur absolue. Est-ce une politique progressive, régressive ou neutre en termes de répartition ?
  2. Un revenu de base correspond à une prestation où tout le monde reçoit exactement la même somme de l’État en valeur absolue. Est-ce une politique progressive, régressive ou neutre en termes de répartition ?
  3. Supposons que vous appreniez que les 10 % les plus riches payent 30 % d’impôts sur le revenu. Est-ce que cela signifie que le système d’imposition est progressif ?
  4. Certains gouvernements de pays en développement donnent des bourses à leurs meilleurs étudiants pour effectuer leurs études supérieures à l’étranger. S’il n’y a pas de conditions d’éligibilité, cette politique est-elle plus susceptible d’être progressive ou régressive ? Qu’est-ce qui pourrait justifier une telle poltiique ?

19.11 Égalité et performances économiques

Le succès de l’opération Barga pour augmenter la productivité des agriculteurs (Unité 5), d’Oportunidades au Mexique et des retraites en Afrique du Sud pour augmenter la réussite scolaire et la santé des enfants, pourraient contribuer à expliquer pourquoi des pays plus égalitaires réussissent aussi bien, voire mieux, que des pays inégalitaires en matière de performances économiques.

Nous avons vu dans la Figure 17.15 que les faibles niveaux d’inégalités, le pouvoir renforcé des syndicats et la croissance d’impôts en faveur des pauvres et de politiques de transferts durant l’Âge d’or du capitalisme ont été associés à la croissance du revenu par habitant la plus rapide de l’histoire moderne. L’investissement, lui aussi, a atteint des niveaux jamais observés auparavant, augmentant le stock de capital par un taux de croissance sans précédent.

Avec la Figure 19.3, nous avons montré la forme en U, s’étendant sur plusieurs siècles, des plus hauts revenus dans de nombreux pays, parmi lesquels les États-Unis et la Grande-Bretagne. Suivant cet indicateur, les inégalités à la fin du 20e siècle ont atteint des niveaux que l’on n’avait plus connus depuis la Grande Dépression. Cependant, cette courbe en U est loin d’être universelle, comme l’a montré la Figure 19.4.

La plupart des pays de la Figure 19.4 – où la courbe en U vers plus d’inégalités n’a pas eu lieu ou était moins prononcée – sont très performants. Ces pays ont réussi à combiner une croissance rapide du revenu par habitant et des niveaux modestes d’inégalités en matière de revenu disponible, comme vous pouvez l’observer dans la Figure 19.30a. Nous mesurons ici les inégalités de revenu après impôts et transferts (revenu disponible), car il s’agit de la meilleure mesure disponible des inégalités pour les pays. La conclusion de la Figure 19.30a est que les pays diffèrent beaucoup en termes d’inégalités de niveau de vie et qu’il n’y a pas de relation apparente entre la croissance de la productivité (PIB par personne) et le niveau d’égalité.

Le coût des inégalités : inégalités et croissance du niveau de vie dans les pays riches
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Figure 19.30a Le coût des inégalités : inégalités et croissance du niveau de vie dans les pays riches.

Chen Wang et Koen Caminada. 2011. ‘Leiden Budget Incidence Fiscal Redistribution Dataset.’ Version 1. Leiden Department of Economics Research.

Il y a également des pays réalisant de bonnes performances et d’autres, de mauvaises performances, parmi ceux en phase de rattrapage. La Figure 19.30b montre que la Corée du Sud et Taïwan ont pu atteindre un taux de croissance élevé avec des inégalités relativement faibles au cours des 30 dernières années, tandis que les performances des économies d’Amérique latine étaient généralement nettement moins bonnes.

Le coût des inégalités : inégalités et croissance du niveau de vie dans les pays en rattrapage
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Figure 19.30b Le coût des inégalités : inégalités et croissance du niveau de vie dans les pays en rattrapage.

Chen Wang et Koen Caminada. 2011. ‘Leiden Budget Incidence Fiscal Redistribution Dataset’. Version 1. Leiden Department of Economics Research; OECD; International Monetary Fund. 2014. ‘World Economic Outlook Database: October 2014’.

Les Figures 19.30a et 19.30b sont à première vue surprenantes, car les économistes ont souvent affirmé que des impôts et transferts élevés diminuent les incitations pour les personnes à travailler dur et à prendre les risques nécessaires pour favoriser l’innovation. Parmi les explications de la réussite économique de pays égalitaires comme le Japon, la Corée du Sud et Taïwan en Asie, les pays nordiques et d’autres pays du nord de l’Europe, on peut citer :

  • Des niveaux élevés de coopération et de confiance : une économie fondée sur des services comme la production de connaissances et les activités de service à la personne ne peut pas fonctionner correctement si les gens ne sont motivés que par des intérêts privés. La coopération et la confiance sont essentielles à l’économie moderne, mais sont difficiles à maintenir entre des personnes gagnant des revenus extrêmement différents. Les sociétés qui sont plus égalitaires créent un climat de confiance parmi les citoyens, ce qui améliore les performances économiques.
  • Des politiques qui améliorent les dotations des pauvres : des services de santé et d’éducation de grande qualité contribuent à un usage plus productif des ressources dans une économie. C’est aussi vrai pour les politiques qui augmentent la valeur des dotations des pauvres, comme l’illustre la réforme agraire (opération Barga) dans le Bengale occidental.
  • Moindre recours aux services de protection : la construction de quartiers sécurisés pour les riches, notamment les résidences protégées, et les autres activités de surveillance qui protègent les actifs des riches et leur offrent des services de protection, capturent des ressources qui pourraient être allouées à des investissements productifs.13 14

La Figure 19.30c illustre ce dernier point : les États-Unis, l’Italie et la Grande-Bretagne sont des pays caractérisés par de fortes inégalités en matière de revenu disponible, qui emploient trois fois plus d’agents de sécurité (personnels de services publics et privés, à l’exclusion de l’armée) que ne le font les pays plus égalitaires que sont la Finlande, le Danemark et la Suède. Une société inégalitaire finit par dépenser beaucoup pour protéger les droits de propriété et faire respecter l’État de droit.

Le coût des inégalités : disparité économique et part des travailleurs employés comme agents de sûreté
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Figure 19.30c Le coût des inégalités : disparité économique et part des travailleurs employés comme agents de sûreté.

Arjun Jayadev et Samuel Bowles. 2006. ‘Guard Labor’. Journal of Development Economics 79 (2) : 328–48.

Exercice 19.11 Les pays de la courbe en U

Observez à nouveau la différence entre les pays de la courbe en U dans la Figure 19.3, qui montrait une tendance vers une plus grande égalité durant les trois premiers quarts du 20e siècle, suivie par une augmentation des inégalités depuis les années 1980, et les pays de la Figure 19.4, pour lesquels les inégalités n’ont pas augmenté significativement, voire pas du tout.

Faites une liste des raisons possibles pour lesquelles les pays de ces deux groupes ont suivi des trajectoires si différentes depuis 1980, en vous assurant (vous pouvez utiliser Internet ou d’autres sources) que les changements technologiques et institutionnels auxquels vous vous référez sont chronologiquement possibles.

Exercice 19.12 Bonnes et mauvaises performances

Inégalités et performances économiques : bonnes et mauvaises performances dans les pays
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Figure 19.30d Inégalités et performances économiques : bonnes et mauvaises performances dans les pays.

Ci-dessus, nous avons tracé arbitrairement une ligne sur la Figure 19.30a pour distinguer les pays affichant de bonnes performances de ceux réalisant de mauvaises performances. Mais ce que vous comptez comme « bonne » performance dépend de vos préférences.

  1. Dessinez vos courbes d’indifférence dans la Figure 19.30a, selon vos préférences en termes d’inégalités et de croissance. (Indice : la pente de la courbe d’indifférence est-elle positive ou négative ?)
  2. Utilisez vos courbes d’indifférence pour ordonner les pays de la Figure 19.30a, du plus au moins préférable.

Question 19.10 Choisissez la ou les bonnes réponses

Laquelle de ces affirmations est correcte s’agissant des politiques de lutte contre les inégalités ?

  • Le Japon a une société plus égale que les États-Unis grâce à l’effet égalisateur important des impôts et transferts.
  • Offrir une éducation de grande qualité à ses citoyens constitue une façon d’augmenter les dotations des individus les plus pauvres.
  • Une augmentation du salaire minimum augmente le niveau du chômage, ce qui augmente les inégalités sans équivoque.
  • Les « clauses de non-concurrence » impliquent que les travailleurs peuvent demander un salaire plus élevé, et réduisent donc les inégalités.
  • Le Japon est une société plus égalitaire que les États-Unis en termes de richesse ou de revenus, même avant les impôts et transferts.
  • Donner à tous l’accès à l’éducation, indépendamment de leur richesse, est une manière d’égaliser un peu plus la dotation en capital humain des riches et des pauvres.
  • Les données suggèrent le contraire. Le bénéfice d’une augmentation du salaire minimum dépasse largement le coût d’une possible diminution (s’il y en a une) de l’emploi (voir la vidéo « Économiste en action » d’Arin Dube).
  • Les « clauses de non-concurrence » interdisent aux travailleurs de quitter leur entreprise pour rejoindre une entreprise concurrente. Cela réduit leur pouvoir de négociation, réduisant leurs salaires.

19.12 Conclusion

Comme vous l’avez vu dans cette unité, les inégalités de revenu entre les ménages dans le monde sont en train de décliner rapidement, principalement à cause de la hausse rapide du revenu moyen dans deux grands pays, autrefois pauvres : la Chine et l’Inde.

Le coefficient de Gini mondial pour les revenus des ménages a pour valeur la plus récente 0,62. À quel niveau d’inégalités est-ce que cela correspond réellement ? Nous savons par exemple que le revenu moyen du centile supérieur dans le monde correspond à 27 fois le revenu de la moitié la plus pauvre de la population mondiale.

Une autre manière d’appréhender ces différences représentées par un coefficient de Gini de 0,62 consiste à imaginer la chose suivante. Si vous deviez choisir au hasard des paires de ménages dans le monde et comparer leur revenu - vous pourriez avoir une famille indonésienne, une norvégienne, une brésilienne, une indienne et deux chinoises (ce résultat ne serait pas surprenant et très probable même en tirant au sort parmi l’ensemble des familles dans le monde) - vous trouveriez que la plus riche des deux familles gagne en moyenne 4,2 fois le revenu de la plus pauvre.

Mais sommes-nous réellement si différents ? Pensez-vous que celui (ou ceux) qui apporte(nt) le revenu dans la plus riche famille de la paire soit (sont) en moyenne 4,2 fois plus fort(s), plus intelligent(s), plus travailleur(s) ou plus créatif(s) ? Cela nous montre que l’économie produit des inégalités, même entre des personnes qui ne sont pas très différentes. Elle récompense certains avec des revenus considérables et donne à d’autres à peine assez pour survivre.

De nombreuses différences de revenu – vues comme des récompenses pour avoir travaillé dur, pris des risques ou été créatif, par exemple – sont considérées comme justes pour la plupart des gens, ou tout au moins nécessaires pour donner les incitations dont a besoin une économie pour bien fonctionner. D’autres différences de revenu – les effets des discriminations, la force ou les hasards de la naissance, par exemple – sont considérées par beaucoup comme injustes.

L’économie peut aider à répondre au problème posé par les inégalités injustes en clarifiant les causes des inégalités économiques et en concevant des politiques publiques garantissant des résultats plus justes, comme cela a été fait dans de nombreux pays.

Concepts introduits dans l’Unité 19

Avant de continuer, revoyez ces définitions :

19.13 Références bibliographiques

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  6. Les chercheurs ont récemment posé des « grandes questions » sur les inégalités.

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