Unité 4 Interactions sociales
Thèmes et unités thématiques
Un mélange d’intérêt personnel, de préoccupation pour le bien-être d’autrui et d’institutions appropriées peut aboutir à des résultats socialement désirables lorsque les individus interagissent.
- La théorie des jeux est une façon de comprendre comment les individus interagissent selon les contraintes qui limitent leurs actions, leurs motivations et leurs croyances s’agissant des actions des autres.
- Les expérimentations et d’autres preuves empiriques montrent que l’intérêt personnel, une préoccupation envers les autres et une préférence pour l’équité sont cruciaux pour expliquer comment les individus interagissent.
- Dans la plupart des interactions, il existe des conflits d’intérêts entre individus, mais aussi des opportunités de gains mutuels.
- La poursuite de l’intérêt personnel peut parfois mener à des résultats qui sont désirés par tous les participants ou, au contraire, à des résultats qu’aucun des participants ne jugerait préférable.
- L’intérêt personnel peut être mis au service de l’intérêt général sur les marchés, via la limitation par les pouvoirs publics des actions réalisables par les individus et les punitions imposées par les pairs sur des actions produisant de mauvais résultats.
- Le souci des autres et de l’équité nous permet d’internaliser les effets de nos actions sur les autres, et peut ainsi contribuer à de bons résultats d’un point de vue social.
Les preuves scientifiques sont maintenant accablantes : le changement climatique constitue une menace planétaire très grave et exige une réponse mondiale de toute urgence.1
Voici les premiers mots implacables du résumé du Rapport Stern, publié en 2006. Le chancelier de l’Échiquier britannique (le ministre des Finances) avait alors mandaté un groupe d’économistes, mené par l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale, sir Nicholas (maintenant lord) Stern, pour évaluer les preuves du changement climatique et essayer de comprendre les conséquences économiques. Le Rapport Stern prédit que les bénéfices d’une action précoce pour ralentir le changement climatique seront supérieurs aux coûts de négliger le problème.
Le cinquième rapport d’évaluation du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) partage ce diagnostic. Une action précoce signifierait une diminution importante des émissions de gaz à effet de serre, en réduisant notre consommation de biens intensifs en énergie, un passage à des technologies énergétiques différentes, une baisse des effets de l’agriculture et un changement des utilisations des terres et une amélioration de l’efficacité des technologies actuelles.2
Cependant, rien de cela n’aura lieu, si nous continuons à agir comme si de rien n’était : un scénario dans lequel les individus, les États et les entreprises sont libres de rechercher leurs propres plaisirs, politiques et profits sans prendre en compte de façon adéquate l’effet de leurs actions sur les autres, y compris les générations futures.
Les États peuvent être en désaccord quant aux types de mesures qui devraient être adoptées. De nombreux pays riches réclament un contrôle strict des émissions de carbone au niveau mondial alors que d’autres, dont le rattrapage économique était jusqu’à récemment très dépendant des technologies consommatrices de charbon, sont opposés à une telle mesure.
- dilemme social
- Une situation dans laquelle les actions prises indépendamment par les individus afin de réaliser leurs propres objectifs privés génèrent un résultat qui est inférieur à d’autres résultats possibles qui auraient pu avoir lieu si les individus avaient agi ensemble, plutôt qu’individuellement.
Le problème du changement climatique est loin d’être un cas unique. C’est un exemple de ce que l’on appelle un dilemme social. Les dilemmes sociaux – comme le changement climatique – se produisent lorsque les individus ne prennent pas en compte de façon adéquate les effets, positifs ou négatifs, de leurs décisions sur les autres.
Les dilemmes sociaux sont fréquents dans nos vies. Les embouteillages ont lieu lorsque notre choix de transport – par exemple, prendre sa voiture individuelle pour se rendre à son travail plutôt que d’utiliser le covoiturage – ne tient pas compte du fait qu’il contribue à l’encombrement des routes. La surconsommation d’antibiotiques pour des maladies bénignes est un autre exemple : la personne malade qui en prend se rétablit plus vite, mais leur surconsommation engendre des bactéries résistantes aux antibiotiques, qui sont bien plus nocives pour beaucoup d’autres gens.
La tragédie des communs
En 1968, le biologiste Garrett Hardin a publié dans la revue Science un article portant sur les dilemmes sociaux, appelé « La tragédie des communs ». Il soutenait que les ressources qui ne sont détenues par personne (que l’on désigne parfois comme « propriété collective » ou « ressources d’usage collectif »), telles que l’atmosphère terrestre ou les stocks de poisson, courent le risque d’être facilement surexploitées si l’accès n’en est pas contrôlé d’une manière ou d’une autre. Collectivement, les pêcheurs gagneraient à ne pas pêcher autant de thon, et les consommateurs gagneraient à ne pas trop en manger. L’Humanité gagnerait à émettre moins de polluants, mais si vous, en tant qu’individu, choisissez de réduire votre consommation, vos émissions de carbone, ou le nombre de thons que vous attrapez, votre sacrifice ne changera guère les volumes au niveau mondial.3
- passager clandestin
- Comportement qui consiste à bénéficier des contributions d’autrui à un projet coopératif sans y contribuer soi-même.
Les exemples de tragédies fournis par Hardin et d’autres dilemmes sociaux encore abondent autour de nous : si vous vivez avec des colocataires ou dans une famille, vous savez à quel point il est difficile de laisser propre une cuisine ou une salle de bains. Lorsqu’une personne nettoie, tout le monde en bénéficie, mais il s’agit d’un effort conséquent. La personne qui nettoie supporte le coût. Les autres sont parfois appelés des passagers clandestins (free riders, en anglais). Si vous avez déjà réalisé un travail de groupe avec d’autres étudiants, vous comprendrez que le coût de l’effort (pour penser au problème, réunir les éléments, ou écrire les résultats) est individuel, alors que les bénéfices (une meilleure note, une meilleure mention ou simplement l’admiration des camarades de classe) vont à l’ensemble du groupe.4
Résoudre les dilemmes sociaux
Il n’y a rien de nouveau dans les dilemmes sociaux ; nous y sommes confrontés depuis la Préhistoire.
- altruisme
- La volonté de supporter un coût afin de faire bénéficier quelqu’un d’autre.
Il y a plus de 2 500 ans, le conteur grec Ésope a évoqué le dilemme social dans sa fable L’Assemblée des souris. Un groupe de souris a besoin que l’un de ses membres place une cloche autour du cou d’un chat. Une fois la cloche en place, le chat ne peut plus attraper et manger les autres souris. Mais le résultat peut ne pas être aussi positif pour la souris chargée de mettre la cloche en place.5 Il existe des exemples innombrables, lors de guerres ou de catastrophes naturelles, d’individus qui sacrifient leur vie pour d’autres, qui ne sont pas des membres de leur famille, et qui parfois sont même de parfaits inconnus. De telles actions sont dites altruistes.
Le sacrifice de soi altruiste n’est pas la façon la plus courante que les sociétés ont de faire face aux dilemmes sociaux et limiter les comportements de passager clandestin. Parfois, ces problèmes peuvent être résolus grâce à des politiques publiques. Par exemple, les gouvernements ont imposé avec succès des quotas visant à empêcher la surexploitation des stocks de cabillaud dans l’Atlantique Nord. Au Royaume-Uni, la quantité de déchets enfouis dans les décharges, plutôt que d’être recyclés, a été considérablement diminuée par une taxe de mise en décharge.
Les communautés locales créent également des institutions pour réguler les comportements. Les communautés d’irrigation ont besoin d’individus pour entretenir les canaux qui bénéficient à l’ensemble de la communauté. Les individus ont également besoin d’économiser l’eau, qui est rare, afin que les cultures des autres puissent pousser, bien que cela implique des cultures individuelles plus petites. À Valence, en Espagne, des communautés de fermiers ont utilisé pendant des siècles un ensemble de règles coutumières visant à réguler les tâches communales et à éviter d’utiliser trop d’eau. Elles ont depuis le Moyen Âge une cour d’arbitrage appelée Tribunal de las Aguas, qui résout les conflits entre les fermiers relatifs à l’application des règles. Les décisions du Tribunal ne sont pas juridiquement contraignantes. Son pouvoir vient uniquement du respect que lui porte la communauté, mais ses décisions sont presque universellement appliquées.
- théorie des jeux
- Une branche des mathématiques qui étudie les interactions stratégiques, c’est-à-dire les situations où chaque acteur sait que les bénéfices qu’il reçoit dépendent des actions entreprises par tous les autres. Voir également : jeu.
- interactions sociales
- Situations dans lesquelles les actions entreprises par chacun affectent le résultat des autres ainsi que le résultat individuel.
Même les problèmes environnementaux mondiaux actuels ont parfois été traités efficacement. Le Protocole de Montréal a été remarquablement efficace. Il fut créé pour limiter progressivement et bannir à terme les chlorofluorocarbones (CFC) qui menaçaient de détruire la couche d’ozone qui nous protège contre les radiations ultraviolettes nocives.
Dans cette unité, nous utiliserons les outils fournis par la théorie des jeux pour modéliser les interactions sociales, par lesquelles des décisions individuelles affectent d’autres personnes ainsi que les décideurs eux-mêmes. Nous examinerons des cas de dilemmes sociaux et la manière dont les gens peuvent parfois les résoudre – mais parfois ne réussissent pas à les résoudre (ou pas encore), comme dans le cas du changement climatique.
Néanmoins, toutes les interactions sociales ne mènent pas à des dilemmes sociaux, même si les individus poursuivent leurs intérêts propres. Nous débuterons la section suivante par un exemple dans lequel la « main invisible » du marché, telle que décrite par Adam Smith, conduit l’intérêt personnel à réaliser des actes individuels indépendamment des autres qui produisent un résultat mutuellement profitable.
Exercice 4.1 Dilemmes sociaux
À l’aide des actualités de la semaine dernière :
- Identifiez deux dilemmes sociaux (essayez de ne pas utiliser les exemples discutés précédemment).
- Pour chacun, précisez en quoi il satisfait la définition d’un dilemme social.
4.1 Interactions sociales : théorie des jeux
De quel côté de la route devriez-vous conduire ? Si vous vivez au Japon, au Royaume-Uni ou en Indonésie, vous roulez à gauche. Si vous vivez en Corée du Sud, en France ou aux États-Unis, vous roulez à droite. Si vous avez grandi en Suède, vous avez conduit à gauche jusqu’à 17 heures le 3 septembre 1967, et à droite, à partir de 17h01. Le gouvernement définit une règle, et nous la suivons.
Supposons maintenant que nous laissions aux automobilistes la possibilité de poursuivre leur intérêt personnel, et qu’ils puissent choisir le côté de la route sur lequel ils roulent. Si presque tout le monde conduisait à droite, l’intérêt personnel (éviter une collision) serait suffisant pour inciter un conducteur à rouler à droite également. Se préoccuper des autres conducteurs ou le souhait de rester dans la légalité ne serait pas nécessaire.
Pour concevoir des mesures promouvant le bien-être des individus, il faut comprendre la différence entre les situations dans lesquelles l’intérêt personnel peut promouvoir le bien-être général et les cas où il mène à des résultats indésirables. Pour ce faire, nous introduisons la théorie des jeux, qui est une façon de modéliser les interactions entre les individus.
Dans l’Unité 3, nous avons vu comment un étudiant qui décide du nombre d’heures qu’il passe à étudier ou une fermière qui décide de son niveau d’effort au travail sont confrontés à un ensemble d’options possibles, déterminé par une fonction de production. Ils prennent ensuite des décisions leur permettant d’atteindre le meilleur résultat possible. Mais dans les modèles que nous avons étudiés jusqu’ici, le résultat ne dépendait de personne d’autre. Ni l’étudiant ni la fermière n’étaient engagés dans une interaction sociale.
Interactions sociales et stratégiques
Dans cette unité, nous considérons les interactions sociales, c’est-à-dire des situations où il y a deux personnes ou plus et où les actions prises par chacun affectent non seulement leur résultat individuel, mais également celui des autres. Par exemple, lorsqu’un individu choisit la température pour chauffer sa maison, sa décision affectera l’expérience que les autres font du changement climatique mondial.
- interaction stratégique
- Une interaction sociale dans laquelle les participants sont conscients de la manière dont leurs actions vont affecter les autres (et de la manière dont les actions des autres joueurs les affectent).
- stratégie
- Une action (ou un plan d’action) que peut faire un individu lorsqu’il est conscient de la dépendance mutuelle des conséquences pour lui-même et les autres. Les résultats ne dépendent pas seulement des actions de cette personne, mais également des actions des autres.
- jeu
- Un modèle d’interaction stratégique qui décrit les joueurs, les stratégies possibles, l’information que les joueurs ont, ainsi que leurs gains. Voir également : théorie des jeux.
Nous utilisons quatre termes.
- Lorsque des individus sont engagés dans une interaction sociale et qu’ils savent comment leurs actions affectent les autres, et inversement, on parle d’interaction stratégique.
- Une stratégie est définie comme une action (ou un plan d’action) qui pourrait être choisie par quelqu’un lorsqu’il/elle est conscient(e) de la dépendance mutuelle des conséquences pour soi et pour les autres. Les résultats ne dépendent pas seulement de ses propres actions, mais également des actions des autres.
- Les modèles d’interactions stratégiques sont décrits comme des jeux.
- La théorie des jeux est un ensemble de modèles d’interactions stratégiques. Elle est largement utilisée en économie et dans d’autres sciences sociales.
Pour comprendre comment la théorie des jeux peut clarifier les interactions stratégiques, imaginez deux fermiers, que nous appelons Anil et Bala. Ils sont confrontés à un problème : doivent-ils cultiver du riz ou du manioc ? Chacun pourrait cultiver les deux plantes, mais nous supposons qu’ils ne peuvent cultiver qu’un type de plante à la fois.
- division du travail
- La spécialisation des travailleurs dans différentes tâches du processus de production. Connu également sous le terme : spécialisation.
La terre d’Anil est mieux adaptée à la culture du manioc, alors que celle de Bala est mieux adaptée à la culture du riz. Les deux fermiers doivent déterminer la division du travail, c’est-à-dire choisir qui se spécialise dans quelle plante. Ils décident cela indépendamment, ce qui signifie qu’ils ne se mettent pas d’accord sur l’action à mener.
(Cette hypothèse d’indépendance peut sembler étrange dans le modèle avec seulement deux fermiers, mais plus tard nous appliquerons la même logique à des situations, comme le changement climatique, dans lesquelles des centaines, voire des millions d’individus interagissent, la plupart d’entre eux ne se connaissant absolument pas. Il est donc utile de supposer qu’Anil et Bala ne parviennent pas à un accord commun avant de décider de leurs actions.)
Ils vendent tous les deux leur culture sur le marché d’un village voisin. Le jour du marché, s’ils apportent moins de riz, le prix sera plus élevé. Il en va de même pour le manioc. La Figure 4.1 décrit leur interaction, que nous appelons un jeu. Expliquons la signification de la Figure 4.1, car nous allons la revoir souvent.
Jeu
Une description d’une interaction sociale, qui spécifie :
- les joueurs : qui interagit avec qui ;
- les stratégies possibles : quelles actions sont possibles pour les joueurs ;
- l’information : ce que chaque joueur sait quand il prend sa décision ;
- les gains : quels seront les résultats pour chaque combinaison possible d’actions.
Les choix d’Anil sont représentés en ligne dans le tableau et ceux de Bala figurent en colonne. Anil est le « joueur en ligne » et Bala, le « joueur en colonne ».
Lorsqu’une interaction est représentée dans un tableau similaire à la Figure 4.1, chaque entrée décrit le résultat d’une situation hypothétique. Par exemple, la cellule en haut à gauche devrait s’interpréter comme suit :
Supposons que (pour une raison ou pour une autre) Anil ait planté du riz, tout comme Bala. Qu’observerions-nous alors ?
Il y a quatre situations hypothétiques possibles. La Figure 4.1 décrit ce qui se passerait dans chaque cas.

Figure 4.1 Interactions sociales dans le jeu de la main invisible.
Pour simplifier le modèle, nous supposons que :
- il n’y a pas d’autres individus impliqués ou affectés de quelque manière que ce soit ;
- la sélection de la plante à cultiver est la seule décision qu’Anil et Bala ont à prendre ;
- Anil et Bala n’interagissent qu’une fois (il s’agit d’un jeu dit « ponctuel ») ;
- Ils décident simultanément : lorsqu’un joueur prend une décision, il ne sait pas ce que l’autre a décidé de faire.
- gain
- Le bénéfice de chaque joueur en fonction de l’action commune de tous les joueurs.
La Figure 4.2a montre les gains pour Anil et Bala dans chacune des quatre situations hypothétiques – les revenus qu’ils recevraient si les actions hypothétiques de chaque ligne et colonne étaient prises. Puisque leurs revenus dépendent des prix du marché, lesquels dépendent de leurs décisions, nous avons appelé ce jeu « le jeu de la main invisible ».

Figure 4.2a Les gains dans le jeu de la main invisible.
- Puisque le prix du marché diminue lorsqu’un bien est en surabondance, ils peuvent faire mieux en se spécialisant, au lieu de produire tous les deux le même bien.
- Lorsqu’ils produisent différents biens, leur situation sera améliorée si chacun se spécialise dans la culture pour laquelle sa terre est la mieux adaptée.
Question 4.1 Choisissez la ou les bonnes réponses
Dans un jeu simultané ponctuel (à un tour) :
- Un jeu simultané (par opposition à un jeu séquentiel) implique que tous les joueurs prennent une décision sur leur action de manière simultanée.
- Dans une partie à un coup (par opposition à une partie répétée), chaque personne n’agit qu’une fois, sans savoir ce que les autres joueurs ont choisi.
- Les joueurs prennent des actions de manière non coopérative, poussés par leur intérêt privé.
- Un élément essentiel des jeux stratégiques est que chaque joueur prend en compte les actions possibles des autres joueurs, quand les choix effectifs ne sont pas connus.
4.2 Équilibre dans le jeu de la main invisible
- meilleure réponse
- Dans la théorie des jeux, c’est la stratégie qui donne au joueur le gain le plus élevé étant donné les stratégies choisies par les autres joueurs.
La théorie des jeux ne décrit pas seulement des interactions sociales, elle peut également prédire les conséquences de celles-ci. Pour prédire le résultat d’un jeu, nous devons faire appel à un autre concept : la meilleure réponse. Il s’agit de la stratégie qui donnera au joueur le gain le plus élevé, étant donné les stratégies sélectionnées par les autres joueurs.
Dans la Figure 4.2b, nous montrons les gains d’Anil et de Bala au jeu de la main invisible, en utilisant une forme standard appelée une « matrice des gains ». Le terme de matrice désigne simplement n’importe quel tableau rectangulaire de nombres (ici, un carré). Le premier nombre dans chaque case est la récompense reçue par le joueur en ligne (dont le nom commence par la lettre A, afin de se souvenir que son gain vient en premier). Le second est pour le gain du joueur en colonne.
Quelles sont les meilleures réponses dans ce jeu ? Supposons que vous êtes Anil et que vous considérez le cas hypothétique où Bala choisit de cultiver du riz. Quelle réponse vous apporterait le gain le plus élevé ? Vous choisiriez de cultiver du manioc (le cas échéant, vous, Anil, gagneriez alors 4, alors que vous recevriez seulement 1 en cultivant du riz à la place).
- stratégie dominante
- Action qui donne à un joueur le gain le plus élevé, indépendamment des actions des autres joueurs.
Utilisez les étapes de la Figure 4.2b pour voir que cultiver du manioc est aussi la meilleure réponse d’Anil si Bala choisit le manioc. Donc le manioc est la stratégie dominante d’Anil : elle lui donnera le gain le plus élevé, quel que soit le choix de Bala. Vous verrez que dans ce jeu Bala a également une stratégie dominante. L’analyse interactive vous fournit également une méthode pratique pour suivre les meilleures réponses possibles en plaçant des points et des cercles dans la matrice des gains.
Comme les deux joueurs ont une stratégie dominante, nous faisons une prédiction simple sur ce que chacun fera : jouer leur stratégie dominante. Anil cultivera du manioc et Bala, du riz.
- équilibre en stratégies dominantes
- Un résultat d’un jeu dans lequel chaque joueur joue sa stratégie dominante.
Ce couple de stratégies est un équilibre en stratégies dominantes du jeu.
Rappelez-vous ce que vous avez vu dans l’Unité 2, l’équilibre indique une situation qui se perpétue. Une certaine variable d’intérêt ne change pas. Ici, le fait qu’Anil choisisse Manioc et Bala, Riz est un équilibre parce qu’aucun d’entre eux ne voudra changer sa décision après avoir vu ce que l’autre joueur a choisi.
Si nous constatons que les deux joueurs dans un jeu à deux joueurs ont des stratégies dominantes, le jeu a un équilibre en stratégies dominantes. Comme nous le verrons plus tard, cela n’est pas toujours le cas. Mais lorsque cela se produit, nous prédisons qu’elles seront les stratégies jouées.
Comme Anil et Bala ont une stratégie dominante, leur choix de culture ne dépend pas de leurs attentes s’agissant du choix de l’autre. Cela est similaire aux modèles de l’Unité 3, dans lesquels le choix d’Alexei quant au nombre d’heures passées à étudier ou le choix du nombre d’heures de travail d’Angela ne dépendaient pas de ce que les autres faisaient. Ici, en revanche, si les décisions ne dépendent pas de ce que font les autres, les gains en dépendent. Par exemple, si Anil joue sa stratégie dominante (Manioc), il se trouve dans une meilleure situation si Bala joue Riz, que si ce dernier choisissait de jouer également Manioc.
Dans l’équilibre en stratégies dominantes, Anil et Bala se sont spécialisés dans la production du bien pour lequel leur terre est la mieux adaptée. Dans ce cas, la simple poursuite de leur intérêt personnel – en choisissant la stratégie garantissant le gain le plus élevé – a généré un résultat qui était :
- le meilleur des quatre résultats possibles pour chaque joueur ;
- la stratégie générant les gains totaux les plus élevés pour les deux fermiers.
Dans cet exemple, l’équilibre en stratégies dominantes est le résultat que chacun aurait choisi s’ils avaient trouvé un moyen de coordonner leurs décisions. Bien qu’ils aient indépendamment recherché leur propre intérêt, ils ont été guidés « comme par une main invisible » à un résultat qui était pour chacun dans leurs meilleurs intérêts.
Les problèmes économiques réels ne sont jamais aussi simples, mais la logique fondamentale est identique. La poursuite de l’intérêt personnel sans se préoccuper des autres est parfois considérée comme moralement inacceptable, mais l’étude de l’économie a identifié des situations dans lesquelles cela peut avoir une issue socialement désirable. Il y a, cependant, d’autres cas où la poursuite de l’intérêt personnel conduit à des résultats qui ne sont dans l’intérêt personnel d’aucun des joueurs. Le jeu du dilemme du prisonnier, que nous allons étudier ensuite, décrit l’une de ces situations.
Question 4.2 Choisissez la ou les bonnes réponses
Brian aime davantage aller au cinéma que regarder un match de football. Anna, quant à elle, préfère regarder le football plutôt que d’aller au cinéma. Si l’un d’entre eux choisit son activité préférée, alors l’autre préfère passer du temps ensemble plutôt que de passer l’après-midi séparément. Le tableau ci-dessous représente les niveaux de bonheur (gains) d’Anna et Brian, selon leur choix d’activité (le premier chiffre est le niveau de bonheur de Brian, le second, celui d’Anna) :

À l’aide des informations ci-dessus, nous pouvons conclure que :
- Pour Brian, la stratégie dominante est Cinéma.
- L’équilibre en stratégies dominantes est le résultat dans lequel chaque joueur joue sa stratégie dominante. Dans ce jeu, c’est (Cinéma, Football), avec le gain (4, 3).
- Brian atteignerait le niveau de bonheur le plus élevé s’ils pouvaient aller ensemble au cinéma. De manière similaire, Anna serait plus heureuse si tous les deux regardaient le football.
- (Cinéma, Football) est un équilibre en stratégies dominantes. L’absence de toute incitation à dévier est une caractéristique pour tout équilibre en stratégies dominantes.
Quand les économistes ne sont pas d’accord L’homo economicus en question : les individus sont-ils complètement égoïstes ?
Pendant des siècles, les économistes, et à peu près tout le monde, ont débattu afin de déterminer si les individus sont entièrement motivés par leur intérêt personnel, ou s’ils sont parfois heureux d’aider les autres, même lorsque cela leur coûte. Homo economicus (l’homme économique) est un surnom donné au personnage égoïste et calculateur que vous retrouvez dans les manuels d’économie. Les économistes ont-ils eu raison de considérer qu’homo economicus est le seul acteur sur la scène économique ?
Dans le même livre où il utilisa pour la première fois l’expression de la « main invisible », Adam Smith indiqua clairement qu’il ne pensait pas que nous étions des homo economicus : « Aussi égoïste que l’homme puisse être supposé, il y a évidemment certains principes dans sa nature qui le conduisent à s’intéresser à la fortune des autres et qui lui rendent nécessaire leur bonheur, quoiqu’il n’en retire rien d’autre que le plaisir de les voir heureux. » (Théorie des sentiments moraux, 1759)
Néanmoins, depuis Smith, la plupart des économistes ont choisi la position opposée. En 1881, Francis Edgeworth, l’un des fondateurs de l’économie moderne, l’a clairement énoncé dans son livre Mathematical Psychics : « Le premier principe de l’économie est que chaque agent n’est actionné que par l’intérêt personnel ».6
Pourtant tout le monde a pu observer, et même parfois réalisé, des actes de grande gentillesse ou de bravoure pour le compte d’autrui dans des situations où il y avait peu de chances d’obtenir une récompense. La question pour les économistes est la suivante : le désintéressement évident dans ces actes devrait-il être intégré à l’analyse que nous menons sur le comportement ?
Certains répondent « non » : de nombreux actes apparemment généreux sont mieux compris si on les considère comme des tentatives de gagner une réputation favorable auprès des autres, qui sera utile à l’acteur dans le futur.
Aider les autres et respecter des normes sociales n’est peut-être qu’une forme d’intérêt personnel avec un horizon temporel de long terme. C’est ce que pensait l’essayiste H. L. Mencken : « La conscience est cette voix intérieure qui nous avertit qu’il y a peut-être quelqu’un en train de nous regarder. »7
Depuis les années 1990, pour tenter de résoudre le débat sur des fondements empiriques, les économistes ont réalisé des centaines d’expériences à travers le monde pour observer, à l’aide de jeux économiques, le comportement d’individus (des étudiants, des agriculteurs, des chasseurs de baleines, des magasiniers et des PDG) soumis à de vraies décisions de partage.
- réciprocité
- Un type de préférence où l’on est bienveillant et disposé à aider ceux qui sont bienveillants et serviables, et où l’on n’est ni bienveillant, ni disposé à aider ceux qui ne se montrent pas serviables et bienveillants.
- aversion pour les inégalités
- Une aversion pour les résultats où certains individus reçoivent moins que d’autres.
Des comportements intéressés sont presque toujours observés dans ces expériences. Mais nous observons également de l’altruisme, de la réciprocité, de l’aversion aux inégalités et d’autres préférences qui sont différentes de l’intérêt personnel. Dans de nombreuses expériences, l’homo economicus est minoritaire. Cela est également vrai lorsque les montants à partager (ou à garder pour soi) correspondent à plusieurs jours de salaire.
Le débat est-il clos ? De nombreux économistes le pensent et considèrent désormais des individus qui sont parfois altruistes, parfois averses aux inégalités et parfois réciproques, en plus des homo economicus. Ils soulignent que l’hypothèse d’intérêt personnel est appropriée dans de nombreux contextes économiques, comme les achats ou les choix d’une technologie maximisant les profits des entreprises. Mais elle l’est bien moins dans d’autres contextes, comme le paiement d’impôts ou l’effort fourni pour notre employeur.
4.3 Dilemme du prisonnier
Imaginons qu’Anil et Bala soient maintenant confrontés à un problème différent. Chacun décide comment gérer la présence d’insectes parasites qui détruisent leurs cultures, situées dans des champs adjacents. Chacun a deux stratégies possibles :
- la première est d’utiliser un produit chimique peu coûteux appelé Terminator. Il tue tous les insectes à des kilomètres à la ronde. Terminator s’écoule également dans la source d’eau qu’Anil et Bala utilisent ;
- la seconde consiste à utiliser le contrôle intégré des parasites (CIP) à la place d’un produit chimique. Un fermier qui utilise CIP introduit des insectes utiles pour la ferme. Les insectes utiles mangent les insectes parasites.
Si l’un d’entre eux seulement choisit Terminator, les dommages restent assez limités. S’ils l’utilisent tous les deux, la contamination de l’eau devient un problème grave qui requiert l’achat d’un système de filtration coûteux. Les Figures 4.3a et 4.3b décrivent leur interaction.

Figure 4.3a Interactions sociales dans le jeu du contrôle des parasites.
Anil et Bala sont tous les deux conscients de ces résultats. En conséquence, ils savent que leur gain (la somme d’argent qu’ils gagneront au moment de la récolte, moins les coûts de leur stratégie de contrôle des parasites et l’installation d’un système de filtration de l’eau si cela devenait nécessaire) ne dépendra pas uniquement de leur choix, mais aussi du choix de l’autre. Il s’agit d’une interaction stratégique.

Figure 4.3b Matrice des gains pour le jeu du contrôle des parasites.
Comment vont-ils jouer ? Pour répondre à cette question, nous pouvons utiliser la même méthode que celle de la section précédente (en dessinant des points et des cercles dans la matrice des gains).
Meilleures réponses d’Anil :
- si Bala choisit CIP : Terminator (éradication des parasites à moindre coût, avec contamination de l’eau limitée) ;
- si Bala choisit Terminator : Terminator (CIP coûte davantage et ne peut pas fonctionner car le produit chimique de Bala tuera les insectes utiles).
Terminator est donc la stratégie dominante d’Anil.
Vous pouvez vérifier, de la même manière, que Terminator est aussi une stratégie dominante pour Bala.
Puisque Terminator est la stratégie dominante pour les deux joueurs, nous prédisons que les deux joueurs l’utiliseront. L’utilisation de l’insecticide par les deux joueurs est l’équilibre en stratégies dominantes du jeu.
- dilemme du prisonnier
- Un jeu dans lequel les gains tirés de l’équilibre en stratégies dominantes sont inférieurs pour chaque joueur, et inférieurs au total, comparés aux gains si aucun des joueurs n’avait joué la stratégie dominante.
Anil et Bala reçoivent tous deux des gains de 2. Mais chacun serait dans une meilleure situation s’ils avaient tous les deux utilisé CIP à la place. Ainsi, le résultat prédit n’est pas le meilleur possible. Le jeu du contrôle des parasites est un exemple particulier d’un jeu appelé dilemme du prisonnier.
Dilemme du prisonnier
Le nom de ce jeu vient d’une histoire à propos de deux prisonnières (nous les appelons Thelma et Louise), dont les stratégies sont d’Accuser (impliquer) l’autre dans un crime que les prisonnières pourraient avoir commis ensemble, ou de Nier que l’autre prisonnière soit impliquée.
Si Thelma et Louise nient toutes les deux, elles seront libérées après quelques jours d’interrogatoire.
Si une prisonnière accuse l’autre, alors que l’autre prisonnière nie, l’accusatrice sera libérée immédiatement (sa sentence n’impliquera pas de prison), tandis que l’autre personne écopera d’une longue peine de prison (dix ans).
Enfin, lorsque Thelma et Louise choisissent Accuser (ce qui signifie que chacune implique l’autre), elles écopent toutes les deux d’une peine de prison. Puisqu’elles ont coopéré avec la police, la sentence passe de dix à cinq ans. Les gains du jeu sont indiqués dans la Figure 4.4.
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Figure 4.4 Dilemme du prisonnier (gains exprimés en années de prison).
(Les gains sont écrits en termes de nombre d’années de prison – donc Louise et Thelma préfèrent des nombres faibles.)
Dans un dilemme du prisonnier, les deux joueurs ont une stratégie dominante (dans cet exemple, Accuser) qui, lorsqu’elle est choisie par les deux, génère un résultat pire pour les deux que s’ils avaient adopté une stratégie différente (dans cet exemple, Nier).
Notre histoire sur Thelma et Louise est fictive, mais ce jeu s’applique à de nombreux problèmes réels. Par exemple, regardez le clip issu d’un jeu télévisé appelé Golden Balls, et vous verrez comment un simple citoyen a réussi de manière astucieuse à résoudre le dilemme du prisonnier.
Dans les exemples économiques, la stratégie mutuellement bénéfique (Nier) est généralement appelée Coopération, alors que la stratégie dominante (Accuser) est appelée Défection. Coopérer ne signifie pas que les joueurs se réunissent pour décider de ce qu’ils font. Les règles du jeu imposent toujours que chaque joueur choisisse sa stratégie de façon indépendante.
Le contraste entre le jeu de la main invisible et le dilemme du prisonnier montre que l’intérêt personnel peut mener à des résultats favorables, mais peut aussi avoir des résultats que personne n’approuverait. De tels exemples nous aident à comprendre plus précisément comment les marchés peuvent parfois exploiter l’intérêt personnel pour améliorer le fonctionnement de l’économie, ainsi que les limites des marchés.
Trois aspects de l’interaction entre Anil et Bala nous ont conduits à prédire un résultat malheureux dans le jeu du dilemme du prisonnier :
- ils n’accordaient aucune valeur aux gains de l’autre, et n’ont donc pas internalisé (pris en compte) le coût que leurs actions infligeaient à l’autre ;
- il n’y avait aucun moyen pour Anil, Bala ou qui que ce soit d’autre de faire payer au fermier utilisant le pesticide les préjudices ainsi causés ;
- ils ne pouvaient pas se mettre d’accord en amont sur ce que chacun ferait. S’ils avaient pu le faire, ils auraient simplement accepté d’utiliser tous les deux CIP, ou ils auraient interdit l’utilisation du Terminator.
Si un ou plusieurs de ces problèmes peuvent être surmontés, alors le jeu peut avoir pour solution le résultat préféré par les deux joueurs. Aussi, dans le reste de cette unité, nous allons voir comment y parvenir.
Question 4.3 Choisissez la ou les bonnes réponses
Dimitrios et Ameera travaillent en tant que cambistes pour une banque d’investissement internationale. Ils sont interrogés par la police en raison d’une suspicion quant à leur implication dans une série de manipulations de marchés. Le tableau ci-dessous indique le coût de chaque stratégie (en termes d’années pour la sentence de prison reçue), selon qu’ils s’accusent mutuellement ou nient le crime. Le premier nombre est le gain de Dimitrios, tandis que le second est le gain d’Ameera (les nombres négatifs indiquent des pertes). Supposez que le jeu soit un jeu simultané ponctuel.

À l’aide de ces informations, nous pouvons conclure que :
- Nier est une stratégie dominée aussi bien pour Dimitrios que pour Ameera, donc ils vont Accuser.
- Pour Dimitrios et Ameera, Accuser est une stratégie dominante. En conséquence, le résultat où ils s’accusent mutuellement et finissent par écoper de 8 ans de prison est un équilibre en stratégies dominantes.
- Accuser est la meilleure réponse d’Ameera, quelle que soit la stratégie de Dimitrios, donc elle choisira toujours Accuser. C’est une stratégie dominante.
- Ce résultat ne peut se produire que si Dimitrios et Ameera nient tous les deux. Nier est une stratégie dominée pour tous les deux, de sorte qu’elle ne serait jamais choisie.
Exercice 4.2 Publicité à caractère politique
De nombreuses personnes considèrent la publicité en politique (lors des campagnes) comme un exemple classique de dilemme du prisonnier.
- En prenant pour exemple une campagne politique récente qui vous est familière, expliquez si cela a été le cas.
- Écrivez un exemple de matrice des gains dans ce cas.
4.4 Préférences sociales : l’altruisme
Lorsque des étudiants jouent à des jeux ponctuels du dilemme du prisonnier en classe ou dans le cadre d’expériences en laboratoire – parfois pour des sommes importantes d’argent –, il n’est pas rare d’observer que la moitié des participants ou plus choisissent la stratégie de Coopération plutôt que celle de Défection, bien que la défection mutuelle soit la stratégie dominante pour des joueurs qui ne se préoccupent que de leurs propres gains monétaires. Une interprétation de ces résultats est que les joueurs sont altruistes.
Par exemple, si Anil s’était suffisamment préoccupé du préjudice qu’il infligeait à Bala en utilisant Terminator quand Bala utilisait CIP, alors CIP aurait été la meilleure réponse d’Anil à l’utilisation de CIP par Bala. Et si Bala s’était comporté de la même façon, alors CIP aurait constitué une meilleure réponse mutuelle et les deux joueurs n’auraient plus été pris dans un dilemme du prisonnier.
On dit d’une personne désireuse de supporter un coût dans le but d’aider une autre personne qu’elle a des préférences altruistes. Dans l’exemple que nous venons juste de donner, Anil était prêt à renoncer à 1 unité de gain, car cela aurait imposé une perte de 2 unités à Bala. Le coût pour lui de choisir CIP alors que Bala avait choisi CIP était de 1, et cela a conféré un bénéfice de 2 à Bala, ce qui signifie qu’Anil s’est comporté de façon altruiste.
- préférences sociales
- Les préférences qui accordent une valeur à ce qu’il advient des autres, quand bien même cela résulterait en des gains inférieurs pour soi.
Les modèles économiques utilisés dans l’Unité 3 reposaient sur l’hypothèse de préférences égoïstes. Alexei, l’étudiant, et Angela, la fermière, se souciaient de leur propre temps libre et de leurs propres notes ou de leur consommation. Les gens se soucient généralement non seulement d’eux-mêmes, mais aussi des autres. Le cas échéant, nous disons que l’individu manifeste des préférences sociales. L’altruisme est un exemple d’une préférence sociale. La rancune ou la jalousie sont également des préférences sociales.
Les préférences altruistes sous forme de courbes d’indifférence
Dans les unités antérieures, nous avons utilisé des courbes d’indifférence et des ensembles des possibles pour modéliser les comportements d’Alexei et d’Angela. Nous pouvons faire de même pour étudier comment les gens interagissent lorsque les préférences sociales font partie de leurs motivations.
Imaginez la situation suivante. Anil a reçu quelques tickets de loterie nationale, et l’un d’entre eux a permis de remporter un prix de 10 000 roupies. Il peut, bien évidemment, garder tout l’argent pour lui, mais il peut également en partager une partie avec son voisin Bala. La Figure 4.5 représente graphiquement cette situation. L’axe des abscisses représente la somme d’argent (en milliers de roupies) qu’Anil garde pour lui, et l’axe des ordonnées représente le montant qu’il donne à Bala. Chaque point (x, y) représente une combinaison des montants d’argent pour Anil (x) et Bala (y) en milliers de roupies. Le triangle coloré représente les choix possibles pour Anil. Au coin (10, 0) situé sur l’axe des abscisses, Anil garde tout. À l’autre coin (0, 10) sur l’axe des ordonnées, Anil donne tout à Bala. L’ensemble des possibles d’Anil est l’aire colorée.
- jeu à somme nulle
- Un jeu dans lequel les gains et les pertes des joueurs se somment à zéro, pour toutes les combinaisons stratégiques possibles.
Les préférences d’Anil peuvent être représentées par des courbes d’indifférence, qui montrent les combinaisons des montants pour Anil et Bala qui sont toutes préférées de manière égale par Anil. La Figure 4.5 illustre deux cas. Dans le premier, Anil a des préférences égoïstes, de sorte que ses courbes d’indifférence sont des droites verticales ; dans le second, il est légèrement altruiste – il se soucie de Bala –, de sorte que ses courbes d’indifférence sont décroissantes.
Si Anil est égoïste, la meilleure option étant donné son ensemble des possibles est A, où il garde tout l’argent. Si Anil retire de l’utilité de la consommation de Bala, ses courbes d’indifférence sont décroissantes et il peut préférer un résultat permettant à Bala d’avoir un peu d’argent.
Leibniz : Trouver la distribution optimale avec des préférences altruistes
Avec les courbes d’indifférence particulières montrées dans la Figure 4.5, la meilleure option possible pour Anil est le point B (7, 3), où Anil garde 7 000 roupies et en donne 3 000 à Bala. Anil préfère donner 3 000 roupies à Bala, même si cela lui coûte 3 000 roupies. Il s’agit d’un exemple d’altruisme : Anil est prêt à supporter un coût au bénéfice de quelqu’un d’autre.
Exercice 4.3 Altruisme et désintéressement
En utilisant les mêmes axes que dans la Figure 4.5 :
- À quoi ressembleraient les courbes d’indifférence d’Anil s’il se souciait autant de la consommation de Bala que de la sienne ?
- À quoi ressembleraient-elles s’il retirait de l’utilité uniquement de la somme totale de sa consommation et celle de Bala ?
- À quoi ressembleraient-elles s’il retirait de l’utilité uniquement de la consommation de Bala ?
- Dans chacun de ces cas, proposez une situation du monde réel dans laquelle Anil pourrait avoir ces préférences, en précisant comment Anil et Bala obtiennent leurs gains.
Question 4.4 Choisissez la ou les bonnes réponses
Dans la Figure 4.5, Anil vient de gagner à la loterie et a reçu une somme de 10 000 roupies. Il réfléchit à la répartition (ou pas) de son gain avec son ami Bala. Malheureusement, avant qu’il ne décide du partage de ses gains, il reçoit un avis d’imposition portant sur ces gains, d’un montant de 3 000 roupies. À l’aide de ces informations, laquelle de ces affirmations est vraie ?
- Sans l’impôt, Anil aurait donné exactement 3 000 roupies à Bala. Avec un revenu total désormais à 7 000 roupies, Anil choisira de donner moins que cela.
- Nous supposons que les préférences sont fixes. Par conséquent, Anil restera quelque peu altruiste et donnera une partie de ses gains à Bala.
- L’impôt peut être représenté par un déplacement vers l’intérieur de la frontière des possibles. Aussi, le choix optimal d’Anil se traduira par un déplacement sur une courbe d’indifférence plus basse qu’avant.
- Bala aurait reçu 10 000 et 7 000 roupies, respectivement, avant et après l’avis d’imposition.
4.5 Préférences altruistes dans le dilemme du prisonnier
Quand Anil et Bala voulaient se débarrasser des parasites (Section 4.3), ils se trouvaient pris dans un dilemme du prisonnier. L’une des raisons pour ce résultat malheureux venait en partie du fait qu’ils ne tenaient pas compte des coûts que leurs actions infligeaient à l’autre. Le choix du mode de contrôle des parasites reposant sur l’insecticide impliquait un comportement de passager clandestin à l’égard de la contribution de l’autre fermier pour garantir une eau propre.
Si Anil se soucie du bien-être de Bala autant que du sien, le résultat peut être différent.
Dans la Figure 4.6, les deux axes représentent maintenant les gains d’Anil et de Bala. Tout comme dans l’exemple de la loterie, le diagramme montre les résultats possibles. Cependant, dans ce cas, l’ensemble des possibles a seulement quatre points. Nous avons désigné les noms des stratégies par des lettres pour des raisons de commodité : Terminator est T, CIP est I. Vous pouvez remarquer que les mouvements vers le haut et la droite, de (T, T) vers (I, I), sont « gagnant – gagnant » : chacun obtient un gain plus élevé. Au contraire, un mouvement vers le haut et la gauche, ou vers le bas et la droite, de (I, T) vers (T, I) ou le contraire, est « gagnant-perdant ». Une situation « gagnant-perdant » signifie que Bala obtient un gain plus élevé aux dépens d’Anil, ou qu’Anil en bénéficie aux dépens de Bala.
Tout comme dans le cas du partage des gains de la loterie, nous examinons deux cas. Si Anil ne se soucie pas du bien-être de Bala, ses courbes d’indifférence sont des droites verticales. S’il s’en soucie, elles sont décroissantes. Utilisez la Figure 4.6 pour voir ce qui adviendra dans chaque cas.
La Figure 4.6 démontre que lorsque Anil est complètement égoïste, sa stratégie dominante est Terminator (comme nous l’avons déjà vu). Mais si Anil se préoccupe suffisamment de Bala, sa stratégie dominante est CIP. Si Bala agit de même, alors ils choisiront tous deux CIP, ce qui mènera au résultat que tous deux préfèrent le plus.
La leçon principale est que si les individus se soucient les uns des autres, les dilemmes sociaux sont plus simples à résoudre. Cela nous aide à comprendre les exemples historiques dans lesquels des individus coopèrent mutuellement pour l’irrigation ou pour faire appliquer le Protocole de Montréal visant à protéger la couche d’ozone, plutôt que de profiter de la coopération des autres en se comportant en passager clandestin.
Question 4.5 Choisissez la ou les bonnes réponses
La Figure 4.6 montre les préférences d’Anil lorsqu’il est complètement égoïste, et aussi lorsqu’il est quelque peu altruiste, lorsqu’il participe avec Bala au jeu du dilemme du prisonnier :
À partir du graphique, nous pouvons dire que :
- (T, I) est sur une courbe d’indifférence plus élevée que (I, I) (donc se trouve davantage vers la droite) et (T, T) est sur une courbe d’indifférence verticale plus élevée que (I, T). Donc utiliser le Terminator est une stratégie dominante pour Anil lorsqu’il est complètement égoïste.
- Lorsque Anil est en partie altruiste, (I, I) est sur une courbe d’indifférence plus élevée que (T, I), et (I, T) est sur une courbe également plus élevée que (T, T). Donc recourir au CIP sera la stratégie dominante d’Anil.
- Terminator est une stratégie dominante pour les deux joueurs, donc (T, T) est un équilibre en stratégies dominantes. Anil préférerait (T, I), mais Bala ne choisira jamais CIP.
- CIP est une stratégie dominante pour Anil lorsqu’il se montre quelque peu altruiste. Si Bala a les mêmes préférences, CIP sera une stratégie dominante pour lui aussi, donc (I, I) est l’équilibre en stratégies dominantes.
Exercice 4.4 Intérêt personnel amoral
Imaginez une société dans laquelle tout le monde est motivé uniquement par son intérêt personnel (ne se soucie que de sa propre richesse) et amoral (ne respecte aucune règle éthique qui interférerait avec l’accumulation de richesse). En quoi cette société serait-elle différente de celle dans laquelle vous vivez ?
Considérez la liste suivante :
- familles ;
- lieux de travail ;
- voisinages ;
- trafic sur les routes ;
- vie politique (est-ce que les gens voteraient ?).
4.6 Biens publics, passager clandestin et interaction répétée
Considérons maintenant la deuxième raison d’un résultat regrettable dans le jeu du dilemme du prisonnier. Il était impossible pour Anil ou Bala (ou qui que ce soit d’autre) de faire payer les utilisateurs d’insecticide pour le préjudice causé.
Les problèmes d’Anil et Bala sont hypothétiques, mais ils reflètent les vrais dilemmes de passager clandestin auxquels sont confrontées de nombreuses personnes dans le monde. Par exemple, tout comme en Espagne, de nombreux fermiers d’Asie du Sud-Est s’appuient sur un système d’irrigation partagé pour produire leurs cultures. Le système requiert un entretien régulier et de nouveaux investissements. Chaque fermier doit décider à quelle hauteur il contribue à ces activités. Ces activités bénéficient à la communauté dans son ensemble, et si le fermier n’est pas volontaire pour y contribuer, il se pourrait que d’autres le fassent de toute façon.
Imaginez quatre fermiers qui choisissent de contribuer ou non à l’entretien d’un projet d’irrigation.
- bien public
- Un bien dont l’usage par un individu ne limite pas sa disponibilité pour les autres. Connu également sous le terme : bien non rival. Voir également : bien public non exclusif, bien artificiellement rare.
Pour chaque fermier, contribuer au projet coûte 10 $. En revanche, lorsqu’un fermier contribue, chacun des quatre fermiers bénéficie, grâce à l’irrigation, d’une augmentation du rendement de ses cultures, et gagne 8 $. La contribution au projet d’irrigation est appelée un bien public, car lorsqu’un individu supporte un coût pour fournir le bien, chacun en bénéficie.
Considérez maintenant la décision que doit prendre Kim, une fermière parmi les quatre. La Figure 4.7 montre comment sa décision dépend de ses gains totaux, mais également du nombre d’autres fermiers qui décident de contribuer au projet d’irrigation.

Figure 4.7 Gains de Kim dans le jeu du bien public.
Par exemple, si deux des autres fermiers contribuent, Kim recevra un bénéfice de 8 $ de chacune de leurs contributions. Ainsi, si elle-même ne contribue pas, son gain total, indiqué en rouge, est 16 $. Si elle décide de contribuer, elle recevra un bénéfice additionnel de 8 $ (tout comme les trois autres fermiers). Cela lui coûtera toutefois 10 $, son gain total sera donc de 14 $, comme indiqué sur la Figure 4.7 et calculé dans la Figure 4.8.
Bénéfice de la contribution des autres | 16 | |
Plus le bénéfice de sa propre contribution | + | 8 |
Moins le coût de sa contribution | – | 10 |
Total | 14 $ |
Figure 4.8 Lorsque deux autres fermiers contribuent, les gains de Kim sont plus faibles si elle contribue également.
Les Figures 4.7 et 4.8 illustrent le dilemme social. Qu’importe ce que les autres fermiers décident de faire, Kim gagne plus d’argent si elle ne contribue pas que si elle contribue. Ne pas contribuer est une stratégie dominante. Elle peut bénéficier gratuitement des contributions des autres en se comportant en passager clandestin.
Ce jeu du bien public est un dilemme du prisonnier dans lequel il y a plus de deux joueurs. Si les fermiers se soucient uniquement de leur propre gain monétaire, il y aura un équilibre en stratégies dominantes dans lequel aucun ne contribuera et leurs gains seront tous nuls. D’un autre côté, s’ils contribuaient tous, ils gagneraient chacun 22 $. Chacun bénéficierait si chacun coopérait, mais quoi que fassent les autres, chacun gagnerait plus en se comportant un passager clandestin.
L’altruisme pourrait aider à résoudre le problème de passager clandestin : si Kim se préoccupait des autres fermiers, elle serait sans doute disposée à contribuer au projet d’irrigation. Mais si un grand nombre de personnes est impliqué dans un jeu de bien public, il est moins probable que l’altruisme suffise à maintenir un résultat mutuellement bénéfique.
Pourtant, dans le monde entier, de vrais fermiers et pêcheurs se sont confrontés, en de nombreuses occasions et avec succès, à des situations de biens publics. Les données recueillies par Elinor Ostrom, une chercheuse en sciences politiques, et par d’autres chercheurs sur des projets d’irrigation collectifs en Inde, au Népal et dans d’autres pays montrent que le degré de coopération varie. Dans certaines communautés, la confiance éprouvée favorise la coopération. Dans d’autres, il n’y a pas de coopération. Dans le sud de l’Inde, par exemple, il y avait plus de conflits sur l’utilisation de l’eau dans les villages caractérisés par des inégalités extrêmes en termes de répartition des terres et en raison du système de castes. Les villages moins inégalitaires entretenaient mieux leurs systèmes d’irrigation : il était plus simple d’y maintenir la coopération.8
Les grands économistes Elinor Ostrom
Le choix de nommer en 2009 Elinor Ostrom (1933–2012), une chercheuse en sciences politiques, comme co-lauréate du prix Nobel d’économie a surpris la plupart des économistes. Par exemple, Steven Levitt, un professeur à l’université de Chicago, a admis qu’il ne connaissait rien à ses travaux, et qu’il « ne se souvenait pas avoir vu ou entendu son nom mentionné par un économiste ».
D’autres, au contraire, ont vigoureusement défendu ce choix. Vernon Smith, un économiste expérimental, précédent lauréat du prix Nobel, a félicité le comité Nobel pour avoir reconnu l’originalité d’Elinor Ostrom, « son bon sens scientifique » et sa volonté d’écouter « attentivement les données ».
Toute la carrière académique d’Ostrom s’est concentrée sur un concept jouant un rôle central en économie, mais qui est rarement analysé de façon détaillée : la propriété. Ronald Coase avait établi l’importance d’une définition claire des droits de propriété lorsque les actions d’une personne affectent le bien-être des autres. Mais la principale préoccupation de Coase concernait la frontière à tracer entre les individus et l’État au moment de réguler de telles actions. Ostrom a exploré une situation intermédiaire où les communautés, plutôt que les individus ou les gouvernements formels, détiennent les droits de propriété.
Ce qui semblait acquis à l’époque était qu’une propriété collective informelle des ressources aurait mené à une « tragédie des communs ». Autrement dit, les économistes estimaient que les ressources ne pouvaient être utilisées efficacement et durablement sous un régime de propriété collective. Grâce à Elinor Ostrom, ce point de vue ne fait plus consensus.
Elle commença par distinguer les ressources détenues sous le régime d’une propriété commune de celles en accès libre.
- La propriété commune suppose une communauté bien définie d’utilisateurs qui sont capables, en pratique, sinon légalement, d’empêcher des individus extérieurs d’exploiter la ressource. Les zones de pêche côtière, les pâturages ou les zones forestières sont des exemples.
- Les ressources en accès libre, comme les zones de pêche de haute mer ou les émissions de carbone dans l’atmosphère, peuvent être exploitées sans restriction autre que celles imposées par les États, qu’ils agissent seuls ou au travers d’accords internationaux.
- norme sociale
- Un accord commun entre la plupart des membres d’une société sur ce que les individus devraient faire dans une situation donnée, quand leurs actions affectent les autres.
Ostrom n’était pas la seule à souligner cette distinction, mais elle s’est appuyée sur une combinaison unique d’études de cas, de méthodes statistiques, de modèles de théorie des jeux avec des composantes non orthodoxes, et d’expériences en laboratoire, pour essayer de comprendre comment éviter des tragédies des communs.
Elle a découvert une grande diversité dans la gestion de la propriété commune. Certaines communautés ont été capables de créer des règles et de s’appuyer sur les normes sociales pour mettre en place une utilisation soutenable des ressources, alors que d’autres ont échoué à en faire autant. Elle a passé une grande partie de sa carrière à tenter d’identifier les critères de réussite et à utiliser la théorie afin de comprendre pourquoi certaines dispositions ont bien fonctionné, tandis que d’autres pas.
De nombreux économistes croyaient que la diversité des résultats pouvait être comprise à l’aide de la théorie des jeux répétés, qui prédit que même lorsque les individus ne se soucient que d’eux-mêmes, si les interactions sont répétées avec une probabilité suffisamment grande et que les individus sont suffisamment patients, alors des résultats coopératifs peuvent perdurer indéfiniment.
Mais cela ne constituait pas une explication satisfaisante aux yeux d’Ostrom, en partie parce que le même mécanisme prédisait que n’importe quel résultat, y compris l’épuisement rapide des ressources, pouvait aussi se produire.
Plus important encore, Ostrom savait qu’une utilisation soutenable des ressources était garantie par des actions qui s’éloignaient clairement de l’hypothèse de l’intérêt personnel matériel. En particulier, les individus semblaient prêts à supporter volontairement des coûts considérables pour punir les individus violant les règles ou les normes. D’après l’économiste Paul Romer, elle reconnaissait le besoin « d’élargir les modèles de préférences humaines pour y inclure un goût contingent pour la punition d’autrui ».
Ostrom a développé des modèles simples de théorie des jeux dans lesquels les individus ont des préférences non orthodoxes et se soucient directement de la confiance et de la réciprocité. Elle chercha également les manières dont les individus confrontés à un dilemme social évitaient la tragédie en changeant les règles, de sorte que la nature stratégique de l’interaction était transformée.
Elle a travaillé avec des économistes pour développer une série d’expérimentations pionnières, confirmant l’utilisation répandue de punitions coûteuses en réponse à l’extraction excessive de ressources, et a démontré également le pouvoir de la communication et le rôle important des accords informels dans le maintien de la coopération. Thomas Hobbes, un philosophe du 17e siècle, avait affirmé que les accords devaient être appliqués par les pouvoirs publics, car « les conventions, sans l’épée, ne sont que des mots, et n’ont aucune force propre à rassurer un homme ». Ostrom n’était pas d’accord avec cela. Comme elle l’écrivit dans le titre d’un article important, les conventions – même sans épée – rendent l’autogestion possible.9
Les préférences sociales expliquent en partie pourquoi ces communautés évitent la tragédie des communs de Garrett Hardin. Elles peuvent également trouver des manières de dissuader les comportements de passager clandestin.
Jeux répétés
Se comporter en passager clandestin aujourd’hui peut avoir, demain ou dans quelques années, des conséquences déplaisantes. Les relations qui ont cours sont une caractéristique importante des relations sociales qui n’était pas décrite par les modèles que nous avons utilisés jusqu’ici : la vie n’est pas un jeu ponctuel.
L’interaction entre Anil et Bala dans notre modèle était un jeu ponctuel. Pourtant, en tant que propriétaires de champs voisins, Anil et Bala peuvent être décrits de façon plus réaliste comme étant engagés dans un jeu répété.
Réfléchissez aux changements qu’apporterait la représentation de leur interaction comme un jeu répété à chaque saison. Supposez que Bala adopte le CIP. Quelle est la meilleure réponse d’Anil? Il raisonnerait ainsi :
Anil : « Si je joue CIP, Bala continuera peut-être alors d’en faire autant, mais si j’utilise Terminator – ce qui augmenterait mes profits cette saison – Bala utiliserait également Terminator l’année prochaine. Donc à moins que je sois extrêmement impatient s’agissant de mes revenus présents, j’ai intérêt à continuer avec le CIP. »
Bala pourrait raisonner exactement de la même façon. Le résultat serait qu’ils continueraient ainsi tous les deux à jouer CIP année après année.
Dans la prochaine section, nous examinerons les données expérimentales portant sur la manière dont les personnes se comportent lorsqu’un jeu du bien public est répété.
Question 4.6 Choisissez la ou les bonnes réponses
Quatre fermiers décident s’ils vont contribuer à la maintenance d’un projet d’irrigation. Pour chaque fermier, le coût de contribution au projet est de 10 $. Mais pour chaque fermier qui contribue, les quatre en tirent un bénéfice grâce à l’augmentation du rendement de leur culture, et ils gagnent donc tous 8 $.
Parmi les affirmations suivantes, lesquelles sont correctes ?
- Ne Pas Contribuer est une stratégie dominante pour tous les fermiers : quel que soit ce que les autres font, leur bénéfice personnel en contribuant est de 8 $, mais le coût est de 10 $.
- Dans ce cas, elle gagnera 16 $ en contribuant, ce qui est supérieur au coût.
- Quoi que Kim fasse, la stratégie dominante pour un fermier égoïste est de Ne Pas Contribuer.
- Si les fermiers ont une relation durable, ils pourraient tous décider de contribuer, afin de tirer les bénéfices futurs de cette coopération continue. Si l’un des voisins ne participe pas une année, la coopération cesserait. Sachant cela, ils ont une incitation à contribuer dès à présent.
4.7 Contributions au bien public et punition par les pairs
Une expérience démontre que les individus peuvent maintenir de hauts niveaux de coopération dans un jeu du bien public, tant qu’ils ont la possibilité de cibler les passagers clandestins, une fois qu’il est établi qui a moins contribué que la norme.
La Figure 4.9a montre les résultats d’expériences de laboratoire qui imitent les coûts et bénéfices d’une contribution à un bien public dans le monde réel. Les expériences ont été menées dans des villes à travers le monde. Dans chaque expérience, les participants jouent à un jeu du bien public à 10 tours, similaire à celui que nous venons de décrire, impliquant Kim et les autres fermiers. À chaque tour, les individus de l’expérience (nous les appelons les « sujets ») reçoivent 20 $. Ils sont répartis aléatoirement dans de petits groupes, généralement de quatre personnes, qui ne se connaissent pas. On leur demande de choisir quel montant des 20 $ ils souhaitent mettre dans un pot commun. Le pot commun est un bien public. Pour chaque dollar contribué, chaque personne du groupe, y compris le contributeur, reçoit 0,40 $.
Imaginez que vous jouez au jeu, et que vous vous attendez à ce que les trois autres membres du groupe contribuent chacun à hauteur de 10 $. Ainsi, si vous ne contribuez pas, vous gagnerez 32 $ (trois fois 4 $ provenant de leurs contributions, qui s’ajoutent à vos 20 $ initiaux que vous conservez). Les autres ont payé 10 $, donc ils n’obtiennent que 32 $ - 10 $ = 22 $ chacun. Au contraire, si vous contribuez également à hauteur de 10 $, chacun, vous y compris, reçoit 22 $ + 4 $ = 26 $. Malheureusement pour le groupe, vous obtenez plus en ne contribuant pas – car le gain à jouer le passager clandestin (32 $) est supérieur au gain obtenu en contribuant (26 $). Et malheureusement pour vous, la même logique s’applique à chacun des autres membres du groupe.
Après chaque tour, on informe les participants de la contribution des autres membres du groupe. Dans la Figure 4.9a, chaque ligne représente l’évolution au cours du temps des contributions moyennes dans différents endroits dans le monde. Tout comme dans le dilemme du prisonnier, les individus ne sont décidément pas seulement motivés par leur intérêt personnel.

Figure 4.9a Expériences du bien public dans le monde : contributions sur 10 périodes.
Benedikt Herrmann, Christian Thoni, and Simon Gachter. 2008. ‘Antisocial Punishment Across Societies.’ Science 319 (5868): pp. 1362–67.
Comme vous pouvez le voir, les joueurs de Chengdu ont contribué à hauteur de 10 $ au premier tour, comme décrit ci-dessus. Dans chaque population où le jeu est réalisé, les contributions au bien public sont importantes au cours de la première période, bien qu’elles soient bien plus élevées dans certaines villes (Copenhague) par rapport à d’autres (Melbourne). Cela est remarquable : si vous vous souciez uniquement de votre propre gain, la stratégie dominante est de ne pas contribuer du tout. Les contributions initiales substantielles pourraient avoir eu lieu car les participants de l’expérience valorisaient leur contribution en tenant compte du gain des autres (ils étaient altruistes). La difficulté (ou, comme l’aurait dit Hardin, la tragédie) est évidente. Partout, les contributions au bien public ont diminué au cours du temps.
Néanmoins, les résultats indiquent également qu’en dépit de grandes variations entre les sociétés, des niveaux de contribution toujours élevés sont observés à la fin de l’expérience dans la plupart d’entre elles.
L’explication la plus plausible de cette tendance n’est pas l’altruisme. Il est probable que les contributeurs diminuent leur niveau de coopération s’ils observent que les autres contribuent moins que ce à quoi ils s’attendaient et jouent ainsi au passager clandestin. Il semble que ceux qui contribuent plus que la moyenne souhaitent punir ceux qui contribuent peu, pour leur comportement déloyal ou pour la violation de la norme sociale de contribution. Dans la mesure où les gains des passagers clandestins dépendent de la contribution totale au bien public, la seule manière de punir ces passagers clandestins dans cette expérience est d’arrêter de contribuer. C’est la tragédie des communs.
De nombreux individus sont heureux de contribuer, tant que les autres le font aussi. Une attente de réciprocité déçue est l’explication la plus convaincante de la baisse si régulière des contributions dans les derniers tours de ce jeu.
Pour tester cela, les expérimentateurs ont introduit une option de punition dans l’expérience du jeu du bien public de la Figure 4.9a. Après avoir observé les contributions de leur groupe, les joueurs individuels pouvaient payer pour punir les autres joueurs en leur faisant payer une amende de 3 $. Le joueur punisseur restait anonyme, mais devait payer 1 $ par joueur puni. Les effets sont présentés dans la Figure 4.9b. Pour la majorité des sujets, y compris ceux résidant en Chine, en Corée du Sud, dans le nord de l’Europe et dans les pays anglophones, les contributions ont augmenté lorsqu’ils ont eu la possibilité de punir les passagers clandestins.

Figure 4.9b Expériences du jeu du bien public dans le monde, avec possibilité de punition par les pairs.
Benedikt Herrmann, Christian Thoni and Simon Gachter. 2008. ‘Antisocial Punishment Across Societies.’ Science 319 (5868): pp. 1362–67.
Les individus qui considèrent que d’autres ont été injustes ou qu’ils ont violé une norme sociale, peuvent riposter même si cela leur est très coûteux. La punition qu’ils infligent aux autres est une forme d’altruisme, car cela leur coûte de contribuer à dissuader les comportements de passager clandestin, qui se font au détriment du bien-être de la plupart des membres du groupe.
Cette expérience illustre comment, même dans de grands groupes d’individus, une combinaison d’interactions répétées et de préférences sociales peut maintenir de hauts niveaux de contribution au bien public.
Le jeu du bien public, comme le dilemme du prisonnier, est une situation dans laquelle il y a quelque chose à gagner pour chacun en interagissant avec les autres dans un projet commun, tel que l’élimination de parasites, la maintenance d’un système d’irrigation ou le contrôle des émissions carbone. Mais il y a aussi quelque chose à perdre lorsque les autres se comportent en passager clandestin.
4.8 Expériences comportementales en laboratoire et sur le terrain
Pour comprendre le comportement économique, nous avons besoin de connaitre les préférences de gens. Dans l’unité précédente, par exemple, des étudiants et des fermiers valorisaient le temps libre. La valeur accordée au temps libre était un élément de l’information dont nous avions besoin pour prédire combien de temps ils consacraient à étudier et à travailler les cultures.
- préférence révélée
- Une façon d’étudier les préférences en imputant les motivations d’un individu (ses préférences) à partir de l’observation de ses actions.
Par le passé, les économistes ont appris sur nos préférences à partir :
- de questions d’enquête : pour déterminer les préférences politiques, la loyauté à une marque, le degré de confiance envers les autres ou l’orientation religieuse ;
- d’études statistiques du comportement économique : par exemple, les achats d’un ou de plusieurs biens lorsque les prix relatifs varient – pour déterminer les préférences pour les biens en question. Une stratégie consiste à déduire les préférences, révélées à partir des achats. On parle alors de préférences révélées.
Les enquêtes sont problématiques. Demander à quelqu’un s’il aime les glaces vous donnera probablement une réponse honnête. En revanche, la réponse à la question : « À quel point êtes-vous altruiste ? » peut être un mélange de vérité, d’autopromotion et de vœu pieux. Les études statistiques ne peuvent pas contrôler l’environnement de décision dans lequel les préférences ont été révélées, et rendent donc difficile la comparaison des choix de différents groupes.
C’est pourquoi les économistes utilisent parfois des expériences afin d’observer le comportement des individus sous des conditions bien définies.
Comment les économistes apprennent des données Expériences en laboratoire
Les expériences comportementales sont devenues importantes dans l’étude empirique des préférences. Une des raisons est que la compréhension des motivations de quelqu’un (altruisme, réciprocité, aversion envers les inégalités ou intérêt personnel) est essentielle pour pouvoir prédire la manière dont il se comportera en tant qu’employé, membre d’une famille, protecteur de l’environnement et citoyen.
Les expériences mesurent ce que les gens font, plutôt que ce qu’ils disent. Elles sont conçues pour être aussi réalistes que possible, tout en contrôlant la situation.
- Les décisions ont des conséquences : les décisions dans le cadre de l’expérience peuvent déterminer la somme d’argent que les sujets gagnent en participant. Les sommes en jeu peuvent parfois être aussi élevées qu’un mois de salaire.
- Les instructions, les incitations et les règles sont communes à tous les sujets : il existe également un traitement commun. Cela signifie que, pour pouvoir comparer deux groupes, la seule différence entre les groupes traitement et contrôle est le traitement lui-même, de sorte que ses effets puissent être identifiés.
- Les expériences peuvent être répliquées : elles sont conçues pour pouvoir être mises en œuvre avec d’autres groupes de participants.
- Les expérimentateurs tentent de contrôler les autres sources possibles d’explication : les autres variables sont maintenues constantes autant que possible, car elles peuvent affecter le comportement que l’on cherche à mesurer.
Ainsi, lorsque des individus se comportent de façon différente dans l’expérience, il est probable que cela soit dû à des différences dans leurs préférences, et non dans la situation à laquelle chacun est exposé.
Les économistes ont étudié les biens publics en profondeur grâce à des expériences de laboratoire dans lesquelles les sujets doivent choisir leur niveau de contribution à un bien public. Dans certains cas, les économistes ont conçu des expériences qui reproduisent de très près les dilemmes sociaux du monde réel. Une illustration est donnée par le travail de Juan Camilo Cárdenas, un économiste de l’université des Andes à Bogota, en Colombie. Il réalise des expériences sur les dilemmes sociaux, avec des individus qui sont confrontés à des problèmes similaires au quotidien, comme la surexploitation d’une forêt ou d’un stock de poissons. Dans notre vidéo « Économiste en action », il décrit son recours à l’économie expérimentale dans des situations réelles, et comment cela nous aide à comprendre pourquoi les individus coopèrent, même lorsqu’il existe des incitations manifestes à ne pas le faire.
Les économistes ont découvert que le comportement des individus dans les expériences peut être utilisé pour prédire leur réaction dans des situations réelles. Par exemple, les pêcheurs brésiliens qui se sont montrés plus coopératifs dans un jeu expérimental pêchaient également de façon plus soutenable que les pêcheurs qui se sont montrés moins coopératifs.
Pour un résumé des types d’expériences qui ont été menées, des résultats principaux, et pour savoir si les comportements dans les expériences de laboratoire prédisent le comportement effectif dans la vraie vie, vous pouvez lire les travaux d’économistes spécialisés en économie expérimentale : par exemple, Colin Camerer et Ernst Fehr,10 Armin Falk et James Heckman,11 ou les expériences réalisées par Joseph Heinrich et une importante équipe de collaborateurs du monde entier.12
Dans l’Exercice 4.5, Stephen Levitt et John List se demandent cependant si les gens se comporteraient de la même façon dans la rue que dans un laboratoire.
Question 4.7 Choisissez la ou les bonnes réponses
Selon la vidéo « Économiste en action » de Juan Camilo Cárdenas, parmi les affirmations suivantes, lesquelles correspondent aux résultats des économistes ayant recouru à des expériences simulant des scénarios de biens publics ?
- C’est l’un des résultats mentionnés par le professeur Cárdenas.
- Le professeur Cárdenas a trouvé que les populations caractérisées par plus d’inégalités manifestent moins de confiance et de coopération.
- Le comportement coopératif survient même si les participants soumis aux expériences se voient offrir de la monnaie réelle, comme dans les expériences du professeur Cárdenas.
- C’est l’un des résultats mentionnés par le professeur Cárdenas.
Exercice 4.5 Les expériences de laboratoire sont-elles toujours valides ?
En 2007, Steven Levitt et John List ont publié un article intitulé “What Do Laboratory Experiments Measuring Social Preferences Reveal about the Real World?”. Lisez l’article pour répondre aux deux questions.
- Selon leur article,13 pourquoi, et comment, le comportement des individus dans la vie réelle, diffère-t-il de ce qui a pu être observé dans les expériences de laboratoire ?
- À l’aide de l’exemple de l’expérience du bien public dans cette section, expliquez pourquoi vous pourriez observer des différences systématiques entre les observations des Figures 4.9a et 4.9b, et ce qui pourrait se passer dans la vie réelle.
Parfois, il est possible de mener des expériences « sur le terrain » : c’est-à-dire de changer délibérément les conditions économiques dans lesquelles les individus prennent des décisions, et d’observer comment leur comportement se modifie. Une expérience menée en Israël en 1998 démontre que les préférences sociales peuvent être très sensibles au contexte dans lequel les décisions sont prises.
Les parents ont souvent pour habitude de se dépêcher pour aller prendre leurs enfants à la crèche. Parfois quelques parents sont en retard, ce qui contraint les professionnels à rester plus longtemps. Que feriez-vous pour empêcher les parents d’être en retard ? Deux économistes ont conduit une expérience en introduisant un système d’amendes dans certaines crèches mais pas dans d’autres (utilisées comme contrôle). Le « prix du retard » allait de zéro à dix shekels israéliens (environ 3 $). Étonnamment, après que l’amende a été introduite, la fréquence des retards doubla ! La droite supérieure dans la Figure 4.10 illustre ce phénomène.

Figure 4.10 Nombre moyen de parents en retard, par semaine.
Uri Gneezy, et Aldo Rustichini. 2000. ‘A Fine Is a Price.’ The Journal of Legal Studies 29 (January): pp. 1–17.
Pourquoi le fait de mettre un prix sur le retard s’est révélé contre-productif ?
Une des explications possibles est qu’avant l’introduction de l’amende, la plupart des parents étaient à l’heure parce qu’ils pensaient que c’était la bonne chose à faire. En d’autres mots, ils étaient à l’heure parce qu’ils avaient une obligation morale d’éviter de déranger l’équipe de la crèche. Peut-être se sentaient-ils altruistes envers l’équipe, ou considéraient-ils qu’être à l’heure pour reprendre son enfant était une responsabilité réciproque dans la prise en charge conjointe de l’enfant. Mais l’imposition de l’amende montrait que la situation était en fait davantage comparable à une situation comme faire ses courses. Arriver en retard avait un prix et donc, pouvait être acheté, comme des légumes ou de la glace.14
- éviction
- Il y a deux utilisations assez distinctes du terme. L’une renvoie à l’effet négatif observé lorsque des incitations économiques supplantent les motivations éthiques ou altruistes des individus. Dans les études du comportement humain, les incitations peuvent avoir un effet d’éviction sur les préférences sociales. Un deuxième usage du terme se rapporte à l’effet d’une hausse de la dépense publique qui réduit la dépense du secteur privé, comme on l’observerait dans le cas d’une économie utilisant pleinement ses capacités de production, ou quand une expansion budgétaire est associée à une augmentation du taux d’intérêt.
Le recours à des incitations fondées sur le marché – ici le prix du retard – avait fourni ce que les psychologues appellent un nouveau « cadre » pour la décision, cadre au sein duquel l’intérêt personnel plutôt que le souci des autres était acceptable. Lorsque les amendes et les prix ont ce genre d’effets inattendus, nous disons que les incitations évincent les préférences sociales. Pire encore, vous observerez sur la Figure 4.10 que, quand l’amende fut retirée, les parents ont continué à venir en retard chercher leurs enfants.
Question 4.8 Choisissez la ou les bonnes réponses
La Figure 4.10 montre par semine, le nombre moyen de parents en retard à la crèche, lorsqu’une amende est introduite dans certains centres et pas dans d’autres. Les amendes furent finalement abandonnées, comme indiqué sur le graphique.
À l’aide de ces informations, laquelle de ces affirmations est correcte ?
- Le graphique montre que le nombre de parents en retard a plus que doublé dans les crèches où l’amende a été introduite.
- Les parents ont payé l’amende s’ils étaient en retard et pas autrement. Donc elle peut être considérée comme un prix pour le retard.
- Le graphique montre que le nombre de parents en retard est resté élevé même après la suppression de l’amende, il est donc possible que l’expérience ait eu un effet permanent.
- L’éviction des préférences sociales se produit lorsque l’obligation morale de ne pas être en retard est remplacée par une incitation, fondée sur le marché, d’acheter le droit d’être en retard sans problème de conscience. Cela apparaît de manière évidente sur le graphique juste après l’introduction de l’amende.
Exercice 4.6 Éviction
Imaginez que vous êtes le maire d’une petite ville et que vous souhaitez motiver vos concitoyens à s’impliquer dans l’opération « City Beautiful Day », qui prévoit que les personnes passent une journée à aider au nettoyage des parcs et des rues.
Comment organiseriez-vous la journée pour motiver les citoyens à y participer ?
4.9 Coopération, négociation, conflits d’intérêts et normes sociales
- coopération
- Participation à un projet commun de sorte à ce qu’il y ait des bénéfices mutuels.
La coopération désigne la participation à un projet commun de façon à réaliser des bénéfices mutuels. La coopération n’a pas besoin d’être fondée sur un accord. Nous avons vu des exemples dans lesquels les joueurs jouant de manière indépendante réussissent pourtant à produire un résultat coopératif :
- la main invisible : Anil et Bala ont choisi leurs cultures en poursuivant leur intérêt personnel. Leur participation au marché du village a débouché sur une division du travail mutuellement bénéfique ;
- le dilemme du prisonnier répété : ils pourraient s’abstenir d’utiliser Terminator pour le contrôle des parasites s’ils avaient conscience des pertes futures qu’ils subiraient en abandonnant CIP ;
- le jeu du bien public : la volonté des joueurs de punir les autres maintenait de hauts niveaux de coopération dans de nombreux pays, sans besoin d’accords.
Dans d’autres cas, comme celui du dilemme du prisonnier à un tour, des actions indépendantes ont mené à un résultat regrettable. Les joueurs auraient pu obtenir mieux en parvenant à un accord.
Souvent, les gens ont recours à la négociation pour résoudre leurs problèmes économiques et sociaux. Par exemple, la négociation internationale a permis le Protocole de Montréal, par lequel les pays se sont engagés à éliminer l’usage des chlorofluorocarbones (CFC) afin d’éviter un résultat dommageable (la destruction de la couche d’ozone).
Mais la négociation ne réussit pas toujours, parfois en raison de conflits d’intérêts sur la manière dont les gains mutuels tirés de la coopération seront répartis. Le succès du Protocole de Montréal contraste avec l’échec relatif du Protocole de Kyoto dans la réduction des émissions de carbone responsables du réchauffement global. Les raisons sont en partie scientifiques. Les technologies alternatives aux CFC étaient bien développées et le rapport coût-bénéfice pour les grands pays industriels, tels que les États-Unis, était plus clair et avantageux que dans le cas des émissions de gaz à effet de serre. Mais l’un des obstacles à l’accord lors du Sommet sur le changement climatique de Copenhague en 2009 porta sur le partage des coûts et bénéfices de la limitation des émissions entre pays développés et pays en développement.
Considérez un exemple plus simple de conflit d’intérêts, où un professeur souhaiterait embaucher un étudiant en tant qu’assistant de recherche pendant l’été. En principe, chacun a quelque chose à gagner dans cette relation, puisqu’elle peut représenter pour l’étudiant une bonne opportunité de gagner un peu d’argent et d’apprendre. Malgré ces gains mutuels potentiels, il est également possible qu’un conflit ait lieu. Il se pourrait que le professeur souhaite payer l’étudiant moins cher et qu’il préfère consacrer une plus grande partie de sa bourse de recherche à l’achat d’un nouvel ordinateur, ou qu’il désire que le travail soit effectué rapidement, ce qui signifierait qu’il serait impossible pour l’étudiant de prendre du temps libre. Après négociation, ils pourraient arriver à un compromis et s’accorder sur le fait que l’étudiant gagne un salaire faible, tout en pouvant travailler depuis la plage. Cela dit, la négociation pourrait également échouer.
Il existe de nombreuses situations similaires en économie. Les négociations (parfois appelées « marchandage ») font également partie intégrante de la politique, des relations internationales, du droit, de la vie sociale et même des dynamiques familiales. Un parent pourrait permettre à son enfant de jouer sur son smartphone pour passer une soirée au calme, un pays pourrait céder un territoire en échange de la paix, ou un gouvernement pourrait négocier un accord avec des étudiants qui manifestent afin de limiter l’instabilité politique. Comme dans le cas de l’étudiant et du professeur, chacune de ces négociations pourrait ne pas aboutir si l’une ou l’autre des parties ne souhaite pas les mener.
Négociation : partage de gains mutuels
Pour vous aider à réfléchir à ce qui fait qu’un accord fonctionne, considérez la situation suivante. Un ami et vous marchez dans une rue déserte et vous voyez un billet de 100 $ par terre. Comment décideriez-vous de partager votre trouvaille ? Si vous la partagez en deux montants égaux, cela pourrait peut-être refléter une norme sociale dans votre communauté, selon laquelle ce que vous obtenez par chance doit être partagé de façon égalitaire.
Diviser une chose de valeur en parts égales (la règle du 50-50) est une norme sociale dans de nombreuses communautés, tout comme l’est le fait d’offrir des cadeaux lors des anniversaires de votre famille proche ou de vos amis. Les normes sociales sont communes à un groupe d’individus en entier (la quasi-totalité d’entre eux les suivent) et elles indiquent ce qu’il faut faire aux yeux de la plupart des individus de la communauté.
En économie, nous nous figurons les personnes comme prenant des décisions selon leurs préférences, ce par quoi nous désignons les goûts, les dégoûts, les attitudes, les sentiments et les croyances qui les animent et les motivent. Ainsi, les préférences de chacun sont individuelles : elles peuvent être influencées par les normes sociales, mais elles reflètent ce que les gens veulent faire autant que ce qu’ils pensent devoir faire.
Nous nous attendrions à ce que, même si la norme du 50-50 prévalait au sein de la communauté, certains individus ne respectent pas scrupuleusement ladite norme. Il est possible que certains individus se comportent plus égoïstement que ce que la norme requiert, et d’autres plus généreusement. Ainsi, ce qui se passera dépendra à la fois de la norme sociale (un fait sur le monde, qui reflète les attitudes relatives à l’équité qui ont évolué sur de longues périodes), mais également des préférences spécifiques des individus concernés.
- équité
- Une façon d’évaluer une allocation basée sur sa propre conception de la justice.
Supposez que l’individu qui a vu l’argent en premier l’ait ramassé. Il y a au moins trois raisons pour lesquelles cette personne pourrait en donner une partie à un ami :
- altruisme : nous avons déjà évoqué cette raison dans le cas d’Anil et de Bala. Cette personne peut être altruiste et faire attention au bonheur ou à d’autres aspects du bien-être d’autrui ;
- équité : ou, la personne qui détient l’argent peut également penser que la règle du 50-50 est équitable. Dans ce cas, l’individu est motivé par l’équité, ou par ce que les économistes appellent l’aversion aux inégalités ;
- réciprocité : par le passé, l’ami peut avoir été gentil envers l’individu qui a trouvé l’argent ou envers les autres, et mérite d’être traité généreusement pour cela. Le cas échéant, on dit que celui qui a trouvé l’argent a des « préférences réciproques ».
Ces préférences sociales influencent toutes notre comportement et jouent parfois dans des sens opposés. Cela pourrait être le cas si l’individu qui a trouvé l’argent avait une forte préférence pour l’équité, tout en sachant que son ami est complètement égoïste. La préférence pour l’équité pousse l’individu à partager, mais la préférence pour la réciprocité le pousse à garder l’argent.
Question 4.9 Choisissez la ou les bonnes réponses
Le passe-temps préféré d’Anastasia et Belinda est la recherche de métaux. Lors d’une de leurs excursions, Anastasia trouve 4 pièces romaines alors que Belinda n’a rien trouvé. Les deux femmes ont des préférences réciproques. Nous pouvons, à partir de là, dire que :
- Cela dépend du degré d’altruisme d’Anastasia. Elle pourrait être altruiste mais ne donner qu’une pièce à Belinda.
- Comme Anastasia a des préférences réciproques, elle pourrait vouloir punir Belinda pour s’être montrée égoïste par le passé. Donc, même si elle est altruiste, elle pourrait tirer une plus grande satisfaction de la punition plutôt que du partage.
- La réciprocité signifie qu’Anastasia pourrait partager, si elle a profité de l’altruisme de Belinda par le passé ou si elle espère en bénéficier dans le futur.
- L’altruisme d’Anastasia et le désir de ne pas s’opposer à l’exigence d’équité de Belinda – afin de ne pas courir le risque d’être punie – pourrait ou non être suffisant pour l’encourager à partager 50-50.
4.10 Partager un gâteau (ou le laisser sur la table)
L’un des outils les plus utilisés pour étudier les préférences sociales est un jeu ponctuel à deux joueurs, appelé le « jeu de l’ultimatum ». Il a été appliqué dans le monde entier à des sujets expérimentaux, incluant des étudiants, des fermiers, des magasiniers et des chasseurs-cueilleurs. En observant leurs choix, nous investiguons les préférences et les motivations des sujets, comme l’égoïsme pur, l’altruisme, l’aversion aux inégalités ou la réciprocité.
Les sujets de l’expérience sont invités à jouer à un jeu dans lequel ils gagneront de l’argent. Leur gain dépendra de leur façon de jouer et de celle des autres. De tels jeux expérimentaux reposent sur de vraies sommes d’argent, car si ce n’était pas le cas, on ne pourrait pas être sûr que les réponses données par les sujets à une question hypothétique reflètent leurs actions dans la vie réelle.
Les règles du jeu sont expliquées aux joueurs. Ils sont aléatoirement répartis dans des paires, ensuite l’un des joueurs est aléatoirement assigné au rôle d’Offreur et l’autre à celui de Répondant. Les sujets ne se connaissent pas, mais ils savent que l’autre joueur a été recruté pour l’expérience de la même façon qu’eux. Les sujets demeurent anonymes.
L’expérimentateur donne provisoirement une certaine quantité d’argent à l’Offreur, par exemple 100 $, et lui demande d’offrir au Répondant une partie de cette somme. N’importe quel partage est possible, y compris celui consistant à tout garder ou tout donner. Nous appelons cette quantité le « gâteau », car le but de l’expérience est d’étudier comment il sera partagé.
Le partage prend la forme suivante : « x pour moi, y pour toi », où x + y = 100 $. Le Répondant sait que l’Offreur a 100 $ à partager. Après avoir observé l’offre, le Répondant l’accepte ou la rejette. Si l’offre est rejetée, les deux individus ne reçoivent rien. À l’inverse, si l’offre est acceptée, le partage est effectué : l’Offreur reçoit x et le Répondant reçoit y. Par exemple, si l’Offreur propose 35 $ au Répondant et que ce dernier accepte ce partage, l’Offreur reçoit 65 $ et le Répondant reçoit 35 $. Si le Répondant refuse l’offre, les deux ne reçoivent rien.
On parle d’une offre à prendre ou à laisser, qui justifie l’utilisation du terme « ultimatum » dans le nom du jeu. Le Répondant effectue un choix : accepter 35 $ ou ne rien recevoir.
- rente économique
- Le surcroît de paiement ou d’un autre bénéfice reçu par l’individu par rapport à ce qu’il aurait reçu avec son alternative de second rang (ou option de réserve). Voir également : option de réserve.
Il s’agit d’un jeu portant sur la division des rentes économiques générées par une interaction. Un entrepreneur qui veut introduire une nouvelle technologie pourrait partager la rente – le profit additionnel par rapport à celui tiré de la technologie actuelle – avec ses employés si ceux-ci coopèrent pour son introduction. Dans l’expérience, la rente émerge parce que l’expérimentateur donne provisoirement à l’Offreur le gâteau qu’il faut diviser. Si la négociation réussit (le Répondant accepte), les deux joueurs recevront une rente (une part du gâteau) : leur seconde meilleure alternative est de ne rien recevoir (le gâteau est jeté à la poubelle).
Dans l’exemple ci-dessus, si le Répondant accepte l’offre qui lui est faite, alors l’Offreur perçoit une rente de 65 $ et le Répondant perçoit 35 $. Pour le Répondant, il y a un coût à refuser. Il perd la rente qu’il aurait pu recevoir. Le coût d’opportunité à rejeter l’offre est donc de 35 $.
Nous commençons par étudier un cas simplifié du jeu de l’ultimatum, représenté dans la Figure 4.11 sous la forme d’un arbre du jeu. Les choix de l’Offreur sont soit de faire l’« offre équitable » avec un partage égal, soit de faire l’« offre inéquitable » en proposant 20 (et en gardant 80 pour lui). Le Répondant peut ensuite choisir d’accepter ou de refuser. Les gains sont indiqués sur la dernière ligne.

Figure 4.11 Arbre du jeu pour le jeu de l’ultimatum.
- jeu séquentiel
- Un jeu dans lequel tous les joueurs ne choisissent pas leurs stratégies au même moment, et les joueurs qui choisissent plus tard peuvent voir les stratégies déjà choisies par les autres joueurs. Le jeu de l’ultimatum est séquentiel, par exemple. Voir également : jeu simultané.
L’arbre du jeu est un outil utile pour représenter des interactions sociales, car il clarifie qui fait quoi, à quel moment les choix sont effectués et pour quel résultat. Dans jeu de l’ultimatum, un joueur (l’Offreur) choisit sa stratégie en premier, et est suivi par le Répondant. On parle d’un jeu séquentiel, par opposition aux précédents jeux simultanés, dans lesquels les joueurs choisissaient des stratégies simultanément.
- jeu simultané
- Un jeu dans lequel les joueurs choisissent simultanément leurs stratégies, comme le dilemme du prisonnier. Voir également : jeu séquentiel.
Ce que l’Offreur recevra dépend de l’action du Répondant, donc l’Offreur doit réfléchir à la réponse probable de l’autre joueur. On parle, pour cette raison, d’interaction stratégique. Si vous être l’Offreur, vous ne pouvez pas tenter une offre basse pour voir ce qui se passe : vous n’avez qu’une seule occasion pour faire une offre.
Mettez-vous à la place du Répondant dans ce jeu. Accepteriez-vous (50, 50) ? Ou bien (80, 20) ? Maintenant, inversez les rôles. Supposez que vous êtes l’Offreur. Quelle offre feriez-vous au Répondant ? Votre réponse dépendrait-elle du fait que l’autre personne soit un ami, un inconnu, une personne dans le besoin, ou un concurrent ? Un Répondant qui pense que l’offre qui lui est faite viole une norme sociale d’équité, ou que, pour une autre raison, l’offre est si basse qu’elle en est insultante, peut être prêt à sacrifier le gain pour punir l’Offreur.
Retournez maintenant au cas général, dans lequel l’Offreur peut proposer n’importe quel montant entre 0 et 100 $. SI vous étiez le Répondant, quelle serait la somme minimum que vous seriez disposé(e) à accepter ? Si vous étiez l’Offreur, que proposeriez-vous ?
- offre minimale acceptable
- Dans le jeu de l’ultimatum, c’est la plus petite offre proposée par l’Offreur qui ne sera pas rejetée par le Répondant. S’applique généralement aux situations de négociation pour indiquer l’offre la moins favorable qui serait acceptée.
Dans la rubrique Einstein ci-dessous et l’Exercice 4.7 qui la suit, vous verrez comment déterminer l’offre minimale acceptable, en prenant en compte la norme sociale et l’attitude de l’individu en termes de réciprocité. L’offre minimale acceptable est l’offre pour laquelle le plaisir de recevoir l’argent est égal à la satisfaction que la personne aurait en refusant l’offre et en ne recevant rien, mais en punissant l’Offreur pour la violation de la norme sociale du 50-50. Si vous êtes le Répondant et que votre offre minimale acceptable est 35 $ (pour un gâteau de 100 $), alors si l’Offreur vous proposait 36 $, vous pourriez ne pas apprécier beaucoup l’offre, mais vous l’accepteriez au lieu de punir l’Offreur en rejetant sa proposition. Si, au contraire, vous la rejetiez, vous rentreriez alors chez vous avec une satisfaction équivalente à 35 $ mais sans argent, alors que vous auriez pu recevoir 36 $ en liquide.
Einstein Quand une offre est-elle acceptée dans le jeu de l’ultimatum ?
Supposez que la somme à partager soit de 100 $ et qu’il y ait une norme d’équité du 50-50. Lorsque l’offre vaut 50 $ ou plus (y ≥ 50), le Répondant se sent bien disposé à l’égard de l’Offreur, et il accepte naturellement l’offre, puisque s’il la rejetait, cela serait dommageable pour lui et l’Offreur qu’il apprécie car il s’est conformé à la norme sociale, voire a été plus généreux. En revanche, si l’offre est inférieure à 50 $, le Répondant perçoit une violation de la norme du 50-50, et il peut vouloir punir l’Offreur en retour. S’il rejette l’offre, il doit supporter un coût : le rejet signifie que les deux ne reçoivent rien.
Supposez que la colère du Répondant dépende de l’ampleur de la violation de la norme sociale : si l’Offreur ne propose rien, le Répondant sera furieux, mais il est susceptible d’être davantage déconcerté que fâché si l’offre est de 49,50 $ plutôt que les 50 $ attendus selon la norme sociale. Le degré de satisfaction éprouvée par le Répondant lorsqu’il punit une proposition basse de l’Offreur dépend de deux choses : son motif de réciprocité privé (R) et le gain d’accepter l’offre (y). R est un nombre qui indique l’importance du motif de réciprocité privé du Répondant : si R est grand, alors il accorde une grande importance à la générosité et à l’équité dont fait preuve l’Offreur, mais si R = 0, les motivations de l’Offreur n’ont aucune importance pour lui. Ainsi, la satisfaction du rejet d’une offre basse est R(50 - y). Le gain perçu si l’offre est acceptée est l’offre elle-même, ou y.
La décision d’accepter ou de rejeter dépend simplement de la valeur relative de ces deux quantités. Nous pouvons écrire que « le répondant rejette l’offre si y < R(50 - y) ». Cette équation exprime le fait que le rejet par le Répondant d’une offre inférieure à 50 $ dépendra de l’écart entre l’offre et les 50 $ (mesuré par (50 - y)), multiplié par son attitude individuelle à l’égard de la réciprocité (R).
Pour calculer son offre minimum acceptable, nous pouvons réarranger l’équation de rejet de la sorte :
R = 1 signifie que le Répondant accorde la même importance à la réciprocité et à la norme sociale. Lorsque R = 1, alors y < 25 et le Répondant rejettera toute offre inférieure à 25 $. Le seuil de 25 $ correspond au point où ses deux motivations de gain monétaire et de punition de l’Offreur s’équilibrent parfaitement : s’il rejette l’offre de 25 $, il perd 25 $, mais reçoit une satisfaction équivalente à ces 25 $ en punissant l’Offreur. Au final, cela lui donne un gain nul.
Plus la réciprocité a d’importance pour le Répondant, plus l’offre proposée doit être élevée. Par exemple, si R = 0,5, le Répondant rejettera toute offre inférieure à 16,67 $ (y < 16,67), mais si R = 2, alors le Répondant rejettera toute offre inférieure à 33,33 $.
Exercice 4.7 Offres acceptables
- Dans quelle mesure l’offre minimum acceptable pourrait dépendre de la manière dont l’Offreur a acquis les 100 $ (par exemple, s’il a trouvé l’argent dans la rue, l’a gagné à la loterie, l’a reçu en héritage, etc.) ?
- Supposez que la norme d’équité dans la société soit 50-50. Pouvez-vous imaginer quelqu’un susceptible d’offrir plus de 50 % dans cette société ? Si oui, pourquoi ?
4.11 Des fermiers justes, des étudiants égoïstes ?
Si vous êtes un Répondant dans le jeu de l’ultimatum qui se soucie uniquement de ses propres gains, vous devriez accepter toute offre positive, car aussi petite soit-elle, cela est toujours mieux que de ne rien avoir. Ainsi, dans un monde composé uniquement d’individus motivés par leur intérêt personnel, l’Offreur anticiperait que le Répondant serait prêt à accepter n’importe quelle offre et, pour cette raison, proposerait l’offre la plus petite possible – un centime – en sachant qu’elle serait acceptée.
Cette prédiction est-elle vérifiée dans les données expérimentales ? Non. Tout comme dans le cas du dilemme du prisonnier, nous n’observons pas le résultat que l’on prédirait si les individus étaient entièrement motivés par leur intérêt personnel. Les offres à un centime sont rejetées.
La Figure 4.12 montre comment des fermiers du Kenya et des étudiants américains ont joué à ce jeu. La hauteur de chaque barre indique la part des Répondants qui sont prêts à accepter l’offre indiquée sur l’axe des abscisses. Les offres de plus de la moitié du gâteau étaient acceptables pour l’ensemble des sujets dans les deux pays, comme vous pouviez vous y attendre.
Ce n’est pas toujours le cas. Dans des expériences en Papouasie-Nouvelle Guinée, des offres de plus de la moitié du gâteau étaient souvent rejetées par les Répondants qui préféraient ne rien recevoir que d’être associés à un résultat très inégal même si c’était en faveur du Répondant, ou de contracter une dette sociale liée au fait d’avoir reçu un cadeau important qui pourrait se révéler difficile à compenser par un contre-don. Les sujets étaient donc averses à l’iniquité, même si l’inégalité en question leur profitait.15

Figure 4.12 Offres acceptables dans le jeu de l’ultimatum.
Adapté de Joseph Henrich, Richard McElreath, Abigail Barr, Jean Ensminger, Clark Barrett, Alexander Bolyanatz, Juan Camilo Cardenas, Michael Gurven, Edwins Gwako, Natalie Henrich, Carolyn Lesorogol, Frank Marlowe, David Tracer et John Ziker. 2006. ‘Costly Punishment Across Human Societies’. Science 312 (5781): pp. 1767–1770.
Remarquez que les fermiers kenyans sont très peu disposés à accepter des offres faibles, les considérant probablement comme injustes, alors que les étudiants américains acceptent bien plus souvent de telles offres. Par exemple, presque tous les fermiers (90 %) auraient rejeté les offres correspondant à un cinquième du gâteau (l’Offreur gardant 80 %), alors que parmi les étudiants, 63 % seraient prêts à accepter une offre aussi faible. Plus de la moitié des étudiants auraient accepté les offres correspondant à seulement 10 % du gâteau, alors qu’aucun des fermiers kenyans ne l’aurait fait.
Même si les résultats de la Figure 4.12 montrent que les attitudes diffèrent par rapport à ce qui semble juste et l’importance portée à l’équité, personne au Kenya ni aux États-Unis n’était désireux d’accepter une offre de zéro, bien que le rejet d’une telle offre conduise également à un gain nul.
Exercice 4.8 Préférences sociales
Considérez l’expérience décrite dans la Figure 4.12 :
- Selon vous, laquelle des préférences sociales évoquées précédemment a poussé les individus à rejeter les offres basses, même s’ils ne retirent aucun gain de cela ?
- Selon vous, pourquoi les résultats diffèrent entre les fermiers kenyans et les étudiants américains ?
- À quelles réponses vous attendriez-vous en jouant à ce jeu avec deux ensembles différents de joueurs — vos camarades de classe et votre famille ? Expliquez si vous vous attendez ou pas à des résultats différents entre les groupes. Si possible, jouez le jeu avec vos camarades de classe et votre famille et commentez les résultats obtenus : sont-ils conformes à vos prédictions ?
La hauteur totale de chaque barre de la Figure 4.13 représente le pourcentage d’Offreurs kenyans et américains qui ont réalisé les offres indiquées sur l’axe des abscisses. Par exemple, la moitié des fermiers a fait une offre de 40 %. 10 % ont proposé un partage équitable. Seuls 11 % des étudiants ont fait des offres aussi généreuses.
Les fermiers étaient-ils cependant réellement généreux ? Pour répondre à cette question, il faut non seulement penser à la somme d’argent qu’ils offraient, mais également à leurs attentes concernant la réaction du Répondant. D’après la Figure 4.13 et si vous vous concentrez sur les fermiers kenyans, vous verrez que très peu d’entre eux ont proposé de garder l’intégralité du gâteau en faisant une offre de zéro (seulement 4 %, comme le montre la barre située à l’extrémité gauche) et toutes ces offres auraient été rejetées (la barre complète est de couleur sombre).
Au contraire, l’extrémité droite du graphique indique que, dans le cas des fermiers, offrir la moitié du gâteau assure un taux d’acceptation de 100 % (la barre complète est de couleur claire). Les offres de 30 % avaient autant de chances d’être rejetées que d’être acceptées (la partie sombre de la barre est presque aussi importante que la partie claire).
Un Offreur qui souhaitait gagner autant que possible aurait choisi un partage situé entre les extrêmes consistant à tout garder ou à partager de façon équitable. Les fermiers qui offraient 40 % avaient de bonnes chances de voir leur proposition acceptée et de recevoir 60 % du gâteau. Dans l’expérience, la moitié des fermiers ont choisi une offre de 40 %. Comme l’indique la partie sombre de la barre correspondant à une offre de 40 % dans la Figure 4.13, nous nous attendons à ce que cette offre soit rejetée seulement 4 % du temps.
Supposez maintenant que vous soyez un fermier kenyan et que vous vous souciez uniquement de votre propre gain.
Il est hors de question que vous proposiez au Répondant de ne rien recevoir : il est en effet certain que vous ne gagnerez rien, puisqu’il rejettera votre offre. Si vous offrez la moitié du gâteau, vous êtes certain(e) d’en recevoir l’autre moitié – puisque le Répondant acceptera sûrement votre offre.
Mais vous pensez que vous pouvez faire mieux.
Un Offreur qui ne se soucierait que de ses propres gains comparerait ce qu’on appelle l’« espérance de gain de deux offres » : c’est-à-dire le gain auquel on peut s’attendre pour une certaine offre, étant donné ce qu’il est probable que l’autre personne fasse (accepter ou rejeter) si une offre est faite. Votre espérance de gain est le gain si l’offre est acceptée multiplié par la probabilité que cette offre soit acceptée (souvenez-vous que si l’offre est rejetée, l’Offreur ne gagne rien). Voici comment l’Offreur calculerait les espérances de gain correspondant à des offres de 40 et 30 % :
Il est évidemment impossible de savoir si les fermiers ont effectivement réalisé ces calculs. S’ils l’avaient fait néanmoins, ils auraient découvert qu’une offre de 40 % aurait maximisé leur espérance de gain. Cette motivation contraste avec le cas des offres acceptables, pour lesquelles l’aversion pour les inégalités, la réciprocité et le désir de faire respecter une norme sociale semblaient être à l’œuvre. Contrairement aux Répondants, il est possible que de nombreux Offreurs aient tenté de gagner autant d’argent que possible grâce à l’expérience, et qu’ils aient correctement deviné ce que les Répondants feraient.
Des calculs similaires indiquent que, parmi les étudiants, l’offre maximisant l’espérance de gain était de 30 %, et cette offre était celle pour laquelle ils ont opté le plus souvent. Les offres plus faibles des étudiants tiennent peut-être au fait qu’ils ont correctement anticipé que de telles offres (même aussi basses que 10 %) seraient parfois acceptées. Il est possible qu’ils aient essayé de maximiser leurs gains et qu’ils aient su qu’ils pouvaient se permettre de faire des offres faibles.
Exercice 4.9 Offres dans le jeu de l’ultimatum
- D’après vous, pourquoi certains fermiers ont-ils offert plus de 40 % ? Pourquoi certains étudiants ont-ils offert plus de 30 % ?
- Pourquoi certains ont-ils offert moins que 40 % (fermiers) et 30 % (étudiants) ?
- Quelles préférences sociales étudiées précédemment pourraient contribuer à expliquer les résultats ?
En quoi les deux populations sont-elles différentes ? La plupart des fermiers et des étudiants ont offert une somme d’argent maximisant leur espérance de gain. Il s’agit toutefois de leur seul point commun. Les fermiers kenyans étaient bien plus susceptibles de rejeter des offres faibles. La différence se joue-t-elle entre les Kenyans et les Américains, ou entre les fermiers et les étudiants ? À moins que la décision ne soit liée à une norme sociale locale, plutôt qu’à la nationalité ou à l’occupation ? Les expériences seules ne peuvent pas répondre à ces questions intéressantes. Néanmoins, avant de conclure que les Kenyans sont plus averses à l’iniquité que les Américains, sachez que lorsque la même expérience a été conduite sur des habitants vivant en zone rurale dans le Missouri aux États-Unis, la probabilité que les participants rejettent les offres basses était encore plus élevée qu’avec les fermiers kenyans. Presque tous les Offreurs du Missouri ont proposé la moitié du gâteau.
Question 4.10 Choisissez la ou les bonnes réponses
Imaginez un jeu de l’ultimatum dans lequel l’Offreur propose une partie de 100 $ au Répondant, qui peut soit accepter, soit rejeter son offre. Si le Répondant accepte, les deux conservent la somme convenue, tandis que si le Répondant refuse, alors les deux ne reçoivent rien. La Figure 4.12 montre les résultats d’une étude qui compare les réponses d’étudiants américains avec celles de fermiers kenyans.
À l’aide de ces informations, nous pouvons conclure que :
- Dans l’expérience, les fermiers kenyans sont plus susceptibles de rejeter des offres basses que les étudiants américains. Cela ne veut pas dire que tous les Kenyans sont plus susceptibles de rejeter des offres faibles que tous les Américains.
- Un peu plus de 50 % des fermiers kenyans rejettent l’offre de recevoir 30 %.
- Les deux groupes de Répondants rejettent totalement l’offre de ne rien recevoir.
- Le fait que les fermiers kenyans se soient montrés plus enclins à rejeter des offres injustes et donc à renoncer à tout revenu indique qu’ils valorisent davantage l’équité.
Question 4.11 Choisissez la ou les bonnes réponses
Le tableau ci-dessous montre le pourcentage de Répondants qui ont rejeté la somme proposée par les Offreurs dans le jeu de l’ultimatum joué par des fermiers kenyans et des étudiants américains. Le gâteau est de 100 $.
Montant offert | 0 $ | 10 $ | 20 $ | 30 $ | 40 $ | 50 $ | |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Proportion rejetée | Fermiers kenyans | 100 % | 100 % | 90 % | 48 % | 4 % | 0 % |
Étudiants américains | 100 % | 40 % | 35 % | 15 % | 10 % | 0 % |
À l’aide de ces informations, nous pouvons dire que :
- L’espérance de gains est une probabilité de 85 % de garder 70 $ = 0,85 × 70 = 59,50 $.
- L’espérance de gains est une probabilité de 90 % de garder 60 $ = 0,90 × 60 = 54 $.
- L’espérance de gains est une probabilité de 10 % de garder 80 $ = 0,10 × 80 = 8 $.
- La probabilité d’être rejeté est supérieure pour les fermiers kenyans que dans le cas des étudiants américains. L’espérance de gains est donc plus basse pour les fermiers.
Exercice 4.10 Grèves
Une grève portant sur les salaires ou les conditions de travail peut être considérée comme un exemple de jeu de l’ultimatum.
- Quand une grève est modélisée sous la forme d’un jeu de l’ultimatum, qui est l’Offreur et qui est le Répondant ?
- Tracez un arbre de jeu pour représenter la situation entre ces deux parties.
- Recherchez un exemple connu de grève et expliquez en quoi cet exemple satisfait la définition du jeu de l’ultimatum.
- Dans cette section, des données expérimentales montrant comment les gens jouent au jeu de l’ultimatum vous ont été présentées. Comment pourriez-vous utiliser ces informations pour proposer le type de situations pouvant mener à une grève ?
4.12 Concurrence dans le jeu de l’ultimatum
Des expériences de jeu de l’ultimatum à deux joueurs donnent une idée sur la manière dont des personnes pourraient choisir de partager la rente tirée d’une interaction économique. Mais le résultat de la négociation pourrait être différent en cas de concurrence. Par exemple, le professeur qui recherche un assistant de recherche pourrait considérer plusieurs candidats plutôt qu’un seul.
Imaginez une nouvelle version du jeu de l’ultimatum dans lequel l’Offreur propose de partager 100 $ avec deux répondants, plutôt qu’à un seul. Si l’un des deux Répondants accepte, mais que l’autre refuse, ce Répondant et l’Offreur se partagent les 100 $, et l’autre Répondant ne reçoit rien. Si aucun des deux n’accepte, personne, y compris l’Offreur, ne reçoit quoi que ce soit. Si les deux Répondants acceptent, l’un d’eux est choisi au hasard pour recevoir la somme proposée.
Si vous étiez l’un des Répondants, quelle serait l’offre minimale que vous accepteriez ? Vos réponses seraient-elles différentes de celles que vous donneriez dans un jeu de l’ultimatum où il n’y a qu’un seul Répondant ? Peut-être. Si je savais que mon concurrent accordait une grande importance à la norme du 50-50, ma réponse ne serait pas très différente. Que se passerait-il en revanche si je soupçonnais mon rival de vouloir gagner à tout prix, ou de ne pas se soucier outre mesure de la nature, équitable ou non, de l’offre ?
Et maintenant, supposez que vous soyez l’Offreur. Quel partage proposeriez-vous ?
La Figure 4.14 montre quelques données expérimentales pour un groupe important de sujets jouant pendant plusieurs tours. Les Offreurs et les Répondants ont été répartis dans des paires au hasard et anonymement à chaque tour.

Figure 4.14 Part d’offres rejetées dans le jeu de l’ultimatum, selon la valeur de l’offre et le nombre de Répondants.
Adapté de la Figure 6 dans Fischbacher, Urs, Christina M. Fong, and Ernst Fehr. 2009. ‘Fairness, Errors and the Power of Competition.’ Journal of Economic Behavior & Organization 72 (1): pp. 527–45.
Les barres rouges représentent le taux d’offres rejetées lorsqu’il n’y a qu’un seul Répondant. Les barres bleues montrent ce qui se passe avec deux Répondants. Lorsqu’il y a de la concurrence, les Répondants sont moins susceptibles de rejeter des offres basses. Leur comportement est plus similaire à ce à quoi l’on pourrait s’attendre de la part d’individus motivés par leur intérêt personnel et surtout préoccupés par leurs gains monétaires individuels.
Pour comprendre ce phénomène, pensez à ce qui se passe lorsqu’un Répondant rejette une offre faible. Cela signifie qu’il ne reçoit rien. Contrairement à une situation dans laquelle il est le seul Répondant, dans une situation concurrentielle, il ne peut pas être sûr que l’Offreur sera puni, car l’autre Répondant pourrait accepter l’offre faible (tout le monde n’a pas les mêmes normes concernant les propositions de partage, ni n’est dans la même situation financière).
En conséquence, même des individus justes accepteront des offres faibles, afin d’éviter d’avoir le pire résultat possible. Bien sûr, les Offreurs savent aussi cela, et ils feront donc des offres plus faibles, que les Répondants continueront à accepter. Remarquez comment une légère modification des règles ou de la situation peut avoir un effet important sur le résultat final. Tout comme dans le jeu du bien public, où l’ajout d’une option de punition des passagers clandestins augmentait substantiellement les niveaux de contribution, les changements des règles du jeu ont de l’importance.
Exercice 4.11 Dilemme du prisonnier séquentiel
Revenez au dilemme du prisonnier portant sur le contrôle des parasites, auquel jouaient Anil et Bala dans la Figure 4.3b, et supposez désormais que le jeu est joué séquentiellement, comme le jeu de l’ultimatum. Un joueur (choisi aléatoirement) choisit une stratégie en premier, puis l’autre joueur choisit ensuite la sienne.
- Supposez que vous soyez le premier joueur et que vous sachiez que le second joueur a de fortes préférences pour la réciprocité, ce qui signifie qu’il agira de façon bienveillante à l’égard de quelqu’un respectueux des normes sociales de ne pas polluer et de façon malveillante à l’égard de quelqu’un qui viole la norme. Que feriez-vous ?
- Supposez que la personne caractérisée par les préférences de réciprocité soit maintenant le premier joueur interagissant avec la personne qu’elle sait être complètement égoïste. Selon vous, quel sera le résultat du jeu ?
4.13 Interactions sociales : conflits sur le choix parmi des équilibres de Nash
Dans le jeu de la main invisible, le dilemme du prisonnier et le jeu du bien public, l’action qui garantissait à un joueur les gains les plus élevés ne dépendait pas de ce que l’autre joueur faisait : il existait une stratégie dominante pour chaque joueur, et donc un équilibre en stratégies dominantes.
Une telle configuration est toutefois rare.
Nous avons déjà mentionné une situation dans laquelle cela n’est absolument pas vrai : conduire à droite ou à gauche. Si les autres conducteurs conduisent à droite, votre meilleure réponse est de conduire à droite aussi, et inversement.
- équilibre de Nash
- Un ensemble de stratégies, une par joueur dans le jeu, tel que la stratégie de chaque joueur est la meilleure réponse aux stratégies choisies par tous les autres.
Le fait de conduire à droite aux États-Unis est un équilibre, dans le sens où personne ne voudrait changer sa stratégie étant donné ce que font les autres. Dans la théorie des jeux, si chacun joue sa meilleure réponse face aux stratégies des autres, ces stratégies sont appelées un équilibre de Nash.
Cependant au Japon, conduire à gauche est un équilibre de Nash. Le « jeu » a donc deux équilibres de Nash.
Bien des interactions économiques n’ont pas d’équilibre en stratégies dominantes, mais si nous pouvons trouver un équilibre de Nash, il nous donnera une prédiction sur ce que nous devrions observer. Nous devrions nous attendre à voir tous les joueurs faire de leur mieux, étant donné ce que font les autres.
Des équilibres de Nash multiples (comme dans le jeu de la conduite) peuvent émerger même dans des problèmes économiques simples. Considérez que lorsque Bala et Anil choisissent leurs cultures, les gains se présentent comme dans la Figure 4.15. La situation est différente du jeu de la main invisible : si les deux fermiers produisent la même culture, la baisse des prix sera tellement importante qu’il vaut mieux que chacun se spécialise, même s’il s’agit de la culture qui leur convient le moins. Suivez les étapes de la Figure 4.15 pour trouver les deux équilibres.
Dans des situations où il y a deux équilibres de Nash, les deux questions suivantes se posent :
- quel équilibre s’attend-on à observer ?
- y a-t-il un conflit d’intérêts provenant du fait qu’un équilibre est préféré par certains participants et pas par d’autres ?
Conduire à droite ou à gauche n’est pas sujet à conflit tant que les autres conducteurs prennent la même décision que vous. De même, il n’est pas possible d’affirmer qu’il vaut mieux conduire à gauche qu’à droite.
En revanche, dans le jeu de la division du travail, il est clair que l’équilibre de Nash dans lequel Anil choisit le Manioc et Bala le Riz (où chacun se spécialise dans la culture qu’il produit le mieux) est préféré par les deux fermiers à l’autre équilibre de Nash.
Peut-on dire alors que l’on pourrait s’attendre à ce qu’Anil et Bala mettent en œuvre la « bonne » division du travail ? Pas nécessairement. Souvenez-vous que nous supposons qu’ils prennent leur décision de façon indépendante, sans se coordonner. Imaginez que le père de Bala ait été particulièrement doué pour cultiver le manioc (contrairement à son fils) et que leur terre – bien qu’elle soit plus adaptée au riz – reste dédiée à la culture du manioc. Anil, en conséquence, sait que le Riz est sa meilleure réponse au fait que Bala cultive du Manioc, ce qu’il choisit donc de cultiver. Bala n’aurait aucune incitation à changer pour ce en quoi il est le meilleur, c’est-à-dire cultiver du riz.
Cet exemple soulève un point important. Quand il y a plusieurs équilibres de Nash et que les individus choisissent leurs actions de façon indépendante, une économie peut rester « bloquée » dans un équilibre de Nash pénalisant tous les joueurs par rapport à l’autre équilibre.
Les grands économistes John Nash
John Nash (1928–2015) a fini sa thèse de doctorat à l’université de Princeton à l’âge de 21 ans. Elle ne faisait que 27 pages, pourtant elle a fait avancer la théorie des jeux (qui n’était alors qu’une branche méconnue des mathématiques) d’une manière qui a radicalement transformé les sciences économiques. Nash a proposé une réponse à la question suivante : lorsque les gens interagissent de manière stratégique, quel comportement attendons-nous qu’ils adoptent ? Sa réponse, désormais connue sous le nom d’équilibre de Nash, est un ensemble de stratégies, une pour chaque joueur, de sorte que si ces stratégies devaient être révélées publiquement, aucun joueur ne regretterait son propre choix. Ainsi, si tous les joueurs choisissaient des stratégies consistantes avec un équilibre de Nash, alors aucun joueur n’aurait à gagner en changeant de manière unilatérale pour une stratégie différente.
Nash fit bien plus que d’introduire le concept d’un équilibre, il prouva qu’un tel équilibre existe dans des conditions très générales, à condition que les joueurs puissent librement choisir leur stratégie au hasard parmi celles disponibles. Pour saisir l’importance de cette condition, considérons le jeu d’enfants pierre-papier-ciseaux à deux joueurs. Si chacun des joueurs choisit l’une des trois stratégies avec certitude, alors au moins un des joueurs sera sûr de perdre et aurait été mieux loti en choisissant une autre stratégie. Mais si les deux joueurs choisissent chaque stratégie disponible avec la même probabilité, alors aucun n’aurait pu s’en sortir mieux en choisissant sa stratégie au hasard de manière différente. Il s’agit donc d’un équilibre de Nash.
Ce que Nash a, ainsi, été capable de montrer est que tout jeu avec un nombre fini de joueurs, chacun doté d’un nombre fini de stratégies, doit avoir au moins un équilibre, à condition que les joueurs puissent librement choisir au hasard. Ce résultat est utile parce que les stratégies peuvent être des objets très compliqués, spécifiant un plan détaillé qui détermine quelle action doit être mise en œuvre pour toute situation potentielle. Aux échecs par exemple, le nombre de stratégies différentes est supérieur au nombre d’atomes dans l’univers connu. Pourtant, nous savons que les échecs ont un équilibre de Nash, bien que nous ne sachions pas si cet équilibre implique une victoire pour les Blancs, pour les Noirs ou un match nul garanti.
Ce qui est remarquable dans la preuve d’existence de Nash est que certains des plus brillants mathématiciens du 20e siècle, dont Emile Borel et John von Neumann, s’étaient attaqué au problème sans réussir à aller bien loin. Ils furent capables de montrer l’existence d’un équilibre pour certains jeux à somme nulle ; ceux dans lesquels le gain d’un joueur égalise la perte des autres. Cela limitait clairement la portée de leur théorie en termes d’application économique. Nash a permis de prendre en compte un ensemble plus général de jeux, où les joueurs pouvaient avoir n’importe quel but. Ils pouvaient être aussi bien égoïstes, altruistes, malveillants ou justes, par exemple.
Il y a peu de champs en économie que le développement de la théorie des jeux n’ait pas complètement transformé, et ce développement aurait été impossible sans le concept d’équilibre de Nash et sa preuve d’existence. Ce ne fut pas la seule contribution pionnière de Nash aux sciences économiques – il contribua tout aussi brillamment à la théorie de la négociation. De plus, il s’illustra également par des travaux pionniers dans d’autres domaines des mathématiques, pour lesquelles il fut récompensé du prestigieux prix Abel.
Nash partagea le prix Nobel pour son travail. Roger Myerson, un économiste qui a également gagné ce prix, a décrit l’équilibre de Nash comme étant « l’une des contributions les plus importantes dans l’histoire de la pensée économique ».
Nash souhaitait initialement être ingénieur en électricité, tout comme son père, et étudia les mathématiques en licence à Carnegie Tech (maintenant appelée Carnegie-Mellon University). Un cours optionnel en économie internationale éveilla son intérêt pour les interactions stratégiques, à l’origine de ses travaux pionniers.16
Pendant la plus grande partie de sa vie, Nash souffrit d’une maladie mentale qui nécessita une hospitalisation. Il était victime d’hallucinations causées par une schizophrénie qui débuta en 1959. Pourtant, après ce qu’il décrivit comme « 25 ans de pensées partiellement erronées », il continua ses enseignements et recherches à Princeton. L’histoire de ses idées et de sa maladie est racontée dans le livre (adapté au cinéma dans un film avec Russel Crowe) A Beautiful Mind.
Résolution de conflit
Un conflit d’intérêts se produit lorsque les joueurs d’un jeu préfèrent un équilibre de Nash différent.
Pour voir cela, considérez le cas d’Astrid et de Bettina, des ingénieures en informatique qui travaillent sur un projet pour lequel elles seront payées. Elles doivent d’abord décider si leur code sera écrit en Java ou en C++ (imaginez que les deux langages de programmation sont tous deux adaptés, et que le projet peut être écrit en partie dans un langage et une autre partie dans l’autre). Elles doivent choisir l’un ou l’autre, mais Astrid veut écrire en Java, car elle est meilleure pour coder dans ce langage. Bien qu’il s’agisse d’un projet commun avec Bettina, sa rémunération dépendra en partie du nombre de lignes de code qu’elle aura écrit. Malheureusement, Bettina préfère C++ pour la même raison. Ainsi, leurs deux stratégies sont appelées Java et C++.
Leur interaction est décrite dans la Figure 4.16a, et leurs gains sont dans la Figure 4.16b.

Figure 4.16a Interactions pour le choix du langage de programmation.
De la Figure 4.16a, vous pouvez conclure trois choses :
- elles gagneraient toutes les deux à travailler dans le même langage ,
- Astrid ferait mieux en codant en Java, alors que l’inverse est vrai pour Bettina ;
- leur gain total est plus élevé si elles codent en C++.
Comment prédirions-nous le résultat de ce jeu ?

Figure 4.16b Gains (milliers de dollars pour finir le projet) selon le choix du langage de programmation.
Si vous utilisez la méthode des points et des cercles, vous constaterez que les meilleures réponses de chaque joueuse consistent à choisir le même langage que l’autre joueuse. Donc il y a deux équilibres de Nash : un dans lequel les deux optent pour Java, et l’autre dans lequel elles choisissent toutes les deux C++.
Exercice 4.12 Conflit entre Astrid et Bettina
Quel est le résultat probable du jeu dans la Figure 4.16b si :
- Astrid peut choisir en premier le langage dans lequel elle souhaite travailler, et s’y tenir (de même que l’Offreur dans le jeu de l’ultimatum formule une offre qui l’engage, avant que le Répondant y réponde) ?
- les deux peuvent conclure un accord portant notamment sur le langage qu’elles utilisent et la valeur du transfert monétaire qu’elles vont effectuer entre elles ?
- elles travaillent ensemble depuis des années, et, précédemment, elles ont codé en Java sur des projets en commun ?
Exercice 4.13 Conflit en affaires
Dans les années 1990, Microsoft et Netscape se sont disputé les parts de marché de leurs navigateurs Internet, appelés Internet Explorer et Navigator. Dans les années 2000, Google et Yahoo se battaient pour faire de leurs moteurs de recherche respectifs le plus populaire. Dans l’industrie du divertissement, une bataille appelée « guerre des formats » s’est jouée entre le Blu-Ray et le HD-DVD.
Utilisez l’un de ces exemples pour analyser l’existence potentielle d’équilibres multiples et, le cas échéant, pourquoi un équilibre émergerait (serait préféré) plutôt qu’un autre.
Question 4.12 Choisissez la ou les bonnes réponses
Ce tableau montre la matrice des gains suivante pour un jeu simultané à un tour dans lequel Anil et Bala choisissent leur culture.

Nous pouvons conclure que :
- Dans ces deux cas, Anil et Bala jouent tous les deux leur meilleure réponse à la stratégie de l’autre. Donc ces paires de stratégies sont des équilibres de Nash.
- Quand Bala choisit le Manioc, Anil s’en sort mieux en choisissant le Riz. Donc le Manioc n’est pas une stratégie dominante pour Anil.
- Quand Anil choisit le Riz, Bala s’en sort mieux en choisissant le Manioc. Donc le Riz n’est pas une stratégie dominante pour Bala.
- Il n’y a pas de stratégie dominante. Donc il ne peut y avoir d’équilibre en stratégies dominantes.
Exercice 4.14 Équilibres de Nash et changement climatique
Considérez le problème du changement climatique comme un jeu entre deux pays appelés Chine et États-Unis, chacun est représenté par un seul individu. Chaque pays dispose de deux stratégies possibles pour faire face aux émissions mondiales de carbone : Restreindre (mesures pour réduire les émissions, par exemple en taxant l’utilisation de combustibles fossiles) et BAU (pour « Business As Usual », le scénario « faire comme si de rien n’était » du Rapport Stern). La Figure 4.17 décrit les résultats (en haut) et les gains hypothétiques (en bas), sur une échelle allant du meilleur au pire, en passant par bon et mauvais. C’est ce que l’on appelle une « échelle ordinale » (parce que ce qui compte ici est l’ordre : qu’un résultat soit meilleur que l’autre, et non pas dans quelle proportion il est meilleur).
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Figure 4.17 La politique en matière de changement climatique vue comme un dilemme du prisonnier (en haut). Gains d’une politique climatique vus comme un dilemme du prisonnier (en bas, à gauche). Gains liés à l’aversion aux inégalités et à la réciprocité (en bas, à droite).
- Montrez que les deux pays ont une stratégie dominante. Quel est l’équilibre en stratégies dominantes ?
- Le résultat serait meilleur pour les deux pays s’ils pouvaient négocier un traité contraignant afin de restreindre les émissions. Pourquoi cela pourrait-il être difficile d’y parvenir ?
- Expliquez comment les gains en bas à droite de la Figure 4.17 pourraient représenter la situation où les deux pays seraient averses aux inégalités et motivés par la réciprocité. Montrez qu’il y a deux équilibres de Nash. Serait-il plus facile de négocier un traité dans ce cas ?
- Décrivez les changements dans les préférences ou dans certains aspects du problème qui convertiraient le jeu en un autre type de jeu (comme celui de la main invisible) dans lequel les deux pays choisiraient Restreindre comme équilibre en stratégies dominantes.
4.14 Conclusion
Nous avons utilisé la théorie des jeux pour modéliser les interactions sociales. Le jeu de la main invisible illustre la manière dont les marchés parviennent à diriger l’intérêt personnel individuel afin d’aboutir à des gains mutuels, mais l’équilibre en stratégies dominantes du jeu du dilemme du prisonnier montre comment des individus agissant indépendamment peuvent être confrontés à un dilemme social.
Les données suggèrent que les individus ne sont pas seulement motivés par l’intérêt personnel. L’altruisme, la punition par les pairs, et des accords négociés peuvent contribuer à la résolution des dilemmes sociaux. Il peut y avoir des conflits d’intérêts sur le partage de gains mutuels tirés d’accords, ou parce que les personnes préfèrent des équilibres différents, mais les préférences sociales et les normes comme l’équité peuvent faciliter la conclusion d’un accord.
Concepts introduits dans l’Unité 4
Avant de continuer, revoyez ces définitions :
4.15 Références bibliographiques
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Nicholas Stern. 2007. The Economics of Climate Change: The Stern Review. Cambridge: Cambridge University Press. Lisez la synthèse. ↩
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Elinor Ostrom. 2008. ‘The Challenge of Common-Pool Resources’. Environment: Science and Policy for Sustainable Development 50 (4): pp. 8–21. ↩
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Elinor Ostrom, James Walker et Roy Gardner. 1992. ‘Covenants With and Without a Sword: Self-Governance is Possible’. The American Political Science Review 86 (2). ↩
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Colin Camerer et Ernst Fehr. 2004. ‘Measuring Social Norms and Preferences Using Experimental Games: A Guide for Social Scientists’. In Foundations of Human Sociality: Economic Experiments and Ethnographic Evidence from Fifteen Small-Scale Societies, edited by Joseph Henrich, Robert Boyd, Samuel Bowles, Colin Camerer, and Herbert Gintis, Oxford: Oxford University Press. ↩
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