Plateforme pétrolière offshore en feu : avec l'aimable autorisation de l'U.S. Coast Guard (Garde côtière des États-Unis)

Unité 12 Marchés, efficacité et politiques publiques

Quand les prix déterminés par les marchés conduisent les gens à tenir compte de tous les effets de leurs actions sur autrui, les allocations sont efficaces. Quand les prix ne tiennent pas compte des effets importants, les marchés sont défaillants et d’autres recours sont nécessaires.

  • Ces externalités surviennent lorsque les droits de propriété et les contrats ne couvrent pas tous les effets des actions du décisionnaire. Par exemple, on ne peut pas intenter un procès à un fumeur pour le préjudice subi par le tabagisme passif.
  • Les droits de propriété et les contrats qui récompenseraient des acteurs pour les externalités positives produites sur autrui et les exposeraient à payer des dommages et intérêts pour les effets négatifs, ne sont pas envisageables lorsque l’information nécessaire n’est pas disponible pour l’une ou plusieurs des parties ou ne peut pas être utilisée devant un tribunal.
  • Les politiques publiques peuvent pallier les défaillances de marché en conduisant les acteurs à internaliser ces effets, par exemple en subventionnant la R&D d’une entreprise lorsque d’autres entreprises peuvent en bénéficier, ou en imposant des taxes qui augmentent le prix de biens dont la production ou l’utilisation est néfaste pour l’environnement.
  • D’autres mesures peuvent réglementer directement les actions des entreprises et des ménages, par exemple en interdisant l’utilisation de produits chimiques comme les pesticides qui imposent des coûts à autrui.
  • Une négociation privée entre les parties peut parfois obliger les acteurs à prendre en compte l’effet de leurs actions sur les autres, par exemple une fusion entre une entreprise émettrice de polluants et une entreprise victime du dommage résultant.
  • Pour des raisons morales et politiques, certains biens et services, tels que nos organes vitaux, l’aide médicale d’urgence ou nos votes ne sont pas échangés sur des marchés, mais sont alloués par d’autres moyens.

La logique de la célèbre affirmation d’Adam Smith, selon laquelle l’homme d’affaires poursuivant son propre intérêt est « dirigé par une main invisible » afin de promouvoir les intérêts de la société, est la base du modèle économique d’un marché parfaitement concurrentiel (voir Unité 8). Les entreprises et les consommateurs agissant en preneurs de prix, chacun poursuivant ses propres objectifs individuels, produisent des résultats de marché qui sont Pareto-efficaces.

Friedrich Hayek expliquait comment le concept de main invisible d’Adam Smith pouvait fonctionner (voir Unité 11). Les prix envoient des signaux concernant la rareté réelle des biens et des services ; ces messages poussent les individus à produire, consommer, investir et innover de manière à utiliser pleinement le potentiel productif d’une économie.

C’est ce processus qui permet au système de marché – plusieurs marchés interconnectés – de coordonner la division du travail à travers l’échange de biens entre de parfaits étrangers aux quatre coins du monde, sans aucune direction centralisée.

Hayek proposait d’appréhender le marché comme une gigantesque machine de traitement de l’information qui produit des prix, qui eux offrent l’information qui guide l’économie, généralement dans des directions souhaitables. Le point remarquable de cet énorme outil de calcul est qu’il ne s’agit pas du tout d’une machine en réalité. Personne ne l’a conçu, et personne n’en a le contrôle. Lorsque tout fonctionne bien, nous utilisons des expressions comme « la magie du marché ».1

Mais parfois la magie n’opère pas. L’heureuse coïncidence entre les intérêts privés et les allocations jugées socialement désirables résumée par l’expression de Smith est un attribut d’un modèle – un modèle très utile dans de nombreux domaines – mais ce n’est pas une description du fonctionnement réel des marchés en général, et ce n’est donc pas un bon guide pour orienter les politiques publiques.

Dans cette unité, nous étudierons des cas où les prix envoient les mauvais signaux. Smith expliquait que, dans certains domaines tels que l’éducation ou le système judiciaire, des politiques publiques étaient nécessaires afin de promouvoir le bien-être de la société et d’assurer le bon fonctionnement des marchés. Pour Smith, il était également évident que certaines choses ne devaient pas être achetées et vendues sur des marchés. Des exemples contemporains incluraient les reins humains, les votes, une bonne école, ou un traitement médical sauvant des vies.

Voici deux cas où la logique de Hayek et Smith est tenue en échec :

  1. Les pesticides : le pesticide chlordécone fut utilisé dans les plantations de bananes dans les îles caribéennes de Guadeloupe et Martinique (qui font toutes deux partie de la France) afin d’éradiquer le charançons du bananier. La pratique était parfaitement légale, et pour les propriétaires des bananeraies, le pesticide était une manière efficace de réduire les coûts et augmenter les profits.

    À mesure que le produit chimique fut emporté du sol vers les rivières qui coulaient vers la côte, il contamina les eaux des fermes de crevettes, les marécages des mangroves où l’on pêchait des crabes, ainsi que les eaux littorales où prospéraient alors de fructueuses pêcheries de langoustes. Le gagne-pain des communautés de pêcheurs fut détruit et ceux qui mangèrent du poisson contaminé tombèrent malades.

    Le fait que ce pesticide représentait un grave danger pour les hommes était connu depuis son introduction, lorsque les ouvriers produisant le produit chimique aux États-Unis avaient fait part de symptômes de dommages neurologiques, ce qui avait conduit à son interdiction en 1976. Le gouvernement français reçut les rapports sur la contamination en Guadeloupe quelques années plus tard, mais attendit jusqu’en 1990 pour interdire le produit, et sous la pression des propriétaires de bananeraies, leur octroya une exemption spéciale jusqu’en 1993.

    Vingt ans plus tard, des pêcheurs dénonçant la lenteur du gouvernement français face aux répercussions de la contamination manifestèrent dans les rues de Fort-de-France (la plus grande ville de Martinique) et bloquèrent le port. Se remémorant le passé, Frank Nétri, un pêcheur guadeloupéen, s’inquiétait : « J’ai mangé des pesticides pendant 30 ans. Mais qu’arrivera-t-il à mes petits-enfants ? »

    Il avait raison de s’inquiéter. En 2012, la proportion d’hommes martiniquais atteints d’un cancer de la prostate était la plus élevée au monde et représentait presque le double du second pays le plus touché, et le taux de mortalité était plus de quatre fois la moyenne mondiale. Des dommages neurologiques chez les enfants, affectant notamment les performances cognitives, ont également été établis.

dilemme social
Une situation dans laquelle les actions prises indépendamment par les individus afin de réaliser leurs propres objectifs privés génèrent un résultat qui est inférieur à d’autres résultats possibles qui auraient pu avoir lieu si les individus avaient agi ensemble, plutôt qu’individuellement.
  1. Les antibiotiques : depuis la découverte de la pénicilline en 1928, le développement des antibiotiques a apporté d’immenses bénéfices à l’humanité. Des maladies qui étaient autrefois mortelles sont maintenant facilement traitées avec des médicaments peu coûteux à produire. Cependant, l’Organisation mondiale de la santé a récemment mis en garde sur le fait que nous nous dirigeons vers une « ère post-antibiotique » car certaines bactéries deviennent résistantes : « À moins que nous ne prenions des mesures importantes pour […] changer notre façon de produire, prescrire et consommer les antibiotiques, le monde va peu à peu perdre ces biens de santé publique mondiaux et les implications en seront désastreuses. »

    La surconsommation d’antibiotiques est un exemple de dilemme social (voir Unité 4), où la poursuite non régulée d’intérêts privés conduit à des résultats qui sont Pareto-inefficaces. Les bactéries deviennent résistantes aux antibiotiques lorsqu’on les utilise trop souvent, avec la mauvaise posologie ou pour des symptômes qui ne sont pas causés par des bactéries. En Inde, par exemple, les antibiotiques sont faciles d’accès, en libre-service dans les pharmacies, sans prescription par un médecin.

    Les médecins reconnaissent que laisser l’allocation d’antibiotiques au marché peut avoir des conséquences dommageables. Sur les conseils de praticiens privés non agréés, les gens consomment des antibiotiques alors que d’autres traitements seraient mieux adaptés. Afin d’économiser de l’argent, les patients ont tendance à arrêter de prendre les antibiotiques quand ils se sentent un peu mieux. C’est précisément ce mode de consommation qui produit des agents pathogènes résistants aux antibiotiques. Mais pour le patient, le traitement a fonctionné, et le médecin non agréé peut ainsi faire prospérer son activité.

La contamination par les pesticides et la création de bactéries multirésistantes sont des problèmes assez similaires. Pensez à ces enjeux comme un médecin le ferait.

Premièrement, nous diagnostiquons le problème. Dans le cas du chlordécone, le problème tient au fait que les actions des propriétaires de bananeraies mettent en danger les moyens de subsistance et la santé des pêcheurs, mais ces coûts associés à l’utilisation des pesticides sont invisibles dans les calculs des bénéfices et des pertes des propriétaires ou dans le prix des pesticides. La surconsommation d’antibiotiques a lieu car le consommateur ne prend pas en considération les coûts qui seront imposés à autrui du fait de la prolifération de bactéries multirésistantes antibiotiques.

Notre diagnostic : les acteurs ne considèrent pas les coûts que leurs décisions imposent aux autres.

Ensuite, nous mettons au point un traitement. Dans certains cas, le traitement est évident. Le chlordécone a simplement été interdit en France et aux États-Unis, et son utilisation aurait pu être drastiquement réduite si les propriétaires des plantations avaient dû payer (par la loi ou des accords privés avec les victimes) pour les dommages que l’utilisation de pesticides a infligés aux communautés de pêcheurs et autres.

Dans d’autres cas, tels que la mauvaise utilisation d’antibiotiques à la fois par les patients et par les professionnels de santé, il est plus difficile de concevoir des traitements efficaces. Il peut être nécessaire d’en appeler à l’éthique, au sens de responsabilité des acteurs envers autrui.

Notre suggestion de traitement : il faut soit réguler directement les actions qui imposent des coûts aux autres, soit obliger le décisionnaire à en supporter les coûts.

propriété privée
Une chose est une propriété privée si la personne qui la possède a le droit d’en exclure d’autres, de bénéficier de son utilisation et de l’échanger avec d’autres.
droits de propriété
Protection légale de la propriété, qui inclut le droit d’en exclure l’usage à des tiers, la jouissance ou le droit de vendre le bien possédé.
contrat
Un document juridique ou un accord qui spécifie l’ensemble des actions que les parties au contrat doivent entreprendre.
norme sociale
Un accord commun entre la plupart des membres d’une société sur ce que les individus devraient faire dans une situation donnée, quand leurs actions affectent les autres.

Afin de comprendre pourquoi il existe des défaillances de marché dans de tels cas, il est utile de se remémorer les conditions nécessaires au bon fonctionnement des marchés. Comme nous avons pu le voir dans l’Unité 1, la propriété privée est un prérequis essentiel du système de marché. Si quelque chose doit être vendu et acheté, alors il doit être possible d’exiger le droit de le posséder. Un achat est simplement un transfert de droits de propriété du vendeur vers l’acheteur. Vous hésiteriez à payer quelque chose à moins de croire que les autres reconnaîtraient (et si besoin, protégeraient) votre droit de le garder.

Ainsi, pour qu’un marché fonctionne bien (voire pour qu’il existe), d’autres institutions et normes sociales doivent exister. Les États, par exemple, fournissent un système de lois et d’exécution de ces lois qui garantissent les droits de propriété et font entrer en vigueur les contrats. Les normes sociales imposent le respect des droits de propriété d’autrui, même lorsque l’exécution en semble improbable ou impossible.

Douglass North considérait que les institutions étaient non seulement nécessaires au bon fonctionnement de l’économie, mais également le déterminant fondamental de la croissance à long terme : North, Douglass C. 1990. Institutions, Institutional Change and Economic Performance. Cambridge: Cambridge University Press.

Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson soutiennent que les institutions sont essentielles à la croissance. Ils fournissent aussi des preuves empiriques fondées sur l’histoire coloniale européenne et la division de la Corée : Acemoglu, Daron, Simon Johnson, and James A. Robinson. 2005. ‘Institutions as a Fundamental Cause of Long-Run Growth’. In Handbook of Economic Growth, Volume 1A., édité par Philippe Aghion et Steven N. Durlauf, North Holland. Acemoglu, Daron, et James A. Robinson. 2012. Why Nations Fail: The Origins of Power, Prosperity and Poverty, 1st ed. New York, NY: Crown Publishers.

Lorsque vous convenez avec un vendeur de payer une certaine somme d’argent en échange d’un bien – disons une paire de chaussures – vous passez implicitement un contrat avec le vendeur. Si vous bénéficiez de la protection d’un système juridique, vous pouvez vous attendre à ce que ce contrat soit honoré. Quand vous rentrez chez vous et ouvrez la boîte, les chaussures seront dedans et, si jamais elles venaient à se dégrader rapidement dans les premiers jours, vous pourriez être remboursé(e). C’est l’État qui détermine les règles du jeu encadrant les transactions de marché. Bien entendu, la saisie d’un tribunal pour leur application est rarement nécessaire du fait de l’existence de normes sociales qui poussent les vendeurs et les acheteurs à respecter les règles du jeu, même dans les cas où il n’existe pas de contrat ou de transfert d’un titre de propriété à proprement parler.

Des transactions plus complexes nécessitent des contrats écrits explicites qui doivent pouvoir être produits au tribunal comme preuves que les parties ont accepté un transfert de propriété. Par exemple, un auteur peut signer un contrat donnant à une maison d’édition l’exclusivité de publication de son livre. Les contrats régissent des relations qui sont susceptibles de s’inscrire dans la durée, en particulier l’emploi. Sur le marché du travail, un tribunal fait respecter le droit d’un travailleur à ne pas travailler plus que le nombre d’heures inscrit dans son contrat, mais aussi de recevoir le salaire préalablement négocié.

Les lois et les traditions juridiques peuvent également aider les marchés à fonctionner lorsqu’elles dédommagent les personnes qui ont subi un préjudice en raison de l’action d’autres personnes. La responsabilité civile, par exemple, garantit que si une entreprise vend une voiture présentant un défaut de conception, et qu’en raison de celui-ci une personne est blessée, l’entreprise doit payer une indemnisation à hauteur des dommages occasionnés. Les employeurs ont généralement un devoir de vigilance envers leurs employés, ce qui signifie qu’ils doivent leur fournir un environnement de travail sûr, et s’exposent à des amendes et autres pénalités s’ils ne le font pas.

La plupart des problèmes que nous étudions dans cette unité surviennent du fait des difficultés à garantir des droits de propriétés ou d’écrire des contrats adéquats. Il existe des biens – comme des rivières propres – que les gens jugent importants mais qui ne peuvent pas être facilement vendus et achetés. Nous nous intéresserons tout d’abord au diagnostic et traitement d’un cas similaire à celui des pesticides en Martinique et en Guadeloupe2.

Exercice 12.1 Droits de propriété et contrats à Madagascar

Marcel Fafchamps et Bart Minten ont étudié les marchés des céréales à Madagascar en 1997, où les institutions juridiques chargées de faire respecter les droits de propriété et les contrats étaient fragiles. Malgré cela, ils ont constaté que le vol et les violations de contrat étaient rares. Les marchands de céréales évitaient les vols en maintenant leurs stocks très bas et, si nécessaire, en dormant dans les entrepôts à céréales. Ils s’abstenaient d’employer de nouveaux travailleurs par peur de vol impliquant les employés. Lorsqu’ils transportaient leurs biens, ils payaient pour être protégés et voyageaient en convoi. La plupart des transactions se faisaient simplement sous la forme de libre-service de gros. La confiance était établie par la répétition des interactions avec les mêmes marchands.

  1. Ces observations suggèrent-elles que des institutions juridiques solides ne sont pas nécessaires au bon fonctionnement des marchés ?
  2. Pensez à des transactions de marché auxquelles vous avez pris part. Ces marchés pourraient-ils fonctionner en l’absence d’un cadre juridique, et, le cas échéant, dans quelle mesure seraient-ils différents ?
  3. Avez-vous des exemples de transactions de marché qui seraient facilitées par des interactions répétées ?
  4. Pourquoi ces interactions répétées peuvent-elles être importantes, même lorsqu’un cadre légal existe ?

12.1 Défaillance de marché : les effets externes de la pollution

défaillance du marché
Lorsque les marchés allouent des ressources d’une manière qui n’est pas Pareto-efficace.

Lorsque les marchés allouent les ressources de manière Pareto-inefficace, nous décrivons cela comme une défaillance de marché. Nous avons rencontré une cause de défaillance de marché dans l’Unité 7 : une entreprise produisant un bien différencié (par exemple une voiture) qui choisit son prix et son niveau de production de façon à ce que le prix soit supérieur au coût marginal. À l’inverse, nous savons depuis l’Unité 8 qu’une allocation résultant d’un marché concurrentiel maximise le surplus total des producteurs et des consommateurs et est Pareto-efficace tant que personne d’autre n’est affecté par la production et la consommation du bien.

Il y a toutefois peu de chances que l’allocation du bien sur le marchés soit Pareto-efficace si les décisions des producteurs et des consommateurs ont un impact sur autrui par des biais inadéquatement pris en compte. C’est une autre cause de défaillance de marché. Lorsqu’on analyse les gains à l’échange dans de tels cas, on doit non seulement considérer les surplus du consommateur et du producteur, mais également les coûts ou les bénéfices qui peuvent être perçus par d’autres personnes qui ne sont ni acheteurs ni vendeurs. Par exemple, la bactérie multirésistante apparue suite à la vente et à la surconsommation d’un antibiotique peut tuer quelqu’un qui n’avait aucun lien avec la vente et l’achat de l’antibiotique.

Nous allons analyser les gains à l’échange dans un cas où la production d’un bien créé un coût externe : la pollution. Notre exemple est fondé sur le cas réel de l’utilisation par les plantations du pesticide chlordécone pour lutter contre le charançon du bananier, évoqué plus haut.

effet externe
Un effet positif ou négatif d’une production, consommation ou d’une autre décision économique sur un autre individu ou plusieurs, qui n’est pas spécifié comme actif ou passif dans un contrat. L’effet est dit externe car l’effet en question est extérieur au contrat. Connu également sous le terme : externalité. Voir également : contrat incomplet, défaillance du marché, bénéfice externe, coût externe.

Afin de comprendre pourquoi nous appelons cela un effet externe (ou parfois une externalité), imaginez un instant que les bananeraies et les activités de pêche aient appartenu à la même entreprise, qui emploierait les pêcheurs et vendrait les produits de leur pêche pour réaliser un profit. Les propriétaires de cette entreprise décideraient quelle quantité de pesticide utiliser, en prenant en compte ses effets en aval. Ils feraient donc un compromis entre les profits issus de la branche banane et les pertes de la branche pêche de leur entreprise.

Mais ce n’était pas le cas en Martinique et en Guadeloupe. Les bananeraies détenaient les profits de la production de bananes dynamisée par l’utilisation des pesticides. Les pertes de la pêche « appartenaient » quant à elles aux pêcheurs. L’effet polluant causé par le pesticide ne concernait pas les personnes décidant de son utilisation. La propriété commune des bananeraies et des activités de pêche aurait internalisé cet effet, mais elles avaient des propriétaires distincts.

coût marginal privé (CmP)
Le coût pour le producteur de produire une unité additionnelle d’un bien, sans tenir compte des coûts que sa production impose à autrui. Voir également : coût marginal externe, coût marginal social.
coût marginal social (CmS)
Le coût de produire une unité additionnelle d’un bien, en prenant en considération à la fois le coût pour le producteur et les coûts subis par les autres personnes affectées par la production du bien. Le coût marginal social est la somme des coûts marginaux privé et externe.
bénéfice marginal privé (BmP)
Le bénéfice (en termes de profits ou d’utilité) de la production ou de la consommation d’une unité additionnelle d’un bien pour l’individu qui décide de le produire ou de le consommer, sans tenir compte des bénéfices potentiels pour autrui.
bénéfice marginal social (BmS)
Le bénéfice (en termes d’utilité) de produire ou consommer une unité additionnelle d’un bien, en tenant compte à la fois du bénéfice pour l’individu qui décide de le produire ou le consommer et le bénéfice pour toute autre personne affectée par la décision.

Pour modéliser les conséquences de ce type d’effet externe, la Figure 12.1 montre les coûts marginaux de la culture de la banane dans une île imaginaire des Caraïbes où un pesticide fictif appelé le Weevokil est utilisé. Le coût marginal de la production de bananes pour les producteurs est désigné par le coût marginal privé (CmP). Sa pente est ascendante, car le coût d’une tonne supplémentaire de bananes augmente avec l’utilisation plus intensive de la terre, nécessitant davantage de Weevokil. Utilisez l’analyse de la Figure 12.1 pour comparer le CmP avec le coût marginal social (CmS), qui inclut les coûts supportés par les pêcheurs dont les eaux sont contaminées par le Weevokil.

Coûts marginaux de la production de bananes avec utilisation du Weevokil.
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Figure 12.1 Coûts marginaux de la production de bananes avec utilisation du Weevokil.

Le coût marginal privé
: La droite violette représente le coût marginal pour les producteurs : le coût marginal privé (CmP) de la production de bananes. La droite est croissante car le coût de produire une tonne supplémentaire augmente à mesure que la terre est utilisée de manière plus intensive, nécessitant plus de Weevokil.
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Le coût marginal privé

La droite violette représente le coût marginal pour les producteurs : le coût marginal privé (CmP) de la production de bananes. La droite est croissante car le coût de produire une tonne supplémentaire augmente à mesure que la terre est utilisée de manière plus intensive, nécessitant plus de Weevokil.

Le coût marginal externe
: La courbe orange représente le coût marginal imposé par les producteurs de bananes aux pêcheurs – le coût marginal externe (CmE). Il s’agit du coût de la réduction de la quantité et qualité de poissons causée par chaque tonne supplémentaire de bananes.
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Le coût marginal externe

La courbe orange représente le coût marginal imposé par les producteurs de bananes aux pêcheurs – le coût marginal externe (CmE). Il s’agit du coût de la réduction de la quantité et qualité de poissons causée par chaque tonne supplémentaire de bananes.

Le coût marginal social
: En additionnant le CmP et le CmE, on obtient le coût marginal total de la production de bananes : le coût marginal social (CmS). Il est représenté par la courbe verte sur le graphique.
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Le coût marginal social

En additionnant le CmP et le CmE, on obtient le coût marginal total de la production de bananes : le coût marginal social (CmS). Il est représenté par la courbe verte sur le graphique.

Le coût externe total
: La plage colorée sur le graphique correspond aux coûts totaux imposés aux pêcheurs par les bananeraies utilisant le Weevokil. C’est la somme des différences entre le coût marginal social et le coût marginal privé à chaque niveau de production.
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Le coût externe total

La plage colorée sur le graphique correspond aux coûts totaux imposés aux pêcheurs par les bananeraies utilisant le Weevokil. C’est la somme des différences entre le coût marginal social et le coût marginal privé à chaque niveau de production.

Vous pouvez voir sur la Figure 12.1 que le coût marginal social de la production de bananes est supérieur au coût marginal privé. Afin de nous concentrer sur l’essentiel, nous allons considérer un cas dans lequel le marché de gros de la banane est concurrentiel et le prix de marché est de 400 $ la tonne. Si les propriétaires de bananeraies veulent maximiser leur profit, nous savons qu’ils choisiront un niveau de production tel que le prix soit égal à leur coût marginal – c’est-à-dire au coût marginal privé. La Figure 12.2 montre que leur production totale sera de 80 000 tonnes de bananes (point A). Bien que 80 000 tonnes maximisent les profits des producteurs de bananes, cela ne tient pas compte des coûts imposés à l’industrie de la pêche. C’est pourquoi cette situation n’est pas Pareto-efficace.

Choix du niveau de production de bananes par les bananeraies
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Figure 12.2 Choix du niveau de production de bananes par les bananeraies.

Afin de bien comprendre cela, pensez à ce qu’il se passerait si les bananeraies produisaient moins. Les pêcheurs en bénéficieraient, mais les propriétaires des bananeraies seraient perdants. À première vue, produire 80 000 tonnes de bananes devrait être Pareto-efficace. Mais imaginons que les pêcheurs puissent convaincre les propriétaires de bananeraies de produire une tonne de moins. Les pêcheurs gagneraient 270 $ : ils ne souffriraient plus de la perte de revenus de la pêche engendrée par la production de la 80 000e tonne de bananes. Les bananeraies ne perdraient presque rien. Leurs revenus baisseraient seulement de 400 $, mais leurs coûts diminueraient presque du même montant car, lorsqu’ils produisent 80 000 tonnes, le coût marginal privé est égal au prix (400 $).

Ainsi, si les pêcheurs payaient aux propriétaires de bananeraies n’importe quel montant qui soit juste un peu plus grand que zéro et juste un peu plus petit que 270 $, les deux parties verraient leur situation améliorée avec une production de 79 999 tonnes de bananes.

Qu’en serait-il d’un autre paiement afin de conduire les bananeraies à produire 79 998 tonnes à la place ? Vous pouvez voir que parce que le coût marginal externe imposé aux pêcheurs reste bien supérieur au surplus perçu par les bananeraies sur la dernière tonne (la différence entre le prix et le CmP), un tel paiement favoriserait à nouveau les deux parties.

coût marginal externe (CmE)
Le coût de produire une unité additionnelle d’un bien et qui est subi par toute personne autre que le producteur. Voir également : coût marginal privé, coût marginal social.

Jusqu’à quel point les pêcheurs pourraient-ils amener les plantations à réduire la production ? Voyez le point sur la Figure 12.2 où le prix des bananes est égal au coût marginal social. En ce point, 38 000 tonnes de bananes sont produites. Si les paiements versés par les pêcheurs aux bananeraies les conduisaient à ne plus produire que 38 000 tonnes de bananes, alors de nouveaux paiements en contrepartie de la réduction de la production ne procureraient plus aucun avantage aux pêcheurs. Si la production de bananes était réduite davantage, les pertes des bananeraies (la différence entre le prix et le coût marginal) seraient plus importantes que les gains des pêcheurs (la différence entre le coût marginal privé et social, grisée sur le graphique). En ce point, le paiement maximum que les pêcheurs seraient prêts à faire ne serait plus suffisant pour conduire les plantations à diminuer davantage leur production. La quantité de 38 000 tonnes représente donc le niveau Pareto-efficace de production de bananes.

Pour résumer :

  • Les bananeraies produisent 80 000 tonnes de bananes : en ce point, le prix est égal au CmP.
  • Le niveau de production Pareto-efficace est de 38 000 tonnes de bananes : le prix est égal au CmS.
  • Lorsque la production est de 38 000 tonnes, il est impossible d’améliorer la situation des propriétaires de bananeraies et des pêcheurs simultanément.
  • Si la production de bananes et la pêche étaient la propriété d’une seule et même entreprise : cette dernière choisirait une production de 38 000 tonnes de bananes, car pour l’unique propriétaire, le prix serait égal au CmP au niveau de 38 000 tonnes.

En général, les polluants comme le Weevokil ont des externalités négatives, parfois appelées retombées environnementales. Ils procurent des bénéfices privés à ceux qui décident de les utiliser, mais en dégradant l’environnement – ici les ressources en eau – ils imposent des coûts externes à d’autres entreprises ou aux ménages qui dépendent des ressources environnementales. Pour la société dans son ensemble, il s’agit d’une défaillance de marché : en comparaison avec l’allocation Pareto-efficace, le polluant est surutilisé, et trop de biens qui lui sont associés (dans notre cas les bananes) sont produits.

Leibniz : Externalités de la pollution

Le tableau suivant résume les points essentiels de ce cas de défaillance de marché. Dans les sections suivantes, nous résumerons d’autres exemples de défaillance de marché dans un tableau similaire. À la fin de cette unité, nous agrégerons l’ensemble des exemples dans la Figure 12.13 afin de vous permettre de les comparer.

Décision Comment cela affecte autrui Coût ou bénéfice Défaillance de marché (mauvaise allocation des ressources) Termes utilisés pour ce type de défaillance de marché
Une entreprise utilise un pesticide qui se répand dans les cours d’eau Dommage causé en aval Bénéfice privé, coût externe Surutilisation de pesticide et surproduction de la culture qui l’utilise Effet externe négatif, retombées environnementales

Figure 12.3 Défaillance de marché : pollution de l’eau.

Question 12.1 Choisissez la ou les bonnes réponses

Une usine est située à côté d’un dortoir d’infirmières travaillant de nuit. L’usine produit 120 robots humanoïdes par jour. Le processus de production est assez bruyant, et les infirmières se plaignent souvent que leur sommeil est perturbé. D’après ces informations, laquelle de ces affirmations est correcte ?

  • Le coût marginal privé est le coût total pour l’usine de la production de 120 robots par jour.
  • Le coût marginal social est le coût du bruit subi par les infirmières pour la production d’un robot supplémentaire.
  • Le coût marginal externe est le coût pour l’entreprise, plus le coût du bruit subi par les infirmières, lorsqu’un robot supplémentaire est produit.
  • Le coût total externe correspond aux coûts totaux quotidiens imposés aux infirmières par la production de l’usine.
  • Le CmP est le coût pour l’usine de produire un robot supplémentaire, et non pas le coût total.
  • Le CmS est la somme des coûts pour l’usine et pour les infirmières de la production d’un robot supplémentaire, CmS = CmP + CmE.
  • Le CmE est le coût du bruit subi par les infirmières lorsqu’un robot supplémentaire est produit.
  • Le coût total externe est la somme des coûts marginaux externes de la production de tous les robots. C’est le coût total imposé aux infirmières.

12.2 Externalités et négociation

Pour prouver que l’allocation de marché des bananes (la production de 80 000 tonnes en utilisant Weevokil) n’est pas Pareto-efficace, nous avons montré que les pêcheurs pourraient payer les propriétaires des bananeraies afin qu’ils produisent moins de bananes, et que les deux verraient leurs situations respectives améliorées.

Cela suggère-t-il une solution à cette défaillance de marché qui pourrait être mise en place dans le monde réel ?

Oui. Les pêcheurs et les propriétaires des bananeraies pourraient négocier un accord privé. Une solution de ce type est souvent appelée négociation coasienne, en référence à Ronald Coase, qui fut le premier à développer l’idée qu’une négociation privée puisse être préférable à l’intervention des pouvoirs publics pour gérer des effets externes. Il affirmait que les deux parties à l’échange disposent souvent de plus d’information nécessaire à la mise en œuvre d’un résultat efficace que le décideur public.

Les grands économistes Ronald Coase

Ronald Coase Vous avez déjà rencontré Ronald Coase (1910–2013). Il était mentionné dans l’Unité 6 pour sa représentation de l’entreprise en tant qu’organisation politique. Il est également connu pour son idée selon laquelle la négociation privée peut pallier les défaillances de marché.

Il expliquait que lorsqu’une partie est engagée dans une activité causant incidemment un dommage à une autre partie, un accord négocié entre les deux peut déboucher sur une allocation des ressources Pareto-efficace. Il étayait son argument en s’appuyant sur l’affaire Sturges contre Bridgman. Ce cas concernait Brigdman, un confiseur qui avait pendant des années utilisé des machines qui produisaient bruit et vibrations. Cela ne causait aucun effet externe jusqu’au jour où son voisin Sturges construisit un cabinet de consultation à la limite de sa propriété, à côté de la cuisine de la confiserie. Les tribunaux ont statué en faveur du médecin en interdisant à Brigdman d’utiliser ses machines.

Coase fit remarquer qu’à partir du moment où le droit du médecin à interdire l’utilisation des machines avait été établi, les deux parties pouvaient modifier le résultat. Le médecin pourrait très bien renoncer à son droit de jouir du silence en échange d’une compensation financière. Le confiseur serait d’accord pour payer, si la valeur de ses activités gênantes était supérieure aux coûts qu’elles imposaient au médecin.

Aussi, la décision du tribunal en faveur de Sturges plutôt que de Bridgman n’aurait rien changé au fait que Bridgman continue ou non d’utiliser ses machines. Si le confiseur avait obtenu le droit de les utiliser, le médecin l’aurait payé pour qu’il cesse, si et seulement si les coûts du médecin étaient supérieurs aux profits du confiseur.

En d’autres termes, une négociation privée garantirait l’utilisation des machines, si et seulement si cette utilisation, assortie d’un paiement compensatoire, favorisait les deux parties. La négociation privée garantirait l’efficacité au sens de Pareto. La négociation donne au confiseur une incitation à tenir compte non seulement des coûts marginaux privés relatifs à l’utilisation des machines produisant les bonbons, mais également les coûts externes imposés au médecin. Autrement dit, le confiseur tient compte de la totalité du coût social. Pour le confiseur, le prix de l’utilisation de ses machines gênantes pendant les heures de consultation du médecin enverrait désormais le bon signal. La négociation privée pourrait être un substitut au principe de responsabilité juridique. Elle garantit que ceux qui sont lésés sont dédommagés, et que ceux susceptibles d’infliger des dommages fassent des efforts pour éviter un comportement préjudiciable.

Pour résumer :

  • Le rôle du tribunal était d’établir les droits de propriété initiaux des deux parties : le droit de Bridgman à faire du bruit ou celui de Sturges au calme.
  • Ensuite, à condition que la négociation privée épuise tous les gains mutuels potentiels, le résultat sera (par définition) efficace au sens de Pareto, indépendamment de la partie jouissant des droits initiaux.
  • Nous pourrions objecter que la décision du tribunal aboutit à une distribution injuste des profits, mais quelle que soit la manière dont nous évaluerions cet aspect (ou si, comme Coase le disait lui-même, nous « laissions de côté les questions d’équité »), le résultat serait Pareto-efficace.
coûts de transaction
Coûts qui entravent les processus de négociation ou la conclusion d’un contrat. Ils incluent les coûts d’acquérir l’information à propos du bien à échanger et les coûts de faire respecter un contrat.

Cependant, Coase soulignait que son modèle ne pouvait pas être directement appliqué à la plupart des situations en raison des coûts de négociation et d’autres obstacles qui empêchent les parties d’exploiter tous les gains mutuels possibles. Les coûts de la négociation, appelés parfois coûts de transaction, peuvent empêcher d’atteindre l’efficacité au sens de Pareto. Si le confiseur ne peut pas déterminer à quel point le bruit dérange le médecin, celui-ci aura intérêt à surestimer les coûts afin d’obtenir un accord plus favorable. Établir les coûts et les bénéfices réels de chaque partie fait également partie du coût de la transaction, et il peut arriver que ce coût soit trop élevé pour rendre une négociation possible.

L’analyse de Coase suggère que l’absence de droits de propriété bien établis et autres obstacles entraînant des coûts de transaction élevés nous dissuadent de recourir à la négociation pour résoudre les externalités. Nous savons des expériences de l’Unité 4 que la négociation peut également échouer si l’une des parties considère que le résultat est injuste. Mais, avec un cadre juridique clair dans lequel une partie détient à l’origine les droits de produire (ou d’empêcher la production de) l’externalité, et à condition que ces droits soient échangeables sur un marché entre les deux parties, il se peut qu’une intervention supplémentaire ne soit pas nécessaire.

Jusqu’à présent vous avez probablement associé les droits de propriété aux biens typiquement achetés et vendus sur des marchés, tels que de la nourriture, les vêtements ou les maisons. L’approche de Coase suggère que nous pourrions examiner d’autres droits – dans son exemple, le droit à faire du bruit ou à jouir d’un environnement de travail calme – comme des biens qui peuvent être négociés et échangés contre de l’argent.

option de réserve
L’alternative de second rang d’un individu parmi toutes les options dans une transaction particulière. Connu également sous le terme : option de rechange. Voir également : prix de réserve.

Voyons comment une négociation privée pourrait résoudre le problème des pesticides. Initialement, il n’est pas illégal d’utiliser le Weevokil : l’allocation des droits de propriété est telle que les bananeraies sont autorisées à l’utiliser et choisissent de produire 80 000 tonnes de bananes. Cette allocation ainsi que les revenus et les effets environnementaux associés représentent l’option de réserve des producteurs de bananes et des pêcheurs. C’est ce qu’ils obtiendront s’ils ne parviennent pas à un accord.

Pour que les pêcheurs et les propriétaires de bananeraies négocient de manière efficace, ils doivent être organisés de manière à ce qu’une seule personne (ou structure) représentant chaque partie puisse passer des accords au nom du groupe tout entier. Imaginons donc qu’un représentant d’une association de pêcheurs s’assoie à la table des négociations avec un représentant de l’association des planteurs de bananes. Afin de simplifier les choses, nous supposerons pour le moment qu’il n’existe pas d’alternative au Weevokil, la négociation porte donc uniquement sur le niveau de production de bananes.

Les deux parties devraient reconnaître qu’elles pourraient bénéficier d’un accord pour réduire la production au niveau Pareto-efficace. Sur la Figure 12.4, la situation avant la négociation est matérialisée par le point A et la quantité Pareto-efficace est de 38 000 tonnes. L’ensemble de la surface ombrée montre le gain pour les pêcheurs (dû à une eau plus propre) si la production est réduite de 80 000 à 38 000 tonnes. Mais la réduction de la quantité de bananes réduira les profits des bananeraies. Utilisez l’analyse de la Figure 12.4 pour voir que la perte de profit est inférieure au gain pour les pêcheurs, de sorte qu’il y a gain social net dont ils pourraient convenir du partage.

Les gains de la négociation.
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Figure 12.4 Les gains de la négociation.

Le statu quo
: La situation avant la négociation est matérialisée par le point A, et le volume de bananes Pareto-efficace est de 38 000 tonnes. La zone ombrée représente le gain pour les pêcheurs (la réduction de leurs coûts) si la production est réduite de 80 000 à 38 000.
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Le statu quo

La situation avant la négociation est matérialisée par le point A, et le volume de bananes Pareto-efficace est de 38 000 tonnes. La zone ombrée représente le gain pour les pêcheurs (la réduction de leurs coûts) si la production est réduite de 80 000 à 38 000.

Profit perdu
: Réduire la production de 80 000 à 38 000 tonnes réduit les profits des bananeraies. La perte de profit est égale à la perte de surplus du producteur, désignée par l’aire bleue.
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Profit perdu

Réduire la production de 80 000 à 38 000 tonnes réduit les profits des bananeraies. La perte de profit est égale à la perte de surplus du producteur, désignée par l’aire bleue.

Le gain social net
: Le gain social net est le gain pour les pêcheurs moins la perte pour les bananeraies ; il est représenté par la surface verte restante.
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Le gain social net

Le gain social net est le gain pour les pêcheurs moins la perte pour les bananeraies ; il est représenté par la surface verte restante.

Puisque le gain des pêcheurs serait supérieur à la perte pour les bananeraies, les pêcheurs seraient prêts à payer les planteurs de bananes afin qu’ils réduisent la production à 38 000 tonnes s’ils avaient les fonds nécessaires.

offre minimale acceptable
Dans le jeu de l’ultimatum, c’est la plus petite offre proposée par l’Offreur qui ne sera pas rejetée par le Répondant. S’applique généralement aux situations de négociation pour indiquer l’offre la moins favorable qui serait acceptée.

L’offre minimale acceptable faite par les pêcheurs est déterminée par ce que les bananeraies obtiennent dans la situation actuelle, qui est leur profit de réserve (correspondant à l’aire bleue désignée par « perte de profit »). Si les propriétaires de bananeraies acceptaient ce montant minimum pour compenser leur perte de profit, l’industrie de la pêche réaliserait un gain net égal au gain social net, tandis que les bananeraies ne seraient ni gagnantes, ni perdantes.

Le montant maximum que l’industrie de la pêche payerait est déterminé par son option de repli (ou de réserve), comme dans le cas des bananeraies. Il s’agit de la somme des surfaces bleue et verte. Dans ce cas, les bananeraies obtiendraient l’ensemble du gain social net, tandis que les pêcheurs ne s’en porteraient pas mieux. Comme dans les cas de négociation de l’Unité 5, le montant compensatoire finalement négocié, entre ces niveaux maximum et minimum, dépendra du pouvoir de négociation des deux groupes.

Vous pourriez trouver injuste que les pêcheurs aient à payer pour une réduction de la pollution. Au niveau Pareto-efficace de production de bananes, l’industrie de la pêche souffre toujours de la pollution et doit payer pour éviter que la pollution n’empire davantage. Il en est ainsi car nous avons supposé que les bananeraies ont le droit (par la loi) d’utiliser le Weevokil.

Un cadre juridique différent pourrait accorder aux pêcheurs un droit d’accès à une eau propre. Le cas échéant, les propriétaires de bananeraies souhaitant utiliser le Weevokil pourraient proposer un paiement aux pêcheurs, afin que ces derniers renoncent à une partie de leur droit à une eau propre pour atteindre un niveau de production de bananes qui soit Pareto-efficace, ce qui constituerait une issue bien plus favorable pour les pêcheurs. En principe, le processus de négociation devrait conduire à une allocation Pareto-efficace, indépendamment de la distribution initiale des droits, qu’ils soient accordés aux bananeraies (droit à polluer) ou aux pêcheurs (droit à une eau non polluée). Cependant, les deux situations diffèrent fortement s’agissant de la distribution des bénéfices tirés de la correction de la défaillance du marché.

Comme le reconnaissait Coase, des obstacles pratiques à la négociation pourraient empêcher d’atteindre l’efficacité au sens de Pareto :

  • Entraves à l’action collective : la négociation privée peut s’avérer impossible s’il y a de nombreuses parties de chaque côté de l’effet externe, par exemple beaucoup de pêcheurs et de propriétaires de bananeraies. Chaque partie doit trouver une personne de confiance pour négocier en son nom et s’accorder quant à la distribution des paiements au sein de chaque industrie. Les personnes représentant chaque groupe accompliraient donc une forme de service public qu’il pourrait s’avérer difficile de garantir.
  • Information manquante : concevoir un tel système de paiements requiert de mesurer les coûts associés au Weevokil, pas seulement de façon agrégée, mais pour chaque pêcheur. Il est aussi nécessaire d’établir l’origine exacte du polluant, bananeraie par bananeraie. C’est seulement lorsque nous disposons de toutes ces informations qu’il devient possible de calculer la somme que chaque pêcheur doit payer et combien doit recevoir chaque bananeraie. On voit bien qu’il est nettement plus difficile de demander des comptes à une industrie polluante pour les dommages qu’elle cause que d’évaluer la responsabilité des dommages occasionnés, par exemple, pour le cas isolé d’un automobiliste imprudent.
  • Cessibilité et mise en œuvre : la négociation implique l’échange de droits de propriété, et le contrat régissant cet échange doit être applicable. Ayant accepté de payer plusieurs milliers de dollars, les pêcheurs doivent pouvoir compter sur le système juridique dans le cas où un propriétaire de bananeraies ne réduirait pas sa production comme convenu. Cela peut nécessiter de la part des pêcheurs et des tribunaux d’obtenir des informations qui ne sont pas publiques ou disponibles à propos des activités des bananeraies.
  • Ressources financières limitées : les pêcheurs pourraient manquer d’argent (nous avons vu dans l’Unité 10 pourquoi ils pourraient ne pas être en mesure d’emprunter de grosses sommes d’argent) pour payer les bananeraies en vue d’une réduction de la production à 38 000 tonnes.

L’exemple des pesticides montre que, même si la correction des défaillances de marché via la négociation ne requiert pas une intervention directe de l’État, elle nécessite tout de même un cadre juridique afin d’assurer l’exécution des contrats, de sorte que les droits de propriété soient échangeables et que l’ensemble des parties tiennent leurs engagements. Même dans ce cadre, les problèmes d’action collective, d’information manquante et de mise en œuvre de ce qui sera inévitablement des contrats complexes font qu’il est peu probable que la négociation coasienne puisse à elle seule corriger les défaillances de marché.

D’après la Déclaration de Rio des Nations Unies en 1992 : « Les autorités nationales devraient s’efforcer de promouvoir l’internalisation des coûts de protection de l’environnement et l’utilisation d’instruments économiques, en vertu du principe selon lequel c’est le pollueur qui doit, en principe, assumer le coût de la pollution, dans le souci de l’intérêt public et sans fausser le jeu du commerce international et de l’investissement. » Plusieurs des approches décrites dans cette unité sont en accord avec ce principe. Le fait d’octroyer le droit à l’eau propre à un pêcheur ou d’imposer une compensation signifie que les bananeraies devront payer au moins autant que les coûts supportés par l’industrie de la pêche. Une taxe implique également que le pollueur paye, bien que ce soit l’État qu’il paye, plutôt que l’industrie de la pêche.

Exercice 12.2 Pouvoir de négociation

Dans l’exemple des propriétaires de bananeraies et des pêcheurs, pouvez-vous penser à des facteurs pouvant avoir une incidence sur le pouvoir de négociation de ces parties ?

bénéfice marginal privé (BmP)
Le bénéfice (en termes de profits ou d’utilité) de la production ou de la consommation d’une unité additionnelle d’un bien pour l’individu qui décide de le produire ou de le consommer, sans tenir compte des bénéfices potentiels pour autrui.

Exercice 12.3 Une externalité positive

Imaginez un apiculteur qui produit du miel et le vend à un prix au kilogramme constant.

  1. Tracez un graphique avec la quantité de miel sur l’axe des abscisses, une droite croissante montrant le coût marginal de la production de miel et une droite horizontale indiquant le prix du miel. Trouvez la quantité de miel que l’apiculteur produit s’il maximise son profit.
  2. Pour l’apiculteur, le bénéfice marginal privé de la production d’un kilo de miel est égal au prix. Mais puisque les abeilles bénéficient à un agriculteur voisin en pollinisant ses cultures, la production de miel a un effet externe positif. Tracez sur le graphique une droite représentant le bénéfice marginal social de la production de miel. Indiquez la quantité de miel qui serait Pareto-efficace. Comparez cette quantité avec celle choisie par l’apiculteur.
  3. Expliquez comment l’agriculteur et l’apiculteur pourraient tous les deux améliorer leur situation grâce à une négociation privée.

Question 12.2 Choisissez la ou les bonnes réponses

Le graphique illustre le CmP et le CmS de la production de robots de l’usine de la Question 12.1.

CmP et CmS de la production de robots de l’usine.
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Le marché des robots est concurrentiel et le prix de marché est de 340 $. Actuellement, l’usine produit un volume de 120, mais 80 serait Pareto-efficace. Laquelle des affirmations suivantes est correcte ?

  • Pour réduire le volume de production à 80, le paiement minimum acceptable par l’usine serait 1 600 $.
  • Le maximum que les infirmières seraient prêtes à payer à l’usine pour l’inciter à réduire son volume de production à 80 est 2 400 $.
  • L’usine ne réduira pas son volume de production à 80 à moins de recevoir au moins 4 000 $.
  • Le gain social net de la réduction de production à 80 dépend du montant payé à l’usine par les infirmières.
  • Le paiement minimum acceptable correspond à la perte de surplus, soit la surface en vert = 0,5 × (340 − 260) × 40 = 1 600 $.
  • Le maximum que les infirmières payeraient est le gain total (de la réduction du coût du bruit) associé à la baisse de la production. C’est l’aire totale de la zone colorée, soit ((80 + 120) × 40)/2 = 4 000 $.
  • 4 000 $ est le montant maximum que les infirmières payeraient (l’aire ombrée totale). Le paiement minimum acceptable est la surface en vert.
  • Le gain net social est la différence entre la réduction du coût du bruit pour les infirmières et la perte de profit de l’usine. C’est la surface en violet. Elle n’est pas affectée par le paiement, qui détermine uniquement la répartition du gain net social.

Question 12.3 Choisissez la ou les bonnes réponses

Considérez le cas où la nuisance sonore d’une usine affecte le sommeil des infirmières du dortoir voisin. S’il n’y a pas de coûts de transaction faisant obstacle à la négociation coasienne, laquelle des affirmations suivantes est correcte ?

  • La Pareto-efficacité du niveau de production final dépend de qui détient les droits de propriété au départ.
  • Les infirmières verraient leur situation améliorée sous l’allocation négociée si elles détenaient au préalable un droit à dormir paisiblement plutôt que si l’usine détenait le droit de faire du bruit.
  • Si l’usine détient le droit de faire du bruit, elle préférera ne pas négocier avec les infirmières.
  • Si les infirmières détiennent les droits initiaux, elles obtiendront tout le gain social net de la production de robots.
  • L’allocation finale sera Pareto-efficace indépendamment du droit de l’usine à faire du bruit ou de celui des infirmières à dormir paisiblement. C’est le résultat principal de la négociation coasienne.
  • Si l’usine détient les droits initiaux, les infirmières devront payer pour la réduction du bruit. Si ce sont elles qui détiennent les droits initiaux, elles obtiendront à la fois la réduction du bruit et un dédommagement de la part de l’usine.
  • L’usine peut voir sa situation améliorée en obtenant un paiement de la part des infirmières en échange de la réduction de la production.
  • C’est le maximum que les infirmières puissent obtenir. Toutefois, son obtention dépendra de leur pouvoir de négociation.

12.3 Externalités : politiques publiques et répartition du revenu

Supposez que dans notre exemple du Weevokil la négociation coasienne ne soit pas réalisable, et que les pêcheurs et les propriétaires de bananeraies ne puissent pas résoudre le problème du Weevokil de manière privée. Nous continuerons de supposer qu’il n’est pas possible de faire pousser des bananes sans utiliser du Weevokil. Que peuvent faire les pouvoirs publics pour aboutir à une réduction de la production de bananes à un niveau qui tienne compte des coûts pour les pêcheurs ? Il y a trois axes d’intervention possibles :

  • réglementer le volume de bananes produites ;
  • taxer la production ou la vente de bananes ;
  • exiger la compensation des pêcheurs pour les coûts qu’ils subissent.

Chacune de ces mesures a des effets distributifs différents pour les pêcheurs et les propriétaires de bananeraies.

Réglementation

Le gouvernement pourrait fixer la production maximale à 38 000 tonnes de bananes, la quantité Pareto-efficace. Cette solution semble simple. Cependant, si les bananeraies diffèrent en taille et en volume de production, il peut s’avérer difficile de déterminer et d’imposer le bon quota de production pour chaque bananeraie.

Cette mesure réduirait les coûts causés par la pollution pour les pêcheurs, mais réduirait les profits des bananeraies. Les propriétaires des bananeraies perdraient leur surplus réalisé sur chaque tonne de bananes entre 38 000 et 80 000.

Taxe

La Figure 12.5 montre à nouveau les courbes de CmP et de CmS. Au niveau de la quantité Pareto-efficace (38 000 tonnes), le CmS est 400 $ et le CmP est 295 $. Le prix de vente est de 400 $. Si le législateur introduit une taxe sur chaque tonne de bananes produite, à hauteur de 400 $ - 295 $ = 105 $ (le coût marginal externe), alors le prix après taxe perçu par les bananeraies sera 295 $. À présent, si les bananeraies maximisent leur profit, elles choisiront le point où le prix après taxe est égal au coût marginal privé et produiront 38 000 tonnes de bananes, la quantité Pareto-efficace. Utilisez l’analyse de la Figure 12.5 pour voir comment cette mesure fonctionne.

Taxer pour atteindre une situation Pareto-efficace.
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Figure 12.5 Taxer pour atteindre une situation Pareto-efficace.

Le coût marginal externe
: Pour la quantité Pareto-efficace (38 000 tonnes) le CmP est 295 $. Le CmS est 400 $. Aussi, le coût marginal externe est donné par CmS – CmP = 105 $.
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Le coût marginal externe

Pour la quantité Pareto-efficace (38 000 tonnes) le CmP est 295 $. Le CmS est 400 $. Aussi, le coût marginal externe est donné par CmS – CmP = 105 $.

Taxe = CmS - CmP
: Si le décideur public met en place une taxe sur chaque tonne de bananes produite à hauteur de 105 $ (le coût marginal externe), alors le prix après taxe reçu par les bananeraies sera 295 $.
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Taxe = CmS - CmP

Si le décideur public met en place une taxe sur chaque tonne de bananes produite à hauteur de 105 $ (le coût marginal externe), alors le prix après taxe reçu par les bananeraies sera 295 $.

Le prix après taxe est 295 $
: Pour maximiser leur profit, les bananeraies choisiront la quantité produite de sorte que le CmP soit égal au prix après taxe. Elles choisiront le point P1 et produiront 38 000 tonnes.
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Le prix après taxe est 295 $

Pour maximiser leur profit, les bananeraies choisiront la quantité produite de sorte que le CmP soit égal au prix après taxe. Elles choisiront le point P1 et produiront 38 000 tonnes.

taxe pigouvienne
Une taxe levée sur des activités qui génèrent des effets externes négatifs afin de corriger un résultat de marché inefficace. Voir également : effet externe, subvention pigouvienne.
bénéfice externe
Une effet externe positif : c’est-à-dire, un effet positif d’une production, consommation ou d’une autre décision économique sur une autre personne ou plusieurs, qui n’est pas spécifié comme un bénéfice dans un contrat. Connu également sous le terme : économie externe. Voir également : effet externe.

La taxe corrige le signal envoyé par le prix, de telle sorte que les producteurs de bananes supportent l’intégralité du coût marginal social de leurs décisions. Lorsque les bananeraies produisent 38 000 tonnes, la taxe est exactement égale au coût imposé aux pêcheurs. Cette approche est connue sous le nom de taxe pigouvienne, en référence à l’économiste Arthur Pigou qui en recommanda l’usage. Elle fonctionne aussi dans le cas d’un effet externe positif : si le bénéfice marginal social de la décision est plus important que le bénéfice marginal privé, une subvention pigouvienne peut garantir que le décideur tienne compte de ce bénéfice externe.

Leibniz : Taxes pigouviennes

Les effets distributifs de la taxation sont différents de ceux de la réglementation. Les coûts de la pollution pour les pêcheurs sont réduits du même montant, mais la réduction des profits tirés des bananes est plus importante, car les plantations payent des taxes en plus de réduire leur volume de production, et l’État perçoit les recettes fiscales.

Mise en place d’une compensation

L’État pourrait obliger les propriétaires des bananeraies à payer une compensation pour les coûts imposés aux pêcheurs. La compensation nécessaire pour chaque tonne de bananes sera égale à la différence entre le CmS et le CmP, qui correspond à la distance entre les droites verte et violette sur la Figure 12.6. Une fois que cette compensation est intégrée, le coût marginal de chaque tonne de bananes pour les bananeraies sera le CmP plus la compensation, qui est donc égal au CmS. Ainsi, les bananeraies maximiseront désormais leur profit en choisissant le point P2 sur la Figure 12.6 et en produisant 38 000 tonnes. La surface colorée représente la compensation totale qui est payée. Les pêcheurs sont intégralement indemnisés pour la pollution, et les profits des bananeraies sont égaux au vrai surplus social de la production de bananes.

Les plantations compensent les pêcheurs
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Figure 12.6 Les plantations compensent les pêcheurs.

L’effet de cette mesure sur les profits des bananeraies est similaire à l’effet de la taxe, mais elle est plus avantageuse pour les pêcheurs car ce sont eux, et non l’État, qui reçoivent le paiement des plantations.

Diagnostic et traitement dans le cas du chlordécone

Lorsque nous avons estimé à 38 000 tonnes le niveau de production Pareto-efficace dans notre modèle, nous avons supposé que la production de bananes conduisait inévitablement à la pollution au Weevokil. Notre diagnostic était donc que la production de bananes était trop importante et nous avons examiné des politiques permettant de réduire la production. Ce n’était cependant pas le cas en Guadeloupe et en Martinique, où des alternatives au chlordécone existaient. Si des alternatives au Weevokil étaient disponibles, il serait inefficace de restreindre la production à 38 000 tonnes, car si les bananeraies pouvaient choisir une méthode de production différente et la quantité à produire maximisant leurs profits correspondante, elles amélioreraient leur sort sans dégrader la situation des pêcheurs.

Le problème venait donc de l’utilisation du chlordécone, et non de la production de bananes.

La défaillance de marché survint simplement parce que le prix du chlordécone ne tenait pas compte des coûts que son utilisation imposait aux pêcheurs, et il envoyait ainsi un mauvais signal à l’entreprise. Son prix bas disait : « Utilisez ce produit chimique et vous économiserez de l’argent tout en augmentant vos profits. » Mais si son prix avait intégré la totalité des coûts externes de son utilisation, il aurait peut-être été suffisamment élevé pour dire : « Pensez aux dommages causés en aval et cherchez une autre manière de faire pousser des bananes. »

Dans cette situation, la mesure requérant des bananeraies qu’elles compensent les pêcheurs les aurait incitées à trouver des méthodes de production moins polluantes, et aurait pu, en principe, aboutir à une situation efficace.

Mais les deux autres mesures n’auraient pas fonctionné. Plutôt que de taxer ou réglementer la quantité de bananes produites, il aurait mieux valu réglementer ou taxer la vente ou l’utilisation de chlordécone pour inciter les bananeraies à trouver la meilleure alternative à l’utilisation intensive du chlordécone.

En théorie, si la taxe sur une unité de chlordécone était égale à son coût marginal externe, le prix du chlordécone pour les bananeraies serait égal à son coût marginal social, de sorte qu’il enverrait le bon message. Elles pourraient ainsi choisir le meilleur moyen de produire, en prenant en compte le coût élevé du chlordécone, ce qui impliquerait la réduction de son utilisation ou l’utilisation d’un autre pesticide, et détermineraient le volume de production maximisant leur profit. Comme dans le cas de la taxe sur les bananes, les profits des bananeraies et les coûts de la pollution subis par les pêcheurs diminueraient, mais l’issue serait meilleure pour les bananeraies, voire pour les pêcheurs également, si le chlordécone, et non plus les bananes, était taxé.

Malheureusement, aucune de ces solutions ne fut utilisée pendant plus de 20 ans dans le cas du chlordécone, et les habitants de la Guadeloupe et de la Martinique en subissent toujours les conséquences. En 1993, l’État a fini par reconnaître que le coût marginal social de l’utilisation du chlordécone était tellement élevé que ce produit devrait être tout simplement interdit.

Rien n’avait été fait en Guadeloupe et en Martinique pour réduire la pollution au chlordécone jusqu’en 1993, bien que le chlordécone fût considéré comme cancérigène dès 1979. Les coûts externes étaient nettement plus élevés que dans notre cas du Weevokil, dégradant la santé des insulaires ainsi que les moyens de subsistance des pêcheurs. En fait, le coût marginal social de n’importe quelle quantité de bananes produites avec l’aide de chlordécone était plus élevé que leur prix de marché, ce qui aurait justifié une interdiction totale de son utilisation. La pollution s’est avérée être pire que quiconque n’aurait pu l’imaginer à l’époque, et il est probable qu’elle persiste dans le sol pendant 700 ans. En 2013, les pêcheurs en Martinique ont bloqué l’accès au port de Fort-de-France jusqu’à ce que le gouvernement français accepte d’allouer une aide de 2,6 millions de dollars.

Il y a des limites à l’efficacité avec laquelle les pouvoirs publics peuvent mettre en place des taxes pigouviennes, une réglementation ou des compensations – souvent pour les mêmes raisons que dans une négociation coasienne :

  • L’État ne connaît pas forcément le niveau de dommage subi par chaque pêcheur : il ne peut donc pas mettre en place la meilleure politique de compensation.
  • Les coûts marginaux sociaux sont difficiles à mesurer : alors que les coûts marginaux privés des bananeraies sont probablement bien connus, il est plus ardu de déterminer les coûts marginaux sociaux, tels les coûts de la pollution, tant au niveau individuel qu’au niveau de la société dans son ensemble.
  • Les pouvoirs publics peuvent favoriser le groupe le plus puissant : le cas échéant, il est possible qu’ils imposent une allocation Pareto-efficace qui soit injuste.

Les grands économistes Arthur Pigou

Arthur Pigou Arthur Pigou (1877–1959) fut l’un des premiers économistes néoclassiques à s’intéresser à l’économie du bien-être, qui est l’analyse de l’allocation des ressources en termes de bien-être de la société dans son ensemble. Pigou remporta de nombreuses récompenses lors de ses études à l’Université de Cambridge en histoire, en langues et en sciences morales (il n’y avait pas de diplôme d’économie à cette époque). Il devint le protégé d’Alfred Marshall. Pigou était une personne ouverte et pleine de vie dans sa jeunesse, mais ses expériences en tant qu’objecteur de conscience ou d’ambulancier lors de la Première Guerre mondiale, ainsi que ses angoisses liées à sa santé, ont fait de lui un homme reclus qui se terrait dans son bureau sauf pour aller enseigner ou se promener.

La théorie économique de Pigou était principalement centrée sur l’utilisation des sciences économiques pour le bien de la société, raison pour laquelle il est parfois considéré comme le père fondateur de l’économie du bien-être.

Son livre Wealth and Welfare fut décrit par Schumpeter comme « le plus grand projet en économie du travail jamais entrepris par un homme qui était principalement un théoricien », et posa les bases de l’ouvrage ultérieur The Economics of Welfare. Ces travaux ont créé un lien entre l’économie d’une nation et le bien-être des personnes qui la composent. Pigou se concentrait sur le bonheur et le bien-être. Il reconnaissait que des concepts tels que la liberté politique et la position relative étaient importants.3 4

Pigou pensait que la réallocation des ressources était nécessaire lorsque les intérêts d’une entreprise privée ou d’un particulier divergeaient de ceux de la société, causant ce qu’on appellerait aujourd’hui des externalités. Il proposait d’utiliser la taxation pour résoudre le problème : les taxes pigouviennes visent à garantir que les producteurs assument le vrai coût social de leurs décisions.

Bien qu’ils soient tous deux des héritiers de la nouvelle école de pensée économique de Marshall, Pigou et Keynes ne partageaient pas les mêmes idées. La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie de Keynes contenait une critique de La Théorie du chômage de Pigou, et, inversement, Pigou trouvait que l’ouvrage de Keynes était devenu trop dogmatique et qu’il transformait les étudiants en « moutons ».

Cette version en ligne (en anglais) de La Théorie générale de Keynes vous permet de rechercher sa critique de Pigou : Keynes, John Maynard. 1936. The General Theory of Employment, Interest and Money. London: Palgrave Macmillan.

Bien que ses travaux aient été négligés pour l’essentiel du 20e siècle, Pigou a ouvert la voie à un large pan de l’économie du travail et des politiques publiques environnementales. Les taxes pigouviennes étaient largement méconnues jusqu’aux années 1960, mais elles sont devenues depuis un instrument de politique publique essentiel pour réduire la pollution et les dommages environnementaux.

Nous pouvons maintenant enrichir le tableau que nous avons créé dans la Section 12.1 (Figure 12.3). Regardez la cinquième colonne de la Figure 12.7, qui est nouvelle : elle contient les solutions possibles pour le problème des externalités négatives.

Décision Comment cela affecte autrui Coût ou bénéfice Défaillance de marché (mauvaise allocation des ressources) Solutions possibles Termes utilisés pour ce type de défaillance de marché
Une entreprise utilise un pesticide qui se répand dans les cours d’eau Dommage causé en aval Bénéfice privé, coût externe Surutilisation de pesticide et surproduction de la culture qui l’utilise Taxes, quotas, interdictions, négociation, propriété commune de toutes les ressources affectées Effet externe négatif, retombées environnementales

Figure 12.7 Défaillance de marché causant une pollution de l’eau, avec solutions.

Exercice 12.4 Subvention pigouvienne

Revenons au cas de l’apiculteur et son voisin agriculteur de l’Exercice 12.3. Pourquoi leur négociation pourrait-elle en pratique échouer à les amener à un résultat Pareto-efficace ? À l’aide du graphique que vous aviez dessiné, montrez comment les pouvoirs publics pourraient améliorer la situation en subventionnant la production de miel. Décrivez les effets distributifs de cette subvention, et comparez-la au résultat Pareto-efficace de la négociation.

Exercice 12.5 Comparaison de politiques publiques

Considérez les trois types de mesures discutées ci-dessus, réglementation, taxation et système de compensation. Évaluez les forces et les faiblesses de chacune d’elles en fonction de leur efficacité au sens de Pareto et de leur équité.

Question 12.4 Choisissez la ou les bonnes réponses

Le graphique représente le CmP et le CmS de la production de robots de l’usine située à côté d’un dortoir d’infirmières qui travaillent de nuit.

Le CmP et le CmS de la production de robots à proximité d’un dortoir pour infirmières travaillant de nuit.
Plein écran

Le marché des robots est concurrentiel et le prix de marché est 340 $. La production initiale est 120 mais le gouvernement a mis en place une taxe pigouvienne pour la réduire à un niveau efficace de 80. Laquelle des affirmations suivantes est correcte ?

  • Avec la taxe pigouvienne, le surplus de l’usine sera 6 400 $.
  • La taxe pigouvienne requise s’élève à 120 $ par robot.
  • Les infirmières sont dans une situation au moins aussi avantageuse que celle qu’elles connaîtraient dans le cas d’une négociation coasienne.
  • Les infirmières n’obtiennent aucun bénéfice de la mise en place de la taxe pigouvienne.
  • La taxe pigouvienne fait baisser le prix après taxe à 260 $. Le surplus de l’usine est représenté par la surface au-dessus de la droite de CmP et en dessous de la droite correspondant au prix 260 $ = 0,5 × 80 × (260 – 100) = 6 400 $.
  • La taxe pigouvienne doit faire baisser le prix après taxe de 340 $ à 260 $, donc elle est de 80 $.
  • Les infirmières verraient leur situation s’améliorer dans le cas d’une négociation coasienne qui impliquerait un dédommagement de la part de l’usine ainsi qu’une réduction du bruit.
  • Les infirmières ne reçoivent aucun paiement, mais elles bénéficient de la réduction du bruit.

12.4 Droits de propriété, contrats et défaillances de marché

En agissant afin de maximiser les profits (en choisissant le volume de production de bananes ou le type de pesticide), les propriétaires des bananeraies ne prenaient pas en considération les coûts externes qu’ils imposaient aux pêcheurs. Et ils n’avaient aucune raison de le faire : ils avaient le droit de polluer les zones de pêche.

Cela est également vrai pour la surconsommation d’antibiotiques. Une personne poursuivant son intérêt personnel n’a aucune raison de consommer des antibiotiques avec modération, car la bactérie multirésistante qui pourrait en résulter infectera sans doute quelqu’un d’autre.

Si les prix du chlordécone et de l’antibiotique avaient été suffisamment élevés, il n’y aurait pas eu de surconsommation. Mais les prix de ces biens étaient basés uniquement sur les coûts de production, et excluaient les coûts que leur utilisation imposait à autrui. Comme vous l’avez vu, le coût privé du consommateur (combien il a payé pour acquérir le bien) était inférieur au coût social pour cette raison.

Autre exemple : quand le coût du carburant est bas, plus de personnes décident de se rendre au travail en voiture plutôt que de prendre le train. Le message transmis par le prix bas ne tient pas compte des coûts environnementaux liés à la décision de prendre sa voiture. Les effets sur le décisionnaire sont appelés coûts et bénéfices privés, tandis que les effets totaux, qui incluent les effets infligés au détriment des tiers ou les effets positifs dont ils peuvent jouir, sont appelés coûts et bénéfices sociaux.

déséconomie externe
Un effet négatif d’une production, consommation, ou d’une autre décision économique, qui n’est pas spécifié comme passif dans un contrat. Connu également sous le terme : coût externe, externalité négative. Voir également : effet externe.
économie externe
Un effet positif d’une production, consommation ou d’une autre décision économique qui n’est pas spécifié comme bénéfice dans un contrat. Connu également sous le terme : bénéfice externe, externalité positive. Voir également : effet externe.

Les coûts infligés aux tiers (comme la pollution et les embouteillages qui empirent parce que vous avez pris la voiture pour aller travailler) sont appelés déséconomies externes ou externalités négatives, tandis que les bénéfices non compensés dont peuvent jouir les tiers sont appelés économies externes ou externalités positives.

Nous pouvons comprendre pourquoi ces défaillances de marché et d’autres sont fréquentes en réfléchissant à la manière de les éviter.

Comment le coût de conduire pour aller au travail pourrait-il refléter avec justesse l’ensemble des coûts subis par chacun, et pas simplement les coûts privés pour celui qui prend sa voiture ? La solution la plus évidente (bien qu’impossible en pratique) serait que le conducteur verse à chaque personne subissant le dommage environnemental causé par la conduite (ou les embouteillages) un montant exactement égal au dommage infligé. Cela est évidemment impossible à faire, mais cette solution établit une référence de ce qui devrait être fait ou visé si le « prix d’aller au travail en voiture » envoyait le bon signal.

Une approche similaire peut s’appliquer si vous conduisez de façon imprudente en allant au travail, quittez la route et percutez la maison de quelqu’un. Dans la plupart des pays, le droit de la responsabilité civile vous obligerait à payer le dommage causé à la maison. Vous seriez tenu(e) responsable des dommages et devriez donc payer le coût que vous avez fait subir à autrui.

Sachant cela, vous pourriez y réfléchir à deux fois avant de prendre votre voiture pour aller travailler (ou du moins vous ralentiriez un peu lorsque vous êtes en retard). Cela modifiera votre comportement et l’allocation des ressources.

Cependant, bien que dans la plupart des pays, le droit de la responsabilité civile couvre un certain nombre de dommages infligés à autrui (conduite imprudente), d’autres effets externes importants associés au fait de conduire (comme contribuer à la pollution de l’air ou aux embouteillages) ne sont pas couverts. Voici deux nouveaux exemples :

  • Une entreprise utilise un incinérateur produisant des fumées : les fumées dégradent la qualité de l’air ambiant. Ceux qui subissent la pollution ne disposent pas d’un droit à bénéficier d’un air pur, droit qui leur permettrait de réclamer à cette entreprise une compensation. L’entreprise n’a donc pas à payer ces coûts.
  • Vous jouez de la musique très fort la journée et empêchez les voisins de faire la sieste : les voisins en train de faire la sieste n’ont pas de droit applicable à ne pas être réveillés par la musique. Il n’y a aucun moyen pour vos voisins de vous faire payer une compensation pour la gêne que vous occasionnez.

Les systèmes juridiques échouent également à fournir des compensations pour les bénéfices que les actions d’une personne apportent à d’autres :

  • Une entreprise forme un employé qui démissionne pour un meilleur emploi : les compétences de l’employé qui a été formé partent avec lui. Ainsi, même si une autre entreprise tire les bénéfices de cette formation, celle qui en a payé les coûts ne peut pas demander de compensation à la nouvelle entreprise.
  • Kim, la fermière de l’Unité 4, participe au coût d’un projet d’irrigation tandis que les autres fermiers se comportent en passagers clandestins et en profitent sans payer : Kim n’a aucun moyen de réclamer un paiement pour son action pour l’intérêt général. Les passagers clandestins ne dédommageront pas Kim.
  • Un pays investit dans la réduction des émissions de carbone, ce qui réduit les risques de changement climatique pour les autres pays : comme nous l’avons vu dans l’Unité 4, à moins qu’un traité ne garantisse une compensation pour les coûts associés à la réduction des émissions, les autres pays n’auront pas besoin de payer quoi que ce soit. L’amélioration de l’environnement pour les autres pays est donc un bénéfice non compensé.
contrat incomplet
Un contrat qui ne spécifie pas, de façon exécutoire, chaque aspect de l’échange qui a une incidence sur les intérêts des deux parties à l’échange (et des autres).

Les défaillances de marché se produisent dans ces exemples, car les bénéfices et les coûts externes des actions d’une personne ne sont la propriété de personne. Pensez aux déchets. Si vous redécorez votre maison et que vous arrachez le sol ou abattez un mur, vous possédez les déchets et vous devez vous en débarrasser, même si vous devez payer quelqu’un pour le faire. Ce n’est pas le cas pour les fumées générées par l’incinérateur ou la musique trop bruyante pendant l’heure de la sieste. Vous n’avez aucun contrat avec l’entreprise d’incinération spécifiant à quel prix vous acceptez les fumées, pas plus qu’un contrat avec vos voisins concernant la compensation que vous devriez leur verser pour pouvoir jouer de la musique l’après-midi. Dans ce type de situation, les économistes disent que « les droits de propriété sont incomplets, manquants ou non applicables » ou, plus simplement, qu’on est en présence de contrats incomplets.

marché manquant
Un marché sur lequel il y a un type d’échange qui, si réalisé, serait mutuellement avantageux ; mais celui-ci n’est pas réalisé à cause d’une information asymétrique ou non vérifiable.

Nous avons vu un exemple important de contrat incomplet dans l’Unité 6. Dans la relation d’emploi, l’employeur peut payer pour obtenir le temps du travailleur, mais le contrat ne peut pas spécifier le niveau d’effort fourni. De même, les effets externes des actions d’une personne sont des effets qui ne sont pas régis par les contrats. Une autre manière de formuler le problème est de dire qu’il n’y a pas de marché permettant de compenser ces effets externes. Les économistes utilisent donc le terme de marchés manquants pour décrire de tels problèmes.

Dans le cas de la pollution au Weevokil :

  • Les droits de propriété des pêcheurs étaient incomplets : ils ne possédaient pas de droit à une eau propre dans leurs zones de pêche, qui leur aurait permis de recevoir une compensation pour la pollution, et ils ne pouvaient pas acheter un tel droit.
  • Il n’y avait aucun marché pour l’eau propre.

Pourquoi les pays ne réécrivent-ils pas tout simplement leurs lois pour récompenser ceux qui confèrent des bénéfices à autrui et faire payer ceux dont les décisions infligent des coûts à autrui ?

information vérifiable
Une information qui peut être utilisée afin de faire respecter un contrat.

Dans l’Unité 6, nous avons passé en revue les raisons pour lesquelles les types de contrats complets qui rempliraient ces objectifs sont incomplets ou inexécutables. L’information nécessaire est soit indisponible, soit non vérifiable, les effets externes sont trop complexes ou difficiles à mesurer pour les spécifier dans un contrat exécutoire, ou il peut n’exister aucun système juridique pour faire appliquer le contrat (comme dans le cas d’une pollution traversant les frontières nationales). Notre exemple montre qu’il ne serait pas possible de rédiger un ensemble complet de contrats stipulant pour chaque pêcheur individuel, la compensation reçue de chaque bananeraie pour les effets causés par ses décisions individuelles.

Pour ces raisons et d’autres, il est, dans la plupart des cas, inenvisageable d’utiliser le droit de la responsabilité civile pour rendre les personnes responsables des coûts qu’elles infligent aux tiers, parce que nous ne disposons pas de cette information. Il est également impossible d’utiliser le système juridique pour compenser les personnes dont les actions ont des effets bénéfiques sur autrui, en payant, par exemple, les personnes qui entretiennent de jolis jardins à hauteur du plaisir que cela confère aux passants. Un tribunal aurait besoin d’évaluer la valeur monétaire du plaisir de chaque passant.

Dans les cinq exemples des puces insérées plus haut dans cette section, la raison pour laquelle des coûts externes et des bénéfices externes ne sont pas compensés est la même :

asymétrie d’information
Information qui est pertinente pour les parties dans une interaction économique, mais qui n’est connue que par certaines et pas par d’autres. Voir également : sélection adverse, aléa moral.
  • Certaines informations qui représentent un intérêt pour une personne autre que le décisionnaire sont non vérifiables ou asymétriques.
  • Il ne peut donc y avoir ni contrat, ni droits de propriété permettant de compenser les effets externes.
  • En conséquence, certains des coûts ou bénéfices sociaux engendrés par les actions du décisionnaire ne seront pas intégrés (ou ne seront pas suffisamment importants) dans le processus de décision.

Exercice 12.6 Contrats incomplets

Dans chacun des cinq cas précédents (incinérateur, musique forte, formation, irrigation et changement climatique) :

  1. Expliquez pourquoi les effets externes ne sont pas (et probablement ne peuvent pas être) couverts par un contrat complet.
  2. Quels éléments d’information cruciaux nécessaires à l’établissement d’un contrat complet sont asymétriques ou non vérifiables ?

12.5 Biens publics

bien public
Un bien dont l’usage par un individu ne limite pas sa disponibilité pour les autres. Connu également sous le terme : bien non rival. Voir également : bien public non exclusif, bien artificiellement rare.

Les projets d’irrigation que nous avons étudiés à l’Unité 4 sont un autre exemple de biens ne pouvant être fournis efficacement dans le système de marché. Nous avons décrit les systèmes d’irrigation comme un bien public. Quand un agriculteur fait une dépense pour se doter d’un système d’irrigation, tous les agriculteurs en bénéficient, et cela créé un dilemme social. Si les agriculteurs agissent indépendamment les uns des autres, ils ont tous une incitation à se comporter en passager clandestin, auquel cas personne ne se dotera du système d’irrigation. C’est seulement en trouvant des moyens de travailler ensemble qu’ils peuvent arriver à un résultat qui leur profite à tous.

La caractéristique définissant un bien public est que s’il est accessible à une personne, il peut être accessible à tout le monde sans coût supplémentaire. Un système d’irrigation est un bien public pour la communauté dans laquelle il est mis en place. Il y a d’autres exemples où les biens publics bénéficient à un pays entier, comme la défense nationale (si une personne est protégée de l’invasion étrangère, ce sera le cas également pour d’autres) et les prévisions météorologiques (si je peux allumer la radio et apprendre qu’il pleuvra certainement demain, vous le pouvez aussi). Ces services sont classiquement fournis par l’État plutôt que par le marché.

La connaissance est également un bien public. Vous pouvez utiliser votre connaissance d’une recette pour faire un gâteau ou les règles de multiplication sans nuire à la capacité d’autrui à utiliser la même connaissance. (Cela créé un problème pour les entreprises qui investissent dans la recherche – si des entreprises concurrentes peuvent librement s’approprier la connaissance que les premières produisent, leur incitation à innover est réduite.) L’environnement produit également des biens publics. Admirer un coucher de soleil ne prive personne du spectacle.

Dans tous ces cas, à partir du moment où le bien est accessible à tous, le coût marginal de sa mise à la disposition d’autres personnes est nul. Les biens présentant cette caractéristique sont également appelés des biens non rivaux.

Un bien est dit public si une fois qu’il est accessible à une personne, il peut être accessible à tout le monde sans coût supplémentaire et si son usage par une personne n’en réduit pas l’accès pour les autres. Cette caractéristique d’un bien public est appelée la non-rivalité car des usagers potentiels ne sont pas en concurrence (rivaux) entre eux pour obtenir le bien.

bien public non exclusif
Un bien public dont il est impossible d’exclure l’accès à autrui. Voir également : bien artificiellement rare.

Notez que pour certains économistes, il faut de surcroît qu’il soit impossible d’exclure d’autres personnes de l’accès au bien. Ces biens sont appelés biens publics purs ou biens publics non exclusifs. Nous considérons que la non-rivalité d’un bien public est son trait caractéristique, que l’on puisse en exclure les autres ou pas.

droit d’auteur
Droit de propriété sur l’utilisation et la distribution d’un produit original.

Pour certains biens publics, il est possible d’exclure des consommateurs supplémentaires, même si le coût de leur utilisation est nul. La télévision par satellite, les informations présentes dans un livre protégé par un droit d’auteur ou encore un film projeté dans une salle de cinéma où il reste des places en sont des exemples : cela ne coûte rien de plus si un spectateur supplémentaire est présent, mais le propriétaire peut tout de même exiger que toute personne souhaitant voir le film paye. Il en va de même pour une route peu fréquentée sur laquelle des péages sont installés. Les conducteurs peuvent être exclus (à moins de payer le péage) bien que le coût marginal d’un conducteur supplémentaire soit nul.

bien artificiellement rare
Un bien public dont certaines personnes peuvent être exclues de la jouissance. Connu également sous le terme : bien de club.

Les biens publics pour lesquels il est possible d’exclure autrui sont parfois appelés des biens artificiellement rares ou des biens de club (car ils fonctionnent sur le même principe qu’un club privé : lorsque le parcours de golf n’est pas encombré, ajouter un membre supplémentaire ne coûte rien au club de golf, mais le club demandera néanmoins une cotisation).

bien privé
Un bien qui est à la fois rival et dont on peut exclure des tiers de la jouissance.

L’opposé d’un bien public non exclusif est un bien privé. Nous en avons vu de nombreux exemples : les miches de pain, les dîners au restaurant, les roupies réparties entre Anil et Bala (Unité 4), ainsi que les paquets de céréales. Tous ces biens sont à la fois rivaux (plus pour Anil implique moins pour Bala) et exclusifs (Anil peut empêcher Bala de prendre son argent).

ressource commune
Un bien rival dont personne ne peut être exclu de la jouissance. Connu également sous le terme : ressource de propriété commune.

Il y a également un quatrième type de bien, qui est rival mais non exclusif, appelé ressource commune. Un exemple est les zones de pêche ouvertes à tous. Ce qu’un pêcheur attrape ne peut plus être pêché, mais chacun est libre de pêcher dans cette zone. Nous pouvons également considérer les routes publiques très fréquentées comme une ressource commune. Toute personne souhaitant les emprunter peut le faire, mais chaque usager encombre la route davantage et fait ralentir les autres. La Figure 12.8 résume les quatre types de biens.

La Figure 12.8 montre quatre catégories distinctes de biens. Mais le caractère rival ou exclusif des biens est une question de degré. Pour certains types de biens, le coût d’utilisateurs additionnels n’est pas totalement nul (ce qui serait requis en cas de non rivalité pure) mais très petit plutôt. Un exemple est un médicament qui coûte des millions en recherche pour créer la première pilule, mais seulement quelques cents par demande pour produire des traitements disponibles à de nouveaux patients, une fois créé.

Les « biens » en économie sont des choses que les gens veulent utiliser ou consommer. Mais il existe également des « nuisances » : des choses que les gens ne veulent pas, et pourraient être prêts à payer pour ne pas les avoir, comme des déchêts ménagers ou des canalisations qui sentent mauvais. Ce sont des nuisances privées. De manière analogue, nous pouvons définir des nuisances publiques : la pollution de l’air, par exemple, est une nuisance qui pénalise de nombreuses personnes simultanément. Elle est non rivale au sens où le fait qu’une personne en souffre n’atténue pas le mal causé aux autres.

  Rival Non rival
Exclusif Biens privés (nourriture, vêtements, maisons) Biens publics artificiellement rares (télévision par câble et satellite, routes à péage non encombrées, connaissance sujette à des droits de propriété intellectuelle, Unité 21)
Non exclusif Ressources communes (stocks de poissons dans un lac, pâturage communal, Unités 4 et 20) Biens et nuisances publics non exclusifs (éclipse lunaire, émissions de l’audiovisuel public, règles d’arithmétique ou d’algèbre, défense nationale, pollution sonore et atmosphérique, Unités 20 et 21)

Figure 12.8 Biens privés et biens publics.

Comme l’illustrent les exemples, qu’un bien soit privé ou public dépend non seulement de la nature du bien lui-même, mais également des institutions, notamment juridiques :

  • La connaissance qui n’est pas couverte par un droit d’auteur ou d’autres droits de la propriété intellectuelle peut être considérée comme un bien public non exclusif
  •  … Mais à partir du moment où son auteur utilise le droit d’auteur pour créer un monopole sur le droit de reproduire cette connaissance, il s’agit d’un bien public qui est artificiellement rare.
  • Une terre de pâturage communale est un exemple de ressource commune
  •  … Mais si cette même terre est clôturée afin d’en exclure d’autres usagers, elle devient un bien privé.

Les marchés allouent généralement des biens privés. Pour les trois autres types de biens, les marchés ne peuvent pas exister ou sont voués à l’échec. Il y a deux raisons à cela :

  • Lorsque les biens sont non rivaux, le coût marginal est nul : fixer un prix égal au coût marginal (nécessaire pour réaliser une transaction de marché Pareto-efficace) ne sera donc pas possible, à moins que le fournisseur du bien soit subventionné.
  • Quand les biens sont non exclusifs, il est impossible de faire payer leur consommation : le fournisseur ne peut pas exclure des personnes qui n’ont pas payé.
brevet
Un droit de propriété exclusive d’une idée ou d’une invention, qui dure sur un intervalle de temps spécifique. Durant cette période, le brevet permet à son propriétaire d’être un monopoliste ou son usager exclusif.

Ainsi, lorsque les biens ne sont pas privés, une politique publique peut être nécessaire pour les allouer. La défense nationale est une prérogative de l’État dans tous les pays. Les politiques environnementales traitent des problèmes de ressources communes et des nuisances publiques telles que la pollution et les émissions de carbone (voir Unité 20). Les États adoptent différentes politiques pour résoudre le problème de la connaissance en tant que bien public, par exemple en délivrant des brevets pour donner aux entreprises une incitation à investir en R&D (voir Unité 21).

La défaillance de marché dans le cas des biens publics est étroitement liée aux problèmes des externalités, de l’absence de droits de propriété et des contrats incomplets que nous avons étudiés dans cette unité. Un système d’irrigation communautaire est un bien public, donc si un agriculteur décide d’investir dans un projet d’irrigation, cela apporte un bénéfice externe aux autres agriculteurs. Puisque son bénéfice privé est inférieur au bénéfice social total, il investira trop peu du point de vue de la communauté, voire pas du tout. Il n’existe pas de marché sur lequel les bénéficiaires du système d’irrigation payeraient les fournisseurs pour les bénéfices obtenus, et il serait difficile de rédiger des contrats complets entre tous les agriculteurs pour aboutir à un niveau d’irrigation Pareto-efficace.

nuisance publique
L’équivalent négatif d’un bien public. Elle est non rivale dans le sens où la consommation d’un individu donné de la nuisance publique ne réduit pas sa consommation pour les autres.

De la même manière, nous avons analysé la pollution au Weevokil comme un problème dans lequel les décisions des bananeraies ont imposé une externalité négative aux pêcheurs. Le coût privé de l’utilisation de Weevokil était en dessous du coût social, donc le pesticide était surutilisé. Cependant, on peut également voir les bananeraies comme une contribution à une nuisance publique, dont souffrent tous les pêcheurs.

L’utilisateur d’une ressource commune impose un coût externe aux autres utilisateurs. En roulant sur une route très fréquentée, vous contribuez aux embouteillages subis par les autres conducteurs.

Ainsi, tous les exemples de biens non privés introduits dans cette section peuvent être décrits en utilisant le cadre d’analyse construit dans la Section 12.3 pour résumer les cas de défaillance de marché. Ils sont résumés dans le tableau de la Figure 12.9.

Décision Comment cela affecte autrui Coût ou bénéfice Défaillance de marché (mauvaise allocation des ressources) Solutions possibles Termes employés pour ce type de défaillance de marché
Vous prenez un vol international Augmentation des émissions mondiales de carbone Bénéfice privé, coût externe Surutilisation des transports aériens Taxes, quotas Nuisance publique, effet externe négatif
Vous allez au travail en voiture Embouteillages pour les autres conducteurs Coût privé, coût externe Surutilisation des voitures Péages, quotas, transports publics subventionnés Ressource commune, effet externe négatif
Une entreprise investit dans la R&D D’autres entreprises peuvent exploiter l’innovation Coût privé, bénéfice externe Trop peu de R&D Recherche subventionnée par l’État, subventions pour la R&D, brevets Bien public, effet externe positif

Figure 12.9 Exemples de défaillance de marché, avec solutions.

Exercice 12.7 Rivalité et exclusion

Pour chaque bien ou nuisance ci-dessous, indiquez s’il est rival et s’il est exclusif, et expliquez votre réponse. Si vous pensez que la réponse dépend de facteurs qui ne sont pas précisés ici, expliquez leur rôle.

  1. Une conférence publique gratuite dans un amphithéâtre universitaire
  2. Le bruit produit par les avions à proximité d’un aéroport international
  3. Un parc public
  4. Une forêt utilisée par les personnes vivant autour pour ramasser du bois de chauffage
  5. Des places dans un théâtre pour voir une comédie musicale
  6. Des vélos proposés à la location pour circuler dans une ville

Question 12.5 Choisissez la ou les bonnes réponses

Laquelle des affirmations suivantes est correcte ?

  • Certains biens publics sont rivaux.
  • Un bien public doit être non exclusif.
  • Un bien ne peut pas être à la fois rival et non exclusif.
  • Si un bien est non rival, alors le coût de sa consommation par une personne supplémentaire est nul.
  • Les biens publics sont, par définition, non rivaux.
  • Pour certains biens publics il est possible d’exclure des utilisateurs additionnels même si le coût d’utilisation est nul, par exemple pour un abonnement TV. De tels biens sont dits artificiellement rares.
  • Par exemple, un pâturage commun est rival mais non exclusif. De tels biens sont appelés des ressources communes.
  • Un bien est non rival si son usage par une personne ne réduit pas sa disponibilité pour les autres. Il peut donc être disponible pour une autre personne sans aucun coût.

12.6 Marchés manquants : assurances et « tacots »

Nous savons qu’une raison récurrente de l’incomplétude des contrats est que l’information sur un aspect important de l’interaction est indisponible ou non vérifiable. En particulier, l’information est souvent asymétrique – c’est-à-dire que l’une des parties sait une chose pertinente pour la transaction que l’autre partie ne sait pas.

Une des formes que peut prendre l’asymétrie d’information est une action cachée. Dans l’Unité 6, nous avons étudié le cas de l’employé dont l’effort fourni au travail est caché à l’employeur. Cela crée un problème d’aléa moral. Il y a un conflit d’intérêt car l’employé préférerait ne pas travailler aussi dur que l’employeur le souhaiterait, et le niveau d’effort au travail ne peut pas être spécifié dans le contrat. Nous avons vu dans l’Unité 9 que la réponse de l’employeur (payer un salaire supérieur au niveau de réserve) conduisait à une situation Pareto-inefficace sur le marché du travail.

Actions cachées et aléa moral

Le problème des actions cachées survient lorsqu’une partie à un échange effectue une certaine action qui n’est pas connue ou ne peut être vérifiée par l’autre partie. Par exemple, l’employeur ne peut pas savoir (ou vérifier) combien le travailleur qu’il a embauché a travaillé dur.

Le terme « aléa moral » tient son origine du secteur de l’assurance pour exprimer le problème rencontré par les assureurs, qui est qu’une personne avec une assurance immobilière pourrait prendre moins grand soin d’éviter les incendies et autres dégradations de sa maison, faisant ainsi augmenter le risque au-delà de ce qu’il aurait été en l’absence d’assurance. Ce terme désigne aujourd’hui toute situation où l’une des parties à une interaction décide d’une action qui affecte les profits ou le bien-être de l’autre partie, mais que la partie affectée ne peut contrôler via un contrat, souvent parce qu’elle ne dispose pas des informations adéquates sur l’action. L’aléa moral est également connu comme le problème des « actions cachées ».

Attributs cachés et sélection adverse

Le problème des attributs cachés survient lorsqu’un attribut de la personne s’engageant dans un échange (ou du produit ou du service fourni) n’est pas connu des autres parties. Un exemple est l’individu achetant une assurance maladie : il connaît son état de santé, mais la compagnie d’assurance ne le connaît pas.

Le terme sélection adverse fait référence au problème rencontré par des parties à un échange dans lequel les termes proposés par l’une des parties conduiront certains de ses partenaires à abandonner l’échange. Un exemple est le problème de l’information asymétrique dans les assurances : pour un prix suffisamment élevé, les seules personnes qui chercheront encore à acheter une couverture santé sont celles qui se savent malades (mais l’assureur, non). Cela conduira à des prix plus élevés encore pour couvrir les coûts. Il est également appelé problème des « attributs cachés » (être déjà malade est l’attribut caché), pour le différencier du problème des « actions cachées » de l’aléa moral.

sélection adverse
Le problème subi par les parties à un échange quand les conditions proposées par l’une pousse certains partenaires de l’échange à renoncer à l’échange. Un exemple est l’asymétrie d’information dans le domaine des assurances : si le prix est assez élevé, les seules personnes qui achèteront l’assurance médicale seront celles qui savent qu’elles sont malades (mais l’assureur ne le sait pas). Cela va conduire à de nouvelles hausses de prix pour couvrir les coûts. La sélection adverse est également désignée comme le problème des « attributs cachés » (le fait d’être déjà malade est l’attribut caché), à distinguer du problème des « actions cachées » constitué par l’aléa moral. Voir également : contrat incomplet, aléa moral, asymétrie d’information.

Dans cette section, nous introduisons une deuxième forme d’information asymétrique, les attributs cachés. Lorsque vous souhaitez acheter une voiture d’occasion par exemple, le vendeur connaît la qualité du véhicule. Vous, non. Du point de vue de l’acheteur potentiel, cet attribut de la voiture est caché. Les attributs cachés peuvent entraîner un problème appelé sélection adverse.

Attributs cachés et sélection adverse

George Akerlof, un économiste, fut le premier à analyser ce problème, en 1970. Dans un premier temps, son article sur le sujet fut rejeté par deux revues à comité de lecture en économie, car jugé trop trivial. Une autre l’a rejeté, arguant que le raisonnement était faux. Trente-et-un an plus tard, on lui attribua le prix Nobel pour ses travaux sur les asymétries d’information. Akerlof et son co-auteur Robert Shiller proposent une explication simple du marché dit des tacots dans cet ouvrage : Akerlof, George A., et Robert J. Shiller. 2015. Phishing for Phools: The Economics of Manipulation and Deception. Princeton, NJ: Princeton University Press.

Un exemple célèbre de la façon dont les attributs cachés peuvent aboutir à une défaillance de marché est celui du marché des tacots (« lemons » en anglais). En anglais, lemon est un mot d’argot désignant une voiture d’occasion dont vous ne découvrez qu’elle est défectueuse qu’après l’avoir achetée. Le modèle décrit un marché de voitures d’occasion :

  • Chaque jour, 10 propriétaires de voitures d’occasion envisagent de vendre la leur.
  • Les voitures diffèrent en qualité, que l’on mesure par la vraie valeur de la voiture pour son propriétaire. La qualité va de zéro à 9 000 $, par palier de 1 000 $ : il y a une voiture qui ne vaut rien, une qui vaut 1 000 $, une autre 2 000 $, et ainsi de suite. La valeur moyenne des voitures est donc de 4 500 $.
  • Il y a beaucoup d’acheteurs potentiels et chacun souhaiterait acheter une voiture à un prix égal à sa vraie valeur, mais pas davantage.
  • Les vendeurs ne s’attendent pas à obtenir la valeur totale de leur voiture, mais sont disposés à la vendre s’ils peuvent en obtenir au moins la moitié de sa vraie valeur. Ainsi, le surplus total sur chaque voiture – le gain à l’échange – sera égal à la moitié du prix de la voiture.

Si les acheteurs potentiels pouvaient observer la qualité de chaque voiture, alors ils aborderaient chaque vendeur et négocieraient le prix, et avant la fin de la journée, toutes les voitures (hormis celle qui ne vaut absolument rien) auraient été vendues à un prix compris entre leur vraie valeur et la moitié de leur vraie valeur. Le marché aurait garanti que l’ensemble des échanges mutuellement avantageux aient lieu.

Mais, chaque jour, il y a un problème : les acheteurs potentiels ne disposent d’aucune information sur la qualité des voitures proposées à la vente. Ils ne connaissent que la valeur véritable des voitures vendues la veille. Ainsi, le montant maximal que les acheteurs potentiels sont prêts à débourser pour une voiture sera la valeur moyenne des voitures vendues la veille.

Supposez maintenant que 10 voitures aient été proposées la veille sur ce marché. Nous recourons à un raisonnement par l’absurde pour montrer que, un par un, les vendeurs des voitures de meilleure qualité se retireront du marché, jusqu’à ce que le marché des voitures d’occasion n’existe tout simplement plus. Considérez le marché aujourd’hui :

  • Hier, toutes les voitures (comme supposé au départ) ont été mises sur le marché et vendues.
  • La valeur moyenne de ces voitures était de 4 500 $, donc le maximum qu’un acheteur est prêt à payer aujourd’hui sera 4 500 $.
  • Au début de la journée, chaque vendeur potentiel envisage de vendre sa voiture, et en attend au plus 4 500 $. La plupart des propriétaires sont contents, car c’est plus que la moitié de la vraie valeur de leur voiture.
  • Un vendeur, cependant, n’est pas satisfait. Le propriétaire de la meilleure voiture n’acceptera pas de vendre si le prix ne dépasse pas la moitié de la valeur de sa voiture, c’est-à-dire plus de 4 500 $.
  • Les acheteurs potentiels ne paieront pas ce prix. Aussi, aujourd’hui, le propriétaire de la meilleure voiture ne la mettra pas en vente. Aucun vendeur d’une voiture valant 9 000 $ ne voudra prendre part au marché.
  • Le reste des voitures sera vendu aujourd’hui : leur valeur moyenne est de 4 000 $.
  • Le lendemain, les acheteurs connaîtront la valeur moyenne des ventes de la veille et accepteront de payer au maximum 4 000 $ pour une voiture.
  • Le propriétaire de la voiture de meilleure qualité le jour suivant (celle qui vaut 8 000 $) aura également accès à cette information et saura qu’il ne pourra pas recevoir son prix minimum, qui est supérieur à 4 000 $. Ce propriétaire ne proposera donc pas sa voiture à la vente.
  • En conséquence, la qualité moyenne des voitures qui seront vendues demain sur le marché sera de 3 500 $, ce qui veut dire que le propriétaire de la troisième meilleure voiture ne souhaitera pas vendre sa voiture le surlendemain.
  • Ce processus continue jusqu’à ce que seulement deux vendeurs restent sur le marché, celui avec une voiture d’une valeur de 1 000 $ et celui avec un tacot (un lemon) qui ne vaut absolument rien.
  • Si des voitures de ces deux valeurs s’étaient vendues le jour précédent, les acheteurs seront prêts à dépenser au plus 500 $ pour une voiture le jour suivant.
  • Sachant cela, le propriétaire de la voiture valant 1 000 $ décidera plutôt de garder sa voiture.
  • Finalement, la seule voiture restant sur le marché ne vaudra rien du tout. Les voitures qui restent sur le marché sont des tacots, car seuls les propriétaires de voitures sans valeur seraient prêts à vendre leur voiture.

Les économistes appellent sélection adverse ce type de processus, car le prix en vigueur sélectionne les voitures qui resteront sur le marché. S’il y a achat, les voitures échangées seront celles de moindre qualité. La sélection des voitures a un effet adverse pour les acheteurs. Dans l’exemple ci-dessus, il ne reste plus aucune voiture — le marché a disparu.

Sélection adverse sur le marché de l’assurance

attributs cachés (problème des)
Cela se produit quand un attribut de la personne impliquée dans un échange (ou le produit ou service offert) n’est pas connu par les autres parties. Par exemple, un individu qui acquiert une assurance maladie connaît son état de santé, mais l’assureur ne le connaît pas. Connu également sous le terme : sélection adverse. Voir également : actions cachées (problème des).

Le marché des tacots est un concept bien connu en économie, mais le problème des tacots – c’est-à-dire, le problème des attributs cachés – ne se limite pas au marché des voitures d’occasion.

Un autre exemple important est celui des assurances maladie. Imaginez que vous naissiez au sein d’une population dans laquelle vous ne savez pas si vous serez une personne avec un grave problème de santé ou si ce problème surviendra plus tard dans votre vie, ou si vous serez en pleine santé jusqu’à un âge avancé. Une police d’assurance maladie couvrant tous les services de santé dont vous pourriez avoir besoin est disponible, et la prime d’assurance est la même pour tous. Elle est fixée selon les coûts de santé attendus en moyenne pour l’ensemble de la population, de sorte que pour la compagnie d’assurance, les primes couvriront la dépense totale attendue, à supposer que tout le monde y souscrive. Contracteriez-vous cette police d’assurance maladie ?

Dans ce type de situation, la plupart des gens seraient ravis de pouvoir souscrire une telle assurance, car une maladie grave implique des dépenses très importantes qu’il est souvent impossible de prendre en charge pour une famille de la classe moyenne. Le coût de votre protection et de celle de votre famille contre une catastrophe financière (ou de l’éventualité de vous trouver dans l’incapacité de payer les soins de santé quand vous en avez besoin) vaut bien la prime d’assurance.

Le postulat que vous ne connaissiez rien de votre état de santé est irréaliste. Il s’agit d’un autre emploi du voile d’ignorance de John Rawls que nous avons étudié dans l’Unité 5. Réfléchir à ce problème en tant qu’observateur impartial souligne l’importance de l’hypothèse du voile d’ignorance.

Bien que tout le monde aurait contracté l’assurance sans connaître son état de santé futur, la situation change drastiquement si nous pouvons choisir d’acheter cette assurance maladie sans le voile d’ignorance, c’est-à-dire en connaissant notre état de santé. Dans cette situation, l’information est asymétrique. Analysons la situation du point de vue de l’assureur :

  • Les personnes ont plus tendance à contracter des assurances si elles savent qu’elles sont malades : en moyenne, la santé des personnes qui contractent une assurance sera donc moins bonne que la santé moyenne de la population.
  • Cette information est asymétrique : la personne contractant l’assurance connaît son état de santé, mais pas la compagnie d’assurance.
  • Les compagnies d’assurance ne seront donc rentables que si elles font payer des prix plus élevés : ces prix seront supérieurs à ce qu’elles auraient fait payer si tous les membres de la population étaient obligés d’acheter la même assurance.
  • Cela produit de la sélection adverse : dans ce cas, le prix sera suffisamment élevé pour que seules les personnes qui savent qu’elles sont malades désirent acheter l’assurance.
  • Cela conduit à des prix encore plus élevés pour les assurances : pour pouvoir rester sur le marché, les compagnies d’assurance doivent à nouveau augmenter leurs prix. Finalement, l’écrasante majorité des personnes contractant une assurance sera composée des personnes qui savent déjà qu’elles ont un grave problème de santé.
  • Les personnes en bonne santé sont exclues du marché par des prix trop élevés : ceux qui veulent souscrire à une assurance dans l’éventualité où elles tomberaient malades à l’avenir ne contracteront pas d’assurance.

Il s’agit d’un autre exemple de marché manquant : nombreux sont ceux qui ne seront pas assurés. C’est un marché qui pourrait exister, mais uniquement si les informations concernant la santé des personnes étaient symétriques et vérifiables (en faisant pour le moment abstraction du fait que tout le monde pourrait ne pas souhaiter partager les informations relatives à son été de santé). Ce marché serait avantageux à la fois pour les compagnies d’assurance et pour les personnes souhaitant s’assurer. Ne pas bénéficier d’un tel marché est Pareto-inefficace.

Pour pallier le problème de sélection adverse résultant des asymétries d’information et des marchés manquants pour l’assurance maladie qui en résultent, de nombreux pays ont adopté des mesures rendant obligatoire l’adhésion à des programmes d’assurances privées ou proposant une couverture universelle financée par l’impôt.

Aléa moral sur le marché de l’assurance

actions cachées (problème des)
Cela se produit quand une action choisie par une partie à un échange n’est pas connue ou ne peut pas être vérifiée par l’autre. Par exemple, un employeur ne peut pas savoir (ou ne peut vérifier) l’effort fourni par son employé pour effectuer sa tâche. Connu également sous le terme : aléa moral. Voir également : attributs cachés (problème des).

Les attributs cachés ne constituent pas le seul problème auquel les assureurs font face, qu’ils soient privés ou publics. Il existe également un problème d’actions cachées. Contracter une police d’assurance peut augmenter la probabilité que son acheteur prenne précisément les risques pour lesquels il est désormais couvert. Par exemple, une personne ayant contracté une assurance automobile comprenant une couverture totale contre les dommages ou le vol pourrait faire moins attention en conduisant ou en fermant sa voiture que quelqu’un qui n’aurait pas contracté d’assurance.

Les assureurs fixent généralement des plafonds sur les assurances qu’ils vendent. Par exemple, la couverture peut ne pas s’appliquer (ou peut être plus chère) si quelqu’un d’autre que l’assuré lui-même conduit, ou si la voiture est habituellement garée dans un endroit où le vol de voiture est fréquent. Ces clauses peuvent être stipulées dans un contrat d’assurance.

Néanmoins l’assureur ne peut pas vous imposer contractuellement la vitesse à laquelle vous conduisez, ni de prendre le volant ou non après avoir consommé de l’alcool. Ce sont des actions qui sont cachées à l’assureur en raison des asymétries d’information : vous avez connaissance de ces faits, mais pas l’assureur.

aléa moral
Ce terme trouve son origine dans le secteur de l’assurance pour décrire le problème rencontré par les assureurs, et qui est qu’une personne avec une assurance habitation prendra moins de précautions pour éviter un incendie ou d’autres dégâts, ce qui augmente le risque au-delà de ce qui serait observé en l’absence d’assurance. Ce terme désigne de nos jours toute situation dans laquelle une des parties d’une interaction doit choisir une action qui affecte les profits ou le bien-être de l’autre partie, souvent car la partie affectée n’a pas l’information nécessaire sur l’action. On en parle aussi comme du problème des « actions cachées ». Voir également : actions cachées (problème des), contrat incomplet, too big to fail.
relation du type principal–agent
Il s’agit d’une relation asymétrique dans laquelle une partie (le principal) bénéficie d’une action ou d’un attribut d’une autre partie (l’agent) pour laquelle les informations du principal ne sont pas suffisantes pour faire appliquer un contrat complet. Voir également : contrat incomplet. Connu également sous le terme : problème du type principal-agent.

C’est un problème d’aléa moral, comparable à celui de l’effort fourni au travail. Ce sont tous deux des problèmes du type principal–agent : l’agent (une personne assurée, un employé) choisit une action (le degré de prudence, l’effort fourni dans son travail) qui a une incidence pour le principal (la compagnie d’assurance, l’employeur) mais qui ne peut être incluse dans le contrat car elle n’est pas vérifiable.

Bien que très différents en apparence, ces problèmes d’aléa moral sont similaires à la pollution au chlordécone et aux biens publics et ressources communes vus dans la section précédente. Dans chaque cas, quelqu’un prend une décision ayant des coûts ou des bénéfices externes pour quelqu’un d’autre : en d’autres termes, des coûts ou des bénéfices qui ne sont pas compensés. Par exemple, dans le cas de l’aléa moral, la personne assurée (l’agent) décide du degré de précaution à prendre. Cette précaution a un bénéfice externe pour l’assureur (le principal) mais coûte à l’agent, par conséquent, il y a une défaillance de marché : le degré de précaution choisi est trop bas.

Ces exemples d’aléa moral (et aussi les problèmes de sélection adverse décrits plus tôt dans cette section) peuvent ainsi être placés dans le cadre d’analyse des effets externes et des défaillances de marché que nous avons utilisé tout au long de cette unité. Les problèmes émanant d’asymétries d’information sont résumés dans le tableau de la Figure 12.10.

Décision Comment cela affecte autrui Coût ou bénéfice Défaillance de marché (mauvaise allocation des ressources) Solutions possibles Termes utilisés pour ce type de défaillance de marché
Un employé recevant un salaire fixe décide de l’effort fourni dans son travail Un haut niveau d’effort augmente les profits de l’employeur Coût privé, bénéfice externe Trop peu d’effort, salaire au-dessus du salaire de réserve, chômage Suivi plus efficace, rémunération à la performance, réduction du conflit d’intérêt entre l’employeur et le travailleur Contrat de travail incomplet, action cachée, aléa moral
Une personne sachant qu’elle a un problème de santé grave souscrit une assurance Pertes pour l’assureur Bénéfice privé, coût externe Trop peu de contrats d’assurance offerts, primes d’assurance trop élevées Souscription obligatoire d’une assurance maladie, système public d’assurance maladie, partage obligatoire des informations de santé Marchés manquants, sélection adverse
Une personne ayant souscrit une assurance automobile décide du niveau de risque pris en conduisant Conduire prudemment contribue aux profits de la compagnie d’assurance Coût privé, bénéfice externe Trop peu d’assurances offertes, primes d’assurance trop élevées Installation de dispositifs de surveillance des conducteurs Marchés manquants, aléa moral

Figure 12.10 Défaillances de marché dues à l’asymétrie d’information, avec solutions.

Exercice 12.8 Attributs cachés

Identifiez les attributs cachés sur les marchés ci-dessous, et dans quelle mesure ils peuvent empêcher les participants du marché d’exploiter tous les gains mutuels possibles résultant de l’échange :

  1. Un bien d’occasion vendu sur eBay, Le Bon Coin, ou toute autre plateforme en ligne similaire
  2. Location d’appartement sur AirBnB
  3. Restaurants de qualités diverses

Expliquez comment les éléments suivants peuvent faciliter les échanges mutuellement avantageux, même en présence d’attributs cachés :

  1. Notes en ligne partagées entre anciens acheteurs, acheteurs potentiels et vendeurs
  2. Échanges entre amis et amis d’amis
  3. Confiance et préférences sociales
  4. Acheteurs et vendeurs intermédiaires, comme les revendeurs de voitures d’occasion

Question 12.6 Choisissez la ou les bonnes réponses

Il y a 10 voitures sur le marché, dont 6 sont de bonne qualité et valent 9 000 $ alors que les autres sont des tacots qui ne valent rien. Il y a beaucoup d’acheteurs potentiels, qui ne connaissent pas la qualité de chaque voiture, mais connaissent la proportion de voitures de bonne qualité et sont prêts à payer la valeur moyenne. Tous les vendeurs seront satisfaits s’ils vendent leur voiture à un prix représentant au moins la moitié de la valeur de leur voiture. À l’aide de ces informations, laquelle des affirmations suivantes est correcte ?

  • Les acheteurs sont prêts à payer 4 500 $ au plus.
  • Seuls les tacots seront vendus sur ce marché.
  • Toutes les voitures seront vendues à 5 400 $.
  • Toutes les voitures seront vendues à 4 500 $.
  • La valeur moyenne pour les acheteurs est (9 000 × 6 + 0 × 4)/10 = 5 400 $. C’est le prix le plus élevé que les acheteurs voudront bien payer.
  • De nombreux acheteurs sont prêts à payer la valeur moyenne, soit 5 400 $. À ce prix, tous les vendeurs sont d’accord pour vendre, donc toutes les voitures seront vendues.
  • De nombreux acheteurs sont prêts à payer la valeur moyenne, soit 5 400 $. À ce prix, tous les vendeurs seront d’accord pour vendre, donc toutes les voitures seront vendues, et la concurrence entre les acheteurs garantira que le prix corresponde au maximum de ce qu’ils sont prêts à payer, soit 5 400 $.
  • Tous les vendeurs vendront si le prix est de 4 500 $ ou plus. Beaucoup d’acheteurs sont prêts à payer la valeur moyenne, soit 5 400 $. Toutes les voitures seront donc vendues, mais la concurrence entre les acheteurs fera grimper les prix au-delà de 4 500 $.

Question 12.7 Choisissez la ou les bonnes réponses

Parmi les cas suivants, lesquels correspondent à un problème de sélection adverse ?

  • Un marché de l’assurance automobile dans lequel les assureurs ne savent pas si les assurés conduisent plus ou moins prudemment.
  • Un marché d’assurance maladie dans lequel les assureurs ne savent pas si les souscripteurs sont des fumeurs réguliers ou non.
  • La vente de suppléments nutritifs en ligne pour lesquels les consommateurs ne peuvent pas savoir si la composition est conforme aux dires des vendeurs.
  • Une entreprise qui emploie des salariés en télétravail, mais ne peut pas vérifier l’effort fourni.
  • C’est un problème d’action cachée (aléa moral).
  • Fumer est un attribut caché, car les fumeurs ont des risques plus élevés. Si la prime était fixée pour les personnes de risque moyen, les non-fumeurs seraient moins enclins à souscrire cette assurance.
  • La qualité du produit est un attribut caché. Si le prix était égal au coût marginal des produits de qualité moyenne, seuls les producteurs de produits de faible qualité ou de produits contrefaits seraient enclins à vendre.
  • C’est un problème d’action cachée (aléa moral).

12.7 Contrats incomplets et externalités sur le marché du crédit

Nous avons étudié l’emprunt et le prêt dans l’Unité 10. L’emprunt et le prêt sont un problème de type principal–agent dans lequel l’utilisation prudente des fonds empruntés, les efforts fournis pour assurer le succès du projet pour lequel les fonds ont été empruntés et le remboursement du prêt ne peuvent être garantis par un contrat exécutoire.

Par conséquent, les décisions de l’emprunteur (effort, prudence) ont des effets externes sur le prêteur. Les actions de l’emprunteur ont une incidence sur les profits du prêteur mais sont « externes » au contrat. Elles ne sont pas couvertes par le contrat car des informations critiques permettant de les y inscrire – telles que le degré de prudence avec lequel l’emprunteur gère le projet, ou l’effort fourni afin de le faire réussir – font défaut au prêteur, et quand bien même elles seraient disponibles, elles ne suffiraient pas dans la plupart des cas à faire appliquer les contrats nécessaires.

Remarquez la similarité avec les problèmes liés à l’effort d’un employé et la prudence d’une personne assurée. Ce sont tous deux des problèmes d’aléa moral.

Le problème fondamental dans le cas du crédit est qu’en cas d’échec du projet, l’emprunteur est susceptible de ne pas rembourser le prêt, et que, de ce fait, il prendra des risques qu’il aurait évités s’il avait dû supporter le coût total en cas de mauvais résultats. Cela signifie que le projet est plus susceptible d’échouer, et impose des coûts au prêteur.

capitaux propres
Le propre investissement d’un individu dans un projet. Cela est comptabilisé dans le bilan financier d’un individu ou d’une entreprise en tant que valeur nette. Voir également : valeur nette.
collatéral (ou garantie)
Un bien qu’un emprunteur donne en garantie à un prêteur afin de garantir un prêt. Si l’emprunteur est incapable de rembourser son crédit comme dû, le créancier devient le propriétaire du bien.

Comme nous l’avons vu dans l’Unité 10, cela rendra le prêteur réticent à prêter, sauf si on peut inciter l’emprunteur à ne pas prendre de risques inconsidérés, soit en investissant une partie de son propre argent dans le projet pour lequel il recherche des fonds (capitaux propres), soit en fournissant un collatéral (garantie) au prêteur. Cela signifie qu’une personne peu fortunée est susceptible de ne pas obtenir de prêt, même pour un projet qui aurait utilisé les ressources de façon très productive, par exemple une nouvelle entreprise, le coût d’une licence pour exercer une certaine profession ou une formation.

En d’autres termes, les prêteurs sont prêts à substituer à la qualité d’un projet un emprunteur ayant davantage de fonds propres ou de garanties. Parfois, un projet de grande qualité d’une personne pauvre désireuse d’emprunter n’est pas financé par le prêteur, alors qu’un individu riche avec un projet moyen reçoit un prêt, comme l’illustre la Figure 12.11.

  Riche Pauvre
Projet de grande qualité Prêt accordé Pas de prêt
Projet de qualité intermédiaire Prêt accordé Pas de prêt
Projet de faible qualité Pas de prêt Pas de prêt

Figure 12.11 Qualité du projet et richesse de l’emprunteur.

contraint par le crédit
Une description des individus qui peuvent emprunter uniquement à des conditions défavorables. Voir également : exclu du crédit.
exclu du crédit
Une description des individus qui ne peuvent pas obtenir de prêt quelles que soient les conditions. Voir également : contraint par le crédit.

Ainsi, les emprunteurs pauvres peuvent être contraints par le crédit ou exclus du crédit. C’est une autre forme de défaillance de marché, qui émerge notamment lorsque la richesse est répartie de façon très inégale. Rappelez-vous comment, à l’Unité 10, la Grameen Bank a résolu ce problème en créant des groupes d’emprunteurs responsables conjointement du remboursement des prêts, ce qui les a incités à fournir beaucoup d’effort dans leur travail et à prendre des décisions sages, ne nécessitant pas de fonds propres ou de garantie.

Les défaillances du marché du crédit se produisent également pour une autre raison. Lorsque la banque octroie un prêt, elle prend en compte la possibilité qu’il pourrait ne pas être remboursé : si le taux d’intérêt qu’elle peut pratiquer est suffisamment élevé, même des emprunts plutôt risqués (comme les prêts sur salaire) peuvent être un pari intéressant. Mais la banque s’inquiète également des conséquences sur ses profits d’une situation dans laquelle la plupart de ses emprunteurs pourraient ne pas être en mesure de rembourser, comme cela aurait été le cas, par exemple, si elle avait étendu les prêts hypothécaires à l’achat de maisons durant une période de boom immobilier, et que la bulle spéculative ait ensuite éclaté. La banque pourrait faire faillite.

too big to fail
Une caractéristique des grandes banques, dont l’existence est essentielle à l’économie si bien qu’elles seront sauvées par l’État en cas de difficulté financière. Si une banque est trop grosse pour faire faillite, elle n’a pas à supporter tous les coûts de ses activités et est davantage susceptible de prendre de plus gros risques. Voir également : aléa moral.

Si les propriétaires de la banque devaient supporter tous les coûts d’une faillite, alors ils feraient des efforts extraordinaires pour l’éviter. Il est néanmoins peu probable que les propriétaires doivent supporter l’intégralité des coûts pour deux raisons :

  • La banque aura généralement emprunté auprès d’autres banques : de la même façon qu’un agriculteur emprunte pour planter sa culture, les propriétaires des banques savent que s’ils venaient à faire faillite, une partie des coûts serait supportée par d’autres banques et ne sera pas remboursée.
  • « Trop grosse pour faire faillite » (« too big to fail », en anglais) : si la banque joue un rôle suffisamment important dans l’économie, alors la perspective de sa faillite conduira certainement à un sauvetage par l’État, qui la subventionnera grâce aux recettes fiscales.

Une fois encore, les propriétaires des banques savent que d’autres (les contribuables ou les autres banques) supporteront une partie des coûts liés à leur prise de risque. Tout comme les retombées environnementales, la prise de risque excessive par les banques et les emprunteurs est un effet externe négatif conduisant à une défaillance de marché.

Ceux qui pourraient se retrouver avec les pertes des preneurs de risque essayent de se protéger. Les États tentent ainsi de réguler le système bancaire, en limitant le levier financier des banques de manière à ce qu’elles disposent théoriquement des ressources suffisantes pour rembourser leurs dettes.

Nous pouvons ajouter des exemples du marché du crédit à notre tableau des défaillances de marché de la Figure 12.12.

Décision Comment cela affecte autrui Coût ou bénéfice Défaillance de marché (mauvaise allocation des ressources) Solutions possibles Termes utilisés pour ce type de défaillance de marché
L’emprunteur n’est pas assez prudent ou ne fait pas assez d’effort dans le projet financé par le prêt Projet plus susceptible d’échouer, conduisant au non-remboursement du prêt Bénéfice privé, coût externe Risques excessifs, trop peu de prêts octroyés Redistribuer les richesses, responsabilité commune pour le remboursement des prêts (Grameen Bank) Aléa moral, exclusion du marché du crédit
Une banque « trop grosse pour faire faillite » accorde des prêts risqués Les contribuables supportent les coûts si la banque fait faillite Bénéfice privé, coût externe Prêts excessivement risqués Régulation des pratiques bancaires Aléa moral

Figure 12.12 Défaillances du marché du crédit, avec solutions.

Question 12.8 Choisissez la ou les bonnes réponses

Laquelle des affirmations suivantes est correcte ?

  • Le problème du marché du crédit est que les personnes riches obtiendront systématiquement un prêt indépendamment de la qualité de leur projet.
  • Il est plus simple pour les personnes riches d’obtenir un prêt car elles peuvent fournir des fonds propres ou un collatéral.
  • Les banques sont décrites comme « trop grosses pour faire faillite » lorsque leur taille importante fait d’elles des institutions sûres.
  • Les banques qui sont « trop grosses pour faire faillite » font attention à ne pas faire de prêts risqués.
  • Les riches peuvent ne pas obtenir de prêt si leur projet est de mauvaise qualité. Le problème est davantage lié au fait que les pauvres n’obtiennent pas de prêt même si leur projet est de grande qualité.
  • Les prêteurs peuvent réduire le problème d’aléa moral en demandant des fonds propres ou une garantie (ou collatéral) que seules les personnes les plus aisées sont capables de fournir.
  • Les banques sont « trop grosses pour faire faillite » si elles sont trop importantes pour la poursuite du fonctionnement de l’économie, de sorte que l’État ne peut pas se permettre de les laisser faire faillite.
  • Ces banques peuvent faire des prêts plus risqués, car elles savent que l’État les sauvera si elles font faillite.

12.8 Les limites des marchés

Les marchés pourraient sembler omniprésents dans l’économie, mais ce n’est pas le cas. Rappelez-vous l’image d’Herbert Simon dans l’Unité 6 où un Martien contemplait l’économie. Le Martien voit principalement des champs verts, qui représentent des entreprises. Elles sont connectées par des lignes rouges représentant des achats et des ventes sur les marchés, mais de nombreuses décisions d’allocation des ressources sont faites au sein des entreprises. Les familles, de manière similaire, n’allouent pas les ressources entre parents et enfants via des actes d’achat et de vente. Les États utilisent le processus politique plutôt que la concurrence de marché pour déterminer où et par qui les écoles seront construites et les routes entretenues.

Pourquoi certains biens et services sont-ils alloués par les marchés, tandis que les entreprises, les familles ou les États en allouent d’autres ? Cette question n’est pas nouvelle et a deux réponses simples.

Premièrement, certains types d’activités sont mieux exécutés par les familles, d’autres par les États, d’autres par les entreprises et d’autres encore par les marchés. Il est difficile d’imaginer, par exemple, comment la conception et l’éducation des enfants pourraient être efficacement menées par les entreprises ou les marchés. Une combinaison des familles et de l’État (la scolarisation) assure ces tâches dans la plupart des sociétés.

Qu’est-ce qui détermine l’équilibre entre les entreprises et les marchés ?

Ronald Coase a donné une explication de l’importance relative des entreprises et des marchés. Les entreprises existent parce que pour certaines choses, la production en interne est plus profitable que l’achat de ces choses. L’étendue du marché est déterminée par la décision de l’entreprise de produire ou d’acheter tel ou tel composant d’un produit. Coase expliquait que les frontières de cette séparation entre l’entreprise et le marché sont déterminées par les coûts relatifs des options « le faire » et « l’acheter ».

L’explication de Coase souligne un point important, souvent oublié lors des débats parfois animés sur les mérites des systèmes d’organisation décentralisés tels les marchés, par opposition à des systèmes plus centralisés tels les États. Il a montré qu’il est certaines choses pour lesquelles les systèmes centralisés (comme l’entreprise) sont plus performants, et qu’il en est d’autres qui sont mieux gérées par le marché. La beauté de cette démonstration réside dans le fait que ce n’est pas un jugement établi par un observateur possiblement biaisé : c’est le verdict du marché lui-même. La concurrence entre les entreprises punit en fin de compte celles qui abusent de l’option « le faire » en élargissant trop les frontières du système centralisé par une expansion interne. De la même manière, la concurrence de marché punit les entreprises qui ne profitent pas de la prise de décision centralisée en optant excessivement pour l’option « l’acheter ».

La seconde réponse à la question de pourquoi certains biens et services sont alloués par les marchés tandis que d’autres le sont par d’autres institutions, est assez différente de l’explication de Coase sur les frontières de l’entreprise. Les gens sont en désaccord sur la place qu’il convient d’accorder au marché. D’aucuns pensent que certaines choses actuellement en vente devraient être allouées par d’autres moyens, tandis que d’autres pensent que les marchés devraient jouer un rôle encore plus important dans l’économie.

biens tutélaires
Les biens et services qui devraient être fournis à tous, indépendamment de leur capacité à payer.

Ceux qui voudraient limiter l’étendue des marchés font généralement valoir deux arguments :

  • Marchés répugnants : la vente de certains biens et services sur des marchés – organes vitaux, êtres humains – viole une norme éthique ou porte atteinte à la dignité des personnes impliquées.
  • Biens tutélaires : une idée largement répandue est que certains biens et services (appelés biens tutélaires) devraient être fournis à tous indépendamment de leur capacité ou de leur volonté de payer.

Marchés répugnants

Dans la plupart des pays, il existe des institutions solides qui donnent le droit aux parents d’abandonner volontairement leur enfant afin qu’il soit adopté. En revanche, les lois interdisent généralement aux parents de vendre leurs nouveau-nés. La gestation pour autrui à visée commerciale – un couple en paye un autre pour leur fournir un nouveau-né – est illégale dans la plupart des pays (mais elle est autorisée dans certains États américains, en Inde et en Russie).

Pourquoi la plupart des pays interdisent-ils l’achat et la vente de bébés ? N’est-il pas vrai qu’un marché des nouveau-nés conduirait à des gains mutuels pour des parents désireux de vendre et pour ceux désireux d’acheter ?

Presque tous les pays interdisent la vente d’organes humains pour la transplantation. Néanmoins, un raisonnement économique pourrait soutenir que ce serait une erreur que d’empêcher ces transactions si les deux parties sont volontaires.

Une raison pour laquelle nous pourrions opposer à cela est que la vente pourrait ne pas être vraiment volontaire, car la pauvreté pourrait forcer les personnes à s’engager dans une transaction qu’ils pourraient ensuite regretter. Une seconde raison tient à la croyance qu’accorder un prix à un bébé ou à un organe viole le principe de dignité humaine. Cela corrompt nos comportements envers les autres.

Alvin Roth, un économiste lauréat du prix Nobel, désigne ces marchés sous le terme de marchés répugnants.5

Les philosophes Michael Walzer et Michael Sandel se sont interrogés sur les limites morales des marchés. Certaines transactions de marché sont en contradiction avec la façon dont nous considérons l’humanité, comme le fait d’acheter et de vendre des personnes comme esclaves ; d’autres avec les principes de la démocratie, comme le fait d’autoriser les électeurs à vendre leurs votes. Nous avons vu certains avantages liés au fait d’allouer les ressources via des marchés et le système des prix. Dans cette analyse, nous avons implicitement supposé que l’échange d’un bien contre de l’argent n’avait pas d’incidence sur la valeur intrinsèque que lui accordent l’acheteur et le vendeur.6 7

Mais l’attitude des parents envers les bébés et l’idée que les électeurs se font de leurs droits démocratiques pourraient être modifiées s’ils pouvaient être achetés ou vendus. Lorsque l’on se demande s’il serait avantageux ou non d’introduire un nouveau marché ou des incitations monétaires, il faut se demander si cela pourrait faire disparaître des normes sociales ou des préférences éthiques.

Biens tutélaires

Certains biens et services sont considérés comme spéciaux car ils devraient être accessibles à tous, même à ceux qui n’ont pas la capacité ou le désir de les payer. Ils sont appelés biens tutélaires et sont fournis par les États plutôt que par un marché régi par la disposition à payer.

Dans la plupart des pays, l’enseignement primaire est gratuit pour tous les enfants et financé par l’impôt. Les soins de santé de base – au moins les soins d’urgence – sont souvent également accessibles à tous, indépendamment de la capacité à payer. Dans la plupart des pays, il en va de même pour l’aide juridictionnelle lors d’un procès : une personne ne pouvant pas payer un avocat se voit assigner une représentation juridique gratuitement. La sécurité personnelle – la protection contre les agressions criminelles ou les incendies domestiques, par exemple – est généralement en partie assurée par les services de police-secours et des sapeurs-pompiers fournis par l’État.

Pourquoi les biens tutélaires devraient-ils être fournis gratuitement ? Les personnes à revenu modeste n’ont pas accès à de nombreuses choses. Elles vivent généralement dans des logements de faible qualité voire insalubres et ont très peu l’occasion de voyager pour le plaisir. Pourquoi les soins de santé de base et la scolarisation, la représentation juridique et les services de police et de protection contre les incendies sont-ils différents ? La réponse est que dans la plupart des pays, ces biens et services sont considérés comme le droit de chaque citoyen.

Exercice 12.9 Capitalisme entre adultes consentants

Tous les contrats impliquant des échanges volontaires entre adultes consentants devraient-ils être autorisés ?

Indiquez ce que vous pensez des échanges (hypothétiques) suivants ? Pour chaque échange, vous pouvez supposer que les personnes adultes concernées sont saines d’esprit, rationnelles et ont réfléchi aux alternatives et aux conséquences de leurs actes. Dans chacun des cas, décidez si vous approuvez et, lorsque vous n’approuvez pas, si vous pensez que la transaction devrait être interdite. Dans chacun des cas, expliquer pourquoi l’échange décrit génère des avantages mutuels (c’est-à-dire il s’agit d’une amélioration au sens de Pareto par rapport à l’interdiction de l’échange).

  1. On a découvert une procédure médicale compliquée pouvant guérir une forme rare de cancer chez des patients qui autrement mourraient très certainement. Du fait du manque de personnel, il est impossible de traiter tous ceux qui pourraient bénéficier de cette procédure et l’hôpital a donc mis en place une politique de « premier arrivé, premier servi. » Ben, un riche patient figurant en bas de la liste, propose de payer Aisha, pauvre mais figurant en haut de la liste, 1 million de dollars pour échanger leurs places. Si Aisha meurt (ce qui est très probable), ses enfants hériteront de l’argent. Aisha accepte.
  2. Melissa a 18 ans. Elle vient d’être acceptée dans une bonne université, mais ne dispose d’aucune aide financière, et ne peut en recevoir aucune. Elle signe un contrat de 4 ans pour être strip-teaseuse sur Internet et commencera ce travail lorsqu’elle aura 19 ans. L’entreprise paiera ses frais de scolarité.
  3. Vous êtes en train de faire la queue pour acheter des tickets de cinéma pour une séance qui est presque complète. Quelqu’un en fin de queue s’approche de la personne devant vous et lui offre 25 dollars pour échanger leurs places dans la queue (il prend sa place, devant vous, et elle prend la sienne, en fin de queue).
  4. Une personne neutre politiquement, qui ne vote jamais, accepte lors d’une élection de voter pour le candidat lui donnant le plus d’argent.

12.9 Défaillances de marché et politiques publiques

La Figure 12.13 rassemble les exemples que nous avons vus et dans lesquels les marchés ne parviennent pas à allouer les ressources de façon efficace. À première vue, ils semblent différents les uns des autres, mais pour chacun d’entre eux, on peut identifier un bénéfice ou un coût externe qu’un décideur ne prend pas en compte. Le tableau de la Figure 12.14 montre que la cause principale des défaillances de marché est un problème d’information : un aspect important d’une interaction ne peut pas être observé par l’une des parties ou ne peut pas être vérifié par un tribunal.

La Figure 12.13 montre également quelques solutions possibles. Les États jouent un rôle important dans l’économie en tentant de réduire les inefficacités associées à de nombreuses formes de défaillance de marché. Cependant, les mêmes problèmes d’information peuvent entraver un État qui souhaite mettre en place des taxes, subventions ou interdictions pour faire mieux que l’allocation de marché. Par exemple, l’État français a fini par décider d’interdire l’utilisation du chlordécone plutôt que de rassembler les informations nécessaires à l’élaboration d’une taxe sur la production des bananes ou de fournir une compensation aux pêcheurs.

Parfois, une combinaison de plusieurs solutions est le meilleur moyen de traiter ces problèmes d’information et les défaillances de marché qui en résultent. Un exemple est fourni par l’assurance automobile. Dans la plupart des pays, l’assurance responsabilité civile (couvrant les dommages subis par des tiers) est obligatoire afin d’empêcher le problème de sélection adverse qui aurait lieu si seuls les conducteurs accidentogènes souscrivaient une assurance. Afin de résoudre le problème d’aléa moral des actions cachées, les assureurs demandent parfois l’installation d’un dispositif de surveillance de manière à ce que des habitudes de conduite prudentes représentent une partie exécutoire du contrat d’assurance.

Décision Comment cela affecte autrui Coût ou bénéfice Défaillance de marché (mauvaise allocation des ressources) Solutions possibles Termes utilisés pour ce type de défaillance de marché
Une entreprise utilise un pesticide qui se répand dans les cours d’eau Dommage causé en aval Bénéfice privé, coût externe Surutilisation de pesticide et surproduction de la culture qui l’utilise Taxes, quotas, interdictions, négociation, propriété commune de toutes les ressources affectées Effet externe négatif, retombées environnementales
Vous prenez un vol international Augmentation des émissions mondiales de carbone Bénéfice privé, coût externe Surutilisation des transports aériens Taxes, quotas Nuisance publique, effet externe négatif
Vous allez au travail en voiture Embouteillages pour les autres usagers de la route Coût privé, coût externe Surutilisation de la voiture Péages, quotas, transports publics subventionnés Ressource commune, effet externe négatif
Une entreprise investit dans la R&D D’autres entreprises peuvent exploiter l’innovation Coût privé, bénéfice externe Trop peu de R&D Recherche subventionnée par l’État, subventions pour la R&D, brevets Bien public, effet externe positif
Un employé recevant un salaire fixe décide de l’effort fourni dans son travail Un haut niveau d’effort augmente les profits de l’employeur Coût privé, bénéfice externe Trop peu d’effort, salaire au-dessus du salaire de réserve, chômage Suivi plus efficace, rémunération à la performance, réduction du conflit d’intérêt Contrat de travail incomplet, action cachée, aléa moral
Une personne sachant qu’elle a un problème de santé grave souscrit une assurance Pertes pour l’assureur Bénéfice privé, coût externe Trop peu de contrats d’assurance offerts, primes d’assurance trop élevées Souscription obligatoire d’une assurance maladie, système public d’assurance maladie, partage obligatoire des informations de santé Marchés manquants, sélection adverse
Une personne ayant souscrit une assurance automobile décide du niveau de risque pris en conduisant Conduire prudemment contribue aux profits de la compagnie d’assurance Coût privé, bénéfice externe Trop peu d’assurances offertes, primes d’assurance trop élevées Installation de dispositifs de surveillance des conducteurs Marchés manquants, aléa moral
L’emprunteur n’est pas assez prudent ou ne fait pas assez d’effort dans le projet financé par le prêt Projet plus susceptible d’échouer, conduisant au non-remboursement du prêt Bénéfice privé, coût externe Risques excessifs, trop peu de prêts octroyés Redistribuer les richesses, responsabilité commune pour le remboursement des prêts (Grameen Bank) Aléa moral, exclusion du marché du crédit
Une banque « trop grosse pour faire faillite » accorde des prêts risqués Les contribuables supportent les coûts si la banque fait faillite Bénéfice privé, coût externe Prêts excessivement risqués Régulation des pratiques bancaires Aléa moral
Un monopole, une entreprise produisant un bien différencié ou une entreprise avec un CM décroissant, fixe P > Cm (Unité 7) Prix trop élevé pour certains acheteurs potentiels Bénéfice privé, coût externe Quantité vendue trop faible Politique de concurrence, propriété publique des monopoles naturels Concurrence imparfaite, coûts moyens décroissants, monopole naturel

Figure 12.13 Défaillances de marché et solutions.

Question Réponse
À quoi sont dues les défaillances de marché ? Les agents, guidés seulement par les prix de marché, ne tiennent pas compte de toutes les conséquences de leurs actions sur autrui
Pourquoi l’effet total de leurs actions sur autrui n’est-il pas pris en compte ? Il y a des bénéfices et des coûts externes qui ne sont pas compensés par des paiements
Pourquoi certains bénéfices ou coûts ne sont-ils pas compensés ? Aucun marché n’existe dans lequel ils peuvent être commercialisés
Pourquoi pas ? Et pourquoi la négociation privée et des paiements ne résolvent-ils pas le problème ? Les droits de propriété et les contrats nécessaires ne peuvent être exécutés par les tribunaux
Qu’est-ce qui empêche les droits de propriété et les contrats d’être exécutoires ? Une information asymétrique ou non vérifiable

Figure 12.14 Défaillances de marché et problèmes d’information.

Pour aller plus loin : un rôle élargi pour l’État

La plupart des modèles traités jusqu’ici dans ce cours sont des modèles microéconomiques : cela signifie que ce sont des modèles avec des interactions entre des employeurs et des employés individuels, entre des emprunteurs et des prêteurs individuels, entre des entreprises individuelles et leurs clients et entre des entreprises en concurrence avec d’autres entreprises. Nous avons vu dans cette unité que les problèmes d’inefficacité au sens de Pareto peuvent survenir dans ces interactions et que les États ont un rôle à jouer pour les corriger. Les États traitent également les problèmes d’inégalité et de pauvreté en redistribuant les revenus des ménages plus riches vers les ménages plus pauvres. Cependant, les politiques publiques visent à répondre à de nombreux autres objectifs, dont :

  • La modération des fluctuations de l’emploi et de l’inflation : dans l’Unité 10 vous avez appris qu’à l’exception des plus riches, les gens ne peuvent pas emprunter assez pour lisser suffisamment leur consommation dans le temps en réponse aux changements dans leur situation d’emploi et aux autres chocs. Les États peuvent les y aider en adoptant des politiques qui modèrent les fluctuations des salaires réels et l’emploi (Unités 13-15).
  • Salaires, profits et productivité à long terme : dans les Unités 2, 6 et 9 vous avez vu comment sont déterminés les salaires, les profits et la productivité du travail. Les États jouent un rôle ici aussi, en adoptant des politiques qui auront une incidence sur le pouvoir de négociation des employeurs et de leurs salariés, et en augmentant la productivité du travail.

Comprendre ces aspects de politique publique ainsi que les politiques concernant l’économie mondiale, l’environnement, l’inégalité et l’innovation, nécessite que nous développions maintenant un modèle de l’économie dans son ensemble, parfois appelé macroéconomie. Notre compréhension du marché du travail des Unités 6 et 9, du marché du crédit avec l’Unité 10 et cette unité et du processus d’innovation grâce à l’Unité 2 nous fournit les fondations pour comprendre le fonctionnement de l’économie considérée comme un tout. Ce sera le thème de la prochaine unité.

Exercice 12.10 Défaillance de marché

Construisez un tableau similaire à celui de la Figure 12.13 afin d’analyser les possibles défaillances de marché liées aux situations ci-dessous. Dans chacun des cas, quels sont les marchés ou les contrats inexistants ou incomplets ?

  1. Vous inoculez à votre enfant un vaccin très coûteux contre une maladie infectieuse.
  2. Vous utilisez de l’argent emprunté à une banque pour l’investir dans un projet très risqué.
  3. Un chalutier quitte les eaux côtières de son pays, qui sont en surpêche, pour aller pêcher dans les eaux internationales.
  4. L’aéroport d’une ville augmente le volume des vols commerciaux en autorisant les départs de nuit.
  5. Vous contribuez à une page Wikipédia.
  6. Un État investit dans la recherche sur la fusion nucléaire.

12.10 Conclusion

Les allocations de marché inefficaces au sens de Pareto (défaillances de marché) peuvent résulter d’une concurrence limitée, de coûts moyens décroissants avec le niveau de production ou d’effets externes. Les externalités apparaissent lorsque certains aspects d’un échange ne sont pas couverts par des droits de propriété ou des contrats exécutoires, en raison d’une information asymétrique ou non vérifiable. On peut ici penser à l’emploi, au crédit et aux contrats d’assurance (qui peuvent être affectés par des problèmes d’aléa moral et de sélection adverse) ainsi qu’aux biens et nuisances publics (tels le savoir et la pollution).

La négociation coasienne comme les taxes pigouviennes et les subventions peuvent améliorer les allocations de marché dans ces cas, mais elles sont limitées par les mêmes problèmes d’information asymétrique et non vérifiable à l’origine des défaillances de marché.

Le caractère « répugnant » de certains échanges et autres formes d’objections morales à échanger certains biens contre de l’argent, ainsi que les effets d’éviction des incitations monétaires, fournissent des raisons expliquant pourquoi certains biens et services ne sont pas alloués via les marchés.

Concepts introduits dans l’Unité 12

Avant de continuer, revoyez ces définitions :

12.11 Références bibliographiques

  • Acemoglu, Daron, and James A. Robinson. 2012. Why Nations Fail: The Origins of Power, Prosperity and Poverty, 1st ed. New York, NY: Crown Publishers.
  • Acemoglu, Daron, Simon Johnson, and James A. Robinson. 2005. ‘Institutions as a Fundamental Cause of Long-Run Growth’. In Handbook of Economic Growth, Volume 1A., eds. Philippe Aghion and Steven N. Durlauf. North Holland.
  • Akerlof, George A., and Robert J. Shiller. 2015. Phishing for Phools: The Economics of Manipulation and Deception. Princeton, NJ: Princeton University Press.
  • Fafchamps, Marcel, and Bart Minten. 1999. ‘Relationships and Traders in Madagascar’. Journal of Development Studies 35 (6) (August): pp. 1–35.
  • Keynes, John Maynard. 1936. The General Theory of Employment, Interest and Money. London: Palgrave Macmillan.
  • North, Douglass C. 1990. Institutions, Institutional Change and Economic Performance. Cambridge: Cambridge University Press.
  • Pigou, Arthur. 1912. Wealth and Welfare. London: Macmillan & Co.
  • Pigou, Arthur. (1920) 1932. The Economics of Welfare. London: Macmillan & Co.
  • Roth, Alvin E. 2007. ‘Chapter 1: Repugnance as a Constraint on Markets’. Journal of Economic Perspectives 21 (3): pp. 37–58.
  • Sandel, Michael. 2009. Justice. London: Penguin.
  • Seabright, Paul. 2010. ‘Chapter 1: Who’s in Charge?’. In The Company of Strangers: A Natural History of Economic Life. Princeton, NJ, United States: Princeton University Press.
  • Walzer, Michael. 1983. Spheres of Justice: A Defense of Pluralism and Equality. New York, NY: Basic Books.
  1. Paul Seabright. 2010. ‘Chapter 1’. In The Company of Strangers: A Natural History of Economic Life. Princeton, NJ: Princeton University Press. pp. 9–10. 

  2. Fafchamps, Marcel, and Bart Minten. 1999. ‘Relationships and Traders in Madagascar’. Journal of Development Studies 35 (6) (August): pp. 1–35. 

  3. Pigou, Arthur. 1912. Wealth and Welfare. London: Macmillan & Co. 

  4. Pigou, Arthur. 1920. The Economics of Welfare. London: Macmillan & Co. 

  5. Roth, Alvin E. 2007. ‘Repugnance as a Constraint on Markets’. Journal of Economic Perspectives 21 (3): pp. 37–58. 

  6. Sandel, Michael. 2009. Justice. London: Penguin. 

  7. Walzer, Michael. 1983. Spheres of Justice: A Defense of Pluralism and Equality. New York, NY: Basic Books.