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Unité 18 L’insertion des pays dans l’économie mondiale

Comment l’intégration des économies nationales dans un système mondialisé de commerce et d’investissement génère à la fois des opportunités de gains réciproques et des conflits sur la répartition de ces gains.

  • La mondialisation est un terme décrivant l’intégration des marchés des biens et services dans le monde, ainsi que les flux d’investissements et de personnes au-delà des frontières nationales.
  • La mondialisation a conduit à une convergence des prix entre les pays, mais cela est moins vrai pour les salaires.
  • Les pays tendent à se spécialiser dans la production des biens et services qu’ils peuvent produire à un coût relativement moindre, par exemple en raison d’économies d’échelle, de l’abondance de certaines ressources et compétences ou de politiques publiques.
  • Cette spécialisation permet des gains réciproques pour les citoyens des pays commerçant ensemble.
  • L’intensification du commerce et la spécialisation peuvent être bénéfiques pour certains groupes au sein d’un pays et nuire à d’autres, par exemple ceux qui produisent des biens concurrencés par les importations.
  • L’évaluation des politiques publiques et des accords internationaux devrait se demander si les gains réciproques sont pleinement exploités, s’il y a une répartition équitable de ces gains et s’il y a réduction des insécurités économiques accompagnant le processus de mondialisation.

En décembre 1899, le bateau à vapeur Manila s’arrima au port de Gênes en Italie et y déchargea sa cargaison de céréales en provenance d’Inde. Le canal de Suez avait ouvert trente ans plus tôt, réduisant considérablement les coûts d’importation des produits de base agricoles en provenance d’Asie du Sud pour les marchés européens. Les boulangers et les clients italiens étaient ravis de cette baisse des prix. Les agriculteurs italiens, eux, ne l’étaient pas. Après quelques mois passés à Gênes, le Manila fit route vers l’Ouest. Il transportait 69 personnes dans ses entreponts (c’est-à-dire l’espace du bateau où sont logés ceux qui ont payé le prix le plus faible pour leur voyage) qui abandonnaient leur terre natale en quête d’une vie meilleure aux États-Unis.

Cette baisse des prix a été rendue possible par une révolution dans les technologies de transport et de production agricole. L’ouverture du canal de Suez, tout comme l’extension du système ferroviaire vers les champs d’Amérique du Nord, la plaine de Russie et le nord de l’Inde, ainsi que le développement de bateaux à vapeur comme le Manila, ont réduit les coûts de transport des céréales vers des marchés lointains. À travers les vastes plaines du Midwest américain, de nouvelles variétés de blé, de nouvelles moissonneuses et semeuses, ainsi que des technologies de drainage améliorées ont créé une forme d’agriculture de pointe, intensive en capital, qui était aussi productive qu’ailleurs dans le monde.

droit de douane
Une taxe sur un bien importé dans un pays.

En Europe, les parlements et les administrations publiques ont peiné à s’adapter au choc sur le prix des céréales. En France et en Allemagne, les agriculteurs et leurs défenseurs l’ont emporté. Malgré les bénéfices de la baisse du prix des céréales pour les familles, et en dépit des protestations des travailleurs qui consommaient les céréales, des tarifs douaniers ont été mis en place par les pays pour protéger les revenus des agriculteurs.

Le Danemark, parmi d’autres pays, apporta une réponse bien différente. Le gouvernement danois a aidé les agriculteurs à passer d’une production céréalière à un élevage laitier, plutôt que de les protéger contre les importations peu onéreuses. En utilisant ces céréales importées bon marché comme facteur de production, les agriculteurs ont répondu aux incitations en produisant du lait, des fromages et d’autres marchandises qu’il n’était pas possible de transporter à bas coût sur de longues distances. En retour, les céréales moins chères permettaient aux familles d’augmenter leur consommation de produits laitiers.

En Italie, les enfants de certains agriculteurs ont commencé à travailler dans l’industrie du textile en plein essor, qui exportait vers le reste du monde. De nombreux agriculteurs ayant fait faillite sont partis aux États-Unis. Ils dormaient sur les ponts de cargos vides qui faisaient route vers les États-Unis pour récupérer des céréales pour l’Europe. Environ 750 000 Européens ont fait ce voyage chaque année au cours de la décennie suivant l’accostage du Manila à Gênes. Certains de leurs petits-enfants sont finalement devenus cultivateurs de céréales dans le Kansas.

Dans l’Union européenne, la politique agricole commune (PAC) cherche à protéger le secteur agricole des pays membres. Aux États-Unis, la législation la plus récente en faveur du secteur est l’Agricultural Act de 2014, également appelée « la Farm Bill ».

Le choc sur le prix des céréales a fait de grands gagnants et de grands perdants. La plupart des changements apportés se justifiaient d’un point de vue économique. Par exemple, les céréales du monde entier étaient désormais cultivées de plus en plus dans les endroits où la production était la plus efficace possible. Mais les droits de douane conçus pour protéger les agriculteurs allemands et français ont retardé cette réallocation, ce qui a empêché les propriétaires et les travailleurs des autres secteurs de l’économie de bénéficier de la baisse du prix des céréales. Cela est toujours vrai aujourd’hui – de nombreux pays riches continuent à protéger leur secteur agricole au moyen de subventions.

mondialisation
Un processus par lequel les économies du monde entier sont de plus en plus intégrées les unes aux autres, par le biais de frontières nationales plus perméables aux flux de biens, d’investissements, de finance et dans une moindre mesure, de main d’œuvre. Le terme est parfois utilisé dans un sens plus large et englobe les idées, la culture, voire la diffusion d’épidémies.
délocalisation
La relocalisation d’une partie des activités d’une entreprise en dehors des frontières du pays dans lequel elle opère. La délocalisation peut prendre place au sein d’une compagnie multinationale ; elle peut aussi impliquer la sous-traitance de la production à d’autres entreprises.

La ligne de fracture n’opposait pas les riches et les pauvres, les propriétaires terriens et les métayers ou les employeurs et les employés. Le conflit opposait les producteurs de différentes marchandises. Ceux qui produisaient des biens manufacturés ont accueilli positivement l’accroissement des échanges avec les États-Unis, contrairement à ceux qui produisaient des céréales.

Le mot mondialisation est communément utilisé pour décrire la tendance du monde vers un plus haut degré d’interconnexion. Ce terme renvoie non seulement au commerce des céréales et aux migrations de part et d’autres des frontière illustrés par le Manila, mais également aux aspects non-économiques de l’intégration internationale, comme la Cour pénale internationale, la circulation des idées dans le monde ou nos goûts musicaux de plus en plus similaires.

Dans l’Unité 6, nous avons examiné des entreprises comme Apple, qui choisissent de produire leurs biens dans d’autres régions du monde où les coûts sont moins élevés. Cette délocalisation constitue une dimension importante de la mondialisation et peut aussi bien désigner l’externalisation de la production auprès d’autres entreprises, que la production au sein d’une entreprise multinationale. Par exemple, la Figure 18.1 montre que l’entreprise Ford Motor a des bureaux et usines dans 22 pays en dehors des États-Unis. Cette entreprise a commencé à délocaliser un an après sa création, d’abord en 1904 au Canada, puis a rapidement produit dans de nombreux autres pays dans les années suivantes, par exemple en Australie (1925) et même en Union soviétique (1930). Sur les presque 201 000 employés de cette entreprise « américaine » en 2016, plus de 144 000 vivaient en dehors des États-Unis.

Les employés de Ford à travers le monde, en 2014
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Figure 18.1 Les employés de Ford à travers le monde, en 2014.

Ford Motor Company.

Dans le cas d’une entreprise multinationale, les propriétaires, les dirigeants et les salariés de plusieurs pays font partie d’une même structure unifiée et transnationale. Cela tient au fait qu’il est moins coûteux d’effectuer des transactions au sein d’une même entreprise qu’entre plusieurs entreprises. Toutefois, comme nous l’avons vu dans les Unités 8 et 11 avec le marché du coton, la mondialisation ne désigne pas uniquement l’intégration des entreprises dans différents pays. Elle renvoie également à l’intégration des marchés eux-mêmes, rapprochant ainsi les acheteurs et les vendeurs de pays différents.

Vous avez déjà appris les concepts de base nécessaires à la compréhension de l’économie mondialisée :

  • Les échanges permettent de réaliser des gains réciproques, mais ils peuvent également être source de conflits sur la répartition des gains.
  • Les résultats pourraient ne pas être Pareto-efficaces (il se peut que des gains réciproques techniquement possibles ne soient pas réalisés).
  • La répartition résultante pourrait sembler injuste aux yeux de certains.
  • Des politiques publiques bien conçues peuvent améliorer l’efficacité ou l’équité des résultats.

Si cela est vrai pour tout ensemble d’échanges marchands, lorsque les biens, services, personnes et actifs financiers franchissent les frontières nationales, les États disposent également de pouvoirs et de politiques supplémentaires incluant :

  • La mise en place de tarifs douaniers : ces taxes sur les importations sont discriminatoires à l’encontre des biens produits dans d’autres pays.
  • Les politiques d’immigration : les pouvoirs publics régulent les déplacements des personnes entre les pays d’une manière qui serait impossible (ou inacceptable) au sein de la plupart des pays.
  • Les contrôles de capitaux : des limitations sont posées à la capacité des personnes ou des entreprises à déplacer des actifs financiers d’un pays à l’autre.
  • Les politiques monétaires : elles ont une incidence sur le taux de change et in fine sur les prix relatifs des biens importés et exportés.

Si les frontières nationales offrent aux gouvernements des instruments politiques supplémentaires, elles limitent également la portée de leurs actions. Au sein d’un pays, les pouvoirs publics parviennent généralement à protéger les droits de propriété là où ils existent et à faire exécuter des contrats. Parce qu’il n’existe pas de gouvernement mondial (et que les institutions internationales sont souvent faibles), il est souvent impossible de faire respecter des contrats et protéger des droits de propriété au niveau mondial.

Cela soulève des questions controversées quant à l’équité de la répartition des gains réciproques tirés de l’échange. Il arrive que les conflits d’intérêts coïncident avec les différences nationales entre les économies pauvres et riches. Il est alors tentant, quoique inexact comme nous le verrons un peu plus tard, d’envisager ces conflits comme « nous » dans l’économie domestique versus « eux » à l’étranger.

Dans cette unité, nous considérerons trois marchés devenus plus intégrés avec la mondialisation : les marchés internationaux des biens et services (commerce international), les marchés internationaux du travail (migration) et les marchés internationaux des capitaux (les flux internationaux de capitaux, qui sont des flux d’épargne et d’investissement).

18.1 Mondialisation et dé-mondialisation à long terme

commerce de marchandises
Commerce de produits tangibles qui traversent physiquement les frontières.

Le commerce de biens, parfois appelé commerce de marchandises, concerne les produits tangibles qui sont physiquement transportés à travers les frontières par la route, le train, l’eau ou les airs. Des échanges de cette nature ont lieu depuis des millénaires, bien que le type de biens échangés et les distances parcourues aient considérablement évolué au fil du temps. Le commerce de services est un phénomène plus récent, même s’il existe depuis plusieurs siècles. Les services qui sont le plus souvent échangés entre pays sont le tourisme, les services financiers et les conseils juridiques. De nombreux services échangés rendent le commerce de marchandises plus facile ou moins cher – par exemple, les services de transport, les assurances et les services financiers.

Le Royaume-Uni est devenu le fournisseur principal de ces services au 19e siècle, lorsque ce pays était l’économie industrialisée la plus avancée, une puissance navale et impériale majeure et la plus grande nation sur le plan commercial. Aujourd’hui, les pays exportent également des services éducatifs (par exemple, des gens viennent du monde entier pour étudier dans les universités américaines ou européennes), des services de consultance et des services médicaux. L’Inde est devenue un exportateur majeur de services liés aux logiciels informatiques. Par exemple, l’eBook du projet CORE a d’abord été développé à Bangalore. Nous allons étudier à la fois les exportations de services et celles de marchandises, puisque les mêmes principes peuvent nous aider à les comprendre.

Comment pouvons-nous mesurer l’étendue de la mondialisation des biens et services ? Une approche consisterait à simplement mesurer le volume des échanges d’un pays, d’une région ou du monde dans son ensemble, au cours du temps. Si une augmentation est observée, nous pouvons en conclure que le pays, la région, voire le monde sont de plus en mondialisés. Un indicateur courant de la mondialisation est l’évolution de la part des importations ou des exportations ou du commerce total (importations plus exportations) dans le PIB, ce qui permet de prendre en compte la croissance du PIB autant que celle du commerce.

La Figure 18.2 représente les exportations de marchandises (ce qui exclut les services) à l’échelle mondiale, exprimées comme une part du PIB mondial, entre 1820 et 2011. La part a augmenté d’un facteur 8 entre 1820 et 1913, de 1 % à 8 %. En 1950, cette part était plus faible (5,5 %), mais elle a crû rapidement pendant la période de prospérité de l’après-guerre. Elle a atteint 10,5 % en 1973, 17 % en 1998 et 26 % en 2011. À long terme, on distingue clairement que la tendance est à la hausse, avec une accélération importante depuis les années 1990. Cependant, cette tendance fut interrompue entre 1914 et 1945, période au cours de laquelle se déroulèrent les deux guerres mondiales et la Grande Dépression.

Exportations mondiales de marchandises en pourcentage du PIB mondial (1820–2011)
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Figure 18.2 Exportations mondiales de marchandises en pourcentage du PIB mondial (1820–2011).

(1) Appendix I in Angus Maddison. 1995. Monitoring the World Economy, 1820–1992. Washington, DC : Development Centre of the Organization for Economic Co-operation and Development; (2) Table F-5 in Angus Maddison. 2001. The World Economy: A Millennial Perspective (Development Centre Studies). Paris : Organization for Economic Co-operation and Development; (3) World Trade Organization. 2013. World Trade Report. Geneva: WTO ; (4) International Monetary Fund. 2014. World Economic Outlook Database: October 2014.

loi du prix unique
S’applique lorsqu’un bien est échangé au même prix au niveau de tous les acheteurs et vendeurs. Si le bien était vendu à des prix différents dans des lieux différents, un négociant pourrait l’acheter moins cher à un endroit et le revendre à un prix plus élevé dans un autre. Voir également : arbitrage.
écart de prix
Une différence entre le prix d’un bien dans le pays exportateur et son prix dans le pays importateur. Il intègre les coûts de transport et les taxes commerciales. Quand les marchés internationaux sont à l’équilibre concurrentiel, ces différences s’expliquent uniquement par les coûts d’échange. Voir également : arbitrage.

Une seconde méthode consiste à mesurer les coûts additionnels de l’exportation de biens par rapport à une vente sur le marché domestique. Lorsque le coût d’échange entre pays diminue, cela signifie, en termes économiques, que le monde a « rétréci », comme si les pays s’étaient rapprochés. Dans l’Unité 8, vous avez découvert Alfred Marshall et son modèle d’offre et de demande. Nous avions vu que la loi du prix unique se vérifie pour des marchés réunissant de nombreux acheteurs et vendeurs potentiels, où tous les biens sont identiques et où les acheteurs et vendeurs connaissent toutes les opportunités d’échange. Mais cela suppose que l’on puisse profiter de toutes ces opportunités d’échange sans coûts. Si, au contraire, les échanges entre deux marchés nationaux sont coûteux du fait du coût des transports, des tarifs douaniers ou d’autres facteurs, il n’y a alors aucune raison de supposer que les prix seront identiques entre les deux pays.

Considérons le marché d’un bien qui est produit dans (et exporté d’) un pays et consommé (et importé) dans un autre. Prenons l’exemple du Japon exportant des voitures aux États-Unis. Pour simplifier l’analyse, supposez qu’il n’y ait que ces deux pays dans le monde, que le Japon ne consomme pas de voitures et que les États-Unis ne produisent pas de voitures eux-mêmes. Cela signifie que tout ce qui est produit est échangé. La droite bleue de la Figure 18.3 représente la courbe d’offre au Japon : c’est une fonction croissante du prix au Japon. La droite rouge représente la courbe de demande aux États-Unis. C’est une fonction décroissante du prix dans ce pays.

Imaginez que t soit le coût d’expédition d’une automobile du Japon vers les États-Unis, en prenant en compte tous les coûts de transport, les taxes à l’échange, etc. Si le marché est concurrentiel, alors le coût total d’acquisition d’une voiture aux États-Unis sera le coût d’achat au Japon, plus le coût de l’échange t. t est une mesure de l’écart de prix entre les voitures au Japon et les voitures aux États-Unis. Suivez l’analyse de la Figure 18.3 pour voir comment les variations des coûts d’échange sont reflétées dans les écarts de prix.

Le marché des voitures : les écarts de prix reflètent les coûts d’échange.
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Figure 18.3 Le marché des voitures : les écarts de prix reflètent les coûts d’échange.

La courbe d’offre du pays exportateur
: La droite bleue représente la courbe d’offre dans le pays producteur (exportateur), qui est le Japon. C’est une fonction croissante du prix dans ce pays.
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La courbe d’offre du pays exportateur

La droite bleue représente la courbe d’offre dans le pays producteur (exportateur), qui est le Japon. C’est une fonction croissante du prix dans ce pays.

La courbe de demande du pays importateur
: La droite rouge représente la courbe de demande du pays consommateur (importateur), les États-Unis. C’est une fonction décroissante du prix dans ce pays.
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La courbe de demande du pays importateur

La droite rouge représente la courbe de demande du pays consommateur (importateur), les États-Unis. C’est une fonction décroissante du prix dans ce pays.

Marché concurrentiel
: Si le marché est concurrentiel, alors le prix d’une automobile aux États-Unis sera équivalent au coût d’achat au Japon, plus le coût d’échange t. Supposez que le coût de transport d’une unité de bien donné soit 4,5. Nous montrerons que 4 000 voitures seront produites.
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Marché concurrentiel

Si le marché est concurrentiel, alors le prix d’une automobile aux États-Unis sera équivalent au coût d’achat au Japon, plus le coût d’échange t. Supposez que le coût de transport d’une unité de bien donné soit 4,5. Nous montrerons que 4 000 voitures seront produites.

Pourquoi 4 000 ?
: Parce que, pour cette quantité, la différence entre la courbe d’offre et la courbe de demande est égale au coût d’échange, soit 4,5. Le coût marginal au Japon sera 2,75, tandis que les consommateurs aux États-Unis sont prêts à payer 7,25 par unité.
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Pourquoi 4 000 ?

Parce que, pour cette quantité, la différence entre la courbe d’offre et la courbe de demande est égale au coût d’échange, soit 4,5. Le coût marginal au Japon sera 2,75, tandis que les consommateurs aux États-Unis sont prêts à payer 7,25 par unité.

L’effet de la mondialisation
: Si nous envisageons la mondialisation comme un processus, cela signifie qu’un monde plus mondialisé est un monde dans lequel on observe une chute des coûts d’échange. Dans le graphique, cela est représenté par la baisse des coûts d’échange de t à t′.
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L’effet de la mondialisation

Si nous envisageons la mondialisation comme un processus, cela signifie qu’un monde plus mondialisé est un monde dans lequel on observe une chute des coûts d’échange. Dans le graphique, cela est représenté par la baisse des coûts d’échange de t à t′.

Réduction de l’écart des prix
: Comme on le voit, la baisse des coûts d’échange implique une réduction de l’écart des prix entre le prix d’importation et le prix d’exportation, ainsi qu’une augmentation de la quantité d’automobiles échangées, qui passe de 4 000 à 6 000.
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Réduction de l’écart des prix

Comme on le voit, la baisse des coûts d’échange implique une réduction de l’écart des prix entre le prix d’importation et le prix d’exportation, ainsi qu’une augmentation de la quantité d’automobiles échangées, qui passe de 4 000 à 6 000.

  • Lorsque les circonstances s’y prêtent, la mondialisation peut profiter à la fois aux producteurs exportateurs et aux consommateurs importateurs.
  • Ce résultat positif s’observe lorsqu’elle permet de les rapprocher, et cela mène à une hausse à la fois de l’offre d’exportations et de la demande d’importations.
arbitrage
La pratique consistant à acheter un bien à un bas prix sur un marché pour le revendre à un prix plus élevé sur un autre marché. Les traders font de l’arbitrage pour profiter des différences de prix du même bien entre deux pays ou régions. Ils réalisent un profit à condition que les coûts d’échange soient inférieurs à l’écart de prix. Voir également : écart de prix.

Le concept d’arbitrage explique pourquoi l’écart de prix devrait converger vers la somme de tous les coûts d’échange. En achetant à bas prix sur les marchés exportateurs et en vendant à un prix supérieur sur les marchés importateurs, les négociants peuvent faire un profit tant que l’écart de prix est supérieur aux coûts totaux d’échange. Lorsque les négociants réalisent des arbitrages de ce type, ils diminuent l’offre du bien sur le marché d’exportation, ce qui y augmente son prix, et ils augmentent l’offre du bien sur le marché d’importation, ce qui diminue son prix. Ces deux effets mènent à une baisse de l’écart de prix et se poursuivent jusqu’à ce que l’écart de prix soit égal au coût de l’échange, rendant tout nouvel arbitrage non rentable. Un écart de prix élevé caractérise un monde où le commerce est coûteux et la mondialisation limitée. Un écart de prix faible reflète, au contraire, une mondialisation plus marquée et un monde dans lequel le commerce est peu coûteux.

Cela signifie qu’il est possible d’analyser la mondialisation au moyen de données sur les prix :

  • La mondialisation devrait conduire à une baisse des prix des importations : toutefois, cette baisse – si elle existe – n’implique pas nécessairement un processus de mondialisation. La demande pour le bien pourrait simplement avoir diminué (ou l’offre pourrait avoir augmenté).
  • La mondialisation devrait également conduire à une hausse des prix des exportations : toutefois, cette hausse – si elle existe – n’implique pas nécessairement un processus de mondialisation. La demande pour le bien en question pourrait simplement avoir augmenté (ou l’offre pourrait avoir diminué).
  • Une réduction des écarts de prix entre les pays importateurs et exportateurs est un signe plus fiable qu’un processus de mondialisation est à l’œuvre : surtout si elle est accompagnée d’une augmentation du volume des échanges.

Par exemple, la Figure 18.4 illustre sans équivoque la baisse des coûts du commerce transatlantique au cours du 19e siècle. L’écart de prix du blé entre le Royaume-Uni et les États-Unis (exprimé en pourcentage) a connu d’importantes fluctuations avant 1840, autour d’une moyenne à peu près constante. Il a ensuite commencé à diminuer, au moment même où les coûts d’expédition se réduisaient, en raison de l’introduction de bateaux à vapeur capables d’effectuer des trajets sur une longue distance. L’écart de prix avait presque disparu en 1914, période à laquelle le volume de blé expédié par l’océan Atlantique a considérablement augmenté.

The Anglo-American wheat trade (1800–1914)
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Figure 18.4 Le commerce de blé entre Angleterre et États-Unis (1800–1914).

Figure 3 in Kevin H. O’Rourke and Jeffrey G. Williamson. 2005. ‘From Malthus to Ohlin: Trade, Industrialization and distribution since 1500’. Journal of Economic Growth 10 (1) (March) : pp. 5–34.

Le commerce transatlantique du blé n’est pas un exemple isolé. Les écarts de prix internationaux ont beaucoup diminué pour de nombreuses routes commerciales de nombreuses marchandises entre 1815 et 1914, la première ère de la mondialisation moderne.

La Figure 18.5 représente les écarts de prix « américano-anglais » (l’inverse de la Figure 18.4) pour un certain nombre de marchandises entre 1870 et 1913. Pour les biens agricoles tels que le blé et les produits d’origine animale, les prix britanniques étaient supérieurs aux prix américains. Sur le graphique, cela signifie que les écarts de prix indiquent, en pourcentage, à quel point les prix britanniques étaient supérieurs aux prix américains. Dans le cas des biens industriels comme les textiles de coton ou les barres de fer, les prix américains étaient supérieurs aux prix britanniques, donc les écarts de prix référencés indiquent en pourcentage à quel point les prix à Boston ou à Philadelphie dépassaient ceux de Manchester ou Londres. Dans presque tous les cas (sauf le sucre, qui est une exception notable), les écarts de prix ont diminué, ce qui indique que les marchés des biens de part et d’autre de l’Atlantique devenaient de plus en plus intégrés. Tout comme la baisse drastique du prix des céréales à Gênes après l’ouverture du canal de Suez, que nous avons évoquée dans l’introduction de cette unité, les écarts de prix entre les États-Unis et le Royaume-Uni se sont réduits au cours du temps grâce à une révolution dans le domaine des transports et aux améliorations des technologies agricoles et de production. C’est loin d’être un exemple isolé. Des données attestant d’une convergence similaire des prix existent pour les prix du coton entre Liverpool et Bombay, de la toile de jute entre Londres et Calcutta et du riz entre Londres et Rangoon.

Écarts de prix de marchandises entre les États-Unis et le Royaume-Uni (1870–1913)
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Figure 18.5 Écarts de prix de marchandises entre les États-Unis et le Royaume-Uni (1870–1913).

Tableau 2 in Kevin O’Rourke and Jeffrey G. Williamson. 1994. ‘Late Nineteenth-Century Anglo-American Factor-Price Convergence: Were Heckscher and Ohlin Right?’ The Journal of Economic History 54 (04) (December): pp. 892–916.

Les chemins de fer ont probablement joué un rôle encore plus important que les bateaux à vapeur dans l’intégration mondiale des marchés de marchandises. Sans eux, il aurait été déraisonnablement coûteux d’expédier des céréales et d’autres biens de et vers l’intérieur des continents et des ports situés sur les côtes. Si les écarts de prix ont diminué de façon moins importante à la fin du 19e siècle, cela tient souvent aux droits de douane (les taxes sur les importations) qui ont augmenté dans de nombreux pays pour des raisons que nous expliquerons plus tard, ce qui a contrebalancé les effets de la baisse des coûts de transport.

politique protectionniste
Mesures mises en place par un gouvernement pour limiter les échanges commerciaux ; en particulier, pour réduire la quantité d’importations dans l’économie. Ces mesures sont conçues pour protéger les industries locales de la concurrence extérieure. Elles peuvent prendre différentes formes, comme des taxes sur les biens importés ou des quotas sur les importations.
quota
Une limite imposée par le gouvernement sur le volume des importations pouvant entrer dans l’économie au cours d’une période donnée.

Les cargaisons transatlantiques de blé ont diminué après 1914 et les écarts de prix ont augmenté, ce qui semble indiquer une hausse des coûts d’échange et une « dé-mondialisation ». Les écarts de prix internationaux ont augmenté pendant l’entre-deux-guerres pour de nombreuses marchandises agricoles, car les gouvernements ont augmenté les droits de douane en réponse au chômage et à l’insécurité économique. Lorsqu’un pays met en place des mesures protectionnistes, il limite les échanges, en particulier pour réduire la quantité de biens importés au sein de l’économie. De telles mesures sont souvent prises pour protéger les industries domestiques face à la concurrence internationale (d’où le mot protectionnisme), mais cela signifie également que les consommateurs doivent payer plus cher les biens importés. Les mesures protectionnistes incluent les taxes qui augmentent le prix domestique des importations (droits de douane) et des restrictions sur la quantité de biens importés (quotas).

La période post-1945 fut caractérisée par une « re-mondialisation », d’abord lente, puis de plus en plus rapide, notamment après 1990. Les marchés agricoles ont été largement protégés pendant une grande partie de cette période, il n’y a donc pas de raison de croire que les écarts de prix des marchandises agricoles aient diminué de façon importante. Les marchés de biens industriels, au contraire, ont été libéralisés, et plusieurs études ont mis en évidence une baisse des écarts de prix internationaux à la fin du 20e siècle.

Les économistes ont mesuré les coûts d’échange de façon indirecte, en observant le commerce entre des paires de pays. Cela révèle l’évolution à long terme des barrières au commerce, en distinguant ce qui relève des effets de distance entre les pays et ce qui relève des politiques nationales de ces pays. Si l’on constate par exemple que le commerce entre l’Allemagne et la France a crû d’année en année, mais qu’il est resté stable entre chacun de ces deux pays et leurs autres partenaires commerciaux sur la même période, alors nous pouvons interpréter cela comme une mesure indirecte de la baisse des coûts d’échange pour cette paire de pays.

En additionnant les coûts d’échange annuels de toutes les principales économies, nous obtenons un indicateur du processus de mondialisation. C’est ce que font les Figures 18.6 et 18.7 pour la période allant de 1870 à 2000.

Les obstacles au commerce (1870–2000)
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Figure 18.6 Les obstacles au commerce (1870–2000).

David S. Jacks, Christopher M. Meissner and Dennis Novy. 2011. ‘Trade Booms, Trade Busts, and Trade Costs’. Journal of International Economics 83 (2) (March) : pp. 185–201. Note : Presented as an index, with 1870 = 1.

Les coûts d’échange ont chuté fortement entre 1870 et 1913, sous l’effet de la baisse des coûts de transport et de la réduction des tarifs douaniers. Les coûts d’échange ont ensuite augmenté de nouveau durant l’entre-deux-guerres en raison de la hausse des tarifs douaniers. Ce fut particulièrement notable au début de la Grande Dépression de 1929 : chaque pays tentait de résoudre ses problèmes de chômage en décourageant les importations.

À partir de 1970, les coûts d’échange ont recommencé à baisser à l’échelle mondiale, à la fois parce que les pays ont re-libéralisé le commerce et que les technologies de transport se sont améliorées. Les tarifs douaniers sont généralement plus élevés dans les pays à bas revenu que dans les pays riches, notamment parce que d’autres sources de recettes publiques, telles que l’impôt sur le revenu, sont compliquées à mettre en place dans un pays en développement. Cependant, comme le montre la Figure 18.7, la plupart des pays ont réduit leurs droits de douane au cours des dernières décennies.

Mondialisation I et II
Deux périodes distinctes de l’intensification de l’intégration de l’économie mondiale : la première s’étend des années antérieures à 1870 jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914 et la seconde s’étend de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au 21e siècle en cours. Voir également : mondialisation.

Les données sur les prix indiquent donc d’importantes ruptures dans l’intégration du marché des marchandises au cours des 150 dernières années. L’intégration du 19e siècle fut brièvement interrompue, avant d’être suivie par une réintégration après la Seconde Guerre mondiale. Ces deux périodes d’intégration sont appelées la Mondialisation I et II.

Moyenne des tarifs douaniers, en pourcentage (1981–2010)
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Figure 18.7 Moyenne des tarifs douaniers, en pourcentage (1981–2010).

The World Bank. 2011. Data on Trade and Import Barriers. Remarque : moyenne mobile centrée sur trois ans.

Exercice 18.1 Des écarts de prix qui ont baissé ou non

La Figure 18.5 montre l’évolution dans le temps des écarts de prix entre les États-Unis et le Royaume-Uni pour plusieurs marchandises. Selon vous, pour quelle raison les écarts de prix de la viande et des graisses animales (comme le beurre) n’ont commencé à chuter qu’à partir de 1895 ? Proposez une explication pour les écarts de prix plus faibles et la chute plus rapide pour le cuivre comparativement aux barres de fer. Qu’est-ce qui pourrait expliquer la hausse de l’écart de prix pour le sucre ?

Exercice 18.2 En savoir plus sur les tarifs douaniers

Téléchargez la base de données de la Banque mondiale, « Trends in average MFN applied tariff rates in developing and industrial countries, 1981–2010 », en accédant à ce site Web de la Banque mondiale et en cliquant sur « EXCEL » (répertorié sous l’onglet Téléchargement à droite). Ces données ont été utilisées pour produire la Figure 18.7.

  1. Choisissez un pays pour chaque catégorie de revenu (élevé, faible, inférieur moyen, supérieur moyen) et représentez l’évolution des tarifs douaniers dans ces quatre pays. Décrivez les évolutions des tarifs de votre échantillon de pays sur la période.
  2. Les données empiriques d’autres études indiquent qu’en moyenne, les tarifs douaniers sont plus élevés dans les pays à faible revenu que dans les pays riches, mais que la plupart des pays ont réduit substantiellement leurs tarifs douaniers au cours des dernières décennies. Est-ce que vos graphiques valident (ou invalident) ces constats ? Proposez une explication pour certaines des différences observées entre vos pays, le cas échéant. (Pour y réfléchir, commencez par regarder si les pays considérés ont ratifié des accords commerciaux comme le GATT/OMC ou l’Union Européenne, et aussi s’ils ont fait l’objet d’un programme d’ajustement structurel du FMI.)

Question 18.1 Choisissez la ou les bonnes réponses

La Figure 18.3 représente la courbe d’offre du pays exportateur et la courbe de demande du pays importateur dans un marché pour un bien échangé. Supposez que le bien soit produit exclusivement dans le pays exportateur et consommé exclusivement par le pays importateur.

Sur la base de ces informations, laquelle de ces affirmations est correcte ?

  • Pour une quantité de 4 000, le producteur reçoit un prix égal à 7,25.
  • Pour une quantité de 6 000, le consommateur paye 4.
  • L’écart des prix correspond aux coûts de l’échange, notamment les coûts de transport et les taxes à l’échange.
  • La hausse des quantités à 6 000 fait diminuer l’écart des prix à 2.
  • Le producteur reçoit un prix égal au prix payé par le consommateur moins les coûts à l’échange. Pour une quantité de 4 000, cela correspond à 2,75.
  • Pour une quantité de 6 000, les consommateurs payent 6.
  • En raison de l’arbitrage, l’écart des prix doit être égal aux coûts de l’échange.
  • La causalité va dans le sens inverse. Lorsque les coûts de l’échange sont de 2, 6 000 unités sont vendues.

Question 18.2 Choisissez la ou les bonnes réponses

La Figure 18.6 est le graphique d’un indice qui représente les coûts d’échange. Un indice plus élevé correspond à des coûts d’échange plus élevé et donc à moins de mondialisation. Sur la base de ces informations, lesquelles de ces affirmations sont correctes ?

  • Le graphique suggère une baisse constante des coûts de l’échange depuis 1870.
  • Les politiques mises en place pour contrer le chômage croissant après la Grande Dépression de 1929 semblent avoir freiné la mondialisation.
  • Les données ne suggèrent pas que la mondialisation aurait accéléré suivant la Seconde Guerre mondiale.
  • Le graphique indique que l’intégration du marché des marchandises a connu des ruptures au cours des 150 dernières années.
  • Les coûts de l’échange semblent avoir augmenté pendant une période de l’entre-deux-guerres.
  • Après 1929, les pays tentèrent de protéger leurs économies en imposant des tarifs douaniers.
  • On peut observer une tendance à la baisse de l’indice des barrières à l’échange après la Seconde Guerre mondiale.
  • On peut observer une tendance à la baisse générale des coûts de l’échange, à l’exception de la période d’entre-deux-guerres.

18.2 Mondialisation et investissement

Comme sur les marchés des biens, les marchés internationaux de capitaux ont connnu une tendance similaire à la mondialisation au cours du 19e siècle, suivie par une brève période de « dé-mondialisation » pendant l’entre-deux-guerres, puis une « re-mondialisation » à la fin du 20e siècle.

Si les pays vivaient en autarcie, ils devraient financer leurs investissements en utilisant leur propre épargne. Si cela était le cas, ils ne pourraient pas dépenser plus que ce qu’ils ont gagné au cours d’une année et tout leur revenu devrait être dépensé dans l’économie domestique. La dépense domestique devrait être égale au revenu domestique. Dans les faits, nous observons, entre les pays, des activités de prêt et d’emprunt entre les individus, les institutions financières, les entreprises et les États. Pour simplifier le propos, considérons les pays qui prêtent ou empruntent à d’autres pays, en gardant à l’esprit le fait que ces pays ne sont pas des acteurs eux-mêmes, mais sont composés de nombreuses personnes, entreprises et institutions. Un pays peut dépenser plus que ce qu’il gagne en empruntant à l’étranger. De même, un pays peut décider de ne pas utiliser son épargne pour financer des investissements domestiques, afin de la prêter à l’étranger et obtenir un rendement sur ces prêts à l’étranger. Dans ce cas, son épargne sera supérieure à son investissement domestique, ou de façon équivalente, ses revenus seront supérieurs à ses dépenses.

Balance des paiements (BP)

Elle enregistre toutes les transactions de paiement entre le pays domestique et le reste du monde. Elle est divisée en deux parties : la balance courante et le compte de capital et financier.

Si la balance courante est excédentaire, il y a une entrée de devises étrangères, qui est utilisée soit pour acheter des actifs internationaux comme des usines (IDE) ou des actifs financiers (que l’on va comptabiliser en tant que sortie nette de capitaux privés) ou cela s’ajoute aux réserves de devises étrangères du pays domestique. En conséquence, la richesse nationale augmente. C’est tout l’inverse en cas de balance courante déficitaire.

balance des paiements (BP)
Cela comptabilise les entrées et sorties de devises étrangères. La balance des paiements enregistre toutes les transactions financières entre le pays d’origine et le reste du monde et est divisée en deux parties : la balance courante et le compte de capital et financier. Connu également sous le terme : compte de la balance des paiements.

Nous utilisons les comptes de la balance des paiements pour identifier les prêts et les emprunts réalisés auprès d’autres pays. Il nous faut avant toute chose expliquer en quoi le fait de prêter et d’emprunter à l’extérieur du pays se rattache au commerce international des biens et services. Cela tient au fait que les importations constituent des paiements de la part de l’économie domestique vers le reste du monde, et que réciproquement les exportations représentent les paiements effectués par le reste du monde en direction de l’économie domestique. La balance des paiements est un document qui enregistre les entrées et les sorties de devises étrangères. Si ce récapitulatif des transactions était complet, le solde serait nul, car l’origine et l’utilisation de chaque dollar franchissant une frontière internationale seraient prises en compte (en réalité, une ligne appelée « erreurs et omissions » est ajoutée en bas de la balance des paiements pour que le total soit effectivement de zéro).

Pour mieux comprendre le fonctionnement de la balance des paiements, prenons d’abord l’exemple d’une économie dont les seuls paiements internationaux résultent du commerce. Si le pays domestique importe davantage qu’il n’exporte, alors ses résidents effectuent plus de paiements vers l’international qu’ils n’en reçoivent. Par exemple, un pays qui achète une plus grande valeur d’importations des États-Unis qu’il ne reçoit en vendant ses exportations aux États-Unis se trouve dans la nécessité de se procurer des dollars (en empruntant auprès des États-Unis ou d’autres pays) afin de couvrir la différence.

Inversement, si le pays domestique exporte plus qu’il n’importe, alors ses résidents doivent prêter à leurs partenaires commerciaux pour que ceux-ci puissent payer les exportations. Ces prêts constituent une sortie de devises étrangères pour l’économie domestique et une entrée de devises étrangères pour ses partenaires commerciaux.

Ainsi, un déficit commercial impliquera que le pays emprunte, tandis qu’un excédent commercial signifie qu’il prête (ce qui revient à épargner, comme nous l’avons vu dans l’Unité 10).

investissement de portefeuille à l’étranger
L’acquisition d’obligations ou d’actions dans un pays étranger où la détention d’actifs étrangers n’est pas assez importante pour donner au propriétaire un droit de contrôle important sur l’entité détenue. L’investissement direct à l’étranger (IDE) implique par contre la propriété et un contrôle important sur les actifs détenus. Voir également : investissement direct à l’étranger.
investissement direct à l’étranger (IDE)
Propriété et contrôle important d’actifs dans un pays étranger. Voir également : investissement de portefeuille à l’étranger.

D’autres raisons encore motivent les résidents d’un pays à effectuer des paiements vers des personnes à l’étranger. La plus importante d’entre elles est l’achat d’actifs dans un autre pays. Si une entreprise américaine achète des parts d’une entreprise implantée en Chine, elle réalise un paiement pour un actif chinois. Cela implique bien un paiement des États-Unis vers la Chine. Il s’agit d’une sortie de devises étrangères qualifiée d’investissement de portefeuille à l’étranger. De même, si une entreprise américaine achète une usine en Chine, il s’agit d’une sortie de devises étrangères qualifiée d’investissement direct à l’étranger (IDE).

envoi de fonds des travailleurs
Argent envoyé par les travailleurs étrangers à leurs familles dans leur pays d’origine. Dans les pays qui envoient ou accueillent un grand nombre de travailleurs migrants, cela représente un important flux de capitaux internationaux.

Néanmoins, au cours des années suivantes, l’entreprise américaine recevra des dividendes issus de ses investissements de portefeuille ou bien des profits générés par ses investissements directs, qui seront renvoyés (rapatriés) vers l’entreprise américaine. Ces profits rapatriés sont des paiements de la Chine aux États-Unis. Ils sont comptés comme entrées de devises étrangères dans la balance des paiements américaine.

D’autres paiements internationaux importants incluent l’argent envoyé par les travailleurs migrants à leur famille (ce sont les envois de fonds des travailleurs) et les flux d’aide publique au développement, principalement des pays riches vers les pauvres.

Balance courante (BC)

C’est la somme de tous les paiements versés à un pays, à laquelle on retranche la somme des paiements effectués par ce pays :

Comme elle inclut tous les paiements internationaux, la balance courante nous dit également directement si un pays est prêteur ou emprunteur :

  • BC déficitaire : dans ce cas, le pays est en situation d’emprunteur, de façon à couvrir son excès de dépenses vis-à-vis du reste du monde.
  • BC excédentaire : dans ce cas, le pays est en situation de prêteur (ou d’épargnant) pour permettre à d’autres pays de lui envoyer leur propre excès de dépenses.
balance courante (BC)
La somme de tous les paiements versés à un pays, à laquelle on retranche la somme des paiements effectués par ce pays. Voir également : déficit de la balance courante, excédent de la balance courante.

Toutes ces paiements internationaux sont comptabilisés dans la balance des paiements. On appelle balance courante (BC) la valeur nette de ces paiements – donc la BC correspond à la différence entre la somme de tous les paiements versés à un pays et le total des paiements effectués par le pays. Il est possible pour un pays d’avoir à la fois un déficit commercial (il importe plus qu’il n’exporte) et une balance courante excédentaire s’il reçoit un revenu plus que suffisant de ses investissements étrangers, des envois de fonds des travailleurs ou de l’aide étrangère pour payer la différence. Dans ce cas, le pays n’a pas besoin d’emprunter. Pour simplifier, nous ignorons les envois de fonds des travailleurs et l’aide internationale, et nous supposons que la balance courante est égale aux exportations (X) moins les importations (M) plus les revenus nets tirés des actifs possédés à l’étranger.

déficit de la balance courante
La valeur en excès des importations d’un pays par rapport à la valeur totale de ses exportations et des revenus nets tirés des actifs possédés à l’étranger. Voir également : balance courante, excédent de la balance courante.
excédent de la balance courante
La valeur en excès du total des exportations et des revenus nets tirés des actifs possédés à l’étranger d’un pays par rapport à la valeur de ses importations. Voir également : balance courante, déficit de la balance courante.
flux nets de capitaux
Les activités d’emprunt et de prêt comptabilisées par la balance courante. Voir également : balance courante, déficit de la balance courante, excédent de la balance courante.

Les mouvements de prêt et d’emprunt enregistrés dans la balance courante sont qualifiés de flux nets de capitaux. Dans ce contexte, le capital correspond à l’argent prêté et emprunté, et non pas à des biens d’équipement. Un pays emprunteur (avec une BC déficitaire) reçoit des flux nets de capitaux – il emprunte des liquidités afin de couvrir son déficit courant. Bien sûr, il faudra rembourser cet argent dans le futur, c’est pourquoi ces afflux de capitaux représentent aussi une dette extérieure croissante pour le pays. Néanmoins, si cet argent emprunté est utilisé à des fins d’investissements productifs, les investissements peuvent aider à générer le revenu permettant de rembourser la dette. Ainsi, lorsqu’un pays souhaite investir plus que ne le permet son épargne, emprunter à l’étranger constitue un moyen de financer les investissements supplémentaires.

Historiquement, l’intensification du commerce a eu tendance à créer de plus grands déséquilibres pour les balances courantes. En effet, quand les pays échangent davantage entre eux, ils ont également tendance à emprunter et à prêter davantage. La mesure indiquée par la Figure 18.8 porte sur la somme des valeurs absolues des soldes des balances courantes de 15 pays de 1870 à 2014. Nous additionnons la valeur absolue des balances courantes pour rendre compte à la fois des emprunts et des prêts entre pays.

Flux des capitaux internationaux (1870–2014)
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Figure 18.8 Flux des capitaux internationaux (1870–2014).

(1) Figure 2.2 from Maurice Obstfeld and Alan M. Taylor. 2005. Global Capital Markets: Integration, Crisis, and Growth (Japan–US Center UFJ Bank Monographs on International Financial Markets). Cambridge : Cambridge University Press ; (2) International Monetary Fund. 2014. World Economic Outlook Database: October 2014. Remarque : le graphique représente la moyenne de la valeur absolue des soldes des balances courantes (en % du PIB) de 15 pays par tranches de 5 ans (de 1870–1874 à 2010–2014). Les pays de l’échantillon sont l’Argentine, l’Australie, le Canada, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne, la Suède, le Royaume-Uni et les États-Unis. Les donnés pour 2014 sont des estimations du FMI.

Comme pour le commerce des marchandises (Figure 18.6), le volume des flux de capitaux de la Figure 18.8 reflète un processus de mondialisation interrompue. À la fin du 19e siècle, on constate des flux massifs de capitaux provenant des pays du nord-ouest de l’Europe ayant une BC excédentaire – il s’agit surtout du Royaume-Uni, mais également de la France et de l’Allemagne – et qui ont financé des investissements ferroviaires et des infrastructures dans des pays comme l’Argentine, l’Australie, le Canada et les États-Unis. Ces pays détenaient tous des ressources naturelles abondantes et sous-exploitées, notamment des terres. Il leur fallait donc à la fois construire des voies de chemin de fer pour exploiter ces ressources et y installer des migrants. En Europe, les pays qui ont réussi à attirer des investissements étrangers à cette période, comme la Russie et la Suède, disposaient également de ressources relativement abondantes. Ces investissements ont eu un rendement élevé puisqu’ils ont augmenté la capacité productive des pays emprunteurs qui ont ainsi pu rembourser les prêts à des taux d’intérêt déterminés par leur hausse de revenu.

Dans l’entre-deux-guerres, ces flux de capitaux ont diminué brutalement – surtout après le début de la Grande Dépression en 1929, qui a conduit de nombreux pays à imposer des limitations strictes aux mouvements de capitaux de part et d’autre des frontières. En conséquence, les déficits et excédents de la balance courante des pays devaient être maintenus à un niveau relativement faible – ces limitations ont empêché les flux de capitaux qui auraient été nécessaires pour financer les déficits importants des BC. Contrairement au commerce international, dont la croissance a repris peu après la Seconde Guerre mondiale, les contrôles de capitaux ont perduré sur une plus longue période et n’ont été assouplis qu’à partir des années 1970 et 1980. Depuis, les flux de capitaux ont très fortement augmenté, même s’ils n’ont pas encore atteint leur niveau vertigineux du début du 20e siècle.

La Figure 18.9 illustre l’évolution de la détention d’actifs internationaux au cours du 20e siècle. Elle prend une forme en U. Les pays riches, qui dominaient en matière de prêts internationaux, avaient un ratio actifs étrangers sur PIB élevé au début du siècle jusqu’à l’effondrement dans les années 1930. Après 1945, New York dépassa Londres pour devenir la place financière mondiale et c’est ainsi que les États-Unis ont éclipsé le Royaume-Uni en devenant le premier pays détenteur d’actifs internationaux.

Détention d’actifs internationaux (1900–2014)
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Figure 18.9 Détention d’actifs internationaux (1900–2014).

(1) Figure 2.2 from Maurice Obstfeld and Alan M. Taylor. 2005. Global Capital Markets: Integration, Crisis, and Growth (Japan-US Center UFJ Bank Monographs on International Financial Markets). Cambridge : Cambridge University Press ; (2) Lane, Philip R., and Gian-Maria Milesi-Ferretti. 2007.‘Europe and Global Imbalances’. IMF Working Papers 07 (144). La série montre le ratio des actifs internationaux sur PIB pour l’échantillon de pays chaque année.

Pour mesurer les écarts de prix sur les marchés de capitaux internationaux, il faut disposer des prix d’actifs financiers identiques dans différents pays. Lorsque les chercheurs ont réussi à identifier de tels prix, ils ont mis en évidence une mondialisation significative des flux de capitaux à la fin du 19e siècle.

Pour une grande partie du 19e siècle, lorsqu’un aspirant arbitragiste basé à New-York (ou Londres) souhaitait tirer parti d’un écart de prix entre New-York et Londres, la vitesse de circulation de l’information limitait ses possibilités (nous avons vu dans l’Unité 1 l’évolution de la vitesse de circulation de l’information au cours des 1 000 dernières années). Les informations relatives aux écarts de prix étaient diffusées via les bateaux traversant l’Atlantique. Avant que l’arbitragiste ne prenne connaissance des informations, celles-ci étaient déjà obsolètes depuis plusieurs jours. Pour agir en fonction de cette information, l’arbitragiste devait envoyer des instructions écrites à un agent basé dans une autre ville pour qu’il achète ou vende. Ces instructions voyageaient par bateau également. Ainsi, pour qu’il y ait de la spéculation, un écart de prix important était nécessaire, car les prix pouvaient avoir changé avant que les ordres d’achat ou de vente n’aient traversé l’Atlantique.

En 1866, les investisseurs à Londres et New-York (ainsi que leurs agents) ont pu, pour la première fois, communiquer entre eux le même jour. Pour ce faire, ils ont utilisé le premier câble télégraphique transatlantique allant de l’Irlande à Terre-Neuve (au Canada). Une fois le câble installé, les investisseurs pouvaient réagir immédiatement lorsqu’ils recevaient des informations concernant une opportunité d’arbitrage et les écarts de prix s’effondraient immédiatement.

Dans la plupart des pays, la majorité des investissements est réalisée par les résidents et les entreprises. Un aspect essentiel de la mondialisation concerne les investissements directs à l’étranger (IDE) évoqués plus haut et réalisés par les entreprises à l’étranger, y compris dans des filiales. Ils ont pour but d’exercer un contrôle sur l’utilisation des ressources au sein de l’entreprise étrangère. En cela, les IDE sont à distinguer d’une utilisation de l’épargne visant à acquérir des obligations à l’étranger ou des participations dans des entreprises étrangères (investissements de portefeuille).

La Figure 18.10 montre la destination des investissements des entreprises américaines lorsqu’elles ont investi dans d’autres entreprises à l’étranger entre 2001 et 2012. De façon surprenante, lorsque les entreprises américaines ont décidé de produire hors des États-Unis, elles se sont majoritairement orientées vers l’Europe, principalement dans des pays où les salaires étaient plus élevés qu’aux États-Unis. Les Pays-Bas, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont à eux seuls reçu plus d’investissements américains que l’Asie et l’Afrique réunies. De ce point de vue, la localisation des usines Ford dans le monde indiquée dans la Figure 18.1 est atypique, puisque Ford a bien plus de salariés en Chine, au Brésil, en Thaïlande et en Afrique du Sud qu’en Allemagne, au Royaume-Uni, au Canada, en Belgique et en France.

Investissement direct à l’étranger : les investissements des entreprises américaines dans d’autres pays en fonction du niveau des salaires par rapport aux États-Unis (2001–2012)
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Figure 18.10 Investissement direct à l’étranger : les investissements des entreprises américaines dans d’autres pays en fonction du niveau des salaires par rapport aux États-Unis (2001–2012).

United Nations Conference on Trade and Development. 2014. Bilateral FDI Statistics. Note : les données concernent les flux d’IDE américains. Les pays identifiés comme ayant des salaires manufacturiers supérieurs à ceux des États-Unis sont les pays dans lesquels, selon le Département du Travail des États-Unis (US BLS International Labor Comparisons), la moyenne du salaire horaire dans le secteur manufacturier sur la période 2005–2009 est supérieure à la moyenne américaine observée sur la même période.

Exercice 18.3 Flux internationaux de capital : est-ce que le capital circule des pays plus riches aux pays plus pauvres ?

  1. Dans les dernières décennies, la Chine a connu une période de développement rapide. En utilisant les données de FRED, tracez l’évolution de la balance courante chinoise sur la période 1998–2012 et décrivez son évolution depuis la fin des années 1990 (Indice : cherchez « total current account balance for China »). Précisez s’il s’agit d’un déficit ou d’un excédent de la balance courante.
  2. Sur le même graphique, représentez graphiquement la balance courante américaine et comparez-la avec la balance courante chinoise (vous trouverez les données concernant les États-Unis sur FRED en tapant « total current account balance for United States »).
  3. Qu’est-ce que votre graphique suggère s’agissant des flux de capitaux entre les pays plus riches et plus pauvres ? Lisez l’article ‘The paradox of capital’ de 2007 de Eswar Prasad, Raghuram Rajan et Arvind Subramanian, économistes au FMI. Expliquez ce que veut dire « capital flowing uphill » (déplacement à contresens des capitaux) et s’il s’agit ou non d’un paradoxe.
  4. Regardez la Figure 18.8 et notez que les flux internationaux de capitaux (mesurés à partir de la moyenne de la valeur absolue des soldes des balances courantes des pays, en proportion du PIB) atteignent des niveaux similaires au début du 21e siècle et à la fin du 19e siècle. À partir de la discussion des flux de capitaux dans cette section et dans l’article de la question 3, peut-on dire qu’il y avait un déplacement à contresens des capitaux durant la Mondialisation I ou II ? Expliquez votre réponse.

Question 18.3 Choisissez la ou les bonnes réponses

Laquelle des affirmations suivantes concernant la balance courante est correcte, ceteris paribus ?

  • Une hausse de l’excédent commercial d’un pays entraînerait une baisse de sa balance courante.
  • Un pays avec une balance commerciale nulle mais avec un niveau historiquement élevé des investissements directs à l’étranger aurait toujours une balance courante déficitaire.
  • Une hausse des envois de fonds réalisés par des travailleurs expatriés entraînerait une baisse de la balance courante dans leur pays d’origine.
  • Une hausse des montants d’aide publique envoyés à d’autres pays diminue la balance courante.
  • Une hausse de l’excédent commercial indique un écart exportations-importations plus grand. Le pays recevrait alors plus de paiements internationaux, ce qui entraînerait une hausse de sa balance courante.
  • Un pays avec un niveau historiquement élevé des investissements directs à l’étranger devrait recevoir des dividendes importants sur ses investissements. Étant donnée la balance commerciale nulle, quand les gains nets des investissements sont positifs, la balance courante devrait être excédentaire.
  • L’argent que les travailleurs expatriés envoient à leurs familles restées au pays augmenterait la balance courante du pays d’origine.
  • L’aide publique envoyée à l’étranger a pour effet direct de réduire la balance courante d’un pays. Cependant, sur le long terme, elle peut aider à stimuler de nouveaux marchés d’exportations.

18.3 Mondialisation et migration

À la fin du 19e siècle, la baisse des coûts de transport et l’augmentation des salaires ont permis à des millions de personnes de faire le voyage vers les États-Unis. Depuis, la migration des travailleurs est probablement la dimension de la mondialisation dans laquelle l’intégration économique mondiale a le moins progressé. En effet, les entrées et sorties de travailleurs dans certains pays sont plus limitées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient en 1913. La Figure 18.11 représente l’immigration vers les États-Unis en pourcentage de l’augmentation de la population américaine. Entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle, les immigrés représentaient plus de la moitié de l’augmentation de la population américaine. Leur nombre dépassait le solde naturel (c’est-à-dire la différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès). Des législations restrictives ont limité l’immigration durant l’entre-deux-guerres. Bien que la contribution des immigrés à la croissance de la population ait de nouveau augmenté depuis la Seconde Guerre mondiale, elle n’a jamais atteint les niveaux d’avant 1914. Les faibles niveaux du milieu des années 1940 aux années 1970 peuvent également être en partie expliqués par le taux de natalité relativement élevé aux États-Unis à cette période.

Immigration aux États-Unis en pourcentage de la croissance de la population américaine (1820–1998)
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Figure 18.11 Immigration aux États-Unis en pourcentage de la croissance de la population américaine (1820–1998).

Susan B. Carter, Michael R. Haines, Richard Sutch, and Scott Sigmund Gartner (editors). 2006. Historical Statistics of the United States : Earliest Times to the Present. New York : Cambridge University Press.

Il existait relativement peu d’obstacles institutionnels à l’immigration à la fin du 19e siècle. Aujourd’hui, sans les documents administratifs requis, il est possible de renvoyer les migrants vers leur pays d’origine, voire de les emprisonner dans certains cas. Lorsque l’Europe a connu sa période d’essor démographique, caractérisée par une baisse brutale du taux de mortalité et une baisse similaire, mais décalée dans le temps, du taux de natalité, elle a pu envoyer son surplus de population vers ce que l’explorateur du 15e siècle Amerigo Vespucci avait appelé le « Nouveau Monde » en Amérique. Aujourd’hui, les pays en développement n’ont pas autant de chance. Les barrières à l’immigration étaient déjà en place à la fin du 19e siècle, mais elles sont devenues bien plus strictes pendant et après la Première Guerre mondiale, et les pays riches les ont maintenues ainsi depuis.

En conséquence, la circulation des biens et de la finance entre les pays est plus simple et de plus grande ampleur que la circulation des personnes. Il est bien plus simple d’envoyer votre argent ou vos biens dans un pays lointain que d’y aller vous-même. Il vous faudra peut-être y apprendre une nouvelle langue ou une culture, sans compter qu’il faudra laisser derrière vous votre famille et communauté. C’est une des raisons pour lesquelles, pour le facteur travail, la réduction des écarts de prix est limitée, contrairement à ce que l’on observe pour les biens, comme nous l’avons vu plus haut. Les salaires dans les différents pays du monde n’ont donc pas tendance à converger.

La Figure 18.12 montre l’évolution des salaires payés aux travailleurs du secteur manufacturier, rapportés aux salaires payés aux travailleurs du secteur manufacturier américain. Il indique, par exemple, qu’à la fin des années 1970, le salaire des travailleurs finlandais équivalait à 80 % du salaire reçu par les travailleurs américains, mais en 2012, leur salaire était supérieur de plus de 20 %.

Salaires du secteur manufacturier par rapport aux États-Unis (1975–1979 et 2012)
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Figure 18.12 Salaires du secteur manufacturier par rapport aux États-Unis (1975–1979 et 2012).

US Bureau of Labor Statistics. 2015. International Labor Comparisons. Remarque : (1) Les données portent sur les coûts horaires d’indemnisation dans le secteur manufacturier, qui incluent la rémunération horaire directe totale (avant impôt), les cotisations sociales payées par l’employeur et les impôts sur les revenus du travail. Les monnaies nationales locales sont converties en dollars selon la moyenne du taux de change quotidien pour l’année de référence. (2) Le graphique du Sri Lanka utilise les données de 2008, qui sont les plus récentes disponibles.

Trois enseignements peuvent être tirés de la Figure 18.12 :

  • Comme la France, de nombreux autres pays européens ont rattrapé les salaires américains du secteur manufacturier, les dépassant parfois de plus de 40 % (Norvège et Suède).
  • Les salaires de la Corée du Sud et du Japon ont rapidement convergé vers les salaires américains.
  • De nombreux pays à faibles salaires (comme le Sri Lanka) sont restés loin derrière les États-Unis, certains ont même accentué leur retard (Mexique).

En somme, l’intégration de l’économie mondiale a considérablement progressé au 19e siècle. Cela s’est traduit par une hausse des volumes échangés, une réduction corollaire des écarts de prix, ainsi que la circulation du capital. Une brève période de « dé-mondialisation » a ensuite eu lieu au moment de la Grande Dépression et de la Seconde Guerre mondiale, avant une nouvelle période de mondialisation, particulièrement depuis les années 1990. Ces trois vagues de mondialisation, « dé-mondialisation » et de « re-mondialisation » sont équivalentes à celles de la Figure 18.4.

Les coûts d’échange et les barrières à la mobilité du capital et du travail ont diminué au cours du 19e siècle, en grande partie grâce aux nouvelles technologies de transport à vapeur. Ils ont augmenté à nouveau durant l’entre-deux-guerres, principalement du fait de l’intervention de l’État – taxes et autres barrières commerciales, contrôle des capitaux et restriction de l’immigration – avant de diminuer de nouveau à la fin du 20e siècle, à la suite de politiques plus libérales et grâce au progrès technique. Cependant, les frontières nationales demeurent des barrières importantes à l’intégration mondiale des marchés du travail.

Question 18.4 Choisissez la ou les bonnes réponses

La Figure 18.11 représente le niveau d’immigration vers les États-Unis en pourcentage de l’augmentation de la population américaine.

Sur la base de ces informations, laquelle des affirmations suivantes est correcte ?

  • Dans la décennie précédant la Première Guerre mondiale, le nombre d’immigrants était plus élevé que le nombre de naissances moins le nombre de décès.
  • Les guerres diminuent de façon permanente le niveau de migration.
  • Comme pour le commerce de marchandises et les flux de capitaux, les données suggèrent une tendance régulière à la « re-mondialisation » depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
  • La tendance du graphique suggère qu’avec la forte migration au cours des 150 dernières années, les salaires dans différents pays dans le monde devraient maintenant être similaires.
  • Puisque l’immigration représentait plus de la moitié de l’augmentation de la population américaine, le nombre de nouveaux immigrants devait être plus élevé que la différence entre le nombre de naissances et de décès.
  • Le niveau d’immigration augmenta rapidement pendant une courte période après la Première Guerre mondiale. Même si cela n’était pas le cas, rappelez-vous qu’il faut rester prudent avant de tirer une relation de causalité d’une série temporelle comme celle-ci — de nombreux autres facteurs ont une influence sur le niveau d’immigration.
  • Depuis la loi de 1923 restreignant l’immigration, son niveau n’est pas revenu aux niveaux observés avant, ce qui indique que les frontières nationales continuent à être des barrières à l’intégration mondiale des marchés du travail.
  • Ce n’est pas vrai lorsque la migration est restreinte. Dans beaucoup de pays européens et au Japon, les salaires du secteur manufacturier ont rattrapé (et même dépassé pour la plupart) les salaires américains depuis 1975. Au Mexique par contre, les salaires ont baissé par rapport aux États-Unis.

18.4 Spécialisation et gains à l’échange entre les pays

Le résultat du processus d’intégration économique mondiale implique qu’aujourd’hui, presque tous les pays font partie d’une économie mondiale caractérisée par :

  • La spécialisation : certains endroits se spécialisent dans la production de certains biens.
  • L’échange : ces biens sont ensuites échangés avec d’autres endroits dans le monde, eux-mêmes spécialisés dans d’autres biens.
spécialisation
Elle apparaît quand un pays ou toute autre entité produit une gamme de biens et services plus étroite que ceux qu’ils consomment ; il leur faut acquérir par l’échange les biens et services qu’ils ne produisent pas.

La spécialisation implique l’échange, car en produisant moins de variétés de biens et services que vous n’en utilisez, vous devez échanger pour acquérir ce que vous ne produisez pas. L’échange international résulte de la spécialisation des pays.

Les machines-outils (comme les outils de coupe de précision) fabriquées dans le sud de l’Allemagne sont utilisés dans la production d’ordinateurs sur la côte sud de la Chine. Ces ordinateurs utilisent des logiciels produits au Bangalore et en Californie. Ils sont ensuite distribués à travers le monde grâce à des avions construits près de Seattle, aux États-Unis, pour être vendus à leurs utilisateurs dans le monde entier. Les producteurs de ces marchandises mangent des aliments cultivés au Canada ou en Ukraine et portent des chemises fabriquées à l’île Maurice.

Ces exemples montrent que l’échange et la spécialisation sont les deux faces d’un même processus. Chacune fournit les conditions nécessaires à l’existence de l’autre. En l’absence d’échange, les ouvriers fabriquant des machines-outils à Stuttgart ne pourraient pas manger le pain produit grâce au blé importé d’Ukraine ou du Canada, ni porter les vêtements confectionnés à l’île Maurice. S’ils devaient pourvoir eux-mêmes à leurs besoins, nombreux parmi eux seraient agriculteurs ou ouvriers du textile. S’il n’y avait pas de spécialisation, il y aurait peu à échanger.

Dans la Section 1.8, vous avez fait connaissance avec Greta et Carlos, qui consomment tous les deux des pommes et du blé. En utilisant ses terres et sa force de travail, chacun pourrait produire à la fois des pommes et du blé et vivre en autarcie. Mais ils trouvent qu’ils peuvent améliorer leur situation à tous deux en spécialisant, Carlos ne produisant que des pommes et Greta que du blé.

avantage comparatif
Une personne ou un pays détient un avantage comparatif dans la production d’un bien, si le coût de production d’une unité additionnelle de ce bien par rapport au coût de produire un autre bien est inférieur au coût de production des mêmes deux biens pour une autre personne ou un autre pays. Voir également : avantage absolu.

Il est avantageux pour eux deux de se spécialiser parce que leurs terres diffèrent dans ce qu’elles produisent le mieux. S’il se spécialisait, Carlos pourrait produire 50 fois plus de pommes que de tonnes de blé. Greta, elle, pourrait seulement produire 25 fois plus de pommes que de tonnes de blé (de nouveau, si elle ne produisait que des pommes ou que du blé). Même si Greta pouvait produire plus de pommes ou de blé que Carlos, Carlos a un avantage comparatif dans la production de pommes (en termes de productivité, il est relativement moins inférieur à elle dans la production de pommes par rapport au blé). Avant de continuer, assurez-vous d’avoir bien compris le terme d’avantage comparatif et les Figures 1.9a et b.

En utilisant le même raisonnement, nous allons expliquer pourquoi des pays entiers se spécialisent dans certains biens et services, et certains dans d’autres.

Greta et Carlos se sont spécialisés parce qu’ils n’avaient pas le même type de terres. De même, les ressources naturelles et le climat des pays diffèrent. Pour des raisons climatiques, produire des bananes en Allemagne serait très coûteux. C’est pour cela que les Allemands vivent d’autre chose. Mais il y a beaucoup d’autres raisons de se spécialiser.

économies d’échelle
C’est le cas lorsque doubler tous les facteurs de production fait plus que doubler le niveau de la production. La forme de la courbe de coût moyen à long terme de l’entreprise dépend non seulement des rendements d’échelle dans la production mais également de l’effet d’échelle sur les prix que l’entreprise paye pour ses facteurs de production. Connu également sous le terme : rendements d’échelle croissants. Voir également : déséconomies d’échelle.

Supposez plutôt que Greta et Carlos aient des terres identiques et les mêmes compétences. Ils sont tous les deux aussi capables de produire des pommes et du blé, mais la production des pommes et du blé est sujette à des économies d’échelle. Cela impliquerait, par exemple, que doubler la quantité de terre et leur temps consacrés à la production, disons, des pommes, ferait plus que doubler la quantité de pommes produites. La technologie de production de chaque bien détermine si cette hypothèse est raisonnable ou non.

Nous remplacerons donc la Figure 1.9a, qui illustrait la spécialisation fondée sur les dotations factorielles, par la Figure 18.13. Dans le tableau, vous pouvez observer que si 25 hectares (et une partie proportionnelle du travail de Greta ou Carlos) sont consacrés à la production de pommes, 625 pommes seront produites. Si l’on double la surface de terre jusqu’à 50 hectares (avec la moitié du temps de travail toujours consacrée à la production de pommes), la production de pommes est multipliée par 4, soit 2 500 pommes.

Surface de terre utilisée dans la production (hectares) 1 25 50 75 100
Blé (tonnes) 0,1 62,5 250 562,5 1 000
Pommes 1 625 2 500 5 625 10 000

Figure 18.13 Économies d’échelle dans les productions de blé et de pommes. Notez que les nombres dans la ligne du blé correspondent à un dixième du nombre de pommes produites dans chaque colonne et que ceux dans la ligne des pommes correspondent au carré de la surface de terre utilisée.

Imaginez Carlos et Greta travaillant tous les deux en autarcie, chacun disposant de 100 hectares et divisant leur terre et leur force de travail de façon égale entre les pommes et le blé. Ils consommeraient chacun 250 tonnes de blé et 2 500 pommes.

Cependant, si l’un d’eux se spécialisait dans le blé et l’autre dans les pommes et qu’ensuite ils partageaient la production en parts égales, ils pourraient avoir quatre fois plus de blé et de pommes qu’en l’absence de spécialisation. Le point important ici est que qui se spécialise en quoi ne change rien. L’avantage de la spécialisation ne vient pas d’une différence de dotations (compétences, terres) entre Greta et Carlos mais du fait que produire chacun une grande quantité d’un seul bien peut être plus efficace que produire de plus petites quantités de plusieurs biens.

Nous reparlerons de Carlos et Greta dans la prochaine section, mais que nous disent les exemples de ces personnages sur l’intégration mondiale et le commerce entre les pays ? Par exemple, pourquoi est-ce que l’Allemagne du Sud se spécialise dans la production de machines-outils, l’automobile de pointe et d’autres biens manufacturés, tandis que la côte sud de la Chine est le centre mondial pour la fabrication d’ordinateurs qui fonctionnent grâce à des logiciels produits aux États-Unis, et que l’île Maurice produit des chemises et que les résidents d’Alberta, au Canada, produisent des céréales ? Il y a deux types de réponses :

  • Économies d’échelle, d’agglomération et autres effets de rétroaction positive : la production d’avions donne lieu à de très importantes économies d’échelle. L’usine Boeing à Everett, dans l’état de Washington aux États-Unis, est le bâtiment le plus grand au monde (il fait un volume de plus de 13 millions de mètres cubes). L’écriture de code informatique ne donne pas lieu à des économies d’échelle, mais les bons logiciels sont produits dans des lieux où un grand nombre de personnes travaillent au même genre de tâches, partageant des informations et innovant.
  • Différences entre régions : le climat et le sol d’Alberta sont idéaux pour faire pousser des céréales. Pour produire du textile, il faut beaucoup de main d’œuvre et peu de biens d’équipement, ce qui correspond à la disponibilité des facteurs de production sur l’île Maurice. En Allemagne, le système d’apprentissage et de formation crée une main d’œuvre qualifiée pour la production de machines-outils.

La première source de spécialisation est caractérisée par sa nature accidentelle. Pourquoi Everett aux États-Unis plutôt qu’Osaka au Japon ? Pourquoi est-ce que Bangalore est un hub pour les logiciels informatiques et pas Singapour ou Sidney ?

Économies d’agglomé­ration

Ce sont les réductions de coûts dont peuvent profiter les entreprises quand elles sont situées à proximité d’autres entreprises appartenant au même secteur ou à des secteurs apparentés.

À ne pas confondre avec les économies d’échelle ou les économies de gamme, qui s’appliquent à une seule entreprise lorsqu’elle croît.

Pour expliquer la spécialisation il faut souvent utiliser les deux types d’explications. La production allemande de machines-outils, par exemple, bénéficie non seulement du haut degré de qualification de la main d’œuvre allemande mais aussi d’économies de co-localisation, appelées économies d’agglomération. Les entreprises partagent également des informations et développent des standards industriels communs pour les composants et elles stimulent la recherche dans la région, dont elles bénéficient en retour.

La Figure 18.14 résume notre explication de la spécialisation et du commerce.

Différences de coûts entre pays, spécialisation et échange
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Figure 18.14 Différences de coûts entre pays, spécialisation et échange.

Exercice 18.4 Évaluer certaines structures de spécialisation de la production des pays

Choisissez quelques biens et services qui n’ont pas été évoqués dans cette unité (par exemple, le vin, les automobiles, les services professionnels comme la comptabilité et l’audit, les produits électroniques grand public, les vélos ou les articles de mode). Utilisez la Figure 18.14 ainsi que vos connaissances et recherches sur les biens choisis pour donner une explication des structures de spécialisation des pays pour ces biens.

18.5 Spécialisation, dotations factorielles et commerce international

Dans cette section, nous nous intéresserons de plus près à la spécialisation de l’échange fondée sur les dotations factorielles, en prolongeant l’analyse de la Section 1.8. Nous allons montrer de quelle manière l’échange entre les individus de différents pays – chacun spécialisé dans la production de biens différents – peut aboutir à des gains mutuels, mais aussi à des conflits sur la distribution de ces gains.

avantage absolu
Une personne ou un pays détient un avantage absolu dans la production d’un bien lorsqu’il a besoin de moins de facteurs de production que d’autres personnes ou d’autres pays pour produire ce bien. Voir également : avantage comparatif.

Imaginez que Greta habite sur l’Île du Blé et Carlos sur l’Île des Pommes. La terre sur chaque île peut être utilisée pour cultiver du blé et des pommes, et ils consomment tous les deux des pommes et du blé pour subsister. Pour l’exemple dans cette section, nous allons utiliser les données de la Figure 18.15 et supposer que Greta et Carlos possèdent chacun 100 hectares de terre. Nous avons déjà vu précédemment que Greta est chanceuse. La terre de l’Île du Blé est meilleure pour la culture du blé et des pommes. Elle a un avantage absolu pour les deux cultures. Bien que la terre de Carlos soit moins fertile en général pour les pommes et le blé, son désavantage est moins grand, par rapport à Greta, dans la production de pommes par rapport au blé.

  Production si 100 % du temps est consacré à la production d’un bien, par hectare de terre
Greta 1 250 pommes ou 100 tonnes de blé
Carlos 1 000 pommes ou 40 tonnes de blé

Figure 18.15 Avantages absolu et comparatif dans la production de pommes et de blé.

Souvenez-vous que même ceux qui n’ont d’avantage absolu dans aucun bien vont se spécialiser dans la production du bien qu’ils produisent de la façon la moins inefficace et obtenir les autres biens qu’ils consomment par l’échange. De même, les individus ou pays qui sont les meilleurs dans la production de tous les biens vont se spécialiser dans la production du bien pour laquelle ils sont comparativement plus efficaces et importer les autres biens. Greta et Carlos peuvent tous les deux bénéficier de la spécialisation et de l’échange.

Pour comprendre comment cela fonctionne, suivez l’analyse de la Figure 18.16a.

Les frontières des possibilités de production de Carlos (Île des Pommes) et de Greta (Île du Blé).
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Figure 18.16a Les frontières des possibilités de production de Carlos (Île des Pommes) et de Greta (Île du Blé).

La production de Carlos
: La partie gauche de la figure montre les combinaisons de blé et de pommes que Carlos peut produire en un an. S’il ne produit que des pommes et qu’il a 100 hectares de terres, il peut en produire 10 000. C’est ce que l’on voit au point A de l’axe des abscisses.
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La production de Carlos

La partie gauche de la figure montre les combinaisons de blé et de pommes que Carlos peut produire en un an. S’il ne produit que des pommes et qu’il a 100 hectares de terres, il peut en produire 10 000. C’est ce que l’on voit au point A de l’axe des abscisses.

Spécialisation dans le blé
: De la même manière, si Carlos ne produit que du blé, il peut en produire 4 000 tonnes, comme l’on peut le voir au point B de l’axe des ordonnées.
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Spécialisation dans le blé

De la même manière, si Carlos ne produit que du blé, il peut en produire 4 000 tonnes, comme l’on peut le voir au point B de l’axe des ordonnées.

La frontière des possibilités de production
: La droite rouge qui relie les points A et B est la frontière des possibilités de production de Carlos. Elle montre toutes les combinaisons de blé et de pommes que Carlos peut produire en un an.
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La frontière des possibilités de production

La droite rouge qui relie les points A et B est la frontière des possibilités de production de Carlos. Elle montre toutes les combinaisons de blé et de pommes que Carlos peut produire en un an.

Choix de Carlos
: Il peut choisir de produire n’importe quelle combinaison sur (où à l’intérieur de) la frontière. Il peut, par exemple, produire 2 000 tonnes de blé et 5 000 pommes, comme indiqué par le point C.
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Choix de Carlos

Il peut choisir de produire n’importe quelle combinaison sur (où à l’intérieur de) la frontière. Il peut, par exemple, produire 2 000 tonnes de blé et 5 000 pommes, comme indiqué par le point C.

L’ensemble des possibles de Carlos
: Il peut produire n’importe quelle combinaison entre l’origine et la frontière des possibilités de production. La zone rouge représente son ensemble des possibles.
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L’ensemble des possibles de Carlos

Il peut produire n’importe quelle combinaison entre l’origine et la frontière des possibilités de production. La zone rouge représente son ensemble des possibles.

La frontière des possibilités de production de Greta
: On peut la voir dans le graphique de droite. Greta peut produire plus de chaque bien que Carlos. Si elle ne produit qu’un bien, elle peut produire soit 12 500 pommes, soit 10 000 tonnes de blé avec 100 hectares de terre.
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La frontière des possibilités de production de Greta

On peut la voir dans le graphique de droite. Greta peut produire plus de chaque bien que Carlos. Si elle ne produit qu’un bien, elle peut produire soit 12 500 pommes, soit 10 000 tonnes de blé avec 100 hectares de terre.

L’Île du Blé a un avantage absolu
: Elle a un avantage absolu dans la production des deux biens parce que Greta peut produire plus de chaque bien. Graphiquement, l’ensemble des possibles de Greta inclut celui de Carlos.
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L’Île du Blé a un avantage absolu

Elle a un avantage absolu dans la production des deux biens parce que Greta peut produire plus de chaque bien. Graphiquement, l’ensemble des possibles de Greta inclut celui de Carlos.

Diversification en l’absence d’échange

En l’absence d’échange, le mieux que puissent faire Carlos et Greta est de choisir un point sur leur plus haute courbe d’indifférence possible, étant donnée la contrainte de leur frontière des possibilités de production. Dans notre exemple simple, la frontière des possibilités de production est aussi la frontière des possibilités de consommation, parce chaque personne consacre son temps à produire uniquement du blé et des pommes et ne peut consommer que la quantité produite. Suivez l’analyse de la Figure 18.16b pour voir comment Carlos et Greta prennent leurs décisions de production et de consommation.

Choix de consommation maximisant l’utilité de Carlos (Île des Pommes) et de Greta (Île du Blé).
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Figure 18.16b Choix de consommation maximisant l’utilité de Carlos (Île des Pommes) et de Greta (Île du Blé).

Frontière des possibilités de consommation de Carlos
: Il s’agit du graphique de gauche, coïncidant avec sa frontière des possibilités de production.
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Frontière des possibilités de consommation de Carlos

Il s’agit du graphique de gauche, coïncidant avec sa frontière des possibilités de production.

Courbes d’indifférence de Carlos
: Les formes des courbes d’indifférence représentent les préférences de Carlos pour le blé et les pommes.
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Courbes d’indifférence de Carlos

Les formes des courbes d’indifférence représentent les préférences de Carlos pour le blé et les pommes.

La plus haute courbe d’indifférence que Carlos peut atteindre
: C’est celle qui est tangente à sa frontière des possibilités de production. Il choisira de consommer 2 500 tonnes de blé par an et 3 750 pommes, comme indiqué par le point D.
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La plus haute courbe d’indifférence que Carlos peut atteindre

C’est celle qui est tangente à sa frontière des possibilités de production. Il choisira de consommer 2 500 tonnes de blé par an et 3 750 pommes, comme indiqué par le point D.

Productivité supérieure de Greta
: Cela signifie qu’elle peut consommer une plus grande quantité de chaque bien, par rapport à Carlos. Nous supposons que ses préférences sont identiques à celles de Carlos (les courbes d’indifférence ont la même forme). Aussi, elle consomme 6 000 tonnes de blé par an et 5 000 pommes, comme indiqué par le point E.
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Productivité supérieure de Greta

Cela signifie qu’elle peut consommer une plus grande quantité de chaque bien, par rapport à Carlos. Nous supposons que ses préférences sont identiques à celles de Carlos (les courbes d’indifférence ont la même forme). Aussi, elle consomme 6 000 tonnes de blé par an et 5 000 pommes, comme indiqué par le point E.

Échange et spécialisation

Que se passera-t-il lorsque Greta et Carlos pourront échanger ? La décision de commercer peut s’expliquer par de nombreuses raisons, notamment le développement d’une nouvelle technologie (un bateau par exemple) ou la suppression des barrières à l’échange (peut-être la fin d’un conflit entre les deux îles). Comme nous l’avons appris dans l’Unité 1, c’est le coût de production relatif, et non absolu, des deux biens qui détermine les échanges mutuellement avantageux.

Nous allons montrer que Carlos et Greta ont tous deux intérêt à ce qu’une île se spécialise dans la production de blé, et l’autre ans la production de pommes. Carlos peut produire au cours d’une année 4 000 tonnes de blé ou 10 000 pommes. Ainsi, pour produire une tonne supplémentaire de blé, Carlos doit produire 2,5 pommes de moins, donc le taux marginal de transformation entre les tonnes de blé et les pommes est de 2,5. Puisqu’il faut la même quantité de facteurs de production (terre et travail) pour produire une tonne de blé que pour produire 2,5 pommes, cela signifie qu’une tonne de blé coûte le même prix que 2,5 pommes. Ainsi, le prix relatif du blé par rapport aux pommes est de 2,5. Le prix relatif est une autre manière de rapporter le taux marginal de transformation ou le coût d’opportunité.

Greta est plus productive dans la production de chacun des deux biens. Elle peut produire 10 000 tonnes de blé par an ou 12 500 pommes. Le prix relatif du blé par rapport aux pommes sur l’Île du Blé est donc 1,25. L’Île du Blé a donc un avantage comparatif dans la production du blé.

Le prix relatif des pommes est simplement l’inverse du prix relatif du blé, donc si l’Île du Blé a un avantage comparatif dans la production du blé, l’Île des Pommes aura un avantage comparatif dans la production de pommes. La Figure 18.17 synthétise les chiffres-clés de cet exemple. Les prix relatifs du bien dans lequel chaque île a un avantage comparatif sont indiqués en gras.

  Île des Pommes (Carlos) Île du Blé (Greta)
Tonnes de blé produites chaque année 4 000 10 000
Nombre de pommes produites chaque année 10 000 12 500
Prix relatif du blé 10 000/4 000 = 2,5 12 500/10 000 = 1,25
Prix relatif des pommes 4 000/10 000 = 0,4 10 000/12 500 = 0,8

Figure 18.17 Une île a un avantage comparatif dans la production d’un bien lorsqu’il est relativement moins cher dans cette économie (en l’absence de commerce).

Gains à l’échange

En l’absence de commerce (on parle d’économie fermée ou d’autarcie), la frontière des possibilités de production correspond à la frontière des possibilités de consommation. La Figure 18.16b montre que quand les économies sont fermées, la production totale entre les deux îles est 2 500 + 6 000 = 8 500 tonnes de blé et 3 750 + 5 000 = 8 750 pommes. Cependant, quand les îles se spécialisent complètement, Greta pourra produire 10 000 tonnes de blé et Carlos 10 000 pommes, il y aura donc une quantité plus importante de chaque bien. Tant qu’ils peuvent échanger, ils peuvent tous les deux consommer plus de chaque bien et peuvent en principe améliorer tous les deux leur situation.

Supposez à présent qu’il n’existe pas de coûts à l’échange, le prix relatif du blé et des pommes sera équivalent dans les deux îles quand elles commercent entre elles. Quel sera le nouveau prix ? Du point de vue de Carlos, l’offre de blé a augmenté plus que l’offre de pommes, donc le prix relatif du blé par rapport aux pommes va diminuer et atteindre une valeur inférieure à 2,5. Réciproquement, du point de vue de Greta, l’offre de blé a moins augmenté que l’offre de pommes, donc le prix relatif du blé va augmenter et atteindre une valeur supérieure à 1,25. En cas de commerce, les prix se situeront à un niveau intermédiaire des prix des deux économies quand elles étaient en fermées.

Pour observer ce qu’il se passe avec le commerce, suivez l’analyse de la Figure 18.18.

Les effets de l’échange et de la spécialisation sur la frontière des possibilités de consommation de Carlos et Greta.
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Figure 18.18 Les effets de l’échange et de la spécialisation sur la frontière des possibilités de consommation de Carlos et Greta.

Avant la spécialisation et l’échange
: Le graphique représente les frontières des possibilités de production de Carlos et Greta.
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Avant la spécialisation et l’échange

Le graphique représente les frontières des possibilités de production de Carlos et Greta.

L’effet de la spécialisation et de l’échange
: Les droites en pointillés rouges représentent le déplacement vers l’extérieur de la frontière des possibilités de consommation en raison de la spécialisation et de l’échange. On suppose que le prix relatif du blé après spécialisation et échange soit 2 (un prix situé arbitrairement entre 1,25 et 2,5).
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L’effet de la spécialisation et de l’échange

Les droites en pointillés rouges représentent le déplacement vers l’extérieur de la frontière des possibilités de consommation en raison de la spécialisation et de l’échange. On suppose que le prix relatif du blé après spécialisation et échange soit 2 (un prix situé arbitrairement entre 1,25 et 2,5).

Consommation après spécialisation et échange
: Carlos se spécialise dans les pommes, en produit 10 000 et en exporte 4 000 (10 000 – 6 000) à Greta, qui se spécialise en blé, en produit 10 000 tonnes et en exporte 2 000 (10 000 – 8 000) tonnes à Carlos.
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Consommation après spécialisation et échange

Carlos se spécialise dans les pommes, en produit 10 000 et en exporte 4 000 (10 000 – 6 000) à Greta, qui se spécialise en blé, en produit 10 000 tonnes et en exporte 2 000 (10 000 – 8 000) tonnes à Carlos.

Comme les deux pays se spécialisent maintenant dans le bien pour lequel ils ont un avantage comparatif, leurs nouvelles frontières des possibilités de consommation se trouve au-dessus des frontières de production. Pour chaque pays, les deux frontières coïncident au point où il n’y a pas d’échange, qui, étant donné une spécialisation totale, correspond à chaque axe. Nous pouvons voir que la spécialisation et le commerce international ont augmenté la taille de l’ensemble des possibilités de consommation pour chaque pays. Remarquez qu’en situation d’échange, Greta ne peut consommer plus de pommes que ce que Carlos peut produire (10 000), ce qui explique pourquoi sa frontière des possibilités de consommation ne s’étend pas au-delà de 10 000 pommes.

Si nous regardons de nouveau la Figure 18.16b, nous pouvons voir que toute expansion de leurs ensembles des possibles permet à Carlos et Greta d’atteindre un niveau d’utilité plus élevé (une courbe d’indifférence plus haute), l’échange est donc mutuellement réciproque.

La spécialisation a élargi l’ensemble des possibilités de consommation pour Carlos et Greta de la même façon que l’emprunt et l’investissement ont augmenté l’ensemble des possibilités de consommation pour Marco dans l’Unité 10. En investissant, Marco s’était spécialisé de façon à générer un revenu dans le futur, ce qui augmentait son revenu total à toutes les périodes. Ensuite, en empruntant, il importait une partie de son revenu futur dans le présent, afin de pouvoir consommer à chaque période.

Le prix relatif détermine dans quelle mesure le commerce peut étendre l’ensemble des possibles de chaque île. Ceci dépend à son tour de la façon dont le prix est déterminé. Supposez que Greta puisse déterminer le prix unilatéralement. Pour augmenter ses gains à l’échange, Greta choisira un prix qui augmente le montant de pommes qu’elle reçoit pour chaque tonne de blé vendue à Carlos. Intuitivement, Greta veut que le bien qu’elle produise soit celui qui se vende le plus cher. Si nous supposons qu’elle fixe un prix du blé à 2,25, comment cela affecte-t-il l’expansion des ensembles des possibles ? Suivez l’analyse de la Figure 18.19 pour répondre à cette question.

Les effets de l’échange et de la spécialisation sur les frontières des possibilités de consommation de Carlos et Greta lorsque Greta peut fixer unilatéralement le prix.
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Figure 18.19 Les effets de l’échange et de la spécialisation sur les frontières des possibilités de consommation de Carlos et Greta lorsque Greta peut fixer unilatéralement le prix.

Frontières des possibilités de production
: Le graphique représente les mêmes frontières des possibilités de production que celles de la Figure 18.18.
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Frontières des possibilités de production

Le graphique représente les mêmes frontières des possibilités de production que celles de la Figure 18.18.

Après l’échange
: Greta dicte maintenant le prix relatif du blé à 2,25. Le commerce continue à étendre les ensembles des possibles, mais il déplace davantage celui de Greta. Cela implique que le commerce et la spécialisation augmentent l’utilité de Carlos et Greta, mais augmentera davantage l’utilité de Greta.
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Après l’échange

Greta dicte maintenant le prix relatif du blé à 2,25. Le commerce continue à étendre les ensembles des possibles, mais il déplace davantage celui de Greta. Cela implique que le commerce et la spécialisation augmentent l’utilité de Carlos et Greta, mais augmentera davantage l’utilité de Greta.

Au nouveau prix
: Greta doit renoncer à moins de tonnes de blé pour obtenir 4 000 pommes. Elle se trouve dans une situation meilleure, relativement à celle qu’elle connaissait avec un prix de 2 dans le cas de la Figure 18.18. Par contraste, Carlos est dans une moins bonne situation. Il obtient moins de tonnes de blé en échange de la même quantité de pommes.
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Au nouveau prix

Greta doit renoncer à moins de tonnes de blé pour obtenir 4 000 pommes. Elle se trouve dans une situation meilleure, relativement à celle qu’elle connaissait avec un prix de 2 dans le cas de la Figure 18.18. Par contraste, Carlos est dans une moins bonne situation. Il obtient moins de tonnes de blé en échange de la même quantité de pommes.

pouvoir de négociation
Le degré d’avantage qu’a un individu dans la capture d’une plus grande part des rentes résultant d’une interaction.

Bien sûr, si Greta pouvait fixer le prix comme bon lui semble, elle aurait pu fixer un prix encore plus élevé. Si elle le fixait à 2,5 pommes par tonne, elle éliminerait alors complètement les gains à l’échange de Carlos. À ce prix, Carlos aurait tout intérêt à produire son propre blé plutôt que de l’acheter à Greta. Lorsque dans un pays, les personnes peuvent influencer le niveau des prix en leur faveur, on dit qu’ils disposent d’un pouvoir de négociation.

Les grands économistes David Ricardo

David Ricardo David Ricardo (1772–1823) a développé la théorie des avantages comparatifs. Il fut également le premier économiste à mettre en garde contre le fait qu’une économie capitaliste connaissant une croissance rapide serait confrontée aux limites de son environnement naturel.

Fils d’un courtier prospère et troisième enfant d’une fratrie de 17, Ricardo grandit à Londres et fit une fugue à l’âge de 21 ans, ce qui le tint éloigné de ses parents pendant une longue période. Il amassa une fortune colossale en devenant agent de change, avant de s’intéresser aux questions d’économie politique. Il entra au Parlement (en achetant un siège, ce qui était alors possible) où, outre ses contributions sur les questions économiques, il soutint des causes sociales telles que la tolérance religieuse, la liberté d’expression et l’opposition à l’esclavage.1

La contribution principale de Ricardo à la théorie économique fut une analyse des principes de production et de distribution dans une économie capitaliste en expansion caractérisée par un secteur agricole important. Dans An Essay on Profits, publié en 1815, il développa le modèle ricardien, qui domina la pensée économique britannique pendant une grande partie des cinquante années suivantes. Dans ce modèle, la production agricole reposait sur trois facteurs de production : travail, capital et terre. Comme la production et la population étaient en expansion, il fallait soit que les terres existantes soient cultivées de façon plus intensive, avec une plus grande quantité de capital et de travail, soit que des terres moins fertiles commencent à être cultivées.

En s’appuyant sur le concept de rendements décroissants, il expliqua comment cela conduirait à une réduction des profits et, finalement, à une stagnation de l’économie. Comme Thomas Malthus, dont nous avons étudié les idées dans l’Unité 2, il soutenait que les salaires ne pouvaient pas être en dessous du niveau de subsistance. Puisqu’il fallait cultiver des terres moins fertiles en raison de la croissance de la production, le prix de la nourriture et donc les salaires devaient augmenter. Cela réduisait ainsi les profits (que Ricardo supposait qu’ils allaient être réinvestis). Les rentes (supposées dépensées en biens de luxe) augmenteraient en raison de la rareté croissante des terres. En conséquence, l’économie ralentirait et finirait par stagner.

Ricardo proposa donc une abrogation des tarifs sur l’importation de céréales (les Corn Laws) que son ami Malthus défendait. Selon Ricardo, si le Royaume-Uni pouvait acquérir une plus grande partie de sa nourriture auprès des États-Unis et d’autres pays, il serait moins coûteux pour les employeurs de payer aux travailleurs un salaire de subsistance, ce qui augmenterait le taux de profit et l’investissement. Importer des céréales plutôt que les produire sur place rendrait la terre moins rare et limiterait la part de la production totale détenue par les propriétaires terriens. Cela résulterait, d’après Ricardo, en une croissance continue au lieu de la stagnation.2

Son œuvre la plus importante, Des principes de l’économie politique et de l’impôt (publiée en 1817), a introduit la théorie de la valeur travail, utilisée plus tard par Karl Marx. Selon cette théorie, la valeur des biens est proportionnelle à la quantité de travail directement ou indirectement nécessaire à leur production. Wassily Leontief (1906–1999) imagina une façon de calculer ces valeurs (référez-vous à l’encadré « Quand les économistes ne sont pas d’accord : Heckscher-Ohlin et le paradoxe de Leontief » plus loin dans cette unité).

Dans ses Principes, Ricardo définit le principe des avantages comparatifs selon lequel deux pays pourraient échanger de façon mutuellement avantageuse, même si dans l’absolu l’un des deux est meilleur dans la production de tous les biens.

Ricardo n’est pas un économiste aussi célèbre que Smith, Malthus, Mill ou Marx, mais il est très respecté pour la théorie de l’avantage comparatif. Il est également reconnu comme un économiste très moderne pour sa méthodologie consistant à structurer sa pensée à l’aide d’un modèle abstrait comme guide pour mieux comprendre l’économie.

Exercice 18.5 Avantage comparatif

Supposez qu’il y ait seulement deux pays dans le monde, l’Allemagne et la Turquie, chacun avec quatre travailleurs. Au cours d’une période donnée, chaque travailleur en Allemagne peut produire trois automobiles ou deux télévisions, chaque travailleur en Turquie peut produire deux automobiles ou trois télévisions.

  1. Dessinez la frontière des possibilités de production pour chaque pays, avec les télévisions sur l’axe des abscisses et les voitures en ordonnée. Quel est le prix relatif des automobiles dans chaque pays, en l’absence de commerce international ?
  2. Supposez qu’en l’absence d’échange, l’Allemagne consomme neuf automobiles et deux télévisions et la Turquie consomme deux automobiles et neuf télévisions. Reportez ces points de consommation, comme G et T respectivement. Dessinez la frontière des possibilités de consommation pour chaque pays en l’absence d’échange. Commentez la relation entre les frontières de production et de consommation que vous avez tracées pour chaque pays.
  3. Supposez maintenant que l’Allemagne et la Turquie s’ouvrent à l’échange. Quel est l’intervalle de valeurs possibles pour le prix relatif mondial des automobiles ? Si le prix relatif mondial des automobiles est PC/PTV =  1, dans quel bien chaque pays va se spécialiser ?
  4. Utilisez maintenant le prix relatif mondial donné ci-dessus pour tracer la frontière des possibilités de consommation de chaque pays sur les graphiques précédents. Utilisez ces graphiques pour expliquer si chaque pays bénéficie ou non de l’échange.
  5. Quel est le TMT entre les automobiles et les TV dans chaque pays ? Expliquez la relation entre l’avantage comparatif et le taux marginal de transformation entre les biens.

Exercice 18.6 Pouvoir et négociation

En revenant à notre exemple de Carlos et Greta, supposez que Greta ait le pouvoir de fixer le prix relatif. D’après ce que vous avez appris dans l’Unité 4 sur la manière dont les individus jouent au jeu de l’ultimatum, comment pensez-vous que Carlos réagirait à une offre de prix de 2,4 pommes par tonne de blé ?

Question 18.5 Choisissez la ou les bonnes réponses

Le graphique suivant représente les frontières des possibilités de production de Carlos et de Greta ainsi que leurs choix de consommation entre le blé et les pommes maximisant leur utilité en autarcie (en l’absence d’échange).

Les frontières des possibilités de production de Carlos et de Greta ainsi que leurs choix de consommation entre le blé et les pommes maximisant leur utilité en autarcie (en l’absence d’échange).
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Sur la base de ces informations, laquelle des affirmations suivantes est correcte ?

  • Carlos va choisir de consommer 10 000 pommes.
  • Greta pourrait consommer 3 750 pommes et 2 500 tonnes de blé mais choisit de ne pas le faire.
  • Greta a un avantage absolu dans la production de blé, tandis que Carlos a un avantage absolu dans la production de pommes.
  • Greta choisira toujours de consommer plus de chaque bien que Carlos, indépendamment de la forme des courbes d’indifférence (elles pourraient être différentes de celles tracées sur le graphique).
  • Carlos choisira le point D, où il consommera 3 750 pommes et 2 500 tonnes de blé.
  • Cette combinaison de biens est comprise à l’intérieur de la frontière des possibilités de consommation de Greta, mais elle pourrait consommer plus de chaque bien, donc elle ne choisira jamais cette combinaison.
  • Greta a un avantage absolu dans la production des deux biens.
  • Il est tout à fait possible qu’avec d’autres formes de courbes d’indifférence Greta choisisse de consommer moins d’un bien que Carlos. Si par exemple, ses courbes d’indifférence étaient moins fortement courbées (plus proches d’être horizontales), elle voudrait consommer moins de pommes.

Question 18.6 Choisissez la ou les bonnes réponses

La Figure 18.18 représente les frontières des possibilités de production et de consommation de Carlos et de Greta s’ils se spécialisent et échangent. Nous supposons que le prix relatif du blé qui résulte de l’échange soit de 2.

Supposez que les consommations de Carlos et de Greta qui résultent de l’échange soient A et B respectivement. Laquelle de ces affirmations est correcte ?

  • Comme Greta a un avantage absolu dans la production des deux biens, elle va produire à la fois des pommes et du blé.
  • Carlos produit 6 000 pommes et 2 000 tonnes de blé, tandis que Greta produit 4 000 pommes et 8 000 tonnes de blé.
  • Carlos échange 4 000 de ses pommes contre 2 000 tonnes de blé de Greta.
  • La situation de Greta s’est améliorée grâce à l’échange tandis que celle de Carlos s’est détériorée.
  • Ils vont tous les deux se spécialiser dans le bien pour lequel ils ont un avantage comparatif et l’échanger contre l’autre. Ainsi, Carlos va produire toutes les pommes et Greta produira tout le blé.
  • Ce sont les choix de consommation qui résultent de l’échange. Tous les deux se spécialisent et ne produisent chacun qu’un bien.
  • Étant donné que chacun se spécialise totalement, il faut seulement regarder la consommation du bien qu’ils ne produisent pas eux-mêmes pour calculer la quantité de biens échangés, puisque pour consommer ce bien ils sont obligés de l’échanger.
  • Suite à l’échange, ils sont tous les deux capables d’atteindre un point sur une courbe d’indifférence plus élevée. Ils bénéficient donc tous les deux de l’échange.

Question 18.7 Choisissez la ou les bonnes réponses

Le graphique ci-dessous représente les frontières des possibilités de production d’Alex et de José pour les oranges et les melons.

Les frontières des possibilités de production d’Alex et de Jose pour les oranges et les melons.
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À partir de cette information, lesquelles de ces affirmations sont correctes ?

  • Jose a un avantage absolu dans la production des melons et des oranges.
  • Jose a un avantage comparatif dans la production des melons.
  • Avec l’échange et la spécialisation, Jose va se spécialiser dans la production d’oranges et Alex, dans la production de melons.
  • Le prix relatif des melons après échange sera 1,75.
  • L’ensemble des possibilités de production de Jose comprend celui d’Alex, donc il a un avantage absolu dans la production des deux biens.
  • Jose peut produire deux fois plus d’oranges que de melons. Alex, lui, peut produire 1,5 fois plus d’oranges que de melons. Jose a donc un avantage comparatif dans la production d’oranges.
  • En comparant visuellement les pentes des frontières des possibilités de production, on peut voir que Jose a un avantage comparatif dans la production d’oranges et Alex dans la production de melons.
  • Le prix relatif après échange dépendra du pouvoir de négociation de Jose et Alex. Il peut donc être 1,75 mais peut aussi ne pas l’être.

18.6 Les gagnants et les perdants de l’échange et de la spécialisation

Carlos et Greta ont tous deux intérêt à commercer, alors pourquoi la question des importations et exportations est-elle souvent controversée ? Contrairement à l’histoire de Greta et Carlos, dans le monde réel, les échanges internationaux génèrent presque toujours à la fois des gagnants et des perdants. Les processus de spécialisation et d’échange affectent différemment les régions, les industries et les ménages. Si les boulangers de Gênes et leurs clients avaient appris que des céréales bon marché étaient disponibles à bord du Manila, ils auraient acclamé l’entrée du bateau dans le port, tandis que les fermiers locaux auraient eux secrètement prié pour que le bateau coule.

Les pays sont composés de personnes ayant des intérêts économiques divergents. Ils n’ont rien à voir avec les îles habitées seulement par Greta et Carlos. Dès lors, pour comprendre les problèmes liés à la mondialisation, il faut relâcher l’hypothèse selon laquelle un seul individu ou un ensemble d’individus identiques habitent dans chaque pays.

Pour réfléchir aux gagnants et perdants à l’échange, nous commençons par un modèle de deux pays stylisés, que nous appelons les États-Unis et la Chine, où la spécialisation est fondée sur les dotations factorielles. Les États-Unis sont une économie avancée avec une longue tradition de production de biens manufacturés. La Chine est moins développée, mais est devenue la deuxième économie du monde en exportant de biens manufacturés. Supposez, de façon irréaliste, que les États-Unis et la Chine ne produisent que deux biens, qui sont produits sous des rendements d’échelle constants : des avions commerciaux et des produits électroniques grand public (comme des consoles de jeux, des ordinateurs personnels et des télévisions). Supposez également (de façon plus réaliste cette fois) que les États-Unis aient un avantage absolu dans la production des deux types de biens, et un avantage comparatif dans la production d’avions.

Nous supposons que la production d’avions soit à forte intensité capitalistique et que le capital soit relativement abondant aux États-Unis. Au contraire, la Chine a un avantage comparatif dans la producton de biens électroniques grand public, qui est une production intensive en travail, et le travail est abondant en Chine relativement au capital. Compte tenu de ces hypothèses, lorsque ces économies auront la possibilité de commercer entre elles, les États-Unis se spécialiseront dans la production d’avions et la Chine dans les biens électroniques grand public.

L’ouverture du commerce d’avions et de biens électroniques grand public entre les États-Unis et la Chine a les effets suivants :

  • Elle augmente l’ensemble des possibilités de consommation pour les deux pays. 
  • Des conflits d’intérêts émergent entre les pays.
  • Des conflits d’intérêts émergent au sein de chaque pays.

Nous avons vu que le prix relatif des deux biens affecte la répartition des gains à l’échange entre les deux pays. Outre les forces habituelles de l’offre et de la demande, la répartition du pouvoir de négociation entre les deux affecte également le prix. Dans le cas des États-Unis et la Chine, et tous les autres pays du monde réel, les prix relatifs sont soumis aux mêmes forces. Dans l’Unité 15, par exemple, nous nous sommes intéressés aux conséquences macroéconomiques des chocs sur le prix du pétrole. Mais qu’est-ce qui a causé l’augmentation du prix relatif du pétrole ?

cartel
Un groupe d’entreprises qui s’entendent pour augmenter leurs profits communs.
  • Premier et deuxième chocs pétroliers (années 1970) : la hausse du prix relatif était une réaction aux évènements politiques au Moyen-Orient, ainsi qu’à la capacité des producteurs de pétrole à exercer un pouvoir de monopole par le biais d’un cartel. L’exercice du pouvoir de monopole des producteurs a déplacé la courbe d’offre vers le haut.
  • Troisième choc pétrolier (années 2000) : la croissance de la Chine et d’autres économies émergentes a généré une forte augmentation de la demande mondiale. La courbe de demande mondiale du pétrole s’est déplacée vers la droite.

Les bénéficiaires d’une hausse du prix relatif d’un bien sont les habitants du pays qui se spécialise dans ce produit. Pour autant, les citoyens bénéficient-ils tous de cette hausse ? Les habitants d’un pays ne sont pas tous semblables. Par exemple, certaines personnes n’ont que leur force de travail à vendre. D’autres ont accumulé des richesses qu’elles peuvent utiliser pour investir dans des entreprises.

Dans l’exemple des États-Unis et la Chine, après l’ouverture au commerce international, les États-Unis se spécialisent dans les avions et la Chine dans l’électronique grand public. L’échange et la spécialisation entraînent le déplacement des ressources d’une industrie vers l’autre. Les travailleurs américains précédemment employés dans le secteur de l’électronique grand public doivent essayer de trouver un emploi dans le secteur aéronautique. De façon analogue, en Chine, le nombre d’emplois augmente dans le secteur de l’électronique grand public. Au moins sur le court terme, les travailleurs employés dans le secteur dans lequel leur pays ne se spécialise pas vont perdre à l’échange. Pour le moment, nous allons ignorer l’effet de l’échange sur la taille totale de l’économie. Nous y reviendrons très rapidement.

L’augmentation de la production d’avions aux États-Unis augmente la demande pour le facteur de production utilisé de façon intensive dans cette industrie : le capital. En Chine, c’est la demande pour le facteur travail qui augmente.

  • Les gagnants aux États-Unis : les détenteurs du capital bénéficient davantage de l’ouverture au commerce international que les travailleurs, car le capital devient relativement rare à mesure que la production d’avions augmente. Comme les riches ont tendance à détenir une partie plus importante de leur richesse sous forme de capital que les pauvres, nous pouvons nous attendre à une hausse des inégalités.
  • Les gagnants en Chine : la demande de travailleurs augmente à mesure que la production d’électronique grand public s’accroît. Les salaires augmentent avec l’intensité de la concurrence que se livrent les entreprises pour recruter des travailleurs. Comme nous l’avons vu dans l’Unité 6, un niveau de chômage plus faible réduit le coût d’une perte d’emploi et les entreprises augmentent les salaires. Les travailleurs bénéficient plus du commerce international que les détenteurs de capital, donc nous pouvons nous attendre à une réduction des inégalités.

L’échange et la spécialisation aux États-Unis impliquent un transfert de main d’œuvre et de capital du secteur de l’électronique vers le secteur de la production d’avions. Réfléchissez à ce qui se passe lorsqu’une unité de capital, comme une usine, passe du secteur de l’électronique au secteur de la production d’avions. Une usine de production de biens électroniques ferme, licenciant X travailleurs et une usine de production d’avions ouvre, embauchant Y travailleurs. Laquelle des deux quantités est la plus grande, X ou Y ?

La réponse est : X est plus grand que Y, car une unité de capital fournit les outils et l’équipement nécessaires pour employer plus de travailleurs dans la production de biens électroniques que dans la production d’avions (étant donné que l’industrie des biens électroniques est intensive en travail). Ainsi, lorsque le capital se déplace du secteur électronique au secteur de la production d’avions, il y a une perte nette d’emplois. Cela suppose évidemment que les travailleurs n’ont pas besoin de se requalifier et en général qu’il n’y a pas d’autres frictions sur le marché du travail. Ces facteurs amplifieraient la perte d’emplois sur le court terme.

Dans ce cas, les travailleurs américains sont perdants et les employeurs américains sont gagnants. Les travailleurs sont moins bien payés et les profits augmentent. L’importation de biens électroniques intensifs en main d’œuvre et l’évolution de l’économie américaine vers la production de biens nécessitant moins de main d’œuvre (avions) ont pour conséquence que les employeurs s’approprient une plus grande partie des gains à l’échange. En tant que consommateurs de biens électroniques, les employeurs et les travailleurs sont tous deux bénéficiaires. Cet exemple illustre un principe général de répartition des bénéfices du commerce international : les propriétaires de facteurs de production relativement rares dans leur pays avant le commerce (la main d’œuvre aux États-Unis, par exemple) pâtissent de la spécialisation et de l’échange et les propriétaires de facteurs relativement abondants (les détenteurs du capital aux États-Unis) sont gagnants.

La logique sous-jacente derrière ce principe est la suivante :

  • Les facteurs de production relativement rares dans un pays par rapport au reste du monde sont relativement chers comparativement aux prix pratiqués ailleurs quand il n’y a pas d’échange. Lorsque leurs économies commencent à échanger avec le reste du monde, leur prix est tiré vers le bas vers la moyenne mondiale, car ils se trouvent en situation de concurrence avec les facteurs de production étrangers plus abondants.
  • Le raisonnement inverse s’applique aux facteurs de production relativement abondants dans un pays comparé au reste du monde.

Ainsi, aux États-Unis, dans cet exemple, les travailleurs sont initialement relativement rares et perdent à l’échange, alors que les employeurs sont gagnants. En Chine, les travailleurs sont initialement relativement abondants et bénéficient du commerce, alors que les employeurs sont perdants. L’élément clé de compréhension est l’évolution de la rareté relative du travail et du capital incorporés dans les biens et services échangés.

Cependant, ce raisonnement ignore l’augmentation globale de la taille de l’économie qui résulte de l’échange. Cela pourrait bénéficier à tout le monde dans l’économie et pourrait compenser les pertes du groupe désavantagé (dans notre exemple, les travailleurs américains).

La Figure 18.20 illustre les deux dimensions du conflit généré par le commerce international.

Les gagnants et les perdants du commerce entre les États-Unis et la Chine
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Figure 18.20 Les gagnants et les perdants du commerce entre les États-Unis et la Chine.

Sur la gauche sont représentées les économies américaine et chinoise, avec une spécialisation et un commerce international limités. Pour faciliter la comparaison, la taille des économies est normalisée à 1 et les nombres dans les camemberts désignent la proportion et la taille (entre parenthèses) de la part du gâteau revenant aux travailleurs (en rouge) et aux détenteurs du capital (en bleu). Sur la droite nous montrons les économies américaine et chinoise lorsque la spécialisation et l’échange s’intensifient.

Les gains à la spécialisation et à l’échange sont nets car la taille totale de chaque économie est supérieure à droite. La taille de l’économie allemande a augmenté de 30 % et celle de l’économie chinoise a augmenté de 40 %. Les prix auxquels ils ont échangé (déterminés par la négociation) ont permis, dans ce cas, à la Chine d’obtenir plus de gains à l’échange.

Il convient de remarquer que la transition de la Chine vers la production de biens électroniques intensive en main d’œuvre a eu pour conséquence d’accroître la part du travail dans le gâteau chinois et de réduire celle des profits. Cependant, le capital comme le travail en Chine sont tous deux dans une situation plus favorable grâce à la spécialisation et à l’échange, puisqu’en valeur absolue, la taille des parts allant aux travailleurs et aux détenteurs de capital a augmenté (0,5 < 0,84 et 0,5 < 0,56).

Aux États-Unis, l’histoire est différente. Les propriétaires de biens d’équipement (employeurs) ont maintenant une part plus importante du gâteau américain après l’ouverture au commerce international. En revanche, la part des travailleurs américains est plus petite non seulement en proportion (75 % > 55 %), mais également en valeur absolue (0,75 > 0,715). Même après prise en compte de la croissance de l’économie, les travailleurs américains sont perdants. Les employeurs américains et chinois, ainsi que les travailleurs chinois sont tous gagnants.

La même logique continuerait à s’appliquer si nous considérions d’autres facteurs de production. Par exemple, considérez deux industries qui ont besoin de travailleurs avec des niveaux de qualification et de formation différents : une industrie intensive en compétences (technologies de l’information) et une industrie peu intensive en compétences (l’assemblage d’articles électroniques). Si une économie riche, relativement abondante en main d’œuvre qualifiée, commence à échanger avec un pays pauvre, relativement abondant en main d’œuvre non-qualifiée, alors les travailleurs non-qualifiés des pays riches (et les travailleurs qualifiés des pays pauvres) vont y perdre par rapport aux travailleurs qualifiés des pays riches (et des travailleurs non-qualifiés des pays pauvres) qui vont y gagner.

Vous pourriez penser que cela modifierait la perception du commerce international par les différents groupes. De fait, un nombre considérable d’enquêtes ont mis en évidence que, dans les pays riches, les travailleurs non-qualifiés sont plus protectionnistes que les travailleurs qualifiés, mais que les travailleurs non-qualifiés des pays pauvres sont plus favorables au commerce que les travailleurs qualifiés. Évidemment, si, comme illustré par la Figure 18.20, les gains à l’échange sont assez importants, il est possible que les membres du groupe dont la situation a relativement empiré au sein d’un pays voient leur situation améliorée en termes absolus suite à la spécialisation et à l’échange.

L’exemple des États-Unis et de la Chine développé dans cette section n’est pas uniquement pertinent pour comprendre la vague de mondialisation consécutive à la Seconde Guerre mondiale. Il y a cent ans, lorsque les économistes suédois Eli Heckscher et Bertil Ohlin s’employaient à mieux comprendre la structure de la spécialisation et des échanges, ils s’intéressaient particulièrement à la mondialisation de la fin du 19e siècle. La différence entre cette époque et aujourd’hui tient uniquement aux facteurs de production en jeu. Alors que dans l’exemple des États-Unis et de la Chine, nous nous sommes concentrés sur des biens intensifs en capital et en travail, la mondialisation de la fin du 19e siècle impliquait l’échange de biens agricoles nécessitant une grande quantité de terre (nourriture et matières premières comme le coton), contre des biens manufacturés intensifs en travail.

Les biens agricoles étaient exportés par des pays où la terre était abondante (et la main d’œuvre rare) comme les États-Unis, le Canada, l’Australie, l’Argentine et la Russie. Les biens manufacturés étaient exportés par des pays du nord-est de l’Europe où la main d’œuvre était abondante (et la terre rare) comme le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne. Dans ce contexte, les grands perdants étaient les propriétaires terriens européens et les travailleurs des régions où la terre était abondante. Les grands gagnants étaient les travailleurs européens et les propriétaires terriens du Nouveau Monde et des autres économies où la terre était abondante. Dans l’Unité 2, nous avions vu que les travailleurs britanniques ont vu leur situation économique s’améliorer, relativement aux propriétaires terriens, à partir du milieu du 19e siècle.

La même chose est arrivée dans d’autres pays d’Europe et d’ailleurs (le Japon, par exemple) où la terre était rare et la main d’œuvre abondante. Au même moment, le rapport des rentes foncières aux salaires a fortement augmenté dans les régions où la terre était abondante et où la main d’œuvre était rare : cela ne concernait pas seulement les économies du Nouveau Monde mentionnées précédemment, mais également des régions comme le Penjab qui était un exportateur important de produits agricoles.

Sans surprise, les propriétaires terriens européens s’y sont opposés et, dans des pays comme la France et l’Allemagne, ils ont réussi à obtenir de l’État la mise en place de droits de douane sur les importations agricoles. Il y a donc eu une vive réaction politique contre la mondialisation. Les gouvernements ont augmenté les coûts à l’échange via des droits de douane pour contrer l’effet de la diminution des autres coûts à l’échange, notamment les transports.

Exercice 18.7 Les gagnants et les perdants de la spécialisation fondée sur les économies d’échelle

Supposez qu’il y ait deux pays avec des dotations factorielles identiques. Tous les deux voudraient consommer à la fois des voitures particulières et des véhicules utilitaires. Ces deux secteurs connaissent des économies d’échelle. En l’absence d’échange, chaque pays aurait les deux secteurs. En commerçant, ils pourraient bénéficier de la spécialisation et tirer profit des économies d’échelle pour réduire leurs coûts de production.

Supposez qu’après que le commerce soit possible, le pays A se spécialise dans la production de voitures personnelles et le pays B se spécialise dans les véhicules utilitaires. En raison des économies d’échelle, le coût de voitures personnelles par rapport aux véhicules utilitaires est plus bas dans le pays A que dans le pays B.

  1. Expliquez pourquoi, l’on peut s’attendre à observer un commerce de biens similaires, appelé « échange intra-industriel », en présence de technologies de production caractérisées par des économies d’échelle.

  2. Qui sont les gagnants et les perdants dans cet exemple ? Comparez votre réponse aux gagnants et perdants dans l’exemple américain et chinois, dans lequel la spécialisation est fondée sur les dotations factorielles relatives.

Question 18.8 Choisissez la ou les bonnes réponses

La Figure 18.20 décrit les effets de l’échange sur les employeurs et travailleurs aux États-Unis et en Chine. La taille initiale de chaque économie est normalisée à un. Les États-Unis ont un avantage comparatif dans la production à forte intensité capitalistique, tandis que la Chine a un avantage comparatif dans la production intensive en main d’œuvre. Avec l’ouverture au commerce international, l’économie des États-Unis croît de 30 % et celle de la Chine de 40 %.

Sur la base de ces informations, laquelle des affirmations suivantes est correcte ?

  • La spécialisation implique que la Chine produise tous les biens à forte intensité capitalistique.
  • Les États-Unis ont un pouvoir de négociation plus grand dans la détermination du prix relatif après échange.
  • Aux États-Unis, après échange, la situation des employeurs s’est améliorée et celle des travailleurs s’est détériorée.
  • En Chine, après échange, la situation des travailleurs s’est améliorée et celle des employeurs s’est détériorée.
  • La spécialisation implique que les États-Unis produisent tous les biens à forte intensité capitalistique, pour lesquels ils ont un avantage comparatif.
  • L’économie chinoise s’étant davantage aggrandie en pourcentage, il semble que ce soit elle qui ait un pouvoir de négociation plus grand.
  • La situation des employeurs aux États-Unis s’est améliorée puisqu’ils ont maintenant une part plus grande d’un gâteau plus grand (0,585 > 0,25). Même si le gâteau est devenu plus grand, la part obtenue par les travailleurs a diminué tellement que leur situation s’est détériorée (0,715 < 0,75).
  • En Chine, même si la part du gâteau obtenue par les capitalistes est plus petite après échange, sa taille dans l’absolu a augmenté. Les travailleurs et les capitalistes se trouvent donc dans une meilleure situation.

Exercice 18.8 L’effondrement de l’Union soviétique

À la fin des années 1980 et au début des années 1990, l’Union soviétique s’est effondrée. Elle incluait la Russie et une grande partie des pays qui constituent maintenant l’Europe de l’Est et l’Asie centrale. Il s’agissait d’une économie planifiée dirigée depuis Moscou par le Parti communiste. Après son effondrement, les nouveaux pays, ainsi que le reste de l’ex-bloc soviétique (soit un total de près de 300 millions de travailleurs) ont ouvert leurs frontières au commerce international.

  1. Supposez que l’Allemagne était un pays intensif en capital, tandis que les pays de l’ancien bloc soviétique étaient intensifs en travail. Utilisez l’analyse de cette section pour identifier les gagnants et perdants probables de ce choc sur le commerce international :

    1. en Allemagne
    2. dans les pays de l’ex-bloc soviétique
  2. De quelles autres informations auriez-vous besoin de disposer au sujet de ces pays pour identifier les vrais gagnants et perdants ?

18.7 Les gagnants et les perdants à très long terme et tout au long du processus

Dans notre exemple des États-Unis et de la Chine, à court terme le commerce international augmente les profits des employeurs américains, tandis qu’il diminue les salaires des travailleurs américains. Cela pourrait inciter les employeurs américains à investir davantage dans la construction de capacités additionnelles pour produire des avions. Notre analyse des salaires et de l’emploi à long terme (à l’Unité 16) nous fournit un outil pour étudier les événements ultérieurs.

Se spécialiser dans la production d’un bien qui procure des avantages comparatifs augmente la productivité du travail américain (les travailleurs sont passés de la production de biens électroniques à celle d’avions, pour laquelle leur productivité est plus importante). Cela déplace la courbe de profit et la production par travailleur vers le haut. Ainsi, de ce point de vue, la spécialisation fondée sur l’avantage comparatif est similaire au progrès technique analysé dans l’Unité 16. Vous pourriez revoir les concepts clés de cette unité avant de continuer la lecture de l’Unité 18.

Utilisez l’analyse de la Figure 18.21 pour suivre l’effet d’impact et le processus d’ajustement. Nous commençons avec les courbes des salaires et des prix des États-Unis avant spécialisation et échange avec la Chine. L’économie commence au point A avec un taux de chômage de long terme de 6 %.

L’effet à long terme de la spécialisation sur le chômage américain.
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Figure 18.21 L’effet à long terme de la spécialisation sur le chômage américain.

Taux de chômage de long terme
: L’économie commence au point A (U = 6 %).
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Taux de chômage de long terme

L’économie commence au point A (U = 6 %).

Les États-Unis se spécialisent dans la production d’avions
: Ils ont un avantage comparatif. La spécialisation dans le bien qu’ils produisent relativement le mieux augmente la productivité moyenne de la main d’œuvre américaine, déplacant vers le haut la production par travailleur et donc aussi la courbe des prix.
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Les États-Unis se spécialisent dans la production d’avions

Ils ont un avantage comparatif. La spécialisation dans le bien qu’ils produisent relativement le mieux augmente la productivité moyenne de la main d’œuvre américaine, déplacant vers le haut la production par travailleur et donc aussi la courbe des prix.

Les travailleurs produisant des biens électroniques sont licenciés
: Les consommateurs américains achètent maintenant des lecteurs de DVD chinois. Certains sont embauchés pour produire des avions, mais pas tous, car la capacité de production du secteur est limitée. L’économie se déplace du point A vers B et le chômage augmente.
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Les travailleurs produisant des biens électroniques sont licenciés

Les consommateurs américains achètent maintenant des lecteurs de DVD chinois. Certains sont embauchés pour produire des avions, mais pas tous, car la capacité de production du secteur est limitée. L’économie se déplace du point A vers B et le chômage augmente.

Les entreprises américaines produisant des avions font des profits élevés
: Elles anticipent que cela continuera dans le futur. Elles augmentent leur capacité de production, ce qui a pour effet d’augmenter la demande de travail et de réembaucher les anciens travailleurs de l’industrie des biens électroniques. L’économie se déplace du point B vers C et le chômage baisse à 4 %, sous son niveau initial.
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Les entreprises américaines produisant des avions font des profits élevés

Elles anticipent que cela continuera dans le futur. Elles augmentent leur capacité de production, ce qui a pour effet d’augmenter la demande de travail et de réembaucher les anciens travailleurs de l’industrie des biens électroniques. L’économie se déplace du point B vers C et le chômage baisse à 4 %, sous son niveau initial.

Hausse de la demande de travail
: La demande augmente le pouvoir de négociation des travailleurs. Les salaires augmentent. Ce processus s’arrête quand l’économie arrive à une nouvelle intersection entre les courbes des prix et des salaires au point D.
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Hausse de la demande de travail

La demande augmente le pouvoir de négociation des travailleurs. Les salaires augmentent. Ce processus s’arrête quand l’économie arrive à une nouvelle intersection entre les courbes des prix et des salaires au point D.

La courbe des salaires
: La courbe des salaires pourrait également se déplacer si les travailleurs demandent une plus assurance chômage plus généreuse à cause d’une hausse de la rotation des emplois due aux effets du commerce. Si elle se déplace beaucoup, la spécialisation pourrait entraîner une réduction de l’emploi total. Par exemple, au point E sur la figure, le chômage est supérieur au taux de long terme initial de 6 %.
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La courbe des salaires

La courbe des salaires pourrait également se déplacer si les travailleurs demandent une plus assurance chômage plus généreuse à cause d’une hausse de la rotation des emplois due aux effets du commerce. Si elle se déplace beaucoup, la spécialisation pourrait entraîner une réduction de l’emploi total. Par exemple, au point E sur la figure, le chômage est supérieur au taux de long terme initial de 6 %.

Spécialisation et chômage
: Cependant, s’il y avait eu seulement un déplacement modéré de la courbe des salaires, l’emploi aurait augmenté sous l’effet de la spécialisation, comme indiqué par le point F.
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Spécialisation et chômage

Cependant, s’il y avait eu seulement un déplacement modéré de la courbe des salaires, l’emploi aurait augmenté sous l’effet de la spécialisation, comme indiqué par le point F.

L’économie des États-Unis devra-t-elle employer plus ou moins de travailleurs qu’avant, quand l’économie arrivera à la nouvelle intersection des courbes des salaires et des prix ?

Comme indiqué dans l’analyse de la Figure 18.21, la réponse dépend de la modification de la courbe des salaires. Historiquement, dans de nombreux pays, l’intégration au sein de l’économie mondiale s’est accompagnée d’une hausse du chômage dans certains secteurs de l’économie domestique, ainsi que de fluctuations économiques dues aux changements des prix au niveau international générés par les variations du chômage cyclique. Cela a engendré de la part des électeurs une hausse de la demande d’assurances chômage et un renforcement de la protection de l’emploi et d’autres mesures de protection des ménages contre les chocs sur le revenu et l’emploi. Les électeurs ont approuvé ces politiques pour les mêmes raisons qui motivent les ménages à lisser leur consommation. Ces effets tendent à décaler la courbe des salaires vers le haut.

État-providence
Un ensemble de politiques publiques visant à améliorer le bien-être des citoyens en aidant au lissage des revenus (par les allocations chômage et les retraites, par exemple).

Comme nous l’avons vu à l’Unité 17, suite à la Seconde Guerre mondiale, de nombreux pays se sont insérés dans l’économie mondiale tout en développant des mesures permettant le lissage des revenus, généralement désignées sous le terme d’État-providence. Dans les pays nordiques, par exemple, les syndicats se sont mis d’accord pour ne pas gêner les importations. En échange, ils ont obtenu de l’aide pour les travailleurs au chômage et des politiques de formation pour les travailleurs devant changer de travail du fait des importations.

La croissance rapide du commerce international entre les pays à revenu élevé après la Seconde Guerre mondiale eut lieu parallèlement au développement de l’État-providence et à la réduction des inégalités. Durant toute cette période, le taux de chômage resta faible, comme nous l’avons vu dans les Unités 16 et 17. La spécialisation était alors fondée sur le commerce entre pays assez similaires (par exemple entre les États-Unis et l’Europe de l’Ouest) et reposait principalement sur des économies d’échelle et d’agglomération. Une grande partie était ce qu’on appelle du commerce intra-industriel, dans le cadre duquel les pays échangaient des biens similaires (exportant et important différents types de voitures et d’utilitaires, par exemple, comme dans l’Exercice 18.17).

Le processus de spécialisation créa des gagnants et des perdants – incluant des entreprises gagnantes comme BMW et Ford, ainsi que des secteurs entiers gagnants, comme les machines-outils en Allemagne ou la production d’avions aux États-Unis, bénéficiant à la fois aux propriétaires et aux employés. Et, contrairement à la spécialisation fondée sur les dotations factorielles, le commerce fondé sur les économies d’échelle ne sépare pas les gagnants et les perdants en fonction du facteur de production qui est la dotation principale dont dépend le revenu d’un individu (par exemple, le travail ou le capital).

La croissance de l’intégration mondiale renouvelée après la chute de l’Union soviétique et l’ouverture au commerce international de la Chine dès le début des années 1990 fut accompagnée d’une hausse des inégalités dans beaucoup de pays à revenu élevé ainsi que de pertes d’emplois géographiquement concentrées sur les marchés du travail affectés par les importations chinoises. La perspective d’un nouvel équilibre qui améliorerait en moyenne la situation des travailleurs ne suffit pas à rassurer ces travailleurs déplacés.

Le modèle du marché du travail de la Figure 18.21 nous permet d’identifier les similarités entre un choc commercial et un choc technologique. Dans la Section 16.7, nous avons opposé les bénéfices de ces chocs sur le très long terme aux ajustements coûteux lorsque des emplois sont détruits avant que de nouveaux soient créés dans d’autres industries (et endroits). La description que nous y avons faite du « choc chinois » qui débuta dans le début des années 1990 mettait en évidence que les pertes d’emploi étaient concentrées géographiquement et persistaient pendant des décennies. Le Tennessee, qui se spécialisa dans la production de meubles, connut des pertes d’emplois massives et durables, tandis que son voisin l’Alabama, qui produisait des biens que la Chine n’exportait pas, ne fut pas affecté.

Tous les pays ne furent pas affectés par le choc commercial chinois de la même manière. Des études récentes montrent qu’en Allemagne, les nouvelles opportunités d’échange avec des pays à faibles salaires d’Europe de l’Est après la chute du mur de Berlin et avec la Chine ont permis d’atténuer la perte d’emplois manufacturiers. Bien que l’emploi dans les secteurs en concurrence avec les importations diminua, l’emploi dans les secteurs exportateurs est environ le même en 2014 qu’en 1997. Une explication de la différence entre les effets en Chine et aux États-Unis est que, parmi les pays à forte intensité capitalistique, l’Allemagne réussit avec plus de succès que les États-Unis à étendre ses marchés en Chine. Contrairement aux États-Unis, la spécialisation de l’Allemagne dans les machines-outils, d’autres biens d’équipement (utilisés dans les usines chinoises) et des équipements de transport répondait à la demande de la Chine en voie d’industrialisation rapide.3

Question 18.9 Choisissez la ou les bonnes réponses

La Figure 18.21 est le modèle du marché du travail de long terme des États-Unis résultant de la spécialisation fondée sur l’avantage comparatif.

Les États-Unis ont un avantage comparatif dans la production d’avions, qui est une production à forte intensité capitalistique. La Chine, son partenaire commercial, a un avantage comparatif dans la production de biens électroniques grand pulic, qui est intensive en main-d’œuvre. Avant l’échange, l’équilibre du marché américain est représenté par le point A. Lesquelles de ces affirmations sont correctes ?

  • Suite à la spécialisation, la productivité des travailleurs et le niveau global de l’emploi commencent par augmenter tous les deux.
  • Comme la productivité augmente, les entreprises créent des emplois, ce qui réduit le taux de chômage.
  • Comme le taux de chômage a diminué, les travailleurs demandent des salaires plus élevés pour un effort élevé, ce qui déplace la courbe de fixation des prix vers le haut.
  • La courbe de fixation des salaires se déplace vers le haut si les travailleurs demandent une assurance chômage suite à la mondialisation. Le taux de chômage de long terme se trouve alors sans équivoque en dessous de A.
  • La productivité augmente lorsque la production se déplace vers le bien à plus forte intensité capitalistique. Cependant cela implique que moins de travailleurs sont employés par unité de capital, ce qui résulte en une baisse du niveau global de l’emploi. Sur le graphique, l’économie se déplace de A à B.
  • Comme le travail est plus productif, les entreprises investissent dans des nouvelles capacités de production et réemploient des anciens travailleurs du secteur des biens électroniques.
  • Oui, les travailleurs se déplacent le long de la courbe de fixation des salaires vers le haut jusqu’à atteindre la courbe de fixation des prix plus élevée.
  • Si le déplacement vers le haut de la courbe de fixation des salaires est modeste, le taux d’emploi de long terme peut être au-dessus de A (par exemple, à F).

18.8 Migration : la mondialisation du travail

Tout comme les agriculteurs italiens n’avaient pas accueilli favorablement la cargaison de céréales indiennes bon marché lorsque le Manila avait accosté à Gênes, les travailleurs d’Amérique du Nord n’ont pas toujours réservé un bon accueil aux Européens en quête d’une vie plus prospère, comme les 69 passagers du Manila faisant route de Gênes à New York. Les travailleurs non-qualifiés du Nouveau Monde ont souffert de l’immigration. C’est dans les endroits où les salaires des travailleurs non-qualifiés étaient les plus faibles par rapport au revenu moyen qu’on a érigé le plus de barrières à l’immigration.

Voici donc une autre conséquence négative de la première période de mondialisation au 19e siècle et au début du 20e siècle : l’importance croissante des barrières pour limiter l’immigration.

Dans l’Unité 9, nous avons analysé les effets de l’immigration sur le chômage (voir la Figure 9.18). Le modèle nous permet de comprendre pourquoi l’opposition à l’immigration était répandue parmi les travailleurs de pays abondants en terres comme les États-Unis, le Canada à cette époque et beaucoup d’autres pays depuis. Lorsque de nouvelles personnes arrivent dans un pays, elles n’ont pas d’emploi, donc on pourrait s’attendre à ce que l’immigration se traduise d’abord par un accroissement du chômage. Cela signifie par ailleurs que l’immigration renchérit le coût d’une perte d’emploi, car le travailleur qui perd son emploi va venir grossir les rangs des chômeurs. Les travailleurs ont donc plus peur de perdre leur emploi et les entreprises obtiennent d’eux qu’ils travaillent pour un salaire moins élevé, pour un niveau d’effort donné.

L’histoire ne s’arrête cependant pas là. Comme les travailleurs ont des salaires moins élevés, l’entreprise qui les emploie est plus rentable. En conséquence, elle cherche à augmenter sa production et investit donc dans de nouvelles machines. Cela augmente la demande de travail dans le reste de l’économie. Lorsque les nouvelles capacités de production sont en place, l’entreprise recrutera davantage de travailleurs. Retournez à l’analyse de la Figure 9.18 pour suivre les étapes de l’effet d’impact jusqu’à la situation de long terme.

Dans cette histoire, les répercussions à court terme de l’immigration sont négatives pour les travailleurs déjà présents dans le pays d’accueil : leurs salaires baissent et la durée anticipée du chômage augmente. Le court terme peut durer des années, voire des décennies.

À plus long terme, la hausse de la rentabilité des entreprises génère une hausse de l’emploi qui, si la situation n’évolue pas (s’il n’y a pas de nouvelle vague d’immigration, par exemple), garantit un rétablissement des salaires réels et un retour au niveau de chômage initial. En conséquence, les travailleurs qui avaient déjà un emploi avant l’arrivée de travailleurs immigrés ne sont pas dans une situation plus désavantageuse et, selon toute vraisemblance, les immigrés se trouvent dans une meilleure situation économique qu’à leur départ – en particulier si l’une des raisons pour lesquelles ils ont quitté leur pays d’origine est qu’il était difficile d’y gagner sa vie.

Exercice 18.9 Les effets économiques de l’immigration

  1. Résumez les données sur les compétences des migrants évoquées dans la vidéo.
  2. Utilisez le modèle du marché du travail pour montrer comment les salaires et l’emploi pourraient évoluer après un afflux de travailleurs migrants.
  3. Quels résultats sont rapportés par la vidéo s’agissant des effets de l’immigration sur les salaires britanniques ? Comparez cette réponse avec votre prédiction à la question 2. Essayez d’adapter le modèle des courbes des prix et des salaires pour proposer une explication à ces données.

18.9 Mondialisation et anti-mondialisation

Comme le montrent les exemples relatifs à la protection de l’agriculture européenne et à la restriction de l’immigration vers le Nouveau Monde au 19e siècle, la mondialisation peut être sa propre ennemie. Elle génère des gagnants et des perdants. En permettant à des pays de se spécialiser dans la production de biens pour lesquels ils ont des avantages comparatifs, la mondialisation du commerce de biens et services permet d’étendre les possibilités de consommation de tous les pays. Néanmoins, la plus grande liberté de circulation des capitaux dans le monde, dont les détenteurs cherchent à obtenir des profits, permet aux entreprises de s’installer dans des pays où les régulations environnementales sont laxistes, où les impôts sont peu élevés et où les employés n’ont pas le droit de s’organiser en syndicats.

Ainsi, les pays qui souhaitent attirer les investissements étrangers sont souvent poussés à ne pas adopter de mesures en réponse aux problèmes environnementaux et de justice économique. La plus grande liberté de circulation des biens et des capitaux, étudiée dans les Unités 13 à 15, limite également l’efficacité des mesures visant à stabiliser la demande agrégée et l’emploi. La circulation de la main d’œuvre d’un pays à un autre génère des gains pour certains et des pertes pour d’autres.

Si les perdants de la circulation des biens, de l’investisement ou des travailleurs sont ignorés, la mondialisation risque de devenir politiquement insoutenable dans une démocratie.

trilemme de l’économie mondiale
L’impossibilité pour un pays de combiner une intégration profonde des marchés (à travers les frontières), la souveraineté nationale et une gouvernance démocratique dans un monde globalisé. Développé en premier lieu par l’économiste Dani Rodrik.

Ces préoccupations ont été analysées par l’économiste Dani Rodrik, qui a développé ce qu’il appelle le trilemme politique fondamental de l’économie mondiale. Ce triangle d’incompatibilité renvoie à trois choses qui sont souhaitables, mais qui (selon Rodrik) ne peuvent pas se produire simultanément. Le trilemme de Rodrik est un autre exemple d’arbitrage, comme celui entre une faible inflation et un faible chômage (il est difficile d’avoir les deux en même temps), à ceci près qu’il a trois dimensions.4

Il définit les trois dimensions comme suit :

  1. Hypermondialisation : un monde dans lequel presque aucune barrière politique ou culturelle n’empêche la circulation des biens et des capitaux.
  2. Démocratie au sein des États-nations : cela signifie (comme nous l’avons vu dans l’Unité 1) que le gouvernement respecte à la fois les libertés individuelles et l’égalité politique.
  3. Souveraineté nationale : chaque gouvernement national peut mettre en place les politiques qu’il souhaite sans restriction significative imposée par d’autres pays ou des institutions internationales.
hypermondialisation
Un type extrême de mondialisation (qui n’est pour le moment qu’hypothétique) où il n’y a aucune barrière à la libre circulation des biens, des services et des capitaux. Voir également : mondialisation.

Selon Rodrik, l’un des exemples de conflit entre ces trois objectifs est l’hypermondialisation qui signifie que les pays doivent rivaliser les uns avec les autres pour attirer les investissements. Cela implique que les investisseurs chercheront constamment à investir dans des endroits où le travail et l’environnement sont moins protégés. Les gouvernements sont donc réticents à adopter des normes de régulation ou d’autres politiques publiques ou à augmenter les taxes sur les mouvements de capitaux et sur les travailleurs les mieux rémunérés, même quand les citoyens pensent que de telles mesures seraient justes. L’hypermondialisation peut s’avérer impossible dans une société démocratique. Le résultat pourrait alors être soit la disparition de l’hypermondialisation (ligne supérieure de la Figure 18.22) ou la disparition de la démocratie (ligne du milieu).

La Figure 18.22 illustre les trois résultats possibles du trilemme politique de Rodrik.

Le trilemme politique de Rodrik
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Figure 18.22 Le trilemme politique de Rodrik.

Adapté de Dani Rodrik. 2012. The Globalization Paradox: Democracy and the Future of the World Economy. United States : W. W. Norton & Company.

Considérez chaque ligne du tableau pour clarifier les arbritages :

  • L’hypermondialisation est écartée (ligne du haut) : cela se produit si la souveraineté nationale et la démocratie au niveau national sont maintenues. La mise en œuvre de politiques nationales efficaces de stabilisation, de soutenabilité environnementale et de redistribution telle que demandée par l’électorat en démocratie requiert de limiter la mobilité du travail et du capital.
  • La démocratie est écartée (ligne du milieu) : les politiques d’hypermondialisation ne peuvent être adoptées par un gouvernement national que si l’opposition citoyenne à ces politiques est affaiblie par la dilution des processus démocratique.
  • La souveraineté nationale est écartée (ligne du bas) : si les politiques d’hypermondialisation sont accompagnées par des institutions supranationales qui peuvent, par exemple, empêcher un nivellement par le bas des standards environnementaux et du marché du travail, elles peuvent ainsi obtenir un soutien démocratique. Cependant, cela réduit la capacité des pays à choisir indépendamment leurs politiques nationales.
nivellement par le bas
Concurrence autodestructrice entre des pays ou régions, qui se traduit par une baisse des salaires et une moindre régulation afin d’attirer les investissements étrangers dans une économie mondialisée.

Une manière de comprendre la ligne du bas est de considérer les accords qui existent dans une fédération comme les États-Unis ou l’Allemagne. Les biens, les investissements et les individus peuvent circuler librement entre les États d’une fédération. La législation fédérale et les élections démocratiques au niveau fédéral empêchent un nivellement par le bas. Cela réduit la capacité des États à mettre en œuvre des politiques qui entraveraient les bénéfices de l’hypermondialisation dans le pays, avec la protection de standards et l’implémentation de politiques de stabilisation.

Un second exemple est l’intégration politique de l’Europe depuis plusieurs décennies. Son objectif consistait en partie à permettre aux pays de bénéficier du libre-échange et de la libre circulation du capital et du travail tout en conservant une certaine capacité au niveau européen supra-national à réguler les activités génératrices de profits au nom de l’équité et de la stabilité économique.

Le problème le plus évident qui en découle est qu’il faut s’assurer que cette gouvernance européenne (ou mondiale) ne soit pas seulement technocratique, mais également démocratique, afin de permettre aux électeurs de changer le système s’ils n’en apprécient pas le fonctionnement.

Parmi les autres initiatives de gouvernance supranationale, on peut citer les accords internationaux sur le changement climatique et les efforts de l’Organisation Internationale du Travail visant à ce que tous les pays respectent des normes minimales concernant les conditions de travail (interdiction du travail des enfants et de la contrainte physique à l’égard des salariés, par exemple).

Exercice 18.10 Le trilemne de Rodrik

Regardez la vidéo « Économiste en Action » de Dani Rodrik.

  1. D’après la vidéo, quels sont certains des bénéfices et compromis dus à la mondialisation ?
  2. Donnez quelques exemples historiques du trilemne politique qui ont été donnés dans cette vidéo.

Utilisez le trilemne de Rodrick et d’autres informations que vous arrivez à trouver pour décrire :

  1. Le soutien populaire qui entraîna l’élection de Donald Trump à la fonction de président des États-Unis en 2016.
  2. Le soutien populaire qui entraîna le vote en 2016 pour le Brexit, c’est-à-dire pour que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne.

Exercice 18.11 Comparez les atouts et coûts respectifs de l’indépendance et de l’interdépendance économiques

Dans un essai intitulé « De l’autosuffisance nationale », publié en 1933, John Maynard Keynes avait averti des conséquences de la mondialisation, avant même que le mot n’existe :

Nous avons tous nos propres fantaisies. Puisque nous ne nous croyons pas déjà sauvés, nous souhaitons tous essayer d’œuvrer à notre salut. Aussi, nous refusons d’être à la merci des forces mondiales qui élaborent, ou tentent d’élaborer, un équilibre uniforme selon les principes idéaux, si tant est qu’on puisse les qualifier ainsi, du laissez-faire capitaliste… Pour l’heure nous souhaitons tout du moins… être nos propres maîtres et être libres autant que possible… de réaliser les expériences qui ont notre préférence pour nous conduire vers la république sociale idéale du futur.

Il est devenu la norme de penser que l’intégration mondiale rendrait impossible en pratique l’idée de souveraineté nationale économique. Près de trente ans après que Keynes eut rêvé d’un temps où nous serions « nos propres maîtres », Charles Kindleberger, un économiste du commerce international, écrivait que :

C’en est fini de l’État-nation comme unité économique… Il est facile de s’en rendre compte.

Les tankers de deux cent mille tonnes… les avions, etc. ne suffiront pas aux États-nations pour conserver une indépendance souveraine dans les affaires économiques (American Business Abroad, 1969)

  1. Expliquez dans vos propres mots le plaidoyer de Keynes en faveur de l’« autosuffisance nationale » et l’affirmation de Kindleberger selon laquelle « c’en est fini de l’État-nation ».
  2. Formulez la pensée de Keynes et Kindleberger selon les termes du trilemne de Rodrick et utilisez les données dans cette unité et d’autres unités pour évaluer les déclarations. (Rappelez-vous le rôle des politiques économiques pour aider les pays à s’ajuster au progrès technique et au commerce dans les Sections 16.8-16.10 et examinez les données sur la taille du secteur public et comment elle a évolué dans le temps à l’Unité 22.)

18.10 Commerce et croissance

Quelles sont les meilleures politiques que les gouvernements peuvent mettre en place pour promouvoir la croissance des niveaux de vie à long terme ? Pour certains, le choix s’opère entre deux politiques extrêmes :

  • Fermer totalement les frontières nationales et se retirer de l’économie mondiale !
  • Laisser le commerce, l’immigration et les capitaux circuler librement entre les frontières sans aucune intervention des pouvoirs publics !

Très peu d’économistes (voire aucun) soutiennent l’une ou l’autre de ces politiques. Tout l’enjeu réside dans l’équilibre à trouver entre la contribution de l’économie mondiale au bien-être d’un pays et la minimisation des effets par lesquels le processus d’intégration dans l’économie mondiale pourrait retarder la croissance. Parmi les dimensions d’une plus grande intégration économique mondiale, qui sont favorables à la croissance, se trouvent :

  • La concurrence : la limitation des obstacles au commerce des biens et services entre les pays accroît le degré de concurrence pour les entreprises de l’économie locale. Cela signifie que les entreprises qui échouent à adopter de nouvelles technologies et d’autres méthodes de réduction des coûts sont plus susceptibles de faire faillite et d’être remplacées par des entreprises plus dynamiques. Il en résultera une accélération du taux de progrès technique.
  • La taille du marché : une entreprise capable d’exporter sur le marché mondial peut (si elle résiste à la concurrence) vendre des quantités qui vont bien au-delà des potentialités du marché domestique. Cela permet une production à moindre coût, qui bénéficie à la fois aux acheteurs, aux travailleurs et aux propriétaires des entreprises dynamiques dans l’économie domestique, ainsi qu’aux consommateurs à l’étranger.
industrie naissante (ou dans l’enfance)
Un secteur industriel relativement nouveau dans un pays et dont les coûts sont relativement élevés, car son apparition récente implique qu’il a peu d’avantage à tirer de l’apprentissage par la pratique, sa faible taille le prive d’économies d’échelle ou parce que le manque d’entreprises similaires ne permet pas d’économies d’agglomération. La mise en place temporaire de droits de douane pour protéger ce secteur ou d’autres formes de soutien peuvent augmenter la productivité de l’économie considérée à long terme.
apprentissage par la pratique (*learning by doing*, en anglais)
No definition available.

Une intégration plus grande dans l’économie mondiale pourrait retarder la croissance de différentes manières, dont :

  • L’apprentissage par la pratique des industries naissantes : outre les économies d’échelle, un autre facteur contribuant à la réduction des coûts tient à l’apprentissage par la pratique. Même si l’entreprise ne parvient jamais à une production à grande échelle, les coûts de production décroissent généralement avec le temps. Les tarifs douaniers protégeant les industries naissantes peuvent donner aux entreprises le temps et l’échelle de production nécessaires pour devenir compétitives.
  • Une spécialisation désavantageuse : pour des raisons historiques, il arrive que certains pays se spécialisent dans des secteurs à fort potentiel d’innovation, tandis que d’autres se spécialisent dans des secteurs où ce potentiel est moindre. La croissance de nombreux pays d’Amérique latine, par exemple, a ralenti quand ils se sont spécialisés dans des secteurs peu innovants comme l’extraction de ressources naturelles. Développer de nouvelles spécialisations nécessite souvent l’intervention directe des pouvoirs publics, notamment la protection des industries naissantes.

La Figure 18.23 indique clairement que dans certains pays – notamment en Chine et en Corée du Sud – le revenu des travailleurs a augmenté rapidement au cours de la deuxième période de mondialisation. Mais le même graphique montre tout aussi nettement que dans d’autres pays, en particulier au Mexique et au Sri Lanka, les travailleurs n’ont que peu bénéficié de l’économie mondiale de plus en plus intégrée.

Rattrapage et stagnation : les salaires manufacturiers par rapport aux États-Unis (1950–2015)
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Figure 18.23 Rattrapage et stagnation : les salaires manufacturiers par rapport aux États-Unis (1950–2015).

(1) Andrew Glyn. 2006. Capitalism Unleashed : Finance, Globalization, and Welfare. Oxford : Oxford University Press; (2) National Bureau of Statistics of China. Annual Data; (3) Bank of England; (4) US Bureau of Labor Statistics. 2015. International Labor Comparisons. Remarque : les données annuelles du BLS (Département du Travail) américain relatives au Mexique, aux Philippines et au Sri Lanka ont été lissées à l’aide d’une moyenne mobile établie sur les cinq dernières années.

Il n’y a pas eu une voie unique vers la réussite économique au cours des 150 dernières années. Par exemple :

  • Le protectionnisme précoce de l’Allemagne et des États-Unis : ces pays ont développé des secteurs manufacturiers modernes par le biais notamment de tarifs douaniers élevés qui les ont protégés de la concurrence britannique. À la fin du 19e siècle, on notait une corrélation positive entre les tarifs et la croissance économique des pays relativement riches. En particulier, les droits de douane plus élevés dans le secteur manufacturier étaient associés à une croissance plus forte. Dans l’entre-deux-guerres, les droits de douane étaient également corrélés positivement avec la croissance.
  • L’ouverture garante de la prospérité scandinave : ces pays ont été très ouverts au commerce pendant plus de 100 ans et ont prospéré. Afin d’atténuer les fluctuations des revenus des ménages liées à l’évolution des prix internationaux, ils ont des taux d’imposition très élevés permettant de financer un système social généreux et des aides à la requalification professionnelle.
  • Choix des champions nationaux : de nombreux gouvernements d’Asie de l’Est ont favorisé le commerce tout en pesant sur sa structure en privilégiant certaines industries, voire certaines entreprises et en poussant les entreprises nationales à s’engager dans la concurrence internationale, tout en leur fournissant les outils nécessaires pour se protéger de la concurrence des importations.
  • Deux directions après 1945 : d’une part, les pays de l’Asie de l’Est qui ont encouragé leurs entreprises à pénétrer les marchés internationaux ont connu une croissance plus rapide que les pays d’Amérique latine, qui étaient plus fermés au commerce international. D’autre part, après la réduction des tarifs douaniers par ces mêmes pays d’Amérique latine au début des années 1990, leurs taux de croissance économique furent inférieurs au niveau observé durant la période de plus grande fermeture des années 1945–1980.

Si l’on doit en tirer une leçon, c’est que le succès ne dépend pas du niveau d’intégration d’un pays dans le système économique mondial – par exemple, les volumes d’importations et d’exportations ou un niveau élevé d’investissements de ses entreprises à l’étranger – il dépend avant tout de la gestion de cette intégration économique par des politiques publiques favorables à la croissance.

Quand les économistes ne sont pas d’accord Heckscher–Ohlin, le paradoxe de Leontief et la nouvelle théorie du commerce international

Longtemps, on a pensé que si tous les pays étaient identiques, aucun n’aurait d’avantage comparatif dans la production de quelque bien que ce soit, et aucun n’aurait de raison de se spécialiser et d’échanger des biens. Par exemple, Eli Heckscher (1879–1952) et Bertil Ohlin (1899–1952) affirmaient que, pour expliquer les avantages comparatifs et l’échange, les différences fondamentales entre les pays avaient trait à la relative rareté de la terre, de la main d’œuvre et du capital. Le Canada et les États-Unis avaient des terres abondantes par rapport au facteur travail (dont ils étaient moins dotés), et devraient donc se spécialiser dans la production et l’exportation de biens agricoles. Avec plus de capital et moins de main d’œuvre qu’en Chine, l’Allemagne exporterait des biens intensifs en capital vers la Chine.

Wassily Leontief (1906–1999) contesta en 1953 la théorie d’Heckscher-Ohlin, alors largement acceptée. En utilisant la méthode d’analyse des entrées et sorties qu’il avait inventée, il mesura la quantité de travail et de biens d’équipement utilisée dans la production de biens exportés et importés par les États-Unis. Il a déterminé, par exemple, la quantité de travail nécessaire à :

  • la production d’une voiture,
  • la production de l’acier utilisé lors de la construction de cette voiture,
  • la production du charbon utilisé dans l’aciérie qui produisait l’acier nécessaire à la production de la voiture,

… et ainsi de suite.

paradoxe de Leontief
Le constat inattendu de Wassily Leontief que les exportations américaines étaient intensives en main d’œuvre et les importations à forte intensité capitalistique. Ce résultat était incompatible avec les prédictions des théories économiques : un pays où le capital est abondant (comme les États-Unis) devrait exporter des biens qui utilisent beaucoup de capital dans leur production.

En se fondant sur la théorie d’Heckscher-Ohlin, Leontief s’attendait à ce que les exportations américaines soient à forte intensité capitalistique et les importations intensives en facteur travail, puisque les États-Unis étaient le pays dans le monde où le capital (mesuré par le stock de machines, les bâtiments et d’autres biens d’équipement par travailleur) était le plus abondant. Mais il trouva le contraire.

Pendant plus de 50 ans, les économistes ont vainement essayé de résoudre le paradoxe de Leontief. Leontief a émis l’hypothèse selon laquelle la main d’œuvre pourrait être abondante aux États-Unis si, au lieu de mesurer simplement la quantité de travailleurs, les calculs prenaient en compte les facteurs culturels et organisationnels permettant d’atteindre un niveau élevé de travail effectif par employé. Bien que cette hypothèse n’ait pas encore été testée empiriquement de façon satisfaisante, elle nous rappelle que la culture et les institutions peuvent jouer un rôle essentiel dans l’explication du fonctionnement d’une économie et être une source d’avantage comparatif.

Au cours des années 1980, les économistes Avinash Dixit, Elhanan Helpman, Paul Krugman, parmi d’autres, ont développé des modèles du commerce international dans lesquels l’échange n’était plus dû à des différences entre les pays, mais aux rendements d’échelle croissants. Comme nous l’avons vu dans cette unité, si, par la spécialisation, l’échange permet aux pays de réaliser de plus grandes économies d’échelle, alors le commerce international est une bonne chose, même si les pays ne diffèrent pas dans leurs dotations, y compris en termes de culture et d’institutions. Cette « nouvelle théorie du commerce international » alimente également les arguments protectionnistes en faveur des tarifs. Par exemple, les rendements croissants impliquent des profits de monopoles – il pourrait donc être préférable que ce soit votre pays qui en bénéficie, plutôt que quelqu’un d’autre. Pour en savoir plus, lisez le discours de prix Nobel de Paul Krugman, ainsi qu’un article antérieur qu’il a écrit sur le libre-échange.5

Exercice 18.12 Les effets du commerce international sur la croissance

Les résultats empiriques concernant les effets du commerce sur la croissance sont contrastés.

  1. Imaginez que vous soyez consultant(e) pour l’Organisation mondiale du commerce. On vous demande de concevoir une étude empirique pour déterminer, pour un pays donné, l’effet sur sa croissance de son ouverture au commerce international. Comment traiteriez-vous cet exercice ? (Indice : consultez la Section 1.9, l’introduction de l’Unité 13 et la Section 14.7 pour voir comment les économistes peuvent apprendre des données.)
  2. Comment mesureriez-vous l’ouverture au commerce (tarifs douaniers, ratios d’exportations ou d’autres indices d’ouverture) ? Discutez les avantages et les limites de la méthode retenue.
  3. Expliquez les problèmes que vous rencontreriez dans la conception d’une étude convaincante. Indice : repensez aux exemples donnés dans la Section 1.9, l’introduction de l’Unité 13 et la Section 14.7 sur les manières d’établir que quelque chose (comme le commerce ici) cause quelque chose d’autre (comme la croissance ou le manque de croissance).

18.11 Conclusion

Les économies mondiales font maintenant partie d’un système mondialisé intégré. Les grandes entreprises considèrent le monde dans sa globalité lorsqu’elles décident des endroits où produire et vendre leurs biens et services. De même, les investisseurs choisissent l’endroit où ils détiennent leurs actifs, qu’ils soient financiers ou réels, en calculant les rendements espérés après imposition dans chaque région du monde. Nous avons également vu que, pour l’essentiel, le travail ne s’est pas mondialisé. Pour des raisons politiques, culturelles ou linguistiques, il reste principalement national. Les frontières nationales demeurent un aspect essentiel de l’économie mondialisée. Les gouvernements nationaux restent des acteurs majeurs capables de modifier la trajectoire de leur propre économie, ainsi que celle des autres économies.

La mondialisation a apporté des changements importants. Au 18e siècle, à la naissance des sciences économiques, les biens étaient échangés à travers les frontières nationales et les investissements étaient réalisés dans des endroits reculés du monde. Toutefois, pour l’essentiel, le pays et son économie avaient les mêmes frontières.

Aujourd’hui, le monde paraît assez différent. L’échange des biens et services et l’investissement sont désormais intégrés dans le système financier mondial au sein duquel les transactions électroniques s’effectuent en millisecondes.

Les économistes peuvent aider à concevoir et évaluer des politiques publiques qui garantissent les gains réciproques les plus élevés possibles pour les individus participant à cette nouvelle économie dynamique et cosmopolite. Ils peuvent également identifier les groupes dont les moyens de subsistance se trouvent menacés par les processus de mondialisation et proposer des politiques publiques promouvant une répartition juste des gains rendus possibles par l’échange et l’investissement à l’échelle mondiale.

Concepts introduits dans l’Unité 18

Avant de continuer, revoyez ces définitions :

18.12 Références bibliographiques

  1. David Ricardo. 1815. An Essay on Profits. London : John Murray. 

  2. David Ricardo. 1817. On The Principles of Political Economy and Taxation. London : John Murray. 

  3. Wolfgang Dauth, Sebastian Findeisen, and Jens Südekum. 2017. ‘Sectoral Employment Trends in Germany: The Effect of Globalization on their Micro Anatomy’. VoxEU.org. Mis à jour le 26 janvier 2017. 

  4. Dani Rodrik. 2012. The Globalization Paradox : Democracy and the Future of the World Economy. United States : W. W. Norton & Company. 

  5. Paul Krugman. 2009. ‘The Increasing Returns Revolution in Trade and Geography.’ In The Nobel Prizes 2008, edited by Karl Grandin. Stockholm : The Nobel Foundation.
    Krugman, Paul. 1987. ‘Is Free Trade Passé?’ Journal of Economic Perspectives 1 (2): pp. 131–44.